L'institutionnalisation du pouvoir et l'émergence de l'état en République Démocratique du Congo : 1960-2006( Télécharger le fichier original )par Corneille YAMBU -A- NGOYI Université de Kinshasa - DES 2005 |
§3. Impact du Décret-loi constitutionnel du 27 mai 1997 sur le pouvoir et sur la formation de l'Etat.
I. Incidence du Décret-loi constitutionnel sur le pouvoir.
II. Incidences du Décret-loi constitutionnel sur la formation de l'Etat.
A. Pendant la guerre dite d'agression.
La souveraineté est l'élément que prétend n'appartenir que l'Etat contrairement à la personnalité qu'il peut partager avec d'autres personnes morales de droit public (provinces, villes, communes...) ou de droit privé (sociétés privées dotées de la personnalité juridique). On reconnaît que ce qui distingue l'Etat de tous autres groupements, c'est la puissance dont il est doué. Cette puissance, dont lui est capable et qui est suffisamment qualifiée de puissance étatique porte dans la terminologie traditionnelle française, le nom de souveraineté461(*). Celle-ci désigne généralement un pouvoir suprême, c'est-à-dire qui ne relève d'aucun autre. De là, il est aisé de comprendre que sur un territoire et sur une communauté étatique il ne peut coexister plusieurs Etats. Cela pourrait encore mieux se comprendre par le rappel des conceptions politiques et, par la distinction de cette notion sur le plan interne et sur le plan international. Sur le plan interne, la conception politique de la souveraineté, établit une équivalence entre souveraineté et une indépendance absolue, selon la formule « Le Roi est empereur en son royaume ». Sous réserve des critiques du caractère absolu de cette doctrine, nous devons reconnaître qu'elle peut être applicable, dans les limites constitutionnelles au gouvernement de l'Etat. Il doit disposer seul de la puissance d'action partout sur l'espace territorial. Sur le même plan, la conception juridique consiste à reconnaître que la souveraineté est propriété des pouvoirs du gouvernement d'un Etat de mettre en oeuvre un certain nombre de pouvoir ou de droit : droit de législation et de réglementation de police, de justice, droit de battre armée, etc. Les publicistes s'accordent pour dire que ce qui caractérise ces pouvoirs c'est que ce sont des droits régaliens462(*). Nous pensons justement que lorsque le gouvernement d'une communauté perd la capacité de déterminer lui-même ses propres compétences et ses propres règles fondamentales, normalement inscrites dans sa propre constitution et, qu'il perde également la disposition des pouvoirs régaliens dont nous venons de parler, il perd ipso facto, la souveraineté interne. Nous constatons que à partir du 02 août 1992 jusqu'au 30 juin 2003463(*), aucune organisation politique ne disposait de la souveraineté sur le territoire marqué par les frontières de l'ex-Congo Belge. Dès lors que sur base des statuts de leurs mouvements respectifs, les seigneurs de guerre exerçaient toutes les prérogatives régaliennes sur les étendues des territoires sous leur contrôle telles les nominations aux grades civil et militaire, les réglementations policières, la création des entités administratives et territoriales exactement de la même manière que le Chef de l'Etat à Kinshasa le faisant sur la portion du territoire qui lui restait, il convient de constater que l'Etat congolais souverain n'existait plus. Sur le plan externe, la souveraineté signifie également indépendance : absence de sujétion à des puissances étrangères464(*). An Brownlie, cité par Ntumba Luaba considère la souveraineté comme le critère décisif d'identification de l'Etat » et Lauterpacht, cité par le même auteur qualifie l'indépendance de l'Etat de « the first condition of state - haod »465(*) . En ce qui concerne le Congo en guerre d'agression, ou de libération selon le camp où on se trouve, il convient d'observer avec Jean Bodin que la souveraineté est indivisible et absolue et que cela étant, il est inconcevable que l'on parle de la souveraineté de l'Etat congolais lorsque sur la plan interne, plusieurs personnalités politiques toutes autoproclamées Président de la République ou des mouvements rebelles exercent avec succès la contrainte physique466(*). A cette considération, il faut ajouter le fait que aucune de ses organisations politiques autant que le gouvernement congolais ou ce qu'il convient ainsi d'appeler ne disposait d'une force armée autonome ; ils régnaient sur le pays et administraient les territoires conquis par l'occupation militaire étrangère. Ainsi les forces rebelles avaient toléré l'occupation du pays par l'Ouganda pour le MLC et par le Rwanda et le Burundi par le RCD. Le « gouvernement » de Kinshasa fit venir les armées Angolaises, Zimbabwéennes et Namibiennes. Il n'y a nul doute que chaque groupe était incapable de relever la tête face à ses protecteurs qui seuls exercent alors la souveraineté sur le territoire congolais. Ainsi la bataille de Kisangani opposant les forces Rwandaises pour le compte du RCD et les forces Ougandaises pour le compte du MLC avec des graves violations des droits humains sur les populations congolaises est restée tristement célèbre. Par ces analyses, nous avons voulu démontré et nous croyons l'avoir fait, que sous le Décret-loi constitutionnel n° 003 du 27 mai 1997, l'échec de l'institutionnalisation du pouvoir a conduit à l'éclatement de la guerre dont les effets ont été la disparition de la personnalité juridique et de la souveraineté de l'Etat. Nous pouvons ainsi conclure en nous fondant sur la déclaration de J. Verhoeven et sur l'affirmation de Carré de Malberg que sous Décret-loi constitutionnel n° 003 du 27 mai 1997, qu'il n'y a pas eu d'Etat au Congo. En effet, J. Verhoeven affirme « en définitive, il n'y a Etat que là ou la population sur un territoire est placée sous l'autorité d'un gouvernement, qui contrôle un appareil politique et administratif approprié »467(*) ; Et, Carré de Malberg d'observer que l'Etat est une personne collective souveraine ». Or aucune de ces assertions précitées ne correspond à la réalité congolaise entre 1997 et 2003. ce qui vient d'être dit suffit pour nous ; il serait superflus d'aborder les points relatifs à la mise en cause des éléments constitutifs de l'Etat avant la fin de la guerre.
* 461 Lire dans ce sens Carré de Malberg, op.cit, p. 41. * 462 Lire dans ce sens Mpongo B.B. (E.), op.cit, p. 51, Ntumba Luaba, op.cit, p. 49, Carré de Malberg, op.cit, p. 41. * 463 Date de l'installation du nouveau gouvernement issu de l'Accord global et inclusif. * 464 Lire dans ce sens Ntumba Luaba, op.cit, p. 49. * 465 Idem. * 466 Le Président Kabile père s'est autoproclamé Président de la République. Son fils s'est autoproclamé Président de la République à sa mort, par ailleurs les Présidents de l'opposition armée Jean Pierre Bemba pour le MLC et Wamba dia Wamba, Emile Ilunga sont devenus Présidents du RCD du fait de leurs propres statuts. * 467 Verhoeven J., Droit international public, Bruxelles, Larcier, 2000, p. 59. |
|