Section 2. Formation extra
juridique de l'Etat.
Il y a bien une tendance à rejeter hors du droit la
formation de l'Etat150(*). On parle alors du fondement extra-juridique de
l'Etat151(*).
Il n'est pas étonnant qu'il en soit ainsi dès
lors que presque toutes les branches des sciences sociales semblent
intéressées par la question de la genèse de l'Etat.
Historiens, sociologues, juristes, philosophes en revendiquent l'examen
à titre égal. D'où la multiplicité des solutions
proposées. Dans une approche théorique, nous jugeons utile de
présenter les thèses contraires à celles qui venaient
d'être exposées sur le fondement juridique en vue d'un
débat plus élevé sur la question de l'existence ou non de
l'Etat et de son application pratique en Afrique subsaharienne. Nous rappelons
que cette question est fondamentale car préalable aux différentes
pistes de solutions. Pour revenir aux auteurs qui envisageaient l'Etat comme un
phénomène soustrait à toute qualification juridique, ils
affirment que l'Etat est le naturel produit spontané des forces qui ont
contribué à la cohésion du groupe et de sociabilité
qui incitent les hommes à vivre en communauté152(*). Beaucoup d'auteurs se
rallient à cette thèse153(*). Il convient de signaler la distinction que fait
Bluntschli, entre les modes originaires de formation de l'Etat et les modes
secondaires et dérivés ; les seconds ne concernent que les
Etats composés, Etats fédéraux ou
fédérations. Pour les premiers, il fait monter leur origine aux
temps les plus anciens puisqu'il évoque la fondation de Rome et l'
« Etat » juif de la Bible.
Quant à Maurice Hauriou dont nous avons
déjà parlé, Burdeau estime que sa théorie doit
être rattachée aux thèses du fondement extra - juridique de
l'Etat car d'après Georges Burdeau, il rattache la formation de l'Etat
à un phénomène naturel154(*) qui est le consentement coutumier. Dans
l'appréciation de l'oeuvre de Hauriou, Georges Burdeau observe que comme
ce consentement ne peut apparaître que dans un groupe déjà
unifié, le phénomène historique capital dans la
genèse de l'Etat est la formation ethnique d'une communauté
nationale. A ce propos, Burdeau observe qu'il existe pourtant une
imprécision dans l'attitude d'Hauriou à cet égard car il
semble également admettre à l'origine de l'Etat, un acte
juridique de la nature de fondation. Burdeau pense que ce flottement dans sa
doctrine est dû à ce qu'Hauriou ne parvient pas à prendre
définitivement parti entre le point de vue historique et le point de vue
juridique de l'origine de l'Etat.
Pouvons-nous penser que c'est ce flottement qui déroute
au point que certains auteurs comme le professeur Mpongo, E., classe la
théorie de la fondation et l'institution dans la catégorie du
fondement juridique155(*) tandis que d'autres comme le professeur Ntumba Luaba
la place dans la rubrique du fondement extra - juridique de
l'Etat ?156(*).
Pour nous, comme on peut le constater, nous estimons que l'institution, la
fondation ou l'entreprise n'est possible que par le droit. C'est pourquoi la
théorie de Maurice Hauriou est reprise dans les thèses de la
formation juridique de l'Etat.
On regroupe les thèses non conventionnelles de la
fondation de l'Etat ou les théories extra - juridiques de l'Etat en
trois : la théorie du fondement sociologique, la théorie de
la création de l'Etat en dehors du droit, la théorie marxiste du
fondement de l'Etat et le positivisme juridique.
§1. La théorie du
fondement sociologique et du conflit.
I. Exposé de la théorie.
De Polybe à Duguit157(*) beaucoup d'auteurs ont cru trouver l'explication de
la genèse du phénomène étatique dans un Etat de
chose résultant d'un conflit qui, à un moment de l'histoire,
aurait opposé les groupes primitifs158(*). L'école du conflit est défendue par
les sociologues et les historiens qui considèrent que la formation des
Etats est le résultat tantôt de la conquête, tantôt de
l'hétérogénéité culturelle dans une aire
géographique d'une certaine étendue, tantôt des tensions
politiques entre tribus ou gens antiques et vivant primitivement, en bonne
intelligence159(*). Dans
son ouvrage intitulé « Anthropologie politique paru en
1967 », Georges Balandier160(*) soutient que la formation des Etats est le
résultat d'un processus naturel souvent violent, quelque fois pacifique,
mais en tout cas, l'idée de l'Etat n'est pas le moteur de l'action.
De manière accessoire, les partisans de la
théorie du conflit voient, dans l'institution du droit de
propriété le résultat de la conquête, car c'est lui
qui, d'une part, affirmé au profit des vainqueurs, sanctionne leur
suprématie et, d'autre part, donne au travail auquel est obligée
la race asservie, sa signification économique comme facteur de
l'interdépendance sociale161(*).
A travers diverses nuances, la doctrine du conflit conserve un
fond commun dans l'affirmation que l'Etat est le résultat d'une
stratification provoquée dans une collectivité par la
différenciation entre une classe supérieure ou gouvernante et une
classe inférieure ou gouvernée162(*).
Oppenheimer, un des théoriciens les plus
autorisés de l'école du conflit montre en effet que le point
essentiel de la doctrine c'est la négation de toute possibilité
d'expliquer l'Etat par la stratification sociale qui se produirait à
l'intérieur d'un groupe unique d'individus « libres et
égaux ». Pour lui, il faut des vainqueurs et des vaincus,
l'Etat étant alors la constitution sociale ayant pour but d'assurer la
domination des gouvernants contre les révoltes de l'intérieur et
les attaques du dehors163(*).
Donc, après toutes ces précisions, la conception
du conflit peut reposer sur une trilogie. D'abord tout Etat est un Etat de
classe, ensuite l'origine de l'Etat, résultant de la
différenciation de fait entre deux groupes d'individus, ne saurait
être expliqué juridiquement ; enfin c'est l'organisme
étatique qui par l'établissement d'une hiérarchie,
crée l'unité sociale du groupe vivant dans les limites
territoriales de l'Etat, la communauté ne précède pas
l'Etat.
* 150 Burdeau, G.,
po.cit., p. 8.
* 151 Mpongo, E.,
op.cit., p. 66.
* 152 Burdeau,G.,
op.cit., p. 8.
* 153 Idem.
Burdeau, cité parmi les plus remarquables : Gierke, Die
Grundbergriff des Staatsrechts, Zeitsehr, Fiir die Gesammte Reichtswissenchaft,
T. XXX, p. 170; N.M. Korkounov, Cours de théorie
générale du droit, trad. Larnaude, 1903, p. 356 ;
Orlando, (V.E.), Précis de droit public et constitutionnel, Trad.
Franç., 1902, p.p. 29-33 ; Jellinek, l'Etat moderne et son
droit, Trad. Franç. T. I, 1911, p. 218; Michaud(L.), la
personnalité morale, 2è éd., T. I, p.p.
289 et suiv. ; Esmein, Eléments de droit constitutionnel,
7è éd., 1921, T. I, p. 2, Erich, (R.), la naissance
et la reconnaissance des Etats, Académie de droit international,
recueil des cours, T.13, 1926, III, p. 442 ; Dabin, (J.), philosophie
de l'ordre juridique positif, 1929, p. 187, note1, doctrine
générale de l'Etat, trad. Franç., 1877, p.p. 229 et
suiv. ; Bluntshili, théorie générale de
l'Etat, 1877, p.p. 229 et suiv.
* 154 Ibidem,
* 155 Mpongo, E.,
op.cit., p. 65.
* 156 Ntumba Luaba,
op.cit, p. 27.
* 157 cité par
Burdeau, (G.), op.cit., p. 10.
* 158 Idem.
* 159 Mpongo, E.,
op.cit., p. 68.
* 160 Idem
* 161 Novicow, Les
luttes entre sociétés humaines, 1893, p. 82, cité par
Burdeau, G., p. 11.
* 162 Oppenheimer, (R.),
l'Etat ses origines, son évolution et son avenir, trad.
Franç., 1913, p.p. 11-58, 118, cité par Burdeau, (G.),
Idem.
* 163 Oppenheimer, (R.),
l'Etat ses origines, son évolution et son avenir, trad.
Franç., 1913, p.p. 11-58, 118, cité par Burdeau, (G.),
Idem.
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