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L'or blanc. le marché occulte et illégal du corps humain à  Libreville

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par Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY
Université Omar Bongo - DEA 2010
  

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Introduction de la deuxième partie

Cette deuxième partie est consacrée à l'analyse du marché occulte et illégal des restes humains en présentant la prise de position de l'Église sur les profanations des tombes et des corps à Libreville. D'une part, comme nous l'avons montré dans nos préalables épistémologiques, l'Église a pour mission de préserver les corps des religieux des profanations des tombes, en construisant les cimetières sur son terrain pour mieux les sécuriser.

Simplement parce que notre corps est le temple du Saint Esprit172 et que, << le corps n'est pas une matière première que l'on peut vendre à sa guise. Ce n'est pas pour rien que de nombreuses personnes refusent de donner le corps d'un proche à la science même à des fins médicales >>173. D'autre part, on assiste à la production d'un discours moraliste contre le fétichisme, tout comme l'existence du matraquage médiatique et religieux, pour ce qui est des campagnes dites << d'évangélisation >> et d'un mysticisme exacerbé.

Par ailleurs, nous insistons sur le fait qu'au Gabon, tout est devenu marchandise ; le corps humain dans cette perspective n'échappe pas à cette logique d'objet marchand. Or << l'économie marchande pervertit littéralement le système traditionnel et trouve dans la sorcellerie son alliée naturelle puisque la première implique la capture systématique d'êtres humains, réduits en esclavage, et la seconde le sacrifice humain (<) Au lieu de l'or et de l'argent et d'autres biens qui servent de monnaie ailleurs, ici la monnaie est faite de personnes, qui ne sont ni or ni tissu, mais qui sont des créatures >>.174

Ce qui justifie l'idée selon laquelle la croyance aux pouvoirs des morts et de leur recours lors des élections politiques est bien réelle. Parce que les pratiques

172 Lire à ce propos I corinthiens 6 verset 19.

173 Ingrid SCHEINDER cité par Markus GRILL et Martina KELLER, « Un trafic légal de tissus humains. 42 € le fémur, 14 € la trachée », p.42 in Courrier International, n°993 du 12 au 18 novembre 2009, 59 p.

174 Luc de HEUSCH, Le roi du Kongo et des monstres sacrés. Mythes et rites bantous III, éditions Gallimard, 2000, p.122.

occultes et fétichistes rythment le Gabon et « font du corps de l'autre, et surtout de sa vie, une vulgaire ressource politique qu'on peut actionner à sa guise >>175.

Pour finir, « il arrive aussi que l'on prélève des morceaux choisis sur des cadavres ou qu'on les achète sur le marché de trafic du corps humain qu'alimente la criminalité dans certains pays africains >>176, en particulier au Gabon ; et où la recrudescence des crimes rituels et profanations de tombes et accusations d'actes de fétichisme se multiplient à la veille des élections ; parce que « le discours sur le pouvoir continue d'être marqué par des références multiples et directes (<) aux forces occultes >>177.

175 Comi TOULABOR, << Sacrifices humains et politique : quelques exemples contemporains en Afrique », pp.220-221.

176 Ibid., p.209.

177 Peter GESCHIERE, Sorcellerie et politique en Afrique. La viande des autres, Paris, Karthala, (coll. << Les Afriques »), 1995, p.14.

Chapitre III : La production d'un discours moraliste des Église sur les profanations des tombes

En tant que gardienne de la morale, l'Église, nous rappelle vivement que le corps humain est << le temple du Saint Esprit >>178 et qu'il est important de le protéger. Car à Libreville, les profanations des tombes et des corps deviennent une << arme >> qui traduit l'exercice de la violence symbolique et imaginaire par le pouvoir politique.

Section 1 : Prise de position de l'Église et de l'État face aux profanations des tombes et des corps à Libreville

1. Le point de vue de l'Église

1.1. Une dérive morale ?

L'Église, au sens durkheimien179, est un rassemblement en une même communauté morale qui unit par les croyances et les pratiques tous les individus qui y adhèrent. L'Église se définit aussi comme un groupe dont les membres défendent la même doctrine. Par ailleurs, << parce qu'elle est la gardienne de la morale, l'Église ne pouvait continuer à demeurer muette face aux phénomènes des crimes rituels, prélèvements d'organes et même de destruction odieuse des vies humaines devenus légion au Gabon ces derniers temps, même s'il est vrai que ces crimes rituels ne datent pas d'aujourd'hui >>.180

Nous retenons donc que pour l'Église, les profanations des tombes et des corps à Libreville constituent << une dérive morale >>.181 En effet, interrogé sur la question par le journaliste Olivier NDEMBI de l'Union, organe de presse, « le

178 Lire I Corinthiens 6 verset 19.

179 Émile DURKHEIM, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, (coll. << Le livre de Poche »), classiques de philosophie, 1991, 758 p.

180 L'Union Plus, premier quotidien d'informations gabonais, du samedi 19 et dimanche 20 juillet 2008, Multipress, Libreville/Gabon, rubrique << Société et culture », page 6, en annexes.

révérend pasteur Gaspard OBIANG estime que la protection des sépultures doit constituer une des priorités gouvernementales ».182

Par ailleurs, « en sa qualité de citoyen, mais encore et surtout de serviteur de Dieu, il dit condamner avec force, le caractère pervers et infâme de la profanation des tombes et la commercialisation des restes humains au Gabon. Ce, d'autant plus que, de son point de vue, les taux de crimes rituels et des actes de sacrilège deviennent impressionnants dans notre pays. C'est un déshonneur, un opprobre pour le Gabon! Assène-t-il, ajoutant que (<) la profanation des tombes à des fins commerciales ou fétichistes rime avec abomination, colère divine et malédiction. Selon le pasteur Gaspard, il est impensable qu'en ce millénaire dit de l'excellence, de la compétence et de la performance, des personnes se livrent à un commerce aussi criminel, au lieu d'utiliser leurs mains briseuses de tombes pour pratiquer l'agriculture, la peche ou la menuiserie. De meme, il est insoutenable que les autorités municipales se montrent incapables d'entretenir et de sécuriser les cimetières existants et de disponibiliser un autre site à l'heure où le taux de mortalité augmente ».183

Le pasteur que nous avons rencontré nous a édifié sur certaines questions ; entre autre, « pourquoi cette recrudescence des profanations des tombes, surtout en périodes électorales ? » Pour notre interlocuteur, il y a recrudescence des profanations des tombes en périodes électorales :

Énoncé n°17 :

- « Tout simplement parce qu'il faut d'abord partir d'un principe ; pour ne pas rentrer dans la doctrine de la dichotomie et la trichotomie ; il faut dire que Lucifer passe par la matière afin de pouvoir donner à l'homme l'impression d'atteindre une lumiére spirituelle qui n'est vraiment pas la volonté divine et le reflet divin. C'est pour cela que les profanations des tombes sont des vecteurs qui permettent au commun des mortels de briller. Alors que JésusChrist ; il est le seul qui fait briller l'intérieur. La profanation des tombes favorise l'être. Et

182

L'Union Plus, premier quotidien d'informations gabonais, du samedi 19 et dimanche 20 juillet 2008, Multipress, Libreville/Gabon, rubrique « Société et culture », p.6.

pour prendre cette explication dans le Livre de 1 Samuel 28 je crois, lorsque Saül a voulu invoquer l'esprit de Samuel dans la Bible. La Bible nous précise que Samuel, dans sa tombe, a dit à Saül" ne me dérange pas je suis ici en paix. "Face à ce cas là, la Bible nous montre qu'il peut avoir naissance de communication entre celui qui est parti et celui qui reste. Et pour les initiés pervertis, les initiés démesurés, les initiés qui ne maîtrisent pas le respect de cette portée nécrologique ancestrale, profitent des naïfs qui n'honorent pas le Seigneur, viennent de temps en temps pour commettre des bêtises; en espérant avoir le pouvoir, l'influence, l'argent

1

» .84

Les propos du pasteur AKITA nous donne une explication ésotérique quant à la recrudescence des profanations des tombes à l'orée des élections politiques. Par ailleurs, il est clair que la croyance au pouvoir des morts est réelle et que la Bible interdit la nécromancie, parce qu'elle n'honore pas Dieu plutôt Lucifer. Au fond, en nous référant aux prescriptions bibliques conseillées par notre interlocuteur, l'Église nous apprend que « les pratiques païennes » souillent la fidélité en Dieu d'où, « ne cherchez d'aucune manière à entrer en contact avec les esprits des morts, car cela vous rendrait impurs. Je suis le Seigneur votre Dieu ».185 De même, comme le Révérend pasteur Gaspard OBIANG l'a rappelé lors de son interview accordée à l'Union, « quiconque touche un cadavre humain est impur pour une semaine ».186

À la suite de ces passages bibliques, le Révérend pasteur Gaspard OBIANG termine en disant « qu'un peuple qui n'est plus alarmé par la mort et banalise la vie est comme un navire sans boussole. Il est voué à l'échec et meurt lentement mais sûrement ».187 Ce qui nous amène à nous poser la question de la perception des reliques aujourd'hui à Libreville.

184 Propos du pasteur de la Mission protestante de Baraka de Libreville, monsieur Raymond AKITA, 42 ans, en II IrncIEdIpuoEl'pnE2iii.

185 Parole biblique tirée du Livre de Lévitique 19 verset 31.

186 Parole biblique tirée du Livre de Nombres 19 verset 11.

187 Propos du Révérend pasteur Gaspard OBIANG, in l'Union du samedi 19 et dimanche 20 juillet 2008, p.6, en annexe.

Énoncé n°18 :

- « L'Église est contre ça, car en Christ, on est une nouvelle créature. Il ne faut plus compter sur ces choses parce que cela n'honore pas Dieu ; et on peut devenir fou ».188 Énoncé n°19 :

- « Moi je pense que la criminalisation des reliques est faite par les chrétiens car c'est une mauvaise chose. On ne doit pas travailler avec le crâne des grands-parents. C'est la nécromancie, la divination, c'est même démoniaque. Et je crois que ceux qui sont ancrés dans la tradition c'est une bonne chose pour eux puisque cela leur apporte le pouvoir. Et cette criminalisation comme vous dites, est là parce que les chrétiens veulent convertir ceux qui pratiquent ces actes ».189

Énoncé n°20 :

- « Pour ma part, je pense que prendre le crâne du papa et du grand-père je ne vois pas ce que cela peut apporter à la personne qui garde ça. Même si les morts ne sont pas morts, cela c'est de l'idolatrie. Cette criminalité est faite par les convertis, ceux qui ne sont pas d'accord avec cette pratique. Si les gens critiquent cet acte, c'est parce que c'est un acte inhumain immoral, un acte déshonorable à la société. On ne peut pas prendre le crane de quelqu'un décédé depuis et le mettre dans un coin et le vénérer parce qu'il n'apporte rien. Pour nous il n'ya que Allah qui résout les problèmes, c'est l'unique créateur ».190 Selon le pasteur Raymond AKITA par contre,

Énoncé n°21 :

- « Tout ceci profite à Satan, pas à aucun homme normal, aux hommes politiques qui sont nécromanciens, je peux te citer les grands noms du Moyen-Ogooué où les familles connaissent les malédictions. Ces gens pactisent avec le diable ; pour le paraître, il faut accepter Jésus pour le salut de son âme ».191

188 Propos de mademoiselle Graziella MENGUE, 29 ans, chrétienne catholique, fang, agent marketing.

189 Propos de mademoiselle Floriane Melinda KAYIBA, 27 ans, chrétienne catholique, Nzébi-Sango, étudiante en Maîtrise au département de Sociologie de l'UOB.

190 Propos de mademoiselle Khadidjatou MAROUNDOU, 33 ans, Punu, musulmane, reprographe à l'UOB.

191 Propos du pasteur Raymond AKITA de la mission de Baraka de Libreville, 42 ans, Galoa, exerce depuis l'an 2000.

- << La criminalisation des reliques est faite par l'Église car elle s'oppose aux reliques en affirmant que c'est de la vénération des choses mortes. Les reliques n'honorent pas Dieu et souillent ceux qui les pratiquent ; eux et leurs générations. C'est la malédiction ».192

1.2. La protection des corps religieux et des cimetières

En fait, il s'agit de l'assise du pouvoir et les reliques serviraient les hommes du pouvoir. Selon les propos du pasteur AKITA, certains individus ont le souci du paraître, de leur insertion sociale au sein de l'appareil d'État ; au lieu de se préoccuper du salut de leurs âmes. Ce qui explique les profanations des tombes. Face à ce phénomène, l'Église se donne pour mission de protéger les corps des religieux en construisant les cimetières dans sa concession. En témoigne les photos n°2,4 et 5 des pages 26 à 29 de la cathédrale Sainte Marie de Libreville et de la mission Baraka; et dont nous avons fait mention dans la partie consacrée aux préalables épistémologiques de notre travail.

Par ailleurs, il y a aussi la protection des cimetières car << l'omniprésence de l'Église médiévale dans la société s'amorce à partir du moment où les chrétiens cessent d'attendre une fin du monde imminente. L'Église s'investit, dès lors, dans la mise en oeuvre de fonctions normatives et juridiques qui touchent pratiquement tous les domaines de la vie, du mariage à l'usure, en passant par l'état-civil, les procédures judiciaires, la création d'un système scolaire, la sacralisation de l'autorité sociale, la condamnation des hérésies, la définition des normes régissant les usages du sexe et du plaisir ».193 À la question de savoir pourquoi l'Église a-t-elle décidé d'enterrer les corps des religieux dans sa concession, notre interlocuteur nous a répondu ainsi :

192 Propos de mademoiselle Janny Esther DIVAGOU IBRAHIM KUMBA, chrétienne catholique, 26 ans, étudiante en Maîtrise au département de Sociologie de l'UOB, Akélé-Punu.

193 Achille MBEMBE, De la postcolonie. Essai sur l'imagination politique dans l'Afrique contemporaine, Paris, Karthala, (coll. « Les Afriques »), 2000, p.209.

- << Pour l'Église, les cimetières sont des lieux sacrés, selon le canon 1205194. Alors les cimetières méritent respect, vénération, reconnaissance. De plus, le sacré nous renvoie à l'invisible car nous croyons que la vie n'est pas finie, elle est transformée : il y a la continuité des défunts. Par ailleurs, comme la Bible bénit les tombes, alors l'Église bénit les tombes des fidèles en ce sens que le cimetière est un lieu sacré. Et elle protège les cimetières ce qui fait qu'elle les construit sur sa concession. En outre, la profanation des tombes est une malédiction ; un péché grave car c'est une entrave à la volonté divine. Nous croyons à la résurrection non à la mort. C'est pour cela que l'Église condamne avec la dernière énergie les profanations des tombes »195.

2. Le point de vue du législateur gabonais sur les profanations des tombes

2.1. Le code pénal de 1963

Avant d'aborder le point de vue du législateur gabonais sur les profanations des tombes, il est important d'apporter quelques éclaircissements sur la violence du pouvoir au sens de Georges BALANDIER au Gabon ; mais aussi, comme l'entend Florence BERNAULT qui se base sur le concept dominant du << le Souverain moderne » de Joseph TONDA. De prime abord, la violence ne s'exprimerait pas sans un appui sur le symbolique et l'imaginaire ; étant entendu que ces deux modes d'expression laissent entrevoir la violence.

Les recherches de BALANDIER sur la violence du pouvoir montrent que la violence du pouvoir intervient dans toutes les sociétés, qu'elle recourt à des moyens divers et que la violence du pouvoir apparaît comme une agression indirecte et masquée. Mieux, elle se présente comme une manipulation de symboles et de forces à des fins offensives. Enfin, elle est identifiée à partir de ses effets. Florence

194 Code De droit canonique Bilingue et annoté.2ème édition révisée et mise à jour, Montréal, Wilson & La fleur Itée, 1999, 1888 p. Ce canon 1205, réservé aux lieux sacrés, stipule que « les lieux sacrés sont ceux qui sont destinés au culte divin ou à la sépulture des fidèles par la dédicace ou la bénédiction que prescrivent à cet effet les livres liturgiques ». À voir en annexes.

195 Propos du Père Dieudonné MOULOUNGUI, 35 ans, Punu, vicaire de la Paroisse Saint André des 3 Quartiers de Libreville. Entretien réalisé le 4 mars 2010 à 21 heures à Saint André.

BERNAULT196 nous suggère une relecture de Joseph TONDA, parce qu'étant un auteur complexe, on se rend compte que « le Souverain-moderne est l'ensemble des rapports qui, pour TONDA, gouvernent la production du monde de l'après-colonial, et imposent à ceux qui sont pris dans ses rets une culture du tourment, de la persecution et de la violence retournee sur soi ».197

On peut ajouter aussi que le « Souverain moderne » , bien qu'étant complexe, présente l'avantage d'une lecture au microscope des rapports sociaux qui predominent au Gabon ; mais surtout comment ils s'enracinent et se diffusent dans la societe postcoloniale d'Afrique centrale. D'ailleurs, « le Souverain moderne prive les hommes d'eux-mêmes et de leur histoire, depossède les individus de leur integrite (corps voles, depenses), de la possibilite de leur reproduction sociale et biologique (organes sexuels arraches ou instrumentalises), le fascine et les apeure par les violences quotidiennes dont ils sont eux-mêmes les participants implacables ».198 En un mot, « le Souverain moderne inaugure une nouvelle definition des rapports entre imaginaire, fetichisme et symbolique »199 : la profanation des corps et des tombes pendant les élections politiques c'est-à-dire, le « fetichisme politique »200.

Enfin, le legislateur gabonais a elabore son code penal201 et qui, selon son article 347, stipule que « la presente loi sera exécutée comme loi de l'État ». Rappelons ici que l'élaboration de ce Code pénal a tenu compte du fait que l'univers sociopolitique et culturel est un univers de forces, de puissances. Et que ces puissances ou surpuissances peuvent, à un moment donne, devenir antisociales, comme c'est le cas des profanations des tombes qui s'observent en périodes electorales.

196 Florence BERNAULT, « Autour du livre Joseph TONDA », le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo/Gabon), Paris, Karthala, 2005, 297 p, in Politique africaine, n°104, décembre 2006, pp.159-177.

197 Ibid., p.159.

198Ibid., p.161.

199 Ibid., p.162.

200 Par « fétichisme politique », nous voulons dire qu'il existe un marché occulte et illégal de la production et de la vente des restes humains ou « pièces détachées » jà Libreville. L'existence de ce marché explique la profanation des tombes, notamment à l'approche des élections politiques. D'où, il existe un rapport très fort entre la mort et le pouvoir politique au Gabon.

201 Le Code pénal de la République gabonaise du 31 mai 1963, Libreville, 109 p, voir en annexes.

D'ailleurs, en illustrations, nous citerons par exemple le Chapitre XIX, intitulé « De la sorcellerie, du charlatanisme et des actes d'anthropophagie »202 ou encore, et objet de ce sous-point, le Chapitre XIII, intitulé « Des violations des sépultures et profanations de cadavres ».203 En voici l'extrait de son article 291 : « quiconque aura profané ou mutilé un cadavre, même non inhumé sera puni d'un emprisonnement de trois mois à un an et d'une amende de 24.000 à 120.000 fcfa. D'autant plus que dégrader tout tombeau et/ou ses ornements (croix, couronnes, dalle, etc.) constitue un délit qui peut rendre un individu coupable de violation de tombeaux ou de sépultures (qui) sera puni d'un emprisonnement de trois mois à un an et d'une amende de 24.000 à 120.000 francs sans préjudice des peines réprimant les crimes ou délits qui se seraient joints à celui-ci ». Ce qui poserait problème ici, c'est certainement l'applicabilité et l'effectivité de cette loi sur le terrain. Ce qui nous permet de dire qu'il est certes bien de promulguer des lois, le plus dur demeure leur applicabilité.

2.2. L'obligation de saisir le tribunal

La loi prévoit en outre, après avoir constaté l'acte de profanation, d'adresser une plainte contre X au greffe correctionnel pour entamer des poursuites judiciaires. Cependant, nous avons dit que nous sommes dans l'univers du Souverain moderne, au sens de Joseph TONDA. Et selon nos constats et nos enquêtes réalisés et après s'etre rapproché de plusieurs victimes des profanations des tombes à Mindoubé, certaines familles ont eu à porter plainte contre X sans succès. Dès lors, monsieur MBADINGA204 affirme :

Énoncé n°24 :

- « Il y a au Gabon des prédateurs qui chassent les gens dans la ville et ceux qui viennent profaner les tombes à des heures tardives de la nuit. Comment expliquer que quand nous sommes vivants on n'est pas en sécurité, à plus forte raison mort ? Tu vois, porter plainte dans ce pays ne sert plus à rien, surtout pour ce genre d'affaire, ces plaintes que nous

202 Le Code pénal de la République gabonaise du 31 mai 1963, Libreville, p.63.

203 Ibid., p.84.

204 Monsieur MBADINGA est l'un des parents des trente victimes des profanations des tombes que nous avons eu à rencontrer lors de notre passage le 1er novembre 2007 au cimetière de Mindoubé, dans le cadre de notre mois de terrain et dans la rédaction de notre Mémoire de Maîtrise.

adressons sont oubliées expressément par l'État, il s'en fou puisque ces gens là n'enterrent pas leurs parents ici. Ils font leurs caveaux familiaux et viennent prendre ce qui reste de nos parents. C'est révoltant ce que l'État fait, il profane nos tombes et fais semblant de réagir. La preuve c'est qu'il ne punit pas les vrais coupables qu'il connaît >>.205

Les propos de monsieur MBADINGA attestent que nous sommes dans les rets du << Souverain moderne >>, dans une culture du tourment, de la persécution et de la violence ; violence de l'imaginaire, du fétichisme exercée par le pouvoir politique. D'où, « à l'ombre de la postcolonie ont ainsi grandi des monstres (<) Il s'agit simplement d'administrer une violence lapidaire et improductive dans le but de prélever, d'extorquer et de terroriser >>.206 Car << le pouvoir ne peut s'exercer sur les personnes et sur les choses que s'il recourt, autant qu'à la contrainte légitimée, à des outils symboliques et à l'imaginaire >>.207 D'où, « aucun groupement, aucune organisation sociale ne peut se donner à voir si ce n'est à travers des symboles qui manifestent son existence >>.208

C'est l'occasion de revisiter le code pénal parce qu'il est caduque, désuet face à la situation présente en postcolonie gabonaise ; surtout en matière de profanations des tombes. Finalement, si l'État gabonais, qui se doit de veiller sur la sécurité des biens et des personnes, et considérant que le cimetière est une archive nécrologique qui figure dans le patrimoine culturel du pays ; ne réagit pas devant cette violence, c'est parce qu'il est << l'institution qui possède, dans une collectivité donnée, le monopôle de la violence légitime. Entrer dans la politique, c'est participer à des conflits dont l'enjeu est la puissance - puissance d'influencer sur l'État et par là même sur la collectivité >>.209

205 Propos de monsieur MBADINGA, au cimetière de Mindoubé le 1er novembre 2007.

206 Achille MBEMBE, << Désordres, résistances et productivités », p.2 in Politique africaine : << Violence et pouvoir », n°42, juin 1991, 163 p.

207 Georges BALANDIER, le Détour. Pouvoir et modernité, Paris, Fayard, 1985, p.88.

208 Philip BRAUD, Sociologie politique, op.cit., p.103.

209 Max WEBER, Le savant et le politique. Préface de Raymond ARON, Paris, Plon, (coll. << Editions 10/18 »), 1963, p.32.

Toute chose qui indique que le pouvoir au Gabon est un pouvoir mortifère, voulu et entretenu. Il s'agit de se nourrir de la mort en la recyclant pour faire (re)vivre ; et donc, de (re)produire de la vie à partir de la mort.

Section 2 : Les profanations des tombes et des cadavres

« C'est en s'incarnant dans les pratiques et des objets qui le symbolisent que l'Imaginaire peut agir non seulement sur les rapports sociaux déjà existants entre les individus et les groupes, mais être aussi à l'origine de nouveaux rapports entre eux qui modifient ou remplacent ceux qui existaient auparavant >>.210

À cet effet, l'image symbolique du mort, très prisée par les mandataires en périodes électorales, est celle d'un être humain enterré, couché, qui ne peut plus bouger. Et comme le symbolique et l'imaginaire dominent l'univers culturel gabonais, les hommes politiques, mandataires ou fétiches politiques211, devenus autonomes et auto-consacrés, pour conserver et consolider leurs acquis politiques, ont recours, grâce à des subterfuges, aux profanations des tombes ; parce qu'étant convaincus du pouvoir éventuel des morts ; dans la garantie de leurs succès électoraux.

Il y a un parallèle entre la profanation des tombes et celles des corps car la profanation des tombes est une manière de profaner les corps via la tombe de quelqu'un ; en ce sens que la tombe est symboliquement et métonymiquement son corps. La tombe étant métonymiquement le corps de la personne, c'est comme la maison. À ce propos, Jeanne FAVRET-SAADA pense que dans l'ensorcellement de quelqu'un, « son corps et celui des siens, son domaine et l'ensemble de ses possessions constituaient une même et unique surface criblée de trous par où la violence du sorcier ferait irruption à tout moment >>212. Pour dire simplement qu'attaquer ou ensorceler quelqu'un, c'est aussi s'attaquer à tout ce qu'il possède

210 Maurice GODELIER, Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend l'Anthropologie, Paris, Editions Albin Michel, (coll. << Bibliothèque Albin Michel Idées »), 2007, pp.38-39.

211 Pierre BOURDIEU, Choses dites, Paris, Editions de Minuit, (coll. << Le sens commun »), 1987, p.187.

212 Jeanne FAVRET-SAADA, Les mots, la mort, les sorts, Paris, Gallimard, (Coll. << Folio essais »), 1977, p.24.

métonymiquement. D'ailleurs, les discours de nos interlocuteurs et des photos prises sur le terrain à ce sujet et que nous proposons dans ce mémoire en sont l'illustration. D'où, nous leur avons posé la question de savoir ce qu'est ce que la profanation des tombes ?

Énoncé n°25 :

- « La profanation des tombes pour moi, c'est pénétrer sans autorisation dans le cimetière surtout la nuit pour faire le travail pour lequel on te paies très bien, c'est-à-dire, aller récupérer les os surtout le crane ou ce que l'on appelle sur le réseau et ce que les grands féticheurs du pays appellent les articles ou ingrédients et qui sont utiles pour les grands hommes du pays »213.

Énoncé n°26 :

- « La profanation des tombes est quelque chose de diabolique à mon sens, il faut être vampireux et surtout ne pas craindre Dieu pour venir voler les ossements humains dans les cimetières »214.

Énoncé n°27 :

- « Pour moi, ce sont les gens qui viennent détruire et casser les tombes la nuit pour dépouiller les morts. Ces choses n'arrivent que quand il ya les élections. À Mindoubé ici, c'est la 4ème fois que ça arrive. Il y a même 1 qui venait voler les gerbes de fleurs pour aller les vendre à Akébé et dans certaines pompes funèbres de Libreville »215.

Énoncé n°28 :

- « Ce sont les gens qui viennent dans la nuit pour casser et dépouiller nos morts de ce qui leur reste et troubler leur repos éternel. Moi en tant que catholique, je condamne ça, il faut

213 Propos de notre interlocuteur monsieur M.D, 43 ans, Myènè, ancien profanateur devenu à la fois pêcheur de poisson selon ses dires et croyant. Il a demandé l'anonymat. Entretien réalisé à Ambow~, le 17 mai 2008 à 22 heures, lors d'une cérémonie des jumeaux à laquelle nous avons assisté. La rencontre était une coïncidence.

214 Propos d'un ex personnel naviguant commercial de Air Gabon, gabonais, Fang de Bitam, 46 ans, chrétien pentecôtiste depuis 7 ans. L'entretien s'est déroulé au cimeti~re de Mindoubé le 1er novembre 2007 vers 9 heures. Par ailleurs, il fait parti des nombreuses familles des victimes des profanations que nous avons rencontrées sur le site et qui a bien voulu nous répondre en insistant sur le fait que notre travail doit servir pour dénoncer ce phénomène.

215 Propos de monsieur Jean-Noël, le gardien du dudit cimeti4re actuellement en poste. C'est un gabonais d'une quarantaine d'années, qui travaille seul dans des conditions difficiles nous a-t-il confié, de 8 h30 à 15heures.

que l'État et Basile MVE ENGONE prennent leurs responsabilités car c'est un acte indigne, méchant, cruel et diabolique »216.

Énoncé n°29 :

- « Ce que vous étudiez c'est simplement le fait de déterrer les morts par des gens pas bien, des gens qui utilisent les ossements pour se faire de l'argent. Ce n'est pas une bonne chose parce qu'on se sert du corps humain cadavérique pour se faire de l'argent et avoir du pouvoir. C'est un manque de respect pour nos morts car il ya les huiles de vidange ici. D'autres viennent voler les costumes pour les revendre après tout comme les gerbes de fleurs »217.

Énoncé n°30 :

- « C'est quand les grands hommes viennent voler les os des morts la nuit. Ils n'ont pas de compte à rendre, ils font ce qu'ils veulent, d'abord ils mentent, puis la fatale, ils pillent les tombes comme en Egypte pour voler les cranes. J'habite juste à côté du cimetière, derrière le garage, mais nous voyons beaucoup de choses, des grosses cylindrées et beaucoup de gens la nuit munis de torches et de lampes tempête. On est habitué car ce n'est pas d'aujourd'hui. Alors on se dit, à qui le tour d'être dépouillé cette nuit car ils font du bruit avec les motos pompes qu'ils utilisent la nuit très tard surtout. Je n'ose pas sortir »218.

Énoncé n°31 :

- « Pour moi et selon le constat des parents qui se plaignent auprès de nous, ce sont les gens de la ville, ceux qui ont de grosses voitures vitres fumées la journée qu'on voit passer et la nuit qui reviennent qui font cela. Ils n'opèrent que la nuit. C'est satanique, cruel, car pour

216 Propos de madame M.T, gabonaise, Punu-Fang, secrétaire comptable, 37 ans, catholique. Elle aussi fait partie des nombreuses familles des victimes des profanations que nous avons rencontrées sur le site et qui a bien voulu nous répondre pendant la fête de la Toussaint le 1er novembre 2007.

217 Propos d'un jeune homme de 27 ans, chrétien protestant, agent commercial à City Sport de Mbolo, que nous avons rencontré le 26 mars 2007 à 10 heures, lors de notre 2ème passage à Mindoubé. Il habite tout près du cimetière.

218 Propos d'un habitant à proximité du cimeti~re de Mindoubé, il est garagiste, 38 ans, c'est un chrétien et cela fait 15 ans qu'il habite le coin.

qu'on puisse profaner les tombes, il faut être dans les loges, un féticheur, un homme politique car c'est quand il ya les élections que l'on voit tout cela ici »219.

Énoncé n°32 :

-« C'est simplement venir nuitamment ou très tard dans la nuit pour déterrer les morts dans les cimetiéres, c'est un endroit sacré et on fait cela pour de l'argent, pour le pouvoir. C'est tout simplement une abomination aux yeux de Dieu. Si vous voulez, c'est même dégoatant car c'est tuer une 2ème fois le mort et surtout troubler son repos éternel et le priver d'une résurrection. C'est toujours quand on fait les élections que tu vas entendre ce genre de chose »220.

De manière générale et en ce qui concerne nos interlocuteurs, les profanations
des tombes montrent que le pouvoir des morts et donc celui des « pièces détachées »
ou de « l'or blanc »221 est bien réel car il sert à se faire oublier lors des conseils des
ministres, ou lors des élections ou alors pour ne pas bouger du poste administratif
que l'on occupe. Car un mort ne bouge plus puisqu'il est allongé pour l'éternité. Cela
montre aussi que certains individus sont prêts à tout pour obtenir une quelconque
promotion sociale au Gabon. Comme pour dire avec Max WEBER222 que le politique
a les mains sales. De même, les discours exposés ici ne sont pas en réalité
différents car ils confirment que le pouvoir politique au Gabon est en fait un pouvoir
mortifère et enraciné dans la mort. Enfin, il ya une étroite relation de dépendance
entre les économies occultes de la production de « l'or blanc » et le pouvoir politique.
Pour finir, retenons que le chercheur en sciences sociales « a la particularité,
qui n'a rien d'un privilège, d'être celui qui a pour tiche de dire les choses du monde

219 Propos d'un protestant Fang, gabonais, 55 ans et cela fait 7 ans qu'il habite à côté du cimeti4re. Le monsieur est un retraité de gendarmerie.

220 Propos d'un monsieur victime des profanations des tombes que nous avons rencontré le 1er novembre 2007 à 11 heures. Il a 56 ans, gabonais, Nzébi de Koulamoutou et chômeur. C'est un chrétien de l'Alliance chrétienne.

221 Cette expression « or blanc » désigne ici les « pièces détachées » puisque nous nous trouvons dans un marché occulte et illégal des restes humains, nous pensons que l'or blanc illustre bien cette idée de marché.

222 Max WEBER, Le savant et le politique. Préface de Raymond ARON, Paris, Plon, (coll. « Bibliothèques 10- 18 »), 1963, 222 p.

social, et de les dire autant que possible, comme elles sont : rien que de normal, de trivial même, en cela ».223

1. Le cimetière de Mindoubé dans le 5ème arrondissement de Libreville

Figure n°1 : Localisation géographique du cimetière de Mindoubé

Le cimetière est situé dans le quartier Mindoubé (que nous apercevons cidessus sur la présente carte avec les croix en noir), précisément dans le 5ème arrondissement oil il fait face à la décharge publique d'ordures de Libreville. D'ailleurs, une description224 de celui-ci s'impose. Par exemple, l'accès au site se fait par voie terrestre non goudronnée, praticable véritablement qu'en saison sèche ; les hautes herbes aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du site sont visibles depuis la route, ce qui fait qu'on ne puisse plus retrouver les tombes de nos disparus. A cela,

223 Claude JAVEAU, Leçons de sociologie, Paris, coll. Armand Colin, 1997, p.5 citant Pierre BOURDIEU.

224 Description que nous avons effectuée en année de Licence le 26 mars 2007 dans le cadre du mois de terrain. Une seconde visite en février 2008 a été faite pour voir les éventuels changements après la fête de Toussaint de 2007 mais rien n'a été fait. Le site est resté dans les mêmes conditions telles que décrites lors de notre premier passage. Signalons que nous sommes repartis en avril et en novembre 2009, et il est resté dans le même état, excepté les herbes qui sont devenues encore plus hautes et la route qui se dégrade sans cesse.

s'ajoute une forte concentration de débits de boisson à proximité du cimetière. On note aussi que les constructions anarchiques d'habitations et la présence de tas d'immondices et des dépôts de ferrail. À ce propos, nous proposons quelques photos pour présenter la description du cimetière de Mindoubé tel qu'il a été photographié lors de notre passage.

Photo n°8 : «Le portail principal du cimetière »

Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, mars 2007

La photo n°8 nous présente, comme son titre l'indique, une vue de l'entrée principale du cimetière. Au premier plan de la photo, nous apercevons le portail amorti par le poids de l'âge, il est rouillé, et se ferme à l'aide d'une vieille chaîne et d'un cadenas. Ensuite, on voit bien sur cette photo que la route qui nous conduit au cimetière de Mindoubé est, comme nous l'avons dit plus haut, une route secondaire, praticable qu'en saison sèche. S'ajoute aussi les hautes herbes que nous évoquions déjà. Au second plan, nous voyons que le site est envahi des hautes herbes mais aussi d'arbres fruitiers tels les manguiers ou d'arbres à noix : des palmiers. C'est à peine si on peut apercevoir au loin quelques stèles visibles par leurs couleurs blanches. Enfin, la clôture qui existe mesure près de 1 m 70 et ne peut pas dissuader les profanateurs.

Photo n°9 : «Une tombe immergée dans les huiles de vidange »

Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

Mindoubé n'est pas seulement victime que des profanations des tombes. On peut aussi parler d'un autre type de profanation orchestrée par les garagistes des alentours avec les huiles moteurs qui se déversent sur le cimetière. Formant au passage un petit ruisseau et noyant du même coup d'abord les quelques tombes encore visibles mais méconnaissables pour les parents ; ensuite, et à la longue, va faire tomber la barrière qui tient encore le coup. Au second plan, on peut aussi apercevoir les hautes herbes qui ont occupé l'espace et empêchant aussi la reconnaissance des tombes à cet endroit. Les autorités de l'Hôtel de Ville sont pourtant au courant de la situation actuelle du site mais restent silencieuses.

Photo n°10 : « La tombe d'un chinois »

Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009

Mindoubé est un cimetière qui accueil tout le monde. La preuve est là ; il s'agit de la tombe d'un chinois qui a été profanée. Cette tombe est vidée de son contenu, il ne reste qu'un fragment de crane que nous avons filmé aussi. La tombe subit les incendies.

Photo n°11 : « Le crane chinois »

Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009

Comme nous venons de le dire, il s'agit du « crâne chinois ». Le fait de voir aussi cette tombe profanée nous permet d'émettre de nombreuses hypothèses. Mais celle qui nous vient à l'esprit, c'est l'idée que l'homme est le même et que la couleur de la peau, la race, etc. importe peu. Ce ne sont que des détails car pour les profanateurs, un crane est un crane, c'est un fétiche, un produit marchand, d'ailleurs, qui coûte extrêmement cher. Ce crâne a été privé de tout son corps et de la fontanelle. En outre, la fontanelle est cette membrane que l'on voit battre sur la tête des bébés avant qu'elle ne se solidifie. C'est elle qui permettrait au bébé de vivre et vient d'être ici prélevée.

Photo n°12 : « La face cachée d'une tombe »

Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

Il s'agit d'une bonne dizaine de tombes qui sont dans l'immersion des huiles de vidange. Cette situation nous permet de voir à quel point le site demeure dans l'insalubrité ; en témoigne les pneus de voitures et la barrière qui est pratiquement prête à s'écrouler.

Photo n°13 : cc Un exemple de tombes profanées »

Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009

Ces exemples de tombes illustrent bien le type de sépultures profanées. On remarque aussi que ces stèles présentent les mêmes marques de cassures. De même, on observe une caractéristique commune : celle de ne pas être carrelée. Cela nous permet de dire qu'il s'agit des tombes abandonnées par leurs parents depuis longtemps.

Photo n°14 : « Une vue d'ensemble du cimetiere »

Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009

Cette photo donne une vue panoramique du cimetière. Notons que la question de l'entretien du site demeure une préoccupation. L'arrière plan témoigne d'un récent passage d'un incendie. A ce propos, les incendies peuvent avoir deux origines : soit humaine, c'est-à-dire que le gardien met le feu pour brûler les herbes qui surabondent sous son contrôle. Ou alors, les incendies sont dus en grande partie à la chaleur225, à cause du méthane qui se dégage des tombes profanées, donc qui restent ouvertes. En effet, lorsque le corps est en décomposition, il y a la production du méthane qui est un gaz incolore, inodore, inflammable et très toxique. Ce gaz a des effets nocifs pour l'environnement puisqu'il perce la couche d'ozone et expose les profanateurs à des brûlures de peaux à long terme. De plus ; il y a de l'« azote ; le dioxyde de carbone ; l'ammoniac et l'acide sulfurique »226 qui sont produits lors de la décomposition des corps.

225 Cette information émane des habitants qui environnent le site et qui affirment qu'il fait tr~s chaud dans leur quartier. Ce qui fait que des incendies sont souvent enregistrés en période de saison sche. D'autre part, c'est le gardien qui br~le parce qu'il ne peut pas désherber.

226 Cf. la revue scientifique SCIENCE & VIE, n°248, hors série, « La mort. La comprendre. La vivre. La vaincre », p.98, septembre 2009.

Photo n°15 : « L'organisation sociale autour de la décharge »

Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009

Au premier plan, on voit l'état de la route mais surtout, les ordures recyclées par les hommes, femmes et enfants que nous avons photographiées sur le terrain. En effet, ils récupèrent les ordures dans la décharge, pour venir les trier, les laver et les laisser sécher sur la barrière du cimetière. Ensuite, femmes les emballent dans des sacs de farine, pour aller les vendre soit à la Gare routière de Libreville ou au marché de la Peyrie. Il faut dire que c'est tout un nouveau marché de la mort qui est reintroduit dans le circuit du marché économique. Par ailleurs, Ce poteau électrique témoigne de la volonté des pouvoirs publics d'éclairer le site. Néanmoins, depuis vingt ans, le cimetière est dans l'obscurité. Les femmes recyclent les ordures pour les vendre à la Gare routière ; elles vendent des bouteilles plastiques, des cannettes, et autres détritus susceptibles de rapporter un peu d'argent.

Après avoir traité de la question de la localisation géographique du cimetière et de sa description, venons-en à présent à la question de l'historique du cimetière proprement dit.

1.1. Historique du cimetière de Mindoubé

Lors d'une séance de travail avec monsieur Toussaint ELLANGMANE227, conseiller du D.G.S.T la Mairie de Libreville, il ressort que le cimetière de Mindoubé a été créé en 1950 et a été fermé vers 1980 pour cause de difficulté d'accès dii essentiellement à la route impraticable.

Énoncé n°33 :

- « Cela n'a pas nécessité la mise en place de textes juridiques car on avait estimé qu'il fallait de véritables travaux d'aménagements pour que les enterrements se passent dans les conditions les meilleures >>.228 Puis, à l'époque du maire DAMAS, 1996 voit la réouverture du site.

Énoncé n°34 :

- « Je précise ici que Mindoubé n'est pas totalement saturé, il reste encore de l'espace. On pense à le réhabiliter sérieusement. Cela va nécessiter des moyens humains et financiers importants car il s'agit du désherbage, l'électrification, l'adduction de l'eau,la réhabilitation de la maison du gardien dans le site car elle a brillé lors d'un incendie dil à la forte chaleur qui y prévaut. Il faudra aussi refaire toute la clôture qui est aujourd'hui quasi-existante. Tout cela nécessite, comme je l'ai dis tantôt, des moyens financiers et humains importants. J'ai soumis à cet effet le dossier à ma hiérarchie depuis 9 mois, on m'a affirmé que c'est en étude. Alors je continue à conjuguer le verbe attendre >>.229

Au sortir de cette séance de travail, on retient qu'il y a une volonté manifeste de la part des pouvoirs publics de ne pas réhabiliter le site de Mindoubé. Nous affirmons ceci par ce que le Conseiller et le gardien du site ne cessent d'attirer l'attention de leur hiérarchie, afin qu'elle trouve des solutions (immédiates) pour faire cesser les profanations. Or depuis 2007, date à laquelle le conseiller ELLANGMANE a saisi sa hiérarchie, celle-ci est restée muette. Enfin, c'est certainement pour avoir posé des questions et proposer un plan d'action immédiat

227 Séance de travail du 30 mars 2007 à la D.G.S.T sise dans les locaux de la Mairie de Libreville.

228 Propos de monsieur Toussaint ELLANGMANE.

229 Propos de monsieur Toussaint ELLANGMANE.

que la D.G.S.T s'est séparée de son conseiller depuis 2009. Cela atteste que les pouvoirs publics tirent profit des profanations des tombes, donc de « l'or blanc » parce qu'ils ne font rien. D'où, le pouvoir se nourrit bien de la mort.

1.2. La sécurité des morts au cimetière de Mindoubé

Par sécurité des morts, nous entendons ici l'électrification, la clôture, une voie d'accès praticable en toute saison de l'année, l'entretien du site tel le désherbage. Cependant, Mindoubé est privé de ces normes de sécurité, preuve aussi du non respect pour nos morts. Le respect des morts s'effrite davantage. Mindoubé n'est donc pas le seul site qui présente cette absence de normes de sécurisation ; Plaine Niger, Baraka, Lalala, pour ne citer que ceux-là présentent les mêmes difficultés. Face à une telle situation, comment ne pas comprendre que nos cimetières soient visités à des heures tardives de la nuit et ce, en périodes électorales ?

1.3. Mindoubé, un site particulier

Mindoubé est un site particulier parce qu'il s'agit ici d'un endroit où s'exerce deux activités parallèles : l'une étant la récupération des « pièces détachées » pour le cimetière et l'autre, le recyclage des ordures pour ce qui est de la décharge publique à ordures. On comprend donc qu'il existe deux structures communales. Or ce site est du domaine municipal, donc de la Mairie de Libreville. En outre, la décharge publique et le cimetière sont des éléments morts, c'est-à-dire que ce sont des lieux où l'on vient jeter ce qui ne sert plus (le cas de la décharge publique) et pour l'autre, où l'on vient déposer, enterrer les morts, ceux qui ne vivent plus (le cas du cimetière).

Aussi, deux directions se déclinent : la première est liée au pouvoir en relation avec l'occultisme et la seconde, au recyclage des ordures qui vont être ainsi réintroduits dans le marché économique. De toute façon, il s'agit d'un recyclage général. En ce qui concerne la décharge publique de Mindoubé, les populations habitant le site vivent d'elle. Ce sont des hommes, des femmes et des enfants qui recyclent les ordures. Cette situation se présente en Bolivie, au Pérou ou au Brésil, où l'on parle de « bidonvilles » ou « favelas >>. Pour le cimetière, il s'agit de la

problématique de la récupération d'ordre magique et économique des restes humains. Cependant l'État est incapable de rendre justice sur cette exploitation des corps ; ce qui fait que l'État, in fine, organise les pratiques magiques. C'est aussi l'exercice du pouvoir par des moyens symboliques ; puisque la commune est liée à l'État et donc, il doit régir.

Ce que nous pouvons retenir ici c'est le fait que le pouvoir, qui gère la cité, est impliqué dans le fétichisme politique. Face à ces profanations des tombes au cimetière de Mindoubé, des familles se plaignent mais l'État demeure incapable de réagir. En filigrane, les profanations des tombes posent le problème de l'État et du droit dans cette récupération des restes humains.

Le cimetière se définit comme une archive nécrologique qui renseigne sur la façon dont on conçoit et traite les morts et partant, notre conception de l'au-delà. Par ailleurs, il faut ajouter qu'il participe de la mémoire collective d'un peuple. De plus, il est << le lieu liminal par excellence, situé entre vie et mort, et pour d'aucuns, entre présent et futur eschatologique >>.230 D'où, la profanation des tombes à Mindoubé dans le 5e arrondissement de Libreville, s'explique aussi bien lors des élections politiques au Gabon que dans une << crise politique économique en tant que crise morale >>231. Aussi partageons-nous le point de vue de J-L GROOTAERS quant à <<l'importance de préserver la mémoire collective, menacée par la crise économique et morale qui affecte l'attitude que l'on a envers les morts >>.232

À Mindoubé233, c'est un véritable recyclage de tout qui est produit ; on profane pour récupère les stèles, les croix, les gerbes de fleurs, parfois les cercueils pour être revendus. Les morts eux-mêmes subissent le même sort, quand se ne sont pas les parties génitales ou les organes vitaux ; ce sont les crânes qui sont collectés sous le vocable d'« or blanc >> ou de << pièces détachées >> et vendus aux politiques sur le

230 J-L GROOTAERS, « Mort et maladie au Zaïre », p.39 in Cahiers africains, Paris, l'Harmattan, Année 90, volume 8, n°31-32, 1998, 172 p.

231 Ibid., p.39.

232Ibid., p.40.

233 Toutes les informations que nous communiquons dans ce Mémoire de DEA ont été produites lors de notre enquête de terrain depuis l'année de Licence à celle de Maîtrise ; tout comme les photos du site, aussi bien les photos de mars 2007 que celles du 2 novembre 2009.

marche économique et fétichiste. Il en est de même pour leurs habits et autres objets de valeur et "énergies vitales".

La photo n° 16 : Cc Ce qui reste de la décharge »

Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009

Cette photo vient illustrer la particularité de Mindoubé : ici c'est la décharge.

On aperçoit des résidus de détritus qui étaient recyclés par les populations de Mindoubé. On constate qu'aujourd'hui la décharge est devenue une bananeraie.

La photo n° 17 : Cc Le logement du gardien »

Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009

En face de la décharge, il y a le cimetière qui est abandonné à lui-même. Le

réfection. Le gardien que nous avions rencontré en mars 2007 nous avait confié que si il habitait sur place, il n'y aurait pas trop de profanations.

Énoncé n°35 :

- << La mairie ne fait pas cas de ma demande de logement sur le site alors qu'il faut que je sois dans de bonnes conditions pour mieux faire mon travail. C'est pourquoi je viens ici à 8heures pour rentrer chez moi vers 16heures. Ici c'est dans l'obscurité totale alors comme je suis seul, je rentre tôt. Les clandos finissent tôt, 18 heures par là »234. C'est encore là la preuve qu'il y a vraiment une volonté manifeste de la part des pouvoirs publics de ne pas sécuriser le site. Ce qui nous conforte dans notre idée comme quoi la mort alimente le pouvoir politique au Gabon.

Plus important encore, c'est que selon le pasteur Raymond AKITA, il existe différentes techniques de profanations ; des incantations sur les tombes235 à la technique des tuyaux en p.v.c (PolyVinylChlory). Cela montre l'ingéniosité et la créativité des profanateurs des tombes pour atteindre leurs objectifs. Notons qu'ils opèrent très tard la nuit munis de lampes tempêtes et torches, de marteaux, de burins aux dires des populations riveraines.

Énoncé n°36 :

- << On est habitué, c'est monnaie courante d'écouter des grosses cylindrées qui garent, puis s'en vont. Le lendemain, nous ne pouvons que constater les dégâts et nous sommes impuissants face à ça. Je constate que c'est un quartier misérable, les gens vivent à cause de la poubelle. Tu es là, tu écoutes, tu vois, tu appelles la police, elle te promet de passer jusqu'à maintenant cela dure depuis près de 10 ans. On est dans l'insécurité, pas de lumière publique, le gardien ne vient que de jour jusqu'à 16 h. Il y a longtemps que nous, habitants du coin, on n'enterre plus nos proches ici. On préf'ere repartir chez nous, à l'intérieur du pays enterrer nos proches parce qu'on a peur qu'ils finissent comme des trophées de foot chez les personnes politiques ou chez les Nganga. Ce qui fait qu'on a peur, on est obligé d'être vigilant vis-à-vis

234 Propos de monsieur Jean-Noël, le gardien du cimetière de Mindoubé. Propos recueillis en mars 2007.

235 Une technique très répandue au Congo-Brazzaville et qui, selon un informateur de ce pays, marche très bien et que les congolais connaissent sous le nom de « Moudjoulamvombi ».

des autres ; on ne sait pas qui est qui ».236 Revenons aux techniques de profanations telles que nous les rapportent le pasteur AKITA de la mission protestante de Baraka de Libreville.

Énoncé n°37 :

- « Il y a des techniques de profanations comme la technique du tuyau p.v.c. Qu'est-ce qu'ils font ? Vous voyez les tuyaux de p.v.c, les gros tuyaux, ils cognent, cognent, cognent, ça rentre. Si le cercueil était en bois, ils savent que cela n'a pas été monté ; donc le bois va pourrir. C'est donc prendre les parties car quand quelqu'un meurt ya l'eau qui ruisselle et c'est la preuve que des pratiques occultes des profanations des tombes sont synonymes des profanations des corps morts. Parce que profaner une tombe c'est une chose. Mais profaner les corps des morts s'en est une autre chose. Déjà il faut souligner que dans tous les cimetières du monde entier, après 1m 50 ce sont les tanières de rats ; parce que les rats bouffent le formol, c'est leur meilleur aliment. Donc les rats bouffent d'abord le bois et après le formol sur le cadavre. C'est pour cela qu'il existe des cercueils en fer pour les empêcher de bouffer. Avec la méthode d'incantation, ils placent les mains sur la tombe et ils se mettent à faire une grande concentration spirituelle et ésotérique qui leur permet de rentrer en contact avec certains corps spirituels de ceux qui sont partis. Autre technique, c'est complètement ouvrir la tombe et puis prendre les parties. Autre technique encore, c'est celle qui marche mieux aujourd'hui, c'est que dans les cimetières, et je suis contre ça, quelqu'un est enterré en bas ; on fait le reste en caveau extérieur et on fait rentrer le cercueil comme une bière. Et quand vous regardez ces enterrements, on met toujours des briques de 10 et non les 15 ou de 20. On ne veut pas arranger. C'est facile à pousser avec le pied, on tire la nuit on ouvre la bière, on prend les parties on ferme. On refait le crépissage, personne ne viendra jamais regarder. Et ça c'est ce qui passe bien à la une ces derniers temps avec les grands initiés. On enterre dehors et ils viennent la nuit prendre les parties ».237

236 Propos d'un ancien du quartier de Mindoubé, habitant tout juste à proximité du cimeti4re , il a 57 ans, marié et retraité, protestant, fang d'Oyem. Il nous a demandé l'anonymat.

237 Propos du pasteur Raymond AKITA.

Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009

Nous parlons de technique dite « classique >> parce que c'est la plus utilisée par les profanateurs entre octobre 2006 et mars 2007. En fait, lors de nos précédents passages, nous avons pu recenser plus de quarante tombes qui présentaient ce type de cassure. C'est la preuve que le matériel utilisé est lourd pour casser la tombe de cette manière. Mais ce n'est que l'une des techniques qu'ils utilisent. Il existe aussi la technique du tuyau de p.v.c que nous présentons dans les photos suivantes.

Photo n°19 « La technique du p.v.c >>

La photo n° 18 : « La technique classique »

Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009

Cette tombe témoigne bien des différentes techniques dont le pasteur AKITA nous a parlé, telle celle des tuyaux en p.v.c. Le constat qui se dégage de l'observation des tombes nous permet de dire qu'à Mindoubé, deux groupes de profanateurs opèrent. Il y a ceux qui cassent les tombes par-dessus pour faire sortir le cercueil et ceux qui utilisent les tuyaux p.v.c, certainement pour limiter les dégâts. Mais le but reste le même : prélever les organes, en tête desquelles, le crâne, les fémurs, etc. tout comme les vêtements, qui finissent étalés dans les prêts-à-porter de Libreville.

La photo n°20 : « Ce qui reste d'un corps profané »

Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009

Elle illustre bien le type de stratégies adoptées par les mandataires à l'orée des élections politiques. En effet, la photo montre bien que la tombe présente a été vidée de son contenu. Il ne reste plus qu'un vêtement détérioré et le crane fracassé. De plus, il ne reste plus que la mâchoire inférieure. Il y a lieu de préciser qu'à Mindoubé, s'est tissé un vaste réseau de vente des restes humains, mais aussi, les vestes et autres

habits des morts, les gerbes de fleurs sont re-introduits dans le marché économique238. C'est donc le recyclage de << la mort >>.

Par ailleurs et selon les chercheurs du laboratoire << la Ferme des corps >> du département d'Anthropologie de l'Université du Tennessee. Cette photo atteste que l'autolyse, c'est-à-dire la destruction des tissus par ses propres enzymes, a conduit d'abord à la décoloration du corps et à la production de gaz toxiques tels l'azote, le dioxyde de carbone, l'ammoniac, l'acide sulfurique. En outre, le processus de décomposition a été bien effectué, ce qui fait qu'il ne reste que des os. Car après tout, il est écrit << tu es né poussière et tu retourneras poussière >>. C'est l'occasion ici de dire, selon monsieur M.D que :

Énoncé n°38 :

- << Ces os sont parfaits pour travailler avec, en les grattant pour en faire des poudres magiques que les grands hommes de ton pays utilisent pour se protéger. Car en politique, les ennemis sont visibles et invisibles. Donc il faut être fort et si tu veux, bien blindé. Quand à l'époque je travaillais pour mon patron, ses ngangas lui demandaient toujours d'aller récupérer les os bien séchés car cela leur permettait de bien les gratter et ensuite de les mélanger avec d'autres décoctions à base de feuilles et d'huiles dont eux-mêmes ont les secrets. Alors j'avais pour mission principale de faire des tours la journée dans les différents cimetières ici à Libreville ou parfois à l'intérieur pour regarder les tombes qu'il fallait profaner. Et le soir, avec mon équipe, j'opérais. Je te le répète, mon parton me disais toujours qu'il fallait qu'il se protege des attaques mystiques de ses ennemis car la politique, c'est un monde sale et très dangereux >>239.

238 A ce propos, nous avons recueilli sur le terrain des informations selon lesquelles les vestes des défunts se retrouvent à Akébé dans un prêt à porté. En février 2007 au pressing de Mbolo, le gérant a été enfermé à la D.G.R pour avoir possédé et vendu une veste qui appartenait à un monsieur décédé depuis septembre 2006 selon la veuve que nous avons pu rencontré à Mindoubé en novembre 2007.

239 Ce sont les propos de monsieur M.D, ex- profanateur converti à la pêche ; quand nous lui avons montré cette photo pour recueillir son sentiment sur son ancien métier.

La photo n°21 : « La veste rouge »

Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

Cette image montre les dégâts commis par les profanateurs des tombes à Mindoubé. Juste en premier plan, à droite, se trouve le crâne du défunt sur lequel une partie seulement a été récupérée. Sur la gauche, il y a les restes de la mâchoire et enfin, notons qu'il ne reste que la veste du défunt. Le corps et le reste des vêtements ont été emportés par les profanateurs. Les vêtements récupérés peuvent être revendus sur le marché économique comme nous l'a confirmé un interlocuteur, devenu méfiant quant aux vêtements qu'il achète au marché de Mont-Bouët, de la Peyrie ou dans les prêts-à-porter d'Akébé.

Photo n°22: « Autre manière de profaner »

Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

La tombe que l'on voit présentement est vide de son contenu, information que nous avons recueillie au cours d'un entretien avec les membres de sa famille lors de notre passage le 1er novembre 2007. Ne sachant pas à quel saint se vouer, il nous a été clairement dit par l'aîné du défunt qu'il n'espère pas en la justice du pays, puisque ceux qui ont la responsabilité de faire justice, sont eux-mêmes les auteurs de ces actes.

Énoncé n°39 :

- « Nous attendons les vacances pour taper le diable au village et tant pis pour ceux qui ont fait ça et j'espère qu'ils iront brIller en enfer, car de tels individus sans moralité ne doivent pas aller au Ciel ».240 Il importe de dire que tous nos enquêtés tiennent le même discours, en ce qui concerne les profanations des tombes et les commanditaires à savoir que ce sont les hommes politiques. À cet effet, nous avons retenu les discours de monsieur MBADINGA, de Guy-Joseph MBOUMBA, pour mieux rendre compte du phénomène que nous étudions.

240 Propos de monsieur Jean-Claude, victime des profanations à Mindoubé le 10 octobre 2006.

Photo n°23 : « La tombe vide »

Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, cimetière de Mindoubé, mars 2007

L'entretien que nous avons eu avec le fils aîné de la défunte nous a permis de nous rendre compte de l'ampleur des profanations des tombes mais aussi de l'usage politico-criminel de « l'or » en périodes électorales. La tombe que nous voyons cidessus est vide de son contenu ; le corps de la dame qui a été enterrée a été dérobé par les profanateurs. Le fils de la défunte a entrepris des démarches auprès de la Mairie et de la police judiciaire et a porté plainte contre X mais sans succès. Ayant constaté que la tombe a été visitée en octobre 2006 la première fois, puis en novembre 2007, il a décidé en conseil de famille de refermer cette tombe d'une part ; en témoigne la marque blanche qu'on observe, c'est du ciment blanc. D'autre part, d'aller au village pour châtier les coupables à la traditionnelle c'est-à-dire :

Énoncé n°40:

- « J'attends les vacances puisque la famille m'a chargé d'aller à Fougamou pour frapper le diable. Dans ces conditions, on n'est jamais mieux servi que par soi-même car la justice c'est pour ceux qui gouvernent ».241

Le fétichisme se développe sur la base de la faiblesse de la justice, car elle n'arrive pas à punir les coupables. C'est un problème de justice, les gens recourent, par désespoir, aux génies dans un contexte de déstructuration sociale. Il faut une puissance pour rendre justice à la place du "Blanc". On « frappe le diable pour punir ceux qui ont volé les crânes. Les expressions « frapper le diable », ou « fermer le mwiri » sont courantes au Gabon et à Libreville par exemple lorsque des actes de fétichisme sont constatés et que l'État ne peut pas réagir. Le mwiri242 est convoqué parce qu'étant considéré comme une façon de réduire les tensions et de demander aux génies d'intervenir; quand les moyens rationnels et judiciaires échouent ou ne fonctionnement pas.

Figure n°2 : Histogramme des tombes profanées à Mindoubé de 2004 à 2009

Années (xi)

2004

2006

2007

2008

2009

Total

241 Propos de monsieur Guy-Joseph MBOUMBA, Gisir, qui, pour la circonstance, a bien voulu nous donner son identité et profiter de notre canal pour exprimer son mécontentement par rapport aux profanations des tombes. Cet entretien s'est déroulé à 13 heures à 0 doub OKImars IM07 IIrs de notre 2ème passage.

242,Il s'agitRI'uQ- soIléyiinitiatique masculiQ- IQet secrAte dEKpHCOMu Sud du01 abIVuLVMW

Effectifs (ni)

20

46

32

9

40

147

Comme on peut le constater, les chiffres que nous donnons dans ce tableau, proviennent de notre propre comptage des tombes profanées sur le terrain. Excepté les 20 tombes profanées en 2004 dont nous avons reçu les chiffres par M. Toussaint ELLANGMANE, à cette époque243, ancien conseiller du Directeur général des services techniques de l'hôtel de ville de Libreville. Aussi, nous pouvons émettre quelques points de vue ; par exemple, en 2006, date des élections législatives de décembre, on peut supposer qu'il s'agissait du renouvellement de la classe politique des députés. Il en est de même pour 2007, qui a vu les partielles et enfin, l'élection présidentielle de 2009 illustre donc la détermination pour les politiques de remporter l'échéance électorale à tout prix.

Ce qui nous permet de donner la représentation sociale de la fonction d'homme politique au Gabon à travers nos interlocuteurs.

Énoncé n°41:

Ce sont les hommes politiques qui passent la plupart de leur temps à féticher et à casser les tombes de nos disparus, au lieu de s'occuper de faire leurs campagnes. S'ils le font c'est parce qu'ils savent qu'on ne va plus les voter, ce sont des criminels, des assassins, des menteurs, des gens sans aucun respect des morts. On espère qu'ils ne vont jamais mourir et quand ils vont mourir, ils vont être enterrés dans les nuages et non pas à Mindoubé, car ce qu'ils font c'est cruel ; déranger des morts et s'attaquer à ceux qui ne peuvent plus se défendre ».244

Énoncé n°42:

Je te dis que ce sont les hommes politiques. Moi je travaillais pour un grand dignitaire du régime de BONGO. Il y a aussi les ngangas, il ya même des pasteurs qui font ce genre de chose pour seulement être nommés, pour avoir de l'argent, les clients, les fideles, pour être de grands types et pour avoir le pouvoir. Même moi, mon patron a voulu que je rentre dans la loge mais j'ai dis non. Et il n'était pas content que je refuse. Aujourd'hui j'ai

243 Séance de travail du 30 mars 2007 à la D.G.S.T sise dans les locaux de la Mairie de Libreville.

244 Extrait du point de vue général des familles victimes des profanations à Mindoubé le 1er novembre 2007.

laissé tout çà, je fume mon gros tabac, je bois ma biére, je m'occupe de ma pêche qui marche bien et je prie quand même. Car j'ai fais du mal. La nuit je ne dors plus, je vois des gens filchés dans un cimetière qui viennent me taper et me couper la tête et jouent avec. Alors pour dormir, je fume beaucoup le gros tabac et je prie un peu »245.

Énoncé n°43:

- « À mon avis, il n'y a que les gens qui veulent le pouvoir, c'est-à-dire les politiciens du pays car il n'y a qu'eux que pour faire çà, sans compter qu'on leur demande çà dans leurs sectes et les loges pour rester au pouvoir »246.

Énoncé n°44:

- « Les politiciens sont ceux qui font cela. Car à chaque fois que j'ai appelé la hiérarchie pour venir constater les déglits ici, elle ma toujours dit que ce n'était pas mon travail, et que je devais juste garder, m'occuper d'ouvrir le cimetiére le matin et le refermer le soir, c'est tout ce que j'ai à faire. Le reste c'est pas mon problème. Alors je reste tranquille dans mon coin »247. Énoncé n°45:

- « Pour moi, il ne faut pas chercher loin. Vois toi-même mon petit, ce sont les hommes politiques qui font ces choses abominables et je crois qu'ils n'ont pas peur de Dieu. Et celui qui a peur de Dieu ne peut pas faire çà tu comprends ? Il faut prier car notre pays est en danger, le pouvoir tue ses concitoyens vivants et aussi les morts, si je peux dire çà ainsi »248. Énoncé n°46:

- « Pour moi, il n'ya plus aucun doute, ce sont ceux là qui sont les grands hommes du pays qui font çà car là où nous vivons, nous voyons pleins de choses, les grosses voitures vitres fumées et noires qui font trop de tours ici la journée et la nuit, tu vois du mouvement dans le cimetière et le lendemain, le pauvre gardien ne peut que constater les déglits. C'est

245 Propos de monsieur M.D, 43 ans, gabonais et se dit « ex profanateur a~. L'entretien a été réalisé à 22 heures au quartier Ambow~ de Libreville le 17 mai 2008, lors d'une cérémonie de jumeaux.

246 Propos d'une dame de 32 ans, gabonaise, ethnie Lumbu, catholique et agent commercial. La tombe de son parent a été profanée à Mindoubé. L'entretien a été réalisé le 1er novembre 2007 en matinée à Mindoubé.

247 Propos de monsieur Jean-Noël, le gardien du cimetière de Mindoubé.

248 Propos d'un monsieur de 56 ans, retraité, Nzébi de Koulamoutou, Il prie à l'Alliance chrétienne du Gabon. Nous l'avions interviewé le 1er novembre 2007 à Mindoubé alors qu'il était entrain de refaire la tombe de son parent qui a été profané.

toujours quand on fait les élections que tu vois ce phénoméne. C'est tout simplement triste et désolant ».249

Énoncé n°47:

Oh toi aussi, comment peux-tu me demander qui fait ce genre de choses ? Ce sont vos fameux hommes politiques qui font des choses pareilles. Pour moi, ce sont des vampireux mais ils oublient que qu'il y a Dieu et Lui seul sait. D'ailleurs, cela ne sert à rien de porter plainte pour çà, ce sont les mêmes gens là de la Sablière qui font çà et tu vois que l'on ne va pas te suivre ou t'aider. Alors en tant que chrétien, on remet tout entre les mains de Dieu. Lui seul connaît »250.

Énoncé n°48:

-« C'est clair pour moi, ce sont les hommes politiques et tous les charlatans du pays qui font tout ce désordre spirituel. Ce sont des démons. Ils le font pour le pouvoir, la richesse, ils veulent la gloire ici bas sans savoir qu'ils pactisent tous avec le Diable et je crois qu'ils savent où ils iront après leurs morts. Chacun fait ce qui veut dans ce pays au point que l'immoral est devenu tolérable et on ne peut pas dire qu'on est dans un État de droit, plutôt un État de force et de sorciers. Quelle tristesse et sache que l'argent c'est le Diable incarné, ce qu'il te donne ne dure jamais et t'es obligé de refaire l'immoral pour avoir encore. Il faut prier »251.

En somme, il s'agit d'une vision négative et sorcellaire des hommes politiques au Gabon et confirme les analyses de BALANDIER sur la représentation sociale du pouvoir politique, en ce sens que « le pouvoir sépare, isole, enferme ; c'est bien connu. Surtout, il change celui qui y accède ».252 De même, WEBER nous rappelle métaphoriquement que « celui qui, en général, veut faire de la politique et surtout celui qui veut en faire sa vocation doit prendre conscience de ces paradoxes éthiques

249 Propos d'une habitante à proximité du cimeti4re depuis 15 ans. Elle a 40 ans, gabonaise d'ethnie Fang. Elle est technicienne de surface. L'entretien s'est réalisé chez elle le 1er novembre 2007 à 16 heures. Elle prie chez les pentecôtistes.

250 Propos de madame M.T, catholique, Punu-Fang, gabonaise de 37 ans. Elle est secrétaire comptable. L'entretien a été réalisé le 1er novembre 2007 et la tombe de son défunt grand-frère a été profanée.

251 Propos d'un monsieur de 46ans, chrétien pentecôtiste depuis 7 ans. Il est Fang. Il est un ancien personnel navigant commercial de l'ancienne compagnie Air Gabon. Enfin, nous l'avons rencontré le 1er novembre 2007 à Mindoubé et la tombe d'un de ses parents a été profanée.

252

Georges BALANDIER, Le pouvoir sur scènes, Paris, Balland, 1992, pp.30-31.

et de la responsabilité de ce qu'il peut lui-même devenir sous leur pression. Je le répète, il se compromet avec des puissances diaboliques qui sont aux aguets dans toute violence ».253

2. La banalisation de la mort en postcolonie gabonaise

Il faut d'abord rappeler que « banaliser >> désigne l'action qui consiste à dépouiller de son originalité ou de son caractère exceptionnel quelque chose. De là, la banalisation est synonyme de désacralisation. En effet, ce sous-chapitre a pour objet de montrer qu'en postcolonie gabonaise actuelle, ce qui passait pour quelque chose de sacré, dont on parlait avec le plus grand respect ; voire un tabou : la mort, a été banalisée, désacralisée.

2.1. La mort a-t-elle encore un sens aujourd'hui à Libreville ?

Des mécanismes symboliques ont été mis en place pour arriver à produire de tels résultats : les mutilations des corps ou profanations des cadavres, les profanations des tombes.

DURKHEIM nous apprend que << le mort fait partie du sacré, tout ce qui est ou a été en rapport avec lui se trouve par contagion, dans un état religieux, exclut tout contact avec les choses de la vie profane ».254 Il nous permet de voir toute la complexité d'un phénomène plus social que biologique et qui conduit l'homme à s'interroger sur sa nature même ; parce qu'étant un fait social total. De même, si avec cet auteur, la sacralité de la mort est mise en relief, la société gabonaise, à un moment donné de son évolution vers le << modernisme », privilégiait ces valeurs de respect et de sacralité accordées à la mort. Aussi, devant le passage d'un corps (pendant la période précoloniale et pour quoi pas coloniale), les Gabonais s'inclinaient chacun à sa manière en signe de respect.

Aujourd'hui le Gabon présente un tout autre visage ; si bien que le passage d'un corbillard dans les rues de Libreville, a perdu son sens. Les Librevillois ne témoignent plus leur respect devant celui ou celle qui vient de les précéder.

Certainement que les decouvertes macabres des corps « depieces » ; mutiles deviennent leurs lots quotidiens. D'autant plus que « le nombre de victimes des crimes rituels pour ce début d'année 2008 ne cesse de croître à Libreville. Après la découverte du corps mutilé d'une jeune lycéenne, avant-hier , à la plage qui jouxte le siège du Conseil economique et social (C.E.S) , le tour est revenu, hier, à un homme d'une trentaine d'années, d'être retrouvé mort à proximité du stade Omnisports Omar Bongo. De ce fait, la victime portait des signes de mutilation. Il lui a ete preleve la langue et d'autres organes. Cette découverte macabre a provoqué une véritable onde de choc dans le quartier et même au-delà ».255

Ce qui vient conforter notre point de vue concernant la banalisation de la mort aujourd'hui c'est que, selon le même journal, « dès l'annonce de cette decouverte macabre, de nombreux riverains ont deferle sur les lieux pour contempler le spectacle désolant qu'offrait le corps gisant dans une mare de sang ».256

Cet article de presse met en evidence les effets du «Souverain moderne ». Cet etat de fait plonge Libreville dans une violence, qui n'est plus symbolique, mais bien physique. Au fond, nous soutenons le point de vue de Joseph TONDA selon lequel, « absurdement anachronique, le cannibalisme est revenu au galop dans notre societe. Il ne se passe pas un seul jour où l'on ne signale la découverte de corps d'hommes ou de femmes delestes de leurs organes genitaux. Non plus, il ne se passe pas un seul jour où l'on arrête d'étranges voyageurs avec des glacières remplies de restes d'humains soigneusement dépiécés (<) Et jamais peut-être en aucun temps comme le nôtre, la consommation de la chair humaine n'a été si vive et si ouverte (<) Nos ancêtres avaient des methodes plus discrètes, liees plus à la protection du clan qu'à la promotion individuelle (<) Aujourd'hui c'est régulièrement que l'on mange son semblable, et les consommateurs sont de tous âges. La course aux nominations et la regeneration des cellules vitales expliquent la voie sans issue oil tous sont engages (<) Toutes ces personnes n'ont pas le sommeil tranquille, malgré la fortune acquise

pas l'effraction et l'éternelle jouvence. Satan, leur maître, sur ce point, ne leur assure rien >>.257

2.2. Le sens ou les effets de cette banalisation

Face à la banalisation de la mort, mais surtout, de la description des rapports sociaux et de la production des corps et des imaginaires en postcolonie gabonaise, << il découle que, parce que le Souverain moderne produit, à notre sens, une forme de connaissance ou d'imagination de la valeur des corps et des choses qui travestit les liens sociaux intimes, il est producteur de rapports de connaissance et de pouvoir constitutifs de rapports sociaux dont le principe est l'aveuglement et le travestissement >>.258

Dans cette prédation, ce cannibalisme du corps humain voire du corps social, Pierre LEMONNIER nous révèle que << l'esprit mauvais cannibale (mauvais pour ceux qu'il attaque) dévore les vivants ou les morts, soit de l'intérieur, soit après avoir découpé et emporté leur chair ou leurs organes lors des festins collectifs >>.259 Pour sa part, Filip de BOECK260 pense que << dans le processus de cette production croissante de violence, les corps sont progressivement devenus des entités à perturber et démembrer >>261 et << la logique du démembrement corporel est également présente au niveau de l'imaginaire collectif >>.262

Autrement dit, << à travers une attaque contre le corps humain par la violence, la mutilation, la torture, la sorcellerie, le cannibalisme et l'inceste, il ya démembrement de ce corps individuel mais social. Cela provoque un traumatisme révélé dans l'incapacité d'oublier ce démembrement ou, autrement dit, de re-

257 Joseph TONDA, Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo/Gabon), Paris, Karthala, 2005, (coll. « Hommes et sociétés »), pp.19-20 ; citant le Nganga, 55, 21 février 2003, p.2.

258 Ibid., p.14.

259 Pierre LEMONNIER, « Maladie, cannibalisme et sorcellerie chez les Anga de Papouasie, Nouvelle-Guinée » p.398 in Maurice GODELIER et Michel PANOFF, Le corps humain. Conçu, supplicié, possédé, cannibalisé, Paris, Éditions CNRS, 2009, 546 p.

260 Filip DE BOECK, « Au-delà du tombeau : histoire, mémoire et mort dans le Congo/Zaïre postcolonial », pp.129-169 in Cahiers africains, Paris, l'Harmattan, volume 8, 1998, n°31-32, 172 p.

261 Ibid., p.160.

262 Ibid., p.160.

membrer (to re-membrer) ce qui fut déconnecté (<), cela veut dire la destruction d'un habitus, d'une identité sociale profondément incarnée >>.263

En un mot, << le démembrement transforme les vivants en morts vivants, tandis que les morts, par leur désincarnation, semblent de plus en plus étendre leur présence dans le domaine des vivants >>.264

Pour tout dire, la banalisation de la mort aujourd'hui au Gabon, produite par les cadavres en exposition et en décomposition dans les rues et sur les plages de Libreville, laisse sans réactions les autorités compétentes d'un côté et les populations de l'autre côté qui subissent au quotidien ces violences symboliques et physiques.

Surtout lorsqu'il s'agit de corps de femmes ou d'hommes dépossédés de leurs organes génitaux et autres, voire désossés. Ce type de constat qui s'impose à nous avec force et récurrence, nous laisse déduire qu'« une autorité qui dévore la vie est une autorité productrice de morts, ou, ce qui revient au même, de morts-vivants, c'est-à-dire des zombies, des vampires, au sens où l'imagination populaire donne à ce mot au Gabon, à savoir les sorciers. Les "cités africaines" sont, dans cette perspective, des cités de "vampires" >>265 où prospère le commerce illégal et occulte de << l'or blanc >>.

263Filip DE BOECK, « Au-delà du tombeau : histoire, mémoire et mort dans le Congo/Zaïre postcolonial », pp.162-163.

264 Ibid., p.163.

265 Joseph TONDA, op.cit., p. 10.

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