Chapitre premier :
L'espace méditerranéen: lieu de rencontre
entre cultures et religions rivales
L'intérêt accordé à la culture en
général et à l'Islam en particulier dans le cadre du
partenariat euro- méditerranéen n'est pas exclusivement le
résultat de la médiatisation de ces dernier temps. Il est vraie
que le débat ne s'est jamais imposé avec la même (ampleur)
force auparavant ; on parlait de relations privilégiées entre
l'Europe et le monde arabe et la candidature de la Turquie à
l'adhésion à l'Union européenne n'a pas suscité
tant d'opposition comparable à celle de la dernière
décennie. Mais c'est le constat d'échec du processus de Barcelone
qui alimente notre intérêt.
Le fait que le processus de Barcelone n'a pas
été abandonné, au contraire, on parle de son
renouvellement, nous incitent à emprunter toutes les pistes susceptibles
d'apporter des réponses justifiant cet échec. Prenant en compte
que la culture en général et la religion en particulier sont des
matrices qui conditionne le comportement des individus, et que ces matrices
restent le point sur lequel agissent les groupes d'intérêts et les
décideurs en mal de justification de leurs projets.
Bien que les états impliqués dans ce partenariat
sont laïcs ou n'appliquent pas la Charia, ce qui encourage notre
démarche est la philosophie du processus de Barcelone. Ce dernier repose
sur l'implication de la société civile, il est sensé
promouvoir les valeurs de démocratie, des droits de l'homme et tous les
valeurs sur lesquelles l'Union européenne s'est construite en
entremêlant les populations des deux rives. Et partout on assiste
à un repli identitaire sans équivoque, dont on use abusivement
pour le rejet de l'autre. Ce qui empêche la création d'une
dynamique entre les populations des deux rives. Et de cela, la réussite
du partenariat a été mise en cause.
La méditerranée sépare deux zones
caractérisées par un grand contraste, d'abord elle est la
frontière entre une Europe développée et un sud sous
développé. Bien que la méditerranée est le berceau
des trois religions monothéistes, elle représente pour certains
la ligne de séparation entre deux grandes religions: l'Islam et le
Christianisme qui ont alimenté des guerres sanglantes entre un occident
chrétien et un orient musulman durant des siècles. "Mais, sur
la
carte, cette fameuse `' ligne» n'est pas facile
à tracer »14. Devant ces réalités,
deux questions s'imposent : en l'existence de contraste frappant, quelles sont
les chances de réussite de ce partenariat ? Peut-on se passer des
rivalités religieuses et culturelles et construire l'espace
méditerranéen ?
I. La place de la religion dans le partenariat euro -
méditerranéen
Bien que l'Union européenne met en avant ses valeurs et
son humanisme universels dans ses relations avec le reste du monde, et
dénie le fait qu'elle soit un club chrétien, nombre
d'observateurs perçoivent le fait que la Turquie frappe toujours
à la porte de cette construction comme un rejet à l'Islam. Les
musulmans de la rive sud, de leurs coté, voient que le conflit entre
l'Islam et le Christianisme existe toujours. De l'avis de K Bichara :
« dans le regard réciproque que l'Europe et le monde
arabo-islamique se portent la relation culturelle euro-
méditerranéenne est une relation brisée
»15. Si selon certains musulmans cette fracture remonte
aux guerres religieuses, les croisades, certains chrétiens voient en la
venue de l'Islam la principale cause de cette division.
Si certains comme Huntington, estiment que la prochaine guerre
sera culturelle entre l'Occident et le reste du monde ; Yves
Lacoste16 minimise le rôle des deux religions, Islam et
Chrétienté, dans les tensions géopolitiques qui existent
en méditerranée. Pour lui, d'abord, en évoquant les
croisades, les arabes oublient de mentionner la conquête de l'Espagne,
ensuite, il ne faut pas oublier que les guerres entre chrétiens
catholiques et protestants ont fait plus de victimes, et en dernier lieux, dans
les trois derniers siècles, il n'y' a pas eu de guerre entre les deux
religions à l'exception du cas des Balkans.
Mais, en dépit de ce qui vient d'être
évoqué, et en dépit de l'essence même du processus
de Barcelone qui se base sur le dialogue entre les société
civiles des deux rives, « `'l'échange et l'interaction»
entre les acteurs de la société civile prévus dans le
cadre du partenariat excluent toute sensibilité islamiste, aussi
modérée soit-elle. N'est admise que la `'société
civile» laïque, indépendamment de la
représentativité de certaines de ses composantes,...
»17.
14 Yves Lacoste, La Méditerranée,
Hérodote.
15 Bichara Khader, Le partenariat euro -
méditerranéen après la conférence de Barcelone, les
cahiers de confluences, l'Harmattan, 1997. P 129
16 Yves Lacoste Méditerranée
Hérodote
17 Olfa Lamloum, L'enjeu de l'islamisme au coeur du
processus de Barcelone, Critique internationale, n°18,
S'il est certes que le repli identitaire est observé
partout dans le monde, le retour à l'Islam militant est observé
fortement dans les pays de la rive sud de la méditerranée, on se
souvient encore du drame algérien, et bon nombre de militants islamistes
sont en prison ou en exile jusqu'à aujourd'hui. Mais ce qui est pire
dans tout cela, c'est qu'aux yeux des partisans de la mouvance islamiste, les
relations privilégiés que certains groupes de la
société civile entretienne avec les pays de la rive nord sont
perçues comme une trahison à la cause des musulmans. Ce qui nous
conduit à conclure que le partenariat euro- méditerranéen
n'a pas instauré le climat de confiance nécessaire à tout
rétablissement de liens entre les populations des deux rives.
L'approche européenne qui attribue la montée du
terrorisme aux conditions économico sociales, privilégie
l'éradication de la pauvreté par la libéralisation du
commerce qui stimulera la croissance, ce qui entraînera
l'éradication des foyers ou le fondamentalisme pousse. Cette approche,
qui semblait prometteuse, n'a pas apporté ses fruits; elle n'a pas fait
disparaître le climat de suspicion qui empêche les investisseurs
européens de se diriger vers le Sud.
Ce qui manque au partenariat euro-méditerranéen
c'est "le remembrement intellectuel, spirituel, éthique et culturel
de l'espace méditerranéen par delà les fractures, les
systèmes théologiques d'exclusion réciproque des
communautés"18. Cela veut dire qu'il faut s'attaquer aux
grandes matrices qui conditionnent la pensée des populations des deux
rives et ne pas se contenter d'un partenariat "qui réduit l'espace
méditerranéen à des enjeux de positionnement
géopolitique au mépris de tous les héritages
intellectuels, spirituels, artistiques, culturels"19 . Si
aujourd'hui l'occident relie le sous développement des pays de la rive
sud de la méditerranée à l'Islam, à leurs tour ses
pays responsabilisent l'occident des défaillances actuelles du
système mondial, à leurs têtes la crise financière.
Cela est dû au manque de dialogue approprié qui a
généré une incompréhension
générale.
Olfa Lamloum20 qualifie le processus de Barcelone
d'une sainte alliance entre l'Union européenne et une élite de
la rive sud en mal de légitimité, en quelques mots elle le
qualifie de "mariage de raison"; "l'Union européenne a besoin des
régimes autoritaires du Sud
Janvier 2003.
18 Arkoun M., Op. Cite.
19 Arkoun, Ibid.
20 Lamloum O., Op. Cite
méditerranéen pour constituer une
première frontière face aux candidats à l'immigration.
Quant à ces régimes, le soutien financier et politique fourni
sans conditionnalité et sans contrôle par les ex-puissances
coloniales vient renflouer les caisses et se substituer à une
légitimité intérieure en
déshérence"21.
Aujourd'hui, au moment ou on accuse l'Islam d'être
à l'origine du sous développement du monde arabe, en oubliant que
ce dernier a joué le rôle d'intermédiaire entre les
civilisations durant des siècles, "l'Europe et le monde
américain se déclarent la seule et unique «civilisation
» digne de ce nom, celle qui estime n'avoir rien à apprendre des
autres mais qui serait, au contraire, en mesure de leur apprendre
tout"22. Pourtant, c'est "grâce aux Arabes et
à travers l'islam, les Européens découvrent Platon et
Aristote, la chimie, l'arithmétique, l'astronomie et la médecine.
Ce sont les bases qui font notre modernité
actuelle"23.
D'autres intellectuels comme B Lewis et T Kuran adhère
à cette thèse. Ce dernier écrit : "l'Islam est en
revanche régulièrement considéré comme un obstacle
à la créativité et au progrès économique
lors de conversations confidentielles. Le fatalisme, le personnalisme, la
paresse, le manque de curiosité, la méfiance vis-à-vis de
la science, la superstition, le conservatisme et le traditionalisme sont autant
de facteurs invoqués comme étant à l'origine de ce
retard"24.
Mis à part le degré de vérité dans
ce qui vient d'être évoqué, il est certains que le rejet,
le cloisonnement et l'interposition entre les peuples des deux rives ne font
que empirer la situation. Dans cet état de fait, rien n'est meilleure
que l'ouverture des uns sur les autres et l'échange humain qui
permettront, la compréhension, l'autocritique et
l'autorégulation. Pour cela, les pays de la rive sud doivent affronter
la réalité, tandis que les pays de la rive nord doivent voir dans
le futur.
21 Lamloum O., Ibid
22 Zarcone T., Regard de l'Islam, regard de
l'Occident, Diogène 2002/4, N° 200, p. 58-71
23 Zarcone T., Ibid.
24 Kuran T., Sous-développement
économique au Moyen-Orient : le rôle historique de la culture, des
institutions et de la religion, Afrique contemporaine 2008/2, N°
226, p. 31-54
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