Introduction de la deuxième partie
Cette deuxième partie est consacrée à
l'analyse du marché occulte et illégal des restes humains en
présentant la prise de position de l'Église sur les profanations
des tombes et des corps à Libreville. D'une part, comme nous l'avons
montré dans nos préalables épistémologiques,
l'Église a pour mission de préserver les corps des religieux des
profanations des tombes, en construisant les cimetières sur son terrain
pour mieux les sécuriser.
Simplement parce que notre corps est le temple du Saint
Esprit172 et que, << le corps n'est pas une matière
première que l'on peut vendre à sa guise. Ce n'est pas pour rien
que de nombreuses personnes refusent de donner le corps d'un proche à la
science même à des fins médicales >>173.
D'autre part, on assiste à la production d'un discours moraliste contre
le fétichisme, tout comme l'existence du matraquage médiatique et
religieux, pour ce qui est des campagnes dites <<
d'évangélisation >> et d'un mysticisme exacerbé.
Par ailleurs, nous insistons sur le fait qu'au Gabon, tout est
devenu marchandise ; le corps humain dans cette perspective n'échappe
pas à cette logique d'objet marchand. Or << l'économie
marchande pervertit littéralement le système traditionnel et
trouve dans la sorcellerie son alliée naturelle puisque la
première implique la capture systématique d'êtres humains,
réduits en esclavage, et la seconde le sacrifice humain (<) Au lieu
de l'or et de l'argent et d'autres biens qui servent de monnaie ailleurs, ici
la monnaie est faite de personnes, qui ne sont ni or ni tissu, mais qui sont
des créatures >>.174
Ce qui justifie l'idée selon laquelle la croyance aux
pouvoirs des morts et de leur recours lors des élections politiques est
bien réelle. Parce que les pratiques
172 Lire à ce propos I corinthiens 6 verset 19.
173 Ingrid SCHEINDER cité par Markus GRILL et Martina
KELLER, « Un trafic légal de tissus humains. 42 € le
fémur, 14 € la trachée », p.42 in Courrier
International, n°993 du 12 au 18 novembre 2009, 59 p.
174 Luc de HEUSCH, Le roi du Kongo et des monstres
sacrés. Mythes et rites bantous III, éditions Gallimard,
2000, p.122.
occultes et fétichistes rythment le Gabon et «
font du corps de l'autre, et surtout de sa vie, une vulgaire ressource
politique qu'on peut actionner à sa guise >>175.
Pour finir, « il arrive aussi que l'on
prélève des morceaux choisis sur des cadavres ou qu'on les
achète sur le marché de trafic du corps humain qu'alimente la
criminalité dans certains pays africains >>176, en
particulier au Gabon ; et où la recrudescence des crimes rituels et
profanations de tombes et accusations d'actes de fétichisme se
multiplient à la veille des élections ; parce que « le
discours sur le pouvoir continue d'être marqué par des
références multiples et directes (<) aux forces occultes
>>177.
175 Comi TOULABOR, << Sacrifices humains et politique
: quelques exemples contemporains en Afrique », pp.220-221.
176 Ibid., p.209.
177 Peter GESCHIERE, Sorcellerie et politique en Afrique. La
viande des autres, Paris, Karthala, (coll. << Les Afriques
»), 1995, p.14.
Chapitre III : La production d'un discours moraliste
des Église sur les profanations des tombes
En tant que gardienne de la morale, l'Église, nous
rappelle vivement que le corps humain est << le temple du Saint Esprit
>>178 et qu'il est important de le protéger. Car
à Libreville, les profanations des tombes et des corps deviennent une
<< arme >> qui traduit l'exercice de la violence symbolique et
imaginaire par le pouvoir politique.
Section 1 : Prise de position de l'Église et
de l'État face aux profanations des tombes et des corps à
Libreville
1. Le point de vue de l'Église
1.1. Une dérive morale ?
L'Église, au sens durkheimien179, est un
rassemblement en une même communauté morale qui unit par les
croyances et les pratiques tous les individus qui y adhèrent.
L'Église se définit aussi comme un groupe dont les membres
défendent la même doctrine. Par ailleurs, << parce qu'elle
est la gardienne de la morale, l'Église ne pouvait continuer à
demeurer muette face aux phénomènes des crimes rituels,
prélèvements d'organes et même de destruction odieuse des
vies humaines devenus légion au Gabon ces derniers temps, même
s'il est vrai que ces crimes rituels ne datent pas d'aujourd'hui
>>.180
Nous retenons donc que pour l'Église, les profanations
des tombes et des corps à Libreville constituent << une
dérive morale >>.181 En effet, interrogé sur la
question par le journaliste Olivier NDEMBI de l'Union, organe de presse, «
le
178 Lire I Corinthiens 6 verset 19.
179 Émile DURKHEIM, Les formes
élémentaires de la vie religieuse, Paris, (coll. <<
Le livre de Poche »), classiques de philosophie, 1991, 758 p.
180 L'Union Plus, premier quotidien d'informations
gabonais, du samedi 19 et dimanche 20 juillet 2008, Multipress,
Libreville/Gabon, rubrique << Société et culture
», page 6, en annexes.
révérend pasteur Gaspard OBIANG estime que la
protection des sépultures doit constituer une des priorités
gouvernementales ».182
Par ailleurs, « en sa qualité de citoyen, mais
encore et surtout de serviteur de Dieu, il dit condamner avec force, le
caractère pervers et infâme de la profanation des tombes et la
commercialisation des restes humains au Gabon. Ce, d'autant plus que, de son
point de vue, les taux de crimes rituels et des actes de sacrilège
deviennent impressionnants dans notre pays. C'est un déshonneur, un
opprobre pour le Gabon! Assène-t-il, ajoutant que (<) la profanation
des tombes à des fins commerciales ou fétichistes rime avec
abomination, colère divine et malédiction. Selon le pasteur
Gaspard, il est impensable qu'en ce millénaire dit de l'excellence, de
la compétence et de la performance, des personnes se livrent à un
commerce aussi criminel, au lieu d'utiliser leurs mains briseuses de tombes
pour pratiquer l'agriculture, la peche ou la menuiserie. De meme, il est
insoutenable que les autorités municipales se montrent incapables
d'entretenir et de sécuriser les cimetières existants et de
disponibiliser un autre site à l'heure où le taux de
mortalité augmente ».183
Le pasteur que nous avons rencontré nous a
édifié sur certaines questions ; entre autre, «
pourquoi cette recrudescence des profanations des tombes, surtout
en périodes électorales ? » Pour notre
interlocuteur, il y a recrudescence des profanations des tombes en
périodes électorales :
Énoncé n°17 :
- « Tout simplement parce qu'il faut d'abord partir
d'un principe ; pour ne pas rentrer dans la doctrine de la dichotomie et la
trichotomie ; il faut dire que Lucifer passe par la matière afin de
pouvoir donner à l'homme l'impression d'atteindre une lumiére
spirituelle qui n'est vraiment pas la volonté divine et le reflet divin.
C'est pour cela que les profanations des tombes sont des vecteurs qui
permettent au commun des mortels de briller. Alors que JésusChrist ; il
est le seul qui fait briller l'intérieur. La profanation des tombes
favorise l'être. Et
182
L'Union Plus, premier quotidien d'informations
gabonais, du samedi 19 et dimanche 20 juillet 2008, Multipress,
Libreville/Gabon, rubrique « Société et culture
», p.6.
pour prendre cette explication dans le Livre de 1 Samuel
28 je crois, lorsque Saül a voulu invoquer l'esprit de Samuel dans la
Bible. La Bible nous précise que Samuel, dans sa tombe, a dit à
Saül" ne me dérange pas je suis ici en paix. "Face à ce cas
là, la Bible nous montre qu'il peut avoir naissance de communication
entre celui qui est parti et celui qui reste. Et pour les initiés
pervertis, les initiés démesurés, les initiés qui
ne maîtrisent pas le respect de cette portée nécrologique
ancestrale, profitent des naïfs qui n'honorent pas le Seigneur, viennent
de temps en temps pour commettre des bêtises; en espérant avoir le
pouvoir, l'influence, l'argent
1
» .84
Les propos du pasteur AKITA nous donne une explication
ésotérique quant à la recrudescence des profanations des
tombes à l'orée des élections politiques. Par ailleurs, il
est clair que la croyance au pouvoir des morts est réelle et que la
Bible interdit la nécromancie, parce qu'elle n'honore pas Dieu
plutôt Lucifer. Au fond, en nous référant aux prescriptions
bibliques conseillées par notre interlocuteur, l'Église nous
apprend que « les pratiques païennes » souillent la
fidélité en Dieu d'où, « ne cherchez d'aucune
manière à entrer en contact avec les esprits des morts, car cela
vous rendrait impurs. Je suis le Seigneur votre Dieu ».185 De
même, comme le Révérend pasteur Gaspard OBIANG l'a
rappelé lors de son interview accordée à l'Union, «
quiconque touche un cadavre humain est impur pour une semaine
».186
À la suite de ces passages bibliques, le
Révérend pasteur Gaspard OBIANG termine en disant «
qu'un peuple qui n'est plus alarmé par la mort et banalise la vie
est comme un navire sans boussole. Il est voué à l'échec
et meurt lentement mais sûrement ».187 Ce qui nous
amène à nous poser la question de la perception des reliques
aujourd'hui à Libreville.
184 Propos du pasteur de la Mission protestante de Baraka de
Libreville, monsieur Raymond AKITA, 42 ans, en II IrncIEdIpuoEl'pnE2iii.
185 Parole biblique tirée du Livre de
Lévitique 19 verset 31.
186 Parole biblique tirée du Livre de Nombres
19 verset 11.
187 Propos du Révérend pasteur Gaspard OBIANG,
in l'Union du samedi 19 et dimanche 20 juillet 2008, p.6, en
annexe.
Énoncé n°18 :
- « L'Église est contre ça, car en
Christ, on est une nouvelle créature. Il ne faut plus compter sur ces
choses parce que cela n'honore pas Dieu ; et on peut devenir fou
».188 Énoncé n°19 :
- « Moi je pense que la criminalisation des reliques
est faite par les chrétiens car c'est une mauvaise chose. On ne doit pas
travailler avec le crâne des grands-parents. C'est la nécromancie,
la divination, c'est même démoniaque. Et je crois que ceux qui
sont ancrés dans la tradition c'est une bonne chose pour eux puisque
cela leur apporte le pouvoir. Et cette criminalisation comme vous dites, est
là parce que les chrétiens veulent convertir ceux qui pratiquent
ces actes ».189
Énoncé n°20 :
- « Pour ma part, je pense que prendre le
crâne du papa et du grand-père je ne vois pas ce que cela peut
apporter à la personne qui garde ça. Même si les morts ne
sont pas morts, cela c'est de l'idolatrie. Cette criminalité est faite
par les convertis, ceux qui ne sont pas d'accord avec cette pratique. Si les
gens critiquent cet acte, c'est parce que c'est un acte inhumain immoral, un
acte déshonorable à la société. On ne peut pas
prendre le crane de quelqu'un décédé depuis et le mettre
dans un coin et le vénérer parce qu'il n'apporte rien. Pour nous
il n'ya que Allah qui résout les problèmes, c'est l'unique
créateur ».190 Selon le pasteur Raymond AKITA par
contre,
Énoncé n°21 :
- « Tout ceci profite à Satan, pas à
aucun homme normal, aux hommes politiques qui sont nécromanciens, je
peux te citer les grands noms du Moyen-Ogooué où les familles
connaissent les malédictions. Ces gens pactisent avec le diable ; pour
le paraître, il faut accepter Jésus pour le salut de son
âme ».191
188 Propos de mademoiselle Graziella MENGUE, 29 ans,
chrétienne catholique, fang, agent marketing.
189 Propos de mademoiselle Floriane Melinda KAYIBA,
27 ans, chrétienne catholique, Nzébi-Sango, étudiante en
Maîtrise au département de Sociologie de l'UOB.
190 Propos de mademoiselle Khadidjatou MAROUNDOU, 33 ans, Punu,
musulmane, reprographe à l'UOB.
191 Propos du pasteur Raymond AKITA de la mission de
Baraka de Libreville, 42 ans, Galoa, exerce depuis l'an 2000.
- << La criminalisation des reliques est faite par
l'Église car elle s'oppose aux reliques en affirmant que c'est de la
vénération des choses mortes. Les reliques n'honorent pas Dieu et
souillent ceux qui les pratiquent ; eux et leurs générations.
C'est la malédiction ».192
1.2. La protection des corps religieux et des
cimetières
En fait, il s'agit de l'assise du pouvoir et les reliques
serviraient les hommes du pouvoir. Selon les propos du pasteur AKITA, certains
individus ont le souci du paraître, de leur insertion sociale au sein de
l'appareil d'État ; au lieu de se préoccuper du salut de leurs
âmes. Ce qui explique les profanations des tombes. Face à ce
phénomène, l'Église se donne pour mission de
protéger les corps des religieux en construisant les cimetières
dans sa concession. En témoigne les photos n°2,4 et 5
des pages 26 à 29 de la
cathédrale Sainte Marie de Libreville et de la mission Baraka; et dont
nous avons fait mention dans la partie consacrée aux préalables
épistémologiques de notre travail.
Par ailleurs, il y a aussi la protection des
cimetières car << l'omniprésence de l'Église
médiévale dans la société s'amorce à partir
du moment où les chrétiens cessent d'attendre une fin du monde
imminente. L'Église s'investit, dès lors, dans la mise en oeuvre
de fonctions normatives et juridiques qui touchent pratiquement tous les
domaines de la vie, du mariage à l'usure, en passant par
l'état-civil, les procédures judiciaires, la création d'un
système scolaire, la sacralisation de l'autorité sociale, la
condamnation des hérésies, la définition des normes
régissant les usages du sexe et du plaisir ».193
À la question de savoir pourquoi l'Église a-t-elle
décidé d'enterrer les corps des religieux dans sa concession,
notre interlocuteur nous a répondu ainsi :
192 Propos de mademoiselle Janny Esther DIVAGOU IBRAHIM KUMBA,
chrétienne catholique, 26 ans, étudiante en Maîtrise au
département de Sociologie de l'UOB, Akélé-Punu.
193 Achille MBEMBE, De la postcolonie. Essai sur
l'imagination politique dans l'Afrique contemporaine, Paris, Karthala,
(coll. « Les Afriques »), 2000, p.209.
- << Pour l'Église, les
cimetières sont des lieux sacrés, selon le canon
1205194. Alors les cimetières méritent respect,
vénération, reconnaissance. De plus, le sacré nous renvoie
à l'invisible car nous croyons que la vie n'est pas finie, elle est
transformée : il y a la continuité des défunts. Par
ailleurs, comme la Bible bénit les tombes, alors l'Église
bénit les tombes des fidèles en ce sens que le cimetière
est un lieu sacré. Et elle protège les cimetières ce qui
fait qu'elle les construit sur sa concession. En outre, la profanation des
tombes est une malédiction ; un péché grave car c'est une
entrave à la volonté divine. Nous croyons à la
résurrection non à la mort. C'est pour cela que
l'Église condamne avec la dernière énergie les
profanations des tombes »195.
2. Le point de vue du législateur gabonais sur
les profanations des tombes
2.1. Le code pénal de 1963
Avant d'aborder le point de vue du législateur
gabonais sur les profanations des tombes, il est important d'apporter quelques
éclaircissements sur la violence du pouvoir au sens de Georges BALANDIER
au Gabon ; mais aussi, comme l'entend Florence BERNAULT qui se base sur le
concept dominant du << le Souverain moderne » de Joseph TONDA. De
prime abord, la violence ne s'exprimerait pas sans un appui sur le symbolique
et l'imaginaire ; étant entendu que ces deux modes d'expression laissent
entrevoir la violence.
Les recherches de BALANDIER sur la violence du pouvoir
montrent que la violence du pouvoir intervient dans toutes les
sociétés, qu'elle recourt à des moyens divers et que la
violence du pouvoir apparaît comme une agression indirecte et
masquée. Mieux, elle se présente comme une manipulation de
symboles et de forces à des fins offensives. Enfin, elle est
identifiée à partir de ses effets. Florence
194 Code De droit canonique Bilingue et
annoté.2ème édition révisée et
mise à jour, Montréal, Wilson & La fleur Itée,
1999, 1888 p. Ce canon 1205, réservé aux lieux sacrés,
stipule que « les lieux sacrés sont ceux qui sont
destinés au culte divin ou à la sépulture des
fidèles par la dédicace ou la bénédiction que
prescrivent à cet effet les livres liturgiques ». À
voir en annexes.
195 Propos du Père Dieudonné MOULOUNGUI, 35 ans,
Punu, vicaire de la Paroisse Saint André des 3 Quartiers de Libreville.
Entretien réalisé le 4 mars 2010 à 21 heures à
Saint André.
BERNAULT196 nous suggère une relecture de
Joseph TONDA, parce qu'étant un auteur complexe, on se rend compte que
« le Souverain-moderne est l'ensemble des rapports qui, pour TONDA,
gouvernent la production du monde de l'après-colonial, et imposent
à ceux qui sont pris dans ses rets une culture du tourment, de la
persecution et de la violence retournee sur soi ».197
On peut ajouter aussi que le « Souverain moderne »
, bien qu'étant complexe, présente l'avantage d'une lecture au
microscope des rapports sociaux qui predominent au Gabon ; mais surtout comment
ils s'enracinent et se diffusent dans la societe postcoloniale d'Afrique
centrale. D'ailleurs, « le Souverain moderne prive les hommes
d'eux-mêmes et de leur histoire, depossède les individus de leur
integrite (corps voles, depenses), de la possibilite de leur reproduction
sociale et biologique (organes sexuels arraches ou instrumentalises), le
fascine et les apeure par les violences quotidiennes dont ils sont
eux-mêmes les participants implacables ».198 En un mot,
« le Souverain moderne inaugure une nouvelle definition des rapports entre
imaginaire, fetichisme et symbolique »199 : la profanation des
corps et des tombes pendant les élections politiques
c'est-à-dire, le « fetichisme politique »200.
Enfin, le legislateur gabonais a elabore son code
penal201 et qui, selon son article 347, stipule que
« la presente loi sera exécutée comme loi de l'État
». Rappelons ici que l'élaboration de ce Code pénal a tenu
compte du fait que l'univers sociopolitique et culturel est un univers de
forces, de puissances. Et que ces puissances ou surpuissances peuvent, à
un moment donne, devenir antisociales, comme c'est le cas des profanations des
tombes qui s'observent en périodes electorales.
196 Florence BERNAULT, « Autour du livre
Joseph TONDA », le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique
centrale (Congo/Gabon), Paris, Karthala, 2005, 297 p, in Politique
africaine, n°104, décembre 2006, pp.159-177.
197 Ibid., p.159.
198Ibid., p.161.
199 Ibid., p.162.
200 Par « fétichisme politique »,
nous voulons dire qu'il existe un marché occulte et illégal de la
production et de la vente des restes humains ou « pièces
détachées » jà Libreville. L'existence de ce
marché explique la profanation des tombes, notamment à l'approche
des élections politiques. D'où, il existe un rapport très
fort entre la mort et le pouvoir politique au Gabon.
201 Le Code pénal de la République gabonaise du 31
mai 1963, Libreville, 109 p, voir en annexes.
D'ailleurs, en illustrations, nous citerons par exemple le
Chapitre XIX, intitulé « De la sorcellerie, du
charlatanisme et des actes d'anthropophagie »202 ou
encore, et objet de ce sous-point, le Chapitre XIII,
intitulé « Des violations des sépultures et profanations
de cadavres ».203 En voici l'extrait de son
article 291 : « quiconque aura profané ou
mutilé un cadavre, même non inhumé sera puni d'un
emprisonnement de trois mois à un an et d'une amende de 24.000 à
120.000 fcfa. D'autant plus que dégrader tout tombeau et/ou ses
ornements (croix, couronnes, dalle, etc.) constitue un délit qui peut
rendre un individu coupable de violation de tombeaux ou de sépultures
(qui) sera puni d'un emprisonnement de trois mois à un an et d'une
amende de 24.000 à 120.000 francs sans préjudice des peines
réprimant les crimes ou délits qui se seraient joints à
celui-ci ». Ce qui poserait problème ici, c'est certainement
l'applicabilité et l'effectivité de cette loi sur le terrain. Ce
qui nous permet de dire qu'il est certes bien de promulguer des lois, le plus
dur demeure leur applicabilité.
2.2. L'obligation de saisir le tribunal
La loi prévoit en outre, après avoir
constaté l'acte de profanation, d'adresser une plainte contre X au
greffe correctionnel pour entamer des poursuites judiciaires. Cependant, nous
avons dit que nous sommes dans l'univers du Souverain moderne, au sens de
Joseph TONDA. Et selon nos constats et nos enquêtes
réalisés et après s'etre rapproché de plusieurs
victimes des profanations des tombes à Mindoubé, certaines
familles ont eu à porter plainte contre X sans succès. Dès
lors, monsieur MBADINGA204 affirme :
Énoncé n°24 :
- « Il y a au Gabon des prédateurs qui
chassent les gens dans la ville et ceux qui viennent profaner les tombes
à des heures tardives de la nuit. Comment expliquer que quand nous
sommes vivants on n'est pas en sécurité, à plus forte
raison mort ? Tu vois, porter plainte dans ce pays ne sert plus à rien,
surtout pour ce genre d'affaire, ces plaintes que nous
202 Le Code pénal de la République gabonaise du 31
mai 1963, Libreville, p.63.
203 Ibid., p.84.
204 Monsieur MBADINGA est l'un des parents des
trente victimes des profanations des tombes que nous avons eu à
rencontrer lors de notre passage le 1er novembre 2007 au
cimetière de Mindoubé, dans le cadre de notre mois de terrain et
dans la rédaction de notre Mémoire de Maîtrise.
adressons sont oubliées expressément par
l'État, il s'en fou puisque ces gens là n'enterrent pas leurs
parents ici. Ils font leurs caveaux familiaux et viennent prendre ce qui reste
de nos parents. C'est révoltant ce que l'État fait, il profane
nos tombes et fais semblant de réagir. La preuve c'est qu'il ne punit
pas les vrais coupables qu'il connaît >>.205
Les propos de monsieur MBADINGA attestent que nous sommes
dans les rets du << Souverain moderne >>, dans une culture du
tourment, de la persécution et de la violence ; violence de
l'imaginaire, du fétichisme exercée par le pouvoir politique.
D'où, « à l'ombre de la postcolonie ont ainsi grandi des
monstres (<) Il s'agit simplement d'administrer une violence lapidaire et
improductive dans le but de prélever, d'extorquer et de terroriser
>>.206 Car << le pouvoir ne peut s'exercer sur les
personnes et sur les choses que s'il recourt, autant qu'à la contrainte
légitimée, à des outils symboliques et à
l'imaginaire >>.207 D'où, « aucun groupement,
aucune organisation sociale ne peut se donner à voir si ce n'est
à travers des symboles qui manifestent son existence
>>.208
C'est l'occasion de revisiter le code pénal parce
qu'il est caduque, désuet face à la situation présente en
postcolonie gabonaise ; surtout en matière de profanations des tombes.
Finalement, si l'État gabonais, qui se doit de veiller sur la
sécurité des biens et des personnes, et considérant que le
cimetière est une archive nécrologique qui figure dans le
patrimoine culturel du pays ; ne réagit pas devant cette violence, c'est
parce qu'il est << l'institution qui possède, dans une
collectivité donnée, le monopôle de la violence
légitime. Entrer dans la politique, c'est participer à des
conflits dont l'enjeu est la puissance - puissance d'influencer sur
l'État et par là même sur la collectivité
>>.209
205 Propos de monsieur MBADINGA, au cimetière de
Mindoubé le 1er novembre 2007.
206 Achille MBEMBE, << Désordres,
résistances et productivités », p.2 in
Politique africaine : << Violence et pouvoir »,
n°42, juin 1991, 163 p.
207 Georges BALANDIER, le Détour. Pouvoir et
modernité, Paris, Fayard, 1985, p.88.
208 Philip BRAUD, Sociologie politique, op.cit.,
p.103.
209 Max WEBER, Le savant et le politique. Préface de
Raymond ARON, Paris, Plon, (coll. << Editions 10/18
»), 1963, p.32.
Toute chose qui indique que le pouvoir au Gabon est un
pouvoir mortifère, voulu et entretenu. Il s'agit de se nourrir de la
mort en la recyclant pour faire (re)vivre ; et donc, de (re)produire de la vie
à partir de la mort.
Section 2 : Les profanations des tombes et des
cadavres
« C'est en s'incarnant dans les pratiques et des objets
qui le symbolisent que l'Imaginaire peut agir non seulement sur les rapports
sociaux déjà existants entre les individus et les groupes, mais
être aussi à l'origine de nouveaux rapports entre eux qui
modifient ou remplacent ceux qui existaient auparavant
>>.210
À cet effet, l'image symbolique du mort, très
prisée par les mandataires en périodes électorales, est
celle d'un être humain enterré, couché, qui ne peut plus
bouger. Et comme le symbolique et l'imaginaire dominent l'univers culturel
gabonais, les hommes politiques, mandataires ou fétiches
politiques211, devenus autonomes et auto-consacrés, pour
conserver et consolider leurs acquis politiques, ont recours, grâce
à des subterfuges, aux profanations des tombes ; parce qu'étant
convaincus du pouvoir éventuel des morts ; dans la garantie de leurs
succès électoraux.
Il y a un parallèle entre la profanation des tombes et
celles des corps car la profanation des tombes est une manière de
profaner les corps via la tombe de quelqu'un ; en ce sens que la tombe est
symboliquement et métonymiquement son corps. La tombe étant
métonymiquement le corps de la personne, c'est comme la maison. À
ce propos, Jeanne FAVRET-SAADA pense que dans l'ensorcellement de quelqu'un,
« son corps et celui des siens, son domaine et l'ensemble de ses
possessions constituaient une même et unique surface criblée de
trous par où la violence du sorcier ferait irruption à tout
moment >>212. Pour dire simplement qu'attaquer ou ensorceler
quelqu'un, c'est aussi s'attaquer à tout ce qu'il possède
210 Maurice GODELIER, Au fondement des
sociétés humaines. Ce que nous apprend l'Anthropologie,
Paris, Editions Albin Michel, (coll. << Bibliothèque Albin
Michel Idées »), 2007, pp.38-39.
211 Pierre BOURDIEU, Choses dites, Paris, Editions de
Minuit, (coll. << Le sens commun »), 1987, p.187.
212 Jeanne FAVRET-SAADA, Les mots, la mort, les sorts,
Paris, Gallimard, (Coll. << Folio essais »), 1977,
p.24.
métonymiquement. D'ailleurs, les discours de nos
interlocuteurs et des photos prises sur le terrain à ce sujet et que
nous proposons dans ce mémoire en sont l'illustration. D'où, nous
leur avons posé la question de savoir ce qu'est ce que la
profanation des tombes ?
Énoncé n°25 :
- « La profanation des tombes pour moi, c'est
pénétrer sans autorisation dans le cimetière surtout la
nuit pour faire le travail pour lequel on te paies très bien,
c'est-à-dire, aller récupérer les os surtout le crane ou
ce que l'on appelle sur le réseau et ce que les grands féticheurs
du pays appellent les articles ou ingrédients et qui sont utiles pour
les grands hommes du pays »213.
Énoncé n°26 :
- « La profanation des tombes est quelque chose de
diabolique à mon sens, il faut être vampireux et surtout ne pas
craindre Dieu pour venir voler les ossements humains dans les
cimetières »214.
Énoncé n°27 :
- « Pour moi, ce sont les gens qui viennent
détruire et casser les tombes la nuit pour dépouiller les morts.
Ces choses n'arrivent que quand il ya les élections. À
Mindoubé ici, c'est la 4ème fois que ça arrive.
Il y a même 1 qui venait voler les gerbes de fleurs pour aller les vendre
à Akébé et dans certaines pompes funèbres de
Libreville »215.
Énoncé n°28 :
- « Ce sont les gens qui viennent dans la nuit pour
casser et dépouiller nos morts de ce qui leur reste et troubler leur
repos éternel. Moi en tant que catholique, je condamne ça, il
faut
213 Propos de notre interlocuteur monsieur M.D, 43 ans,
Myènè, ancien profanateur devenu à la fois pêcheur
de poisson selon ses dires et croyant. Il a demandé l'anonymat.
Entretien réalisé à Ambow~, le 17 mai 2008 à 22
heures, lors d'une cérémonie des jumeaux à laquelle nous
avons assisté. La rencontre était une coïncidence.
214 Propos d'un ex personnel naviguant commercial de Air
Gabon, gabonais, Fang de Bitam, 46 ans, chrétien pentecôtiste
depuis 7 ans. L'entretien s'est déroulé au cimeti~re de
Mindoubé le 1er novembre 2007 vers 9 heures. Par ailleurs, il
fait parti des nombreuses familles des victimes des profanations que nous avons
rencontrées sur le site et qui a bien voulu nous répondre en
insistant sur le fait que notre travail doit servir pour dénoncer ce
phénomène.
215 Propos de monsieur Jean-Noël, le gardien du dudit
cimeti4re actuellement en poste. C'est un gabonais d'une quarantaine
d'années, qui travaille seul dans des conditions difficiles nous a-t-il
confié, de 8 h30 à 15heures.
que l'État et Basile MVE ENGONE prennent leurs
responsabilités car c'est un acte indigne, méchant, cruel et
diabolique »216.
Énoncé n°29 :
- « Ce que vous étudiez c'est simplement le
fait de déterrer les morts par des gens pas bien, des gens qui utilisent
les ossements pour se faire de l'argent. Ce n'est pas une bonne chose parce
qu'on se sert du corps humain cadavérique pour se faire de l'argent et
avoir du pouvoir. C'est un manque de respect pour nos morts car il ya les
huiles de vidange ici. D'autres viennent voler les costumes pour les revendre
après tout comme les gerbes de fleurs »217.
Énoncé n°30 :
- « C'est quand les grands hommes viennent voler les
os des morts la nuit. Ils n'ont pas de compte à rendre, ils font ce
qu'ils veulent, d'abord ils mentent, puis la fatale, ils pillent les tombes
comme en Egypte pour voler les cranes. J'habite juste à
côté du cimetière, derrière le garage, mais nous
voyons beaucoup de choses, des grosses cylindrées et beaucoup de gens la
nuit munis de torches et de lampes tempête. On est habitué car ce
n'est pas d'aujourd'hui. Alors on se dit, à qui le tour d'être
dépouillé cette nuit car ils font du bruit avec les motos pompes
qu'ils utilisent la nuit très tard surtout. Je n'ose pas sortir
»218.
Énoncé n°31 :
- « Pour moi et selon le constat des parents qui se
plaignent auprès de nous, ce sont les gens de la ville, ceux qui ont de
grosses voitures vitres fumées la journée qu'on voit passer et la
nuit qui reviennent qui font cela. Ils n'opèrent que la nuit. C'est
satanique, cruel, car pour
216 Propos de madame M.T, gabonaise, Punu-Fang,
secrétaire comptable, 37 ans, catholique. Elle aussi fait partie des
nombreuses familles des victimes des profanations que nous avons
rencontrées sur le site et qui a bien voulu nous répondre pendant
la fête de la Toussaint le 1er novembre 2007.
217 Propos d'un jeune homme de 27 ans, chrétien
protestant, agent commercial à City Sport de Mbolo, que nous avons
rencontré le 26 mars 2007 à 10 heures, lors de notre
2ème passage à Mindoubé. Il habite tout
près du cimetière.
218 Propos d'un habitant à proximité du
cimeti~re de Mindoubé, il est garagiste, 38 ans, c'est un
chrétien et cela fait 15 ans qu'il habite le coin.
qu'on puisse profaner les tombes, il faut être dans
les loges, un féticheur, un homme politique car c'est quand il ya les
élections que l'on voit tout cela ici »219.
Énoncé n°32 :
-« C'est simplement venir nuitamment ou très
tard dans la nuit pour déterrer les morts dans les cimetiéres,
c'est un endroit sacré et on fait cela pour de l'argent, pour le
pouvoir. C'est tout simplement une abomination aux yeux de Dieu. Si vous
voulez, c'est même dégoatant car c'est tuer une
2ème fois le mort et surtout troubler son repos
éternel et le priver d'une résurrection. C'est toujours quand on
fait les élections que tu vas entendre ce genre de chose
»220.
De manière générale et en ce qui concerne
nos interlocuteurs, les profanations des tombes montrent que le pouvoir des
morts et donc celui des « pièces détachées
» ou de « l'or blanc »221 est bien réel car
il sert à se faire oublier lors des conseils des ministres, ou lors
des élections ou alors pour ne pas bouger du poste administratif que
l'on occupe. Car un mort ne bouge plus puisqu'il est allongé pour
l'éternité. Cela montre aussi que certains individus sont
prêts à tout pour obtenir une quelconque promotion sociale au
Gabon. Comme pour dire avec Max WEBER222 que le politique a les
mains sales. De même, les discours exposés ici ne sont pas en
réalité différents car ils confirment que le pouvoir
politique au Gabon est en fait un pouvoir mortifère et
enraciné dans la mort. Enfin, il ya une étroite relation de
dépendance entre les économies occultes de la production de
« l'or blanc » et le pouvoir politique. Pour finir,
retenons que le chercheur en sciences sociales « a la
particularité, qui n'a rien d'un privilège, d'être celui
qui a pour tiche de dire les choses du monde
219 Propos d'un protestant Fang, gabonais, 55 ans et
cela fait 7 ans qu'il habite à côté du
cimeti4re. Le monsieur est un retraité de gendarmerie.
220 Propos d'un monsieur victime des profanations des tombes que
nous avons rencontré le 1er novembre 2007 à 11 heures.
Il a 56 ans, gabonais, Nzébi de Koulamoutou et chômeur. C'est un
chrétien de l'Alliance chrétienne.
221 Cette expression « or blanc »
désigne ici les « pièces détachées »
puisque nous nous trouvons dans un marché occulte et illégal des
restes humains, nous pensons que l'or blanc illustre bien cette idée de
marché.
222 Max WEBER, Le savant et le politique.
Préface de Raymond ARON, Paris, Plon, (coll. «
Bibliothèques 10- 18 »), 1963, 222 p.
social, et de les dire autant que possible, comme elles sont :
rien que de normal, de trivial même, en cela ».223
1. Le cimetière de Mindoubé dans le
5ème arrondissement de Libreville
Figure n°1 : Localisation
géographique du cimetière de Mindoubé
Le cimetière est situé dans le quartier
Mindoubé (que nous apercevons cidessus sur la présente carte avec
les croix en noir), précisément dans le 5ème
arrondissement oil il fait face à la décharge publique d'ordures
de Libreville. D'ailleurs, une description224 de celui-ci s'impose.
Par exemple, l'accès au site se fait par voie terrestre non
goudronnée, praticable véritablement qu'en saison sèche ;
les hautes herbes aussi bien à l'intérieur qu'à
l'extérieur du site sont visibles depuis la route, ce qui fait qu'on ne
puisse plus retrouver les tombes de nos disparus. A cela,
223 Claude JAVEAU, Leçons de
sociologie, Paris, coll. Armand Colin, 1997, p.5 citant Pierre
BOURDIEU.
224 Description que nous avons effectuée en
année de Licence le 26 mars 2007 dans le cadre du mois de terrain. Une
seconde visite en février 2008 a été faite pour voir les
éventuels changements après la fête de Toussaint de 2007
mais rien n'a été fait. Le site est resté dans les
mêmes conditions telles que décrites lors de notre premier
passage. Signalons que nous sommes repartis en avril et en novembre 2009, et il
est resté dans le même état, excepté les herbes qui
sont devenues encore plus hautes et la route qui se dégrade sans
cesse.
s'ajoute une forte concentration de débits de boisson
à proximité du cimetière. On note aussi que les
constructions anarchiques d'habitations et la présence de tas
d'immondices et des dépôts de ferrail. À ce propos, nous
proposons quelques photos pour présenter la description du
cimetière de Mindoubé tel qu'il a été
photographié lors de notre passage.
Photo n°8 : «Le portail principal
du cimetière »
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
mars 2007
La photo n°8 nous présente, comme son titre
l'indique, une vue de l'entrée principale du cimetière. Au
premier plan de la photo, nous apercevons le portail amorti par le poids de
l'âge, il est rouillé, et se ferme à l'aide d'une vieille
chaîne et d'un cadenas. Ensuite, on voit bien sur cette photo que la
route qui nous conduit au cimetière de Mindoubé est, comme nous
l'avons dit plus haut, une route secondaire, praticable qu'en saison
sèche. S'ajoute aussi les hautes herbes que nous évoquions
déjà. Au second plan, nous voyons que le site est envahi des
hautes herbes mais aussi d'arbres fruitiers tels les manguiers ou d'arbres
à noix : des palmiers. C'est à peine si on peut apercevoir au
loin quelques stèles visibles par leurs couleurs blanches. Enfin, la
clôture qui existe mesure près de 1 m 70 et ne peut pas dissuader
les profanateurs.
Photo n°9 : «Une tombe
immergée dans les huiles de vidange »
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
Mindoubé n'est pas seulement victime que des
profanations des tombes. On peut aussi parler d'un autre type de profanation
orchestrée par les garagistes des alentours avec les huiles moteurs qui
se déversent sur le cimetière. Formant au passage un petit
ruisseau et noyant du même coup d'abord les quelques tombes encore
visibles mais méconnaissables pour les parents ; ensuite, et à la
longue, va faire tomber la barrière qui tient encore le coup. Au second
plan, on peut aussi apercevoir les hautes herbes qui ont occupé l'espace
et empêchant aussi la reconnaissance des tombes à cet endroit. Les
autorités de l'Hôtel de Ville sont pourtant au courant de la
situation actuelle du site mais restent silencieuses.
Photo n°10 : « La tombe d'un
chinois »
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009
Mindoubé est un cimetière qui accueil tout le
monde. La preuve est là ; il s'agit de la tombe d'un chinois qui a
été profanée. Cette tombe est vidée de son contenu,
il ne reste qu'un fragment de crane que nous avons filmé aussi. La tombe
subit les incendies.
Photo n°11 : « Le crane chinois
»
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009
Comme nous venons de le dire, il s'agit du « crâne
chinois ». Le fait de voir aussi cette tombe profanée nous permet
d'émettre de nombreuses hypothèses. Mais celle qui nous vient
à l'esprit, c'est l'idée que l'homme est le même et que la
couleur de la peau, la race, etc. importe peu. Ce ne sont que des
détails car pour les profanateurs, un crane est un crane, c'est un
fétiche, un produit marchand, d'ailleurs, qui coûte
extrêmement cher. Ce crâne a été privé de tout
son corps et de la fontanelle. En outre, la fontanelle est cette membrane que
l'on voit battre sur la tête des bébés avant qu'elle ne se
solidifie. C'est elle qui permettrait au bébé de vivre et vient
d'être ici prélevée.
Photo n°12 : « La face
cachée d'une tombe »
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
Il s'agit d'une bonne dizaine de tombes qui sont dans
l'immersion des huiles de vidange. Cette situation nous permet de voir à
quel point le site demeure dans l'insalubrité ; en témoigne les
pneus de voitures et la barrière qui est pratiquement prête
à s'écrouler.
Photo n°13 : cc Un exemple de tombes
profanées »
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009
Ces exemples de tombes illustrent bien le type de
sépultures profanées. On remarque aussi que ces stèles
présentent les mêmes marques de cassures. De même, on
observe une caractéristique commune : celle de ne pas être
carrelée. Cela nous permet de dire qu'il s'agit des tombes
abandonnées par leurs parents depuis longtemps.
Photo n°14 : « Une vue d'ensemble
du cimetiere »
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009
Cette photo donne une vue panoramique du cimetière.
Notons que la question de l'entretien du site demeure une préoccupation.
L'arrière plan témoigne d'un récent passage d'un incendie.
A ce propos, les incendies peuvent avoir deux origines : soit humaine,
c'est-à-dire que le gardien met le feu pour brûler les herbes qui
surabondent sous son contrôle. Ou alors, les incendies sont dus en grande
partie à la chaleur225, à cause du méthane qui
se dégage des tombes profanées, donc qui restent ouvertes. En
effet, lorsque le corps est en décomposition, il y a la production du
méthane qui est un gaz incolore, inodore, inflammable et très
toxique. Ce gaz a des effets nocifs pour l'environnement puisqu'il perce la
couche d'ozone et expose les profanateurs à des brûlures de peaux
à long terme. De plus ; il y a de l'« azote ; le dioxyde de carbone
; l'ammoniac et l'acide sulfurique »226 qui sont produits lors
de la décomposition des corps.
225 Cette information émane des habitants qui
environnent le site et qui affirment qu'il fait tr~s chaud
dans leur quartier. Ce qui fait que des incendies sont souvent
enregistrés en période de saison sche. D'autre part, c'est le
gardien qui br~le parce qu'il ne peut pas désherber.
226 Cf. la revue scientifique SCIENCE & VIE, n°248,
hors série, « La mort. La comprendre. La vivre. La vaincre
», p.98, septembre 2009.
Photo n°15 : « L'organisation
sociale autour de la décharge »
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009
Au premier plan, on voit l'état de la route mais
surtout, les ordures recyclées par les hommes, femmes et enfants que
nous avons photographiées sur le terrain. En effet, ils
récupèrent les ordures dans la décharge, pour venir les
trier, les laver et les laisser sécher sur la barrière du
cimetière. Ensuite, femmes les emballent dans des sacs de farine, pour
aller les vendre soit à la Gare routière de Libreville ou au
marché de la Peyrie. Il faut dire que c'est tout un nouveau
marché de la mort qui est reintroduit dans le circuit du marché
économique. Par ailleurs, Ce poteau électrique témoigne de
la volonté des pouvoirs publics d'éclairer le site.
Néanmoins, depuis vingt ans, le cimetière est dans
l'obscurité. Les femmes recyclent les ordures pour les vendre à
la Gare routière ; elles vendent des bouteilles plastiques, des
cannettes, et autres détritus susceptibles de rapporter un peu
d'argent.
Après avoir traité de la question de la
localisation géographique du cimetière et de sa description,
venons-en à présent à la question de l'historique du
cimetière proprement dit.
1.1. Historique du cimetière de
Mindoubé
Lors d'une séance de travail avec monsieur Toussaint
ELLANGMANE227, conseiller du D.G.S.T la Mairie de Libreville, il
ressort que le cimetière de Mindoubé a été
créé en 1950 et a été fermé vers 1980 pour
cause de difficulté d'accès dii essentiellement à la route
impraticable.
Énoncé n°33 :
- « Cela n'a pas nécessité la mise en
place de textes juridiques car on avait estimé qu'il fallait de
véritables travaux d'aménagements pour que les enterrements se
passent dans les conditions les meilleures >>.228 Puis,
à l'époque du maire DAMAS, 1996 voit la réouverture du
site.
Énoncé n°34 :
- « Je précise ici que Mindoubé n'est
pas totalement saturé, il reste encore de l'espace. On pense à le
réhabiliter sérieusement. Cela va nécessiter des moyens
humains et financiers importants car il s'agit du désherbage,
l'électrification, l'adduction de l'eau,la réhabilitation de la
maison du gardien dans le site car elle a brillé lors d'un incendie dil
à la forte chaleur qui y prévaut. Il faudra aussi refaire toute
la clôture qui est aujourd'hui quasi-existante. Tout cela
nécessite, comme je l'ai dis tantôt, des moyens financiers et
humains importants. J'ai soumis à cet effet le dossier à ma
hiérarchie depuis 9 mois, on m'a affirmé que c'est en
étude. Alors je continue à conjuguer le verbe attendre
>>.229
Au sortir de cette séance de travail, on retient qu'il
y a une volonté manifeste de la part des pouvoirs publics de ne pas
réhabiliter le site de Mindoubé. Nous affirmons ceci par ce que
le Conseiller et le gardien du site ne cessent d'attirer l'attention de leur
hiérarchie, afin qu'elle trouve des solutions (immédiates) pour
faire cesser les profanations. Or depuis 2007, date à laquelle le
conseiller ELLANGMANE a saisi sa hiérarchie, celle-ci est restée
muette. Enfin, c'est certainement pour avoir posé des questions et
proposer un plan d'action immédiat
227 Séance de travail du 30 mars 2007 à la D.G.S.T
sise dans les locaux de la Mairie de Libreville.
228 Propos de monsieur Toussaint ELLANGMANE.
229 Propos de monsieur Toussaint ELLANGMANE.
que la D.G.S.T s'est séparée de son conseiller
depuis 2009. Cela atteste que les pouvoirs publics tirent profit des
profanations des tombes, donc de « l'or blanc » parce qu'ils ne font
rien. D'où, le pouvoir se nourrit bien de la mort.
1.2. La sécurité des morts au
cimetière de Mindoubé
Par sécurité des morts, nous entendons ici
l'électrification, la clôture, une voie d'accès praticable
en toute saison de l'année, l'entretien du site tel le
désherbage. Cependant, Mindoubé est privé de ces normes de
sécurité, preuve aussi du non respect pour nos morts. Le respect
des morts s'effrite davantage. Mindoubé n'est donc pas le seul site qui
présente cette absence de normes de sécurisation ; Plaine Niger,
Baraka, Lalala, pour ne citer que ceux-là présentent les
mêmes difficultés. Face à une telle situation, comment ne
pas comprendre que nos cimetières soient visités à des
heures tardives de la nuit et ce, en périodes électorales ?
1.3. Mindoubé, un site particulier
Mindoubé est un site particulier parce qu'il s'agit
ici d'un endroit où s'exerce deux activités parallèles :
l'une étant la récupération des « pièces
détachées » pour le cimetière et l'autre, le
recyclage des ordures pour ce qui est de la décharge publique à
ordures. On comprend donc qu'il existe deux structures communales. Or ce site
est du domaine municipal, donc de la Mairie de Libreville. En outre, la
décharge publique et le cimetière sont des éléments
morts, c'est-à-dire que ce sont des lieux où l'on vient jeter ce
qui ne sert plus (le cas de la décharge publique) et pour l'autre,
où l'on vient déposer, enterrer les morts, ceux qui ne vivent
plus (le cas du cimetière).
Aussi, deux directions se déclinent : la
première est liée au pouvoir en relation avec l'occultisme et la
seconde, au recyclage des ordures qui vont être ainsi réintroduits
dans le marché économique. De toute façon, il s'agit d'un
recyclage général. En ce qui concerne la décharge publique
de Mindoubé, les populations habitant le site vivent d'elle. Ce sont des
hommes, des femmes et des enfants qui recyclent les ordures. Cette situation se
présente en Bolivie, au Pérou ou au Brésil, où l'on
parle de « bidonvilles » ou « favelas >>. Pour le
cimetière, il s'agit de la
problématique de la récupération d'ordre
magique et économique des restes humains. Cependant l'État est
incapable de rendre justice sur cette exploitation des corps ; ce qui fait que
l'État, in fine, organise les pratiques magiques. C'est aussi l'exercice
du pouvoir par des moyens symboliques ; puisque la commune est liée
à l'État et donc, il doit régir.
Ce que nous pouvons retenir ici c'est le fait que le pouvoir,
qui gère la cité, est impliqué dans le fétichisme
politique. Face à ces profanations des tombes au cimetière de
Mindoubé, des familles se plaignent mais l'État demeure incapable
de réagir. En filigrane, les profanations des tombes posent le
problème de l'État et du droit dans cette
récupération des restes humains.
Le cimetière se définit comme une archive
nécrologique qui renseigne sur la façon dont on conçoit et
traite les morts et partant, notre conception de l'au-delà. Par
ailleurs, il faut ajouter qu'il participe de la mémoire collective d'un
peuple. De plus, il est << le lieu liminal par excellence, situé
entre vie et mort, et pour d'aucuns, entre présent et futur
eschatologique >>.230 D'où, la profanation des tombes
à Mindoubé dans le 5e arrondissement de Libreville,
s'explique aussi bien lors des élections politiques au Gabon que dans
une << crise politique économique en tant que crise morale
>>231. Aussi partageons-nous le point de vue de J-L GROOTAERS
quant à <<l'importance de préserver la mémoire
collective, menacée par la crise économique et morale qui affecte
l'attitude que l'on a envers les morts >>.232
À Mindoubé233, c'est un
véritable recyclage de tout qui est produit ; on profane pour
récupère les stèles, les croix, les gerbes de fleurs,
parfois les cercueils pour être revendus. Les morts eux-mêmes
subissent le même sort, quand se ne sont pas les parties génitales
ou les organes vitaux ; ce sont les crânes qui sont collectés sous
le vocable d'« or blanc >> ou de << pièces
détachées >> et vendus aux politiques sur le
230 J-L GROOTAERS, « Mort et maladie au Zaïre
», p.39 in Cahiers africains, Paris, l'Harmattan, Année
90, volume 8, n°31-32, 1998, 172 p.
231 Ibid., p.39.
232Ibid., p.40.
233 Toutes les informations que nous communiquons dans ce
Mémoire de DEA ont été produites lors de notre
enquête de terrain depuis l'année de Licence à celle de
Maîtrise ; tout comme les photos du site, aussi bien les photos de mars
2007 que celles du 2 novembre 2009.
marche économique et fétichiste. Il en est de
même pour leurs habits et autres objets de valeur et "énergies
vitales".
La photo n° 16 : Cc Ce qui reste de la
décharge »
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009
Cette photo vient illustrer la particularité de
Mindoubé : ici c'est la décharge.
On aperçoit des résidus de détritus qui
étaient recyclés par les populations de Mindoubé. On
constate qu'aujourd'hui la décharge est devenue une bananeraie.
La photo n° 17 : Cc Le logement du
gardien »
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009
En face de la décharge, il y a le cimetière qui
est abandonné à lui-même. Le
réfection. Le gardien que nous avions rencontré
en mars 2007 nous avait confié que si il habitait sur place, il n'y
aurait pas trop de profanations.
Énoncé n°35 :
- << La mairie ne fait pas cas de ma demande de
logement sur le site alors qu'il faut que je sois dans de bonnes conditions
pour mieux faire mon travail. C'est pourquoi je viens ici à 8heures pour
rentrer chez moi vers 16heures. Ici c'est dans l'obscurité totale alors
comme je suis seul, je rentre tôt. Les clandos finissent tôt, 18
heures par là »234. C'est encore là la
preuve qu'il y a vraiment une volonté manifeste de la part des pouvoirs
publics de ne pas sécuriser le site. Ce qui nous conforte dans notre
idée comme quoi la mort alimente le pouvoir politique au Gabon.
Plus important encore, c'est que selon le pasteur Raymond
AKITA, il existe différentes techniques de profanations ; des
incantations sur les tombes235 à la technique des tuyaux en
p.v.c (PolyVinylChlory). Cela montre l'ingéniosité et la
créativité des profanateurs des tombes pour atteindre leurs
objectifs. Notons qu'ils opèrent très tard la nuit munis de
lampes tempêtes et torches, de marteaux, de burins aux dires des
populations riveraines.
Énoncé n°36 :
- << On est habitué, c'est monnaie courante
d'écouter des grosses cylindrées qui garent, puis s'en vont. Le
lendemain, nous ne pouvons que constater les dégâts et nous sommes
impuissants face à ça. Je constate que c'est un quartier
misérable, les gens vivent à cause de la poubelle. Tu es
là, tu écoutes, tu vois, tu appelles la police, elle te promet de
passer jusqu'à maintenant cela dure depuis près de 10 ans. On est
dans l'insécurité, pas de lumière publique, le gardien ne
vient que de jour jusqu'à 16 h. Il y a longtemps que nous, habitants du
coin, on n'enterre plus nos proches ici. On préf'ere repartir chez nous,
à l'intérieur du pays enterrer nos proches parce qu'on a peur
qu'ils finissent comme des trophées de foot chez les personnes
politiques ou chez les Nganga. Ce qui fait qu'on a peur, on est obligé
d'être vigilant vis-à-vis
234 Propos de monsieur Jean-Noël, le gardien du
cimetière de Mindoubé. Propos recueillis en mars 2007.
235 Une technique très répandue au
Congo-Brazzaville et qui, selon un informateur de ce pays, marche très
bien et que les congolais connaissent sous le nom de «
Moudjoulamvombi ».
des autres ; on ne sait pas qui est qui
».236 Revenons aux techniques de profanations telles que
nous les rapportent le pasteur AKITA de la mission protestante de Baraka de
Libreville.
Énoncé n°37 :
- « Il y a des techniques de profanations comme la
technique du tuyau p.v.c. Qu'est-ce qu'ils font ? Vous voyez les tuyaux de
p.v.c, les gros tuyaux, ils cognent, cognent, cognent, ça rentre. Si le
cercueil était en bois, ils savent que cela n'a pas été
monté ; donc le bois va pourrir. C'est donc prendre les parties car
quand quelqu'un meurt ya l'eau qui ruisselle et c'est la preuve que des
pratiques occultes des profanations des tombes sont synonymes des profanations
des corps morts. Parce que profaner une tombe c'est une chose. Mais profaner
les corps des morts s'en est une autre chose. Déjà il faut
souligner que dans tous les cimetières du monde entier, après 1m
50 ce sont les tanières de rats ; parce que les rats bouffent le formol,
c'est leur meilleur aliment. Donc les rats bouffent d'abord le bois et
après le formol sur le cadavre. C'est pour cela qu'il existe des
cercueils en fer pour les empêcher de bouffer. Avec la méthode
d'incantation, ils placent les mains sur la tombe et ils se mettent à
faire une grande concentration spirituelle et ésotérique qui leur
permet de rentrer en contact avec certains corps spirituels de ceux qui sont
partis. Autre technique, c'est complètement ouvrir la tombe et puis
prendre les parties. Autre technique encore, c'est celle qui marche mieux
aujourd'hui, c'est que dans les cimetières, et je suis contre ça,
quelqu'un est enterré en bas ; on fait le reste en caveau
extérieur et on fait rentrer le cercueil comme une bière. Et
quand vous regardez ces enterrements, on met toujours des briques de 10 et non
les 15 ou de 20. On ne veut pas arranger. C'est facile à pousser avec le
pied, on tire la nuit on ouvre la bière, on prend les parties on ferme.
On refait le crépissage, personne ne viendra jamais regarder. Et
ça c'est ce qui passe bien à la une ces derniers temps avec les
grands initiés. On enterre dehors et ils viennent la nuit prendre les
parties ».237
236 Propos d'un ancien du quartier de Mindoubé, habitant
tout juste à proximité du cimeti4re , il a 57 ans, marié
et retraité, protestant, fang d'Oyem. Il nous a demandé
l'anonymat.
237 Propos du pasteur Raymond AKITA.
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009
Nous parlons de technique dite « classique >>
parce que c'est la plus utilisée par les profanateurs entre octobre 2006
et mars 2007. En fait, lors de nos précédents passages, nous
avons pu recenser plus de quarante tombes qui présentaient ce type de
cassure. C'est la preuve que le matériel utilisé est lourd pour
casser la tombe de cette manière. Mais ce n'est que l'une des techniques
qu'ils utilisent. Il existe aussi la technique du tuyau de p.v.c que nous
présentons dans les photos suivantes.
Photo n°19 « La
technique du p.v.c >>
La photo n° 18 : « La technique
classique »
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009
Cette tombe témoigne bien des différentes
techniques dont le pasteur AKITA nous a parlé, telle celle des tuyaux en
p.v.c. Le constat qui se dégage de l'observation des tombes nous permet
de dire qu'à Mindoubé, deux groupes de profanateurs
opèrent. Il y a ceux qui cassent les tombes par-dessus pour faire sortir
le cercueil et ceux qui utilisent les tuyaux p.v.c, certainement pour limiter
les dégâts. Mais le but reste le même : prélever les
organes, en tête desquelles, le crâne, les fémurs, etc. tout
comme les vêtements, qui finissent étalés dans les
prêts-à-porter de Libreville.
La photo n°20 : « Ce qui reste
d'un corps profané »
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, 2 novembre 2009
Elle illustre bien le type de stratégies
adoptées par les mandataires à l'orée des élections
politiques. En effet, la photo montre bien que la tombe présente a
été vidée de son contenu. Il ne reste plus qu'un
vêtement détérioré et le crane fracassé. De
plus, il ne reste plus que la mâchoire inférieure. Il y a lieu de
préciser qu'à Mindoubé, s'est tissé un vaste
réseau de vente des restes humains, mais aussi, les vestes et autres
habits des morts, les gerbes de fleurs sont re-introduits
dans le marché économique238. C'est donc le recyclage
de << la mort >>.
Par ailleurs et selon les chercheurs du laboratoire <<
la Ferme des corps >> du département d'Anthropologie de
l'Université du Tennessee. Cette photo atteste que l'autolyse,
c'est-à-dire la destruction des tissus par ses propres enzymes, a
conduit d'abord à la décoloration du corps et à la
production de gaz toxiques tels l'azote, le dioxyde de carbone, l'ammoniac,
l'acide sulfurique. En outre, le processus de décomposition a
été bien effectué, ce qui fait qu'il ne reste que des os.
Car après tout, il est écrit << tu es né
poussière et tu retourneras poussière >>. C'est l'occasion
ici de dire, selon monsieur M.D que :
Énoncé n°38 :
- << Ces os sont parfaits pour travailler avec, en
les grattant pour en faire des poudres magiques que les grands hommes de ton
pays utilisent pour se protéger. Car en politique, les ennemis sont
visibles et invisibles. Donc il faut être fort et si tu veux, bien
blindé. Quand à l'époque je travaillais pour mon patron,
ses ngangas lui demandaient toujours d'aller récupérer les os
bien séchés car cela leur permettait de bien les gratter et
ensuite de les mélanger avec d'autres décoctions à base de
feuilles et d'huiles dont eux-mêmes ont les secrets. Alors j'avais pour
mission principale de faire des tours la journée dans les
différents cimetières ici à Libreville ou parfois à
l'intérieur pour regarder les tombes qu'il fallait profaner. Et le soir,
avec mon équipe, j'opérais. Je te le répète, mon
parton me disais toujours qu'il fallait qu'il se protege des attaques mystiques
de ses ennemis car la politique, c'est un monde sale et très
dangereux >>239.
238 A ce propos, nous avons recueilli sur le terrain des
informations selon lesquelles les vestes des défunts se retrouvent
à Akébé dans un prêt à porté. En
février 2007 au pressing de Mbolo, le gérant a été
enfermé à la D.G.R pour avoir possédé et vendu une
veste qui appartenait à un monsieur décédé depuis
septembre 2006 selon la veuve que nous avons pu rencontré à
Mindoubé en novembre 2007.
239 Ce sont les propos de monsieur M.D, ex- profanateur converti
à la pêche ; quand nous lui avons montré cette photo pour
recueillir son sentiment sur son ancien métier.
La photo n°21 : « La veste rouge
»
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
Cette image montre les dégâts commis par les
profanateurs des tombes à Mindoubé. Juste en premier plan,
à droite, se trouve le crâne du défunt sur lequel une
partie seulement a été récupérée. Sur la
gauche, il y a les restes de la mâchoire et enfin, notons qu'il ne reste
que la veste du défunt. Le corps et le reste des vêtements ont
été emportés par les profanateurs. Les vêtements
récupérés peuvent être revendus sur le marché
économique comme nous l'a confirmé un interlocuteur, devenu
méfiant quant aux vêtements qu'il achète au marché
de Mont-Bouët, de la Peyrie ou dans les prêts-à-porter
d'Akébé.
Photo n°22: « Autre manière
de profaner »
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
La tombe que l'on voit présentement est vide de son
contenu, information que nous avons recueillie au cours d'un entretien avec les
membres de sa famille lors de notre passage le 1er novembre 2007. Ne
sachant pas à quel saint se vouer, il nous a été
clairement dit par l'aîné du défunt qu'il n'espère
pas en la justice du pays, puisque ceux qui ont la responsabilité de
faire justice, sont eux-mêmes les auteurs de ces actes.
Énoncé n°39 :
- « Nous attendons les vacances pour taper le diable
au village et tant pis pour ceux qui ont fait ça et j'espère
qu'ils iront brIller en enfer, car de tels individus sans moralité ne
doivent pas aller au Ciel ».240 Il importe de dire que
tous nos enquêtés tiennent le même discours, en ce qui
concerne les profanations des tombes et les commanditaires à savoir que
ce sont les hommes politiques. À cet effet, nous avons retenu les
discours de monsieur MBADINGA, de Guy-Joseph MBOUMBA, pour mieux rendre compte
du phénomène que nous étudions.
240 Propos de monsieur Jean-Claude, victime des profanations
à Mindoubé le 10 octobre 2006.
Photo n°23 : « La tombe vide
»
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY,
cimetière de Mindoubé, mars 2007
L'entretien que nous avons eu avec le fils aîné
de la défunte nous a permis de nous rendre compte de l'ampleur des
profanations des tombes mais aussi de l'usage politico-criminel de « l'or
» en périodes électorales. La tombe que nous voyons cidessus
est vide de son contenu ; le corps de la dame qui a été
enterrée a été dérobé par les profanateurs.
Le fils de la défunte a entrepris des démarches auprès de
la Mairie et de la police judiciaire et a porté plainte contre X mais
sans succès. Ayant constaté que la tombe a été
visitée en octobre 2006 la première fois, puis en novembre 2007,
il a décidé en conseil de famille de refermer cette tombe d'une
part ; en témoigne la marque blanche qu'on observe, c'est du ciment
blanc. D'autre part, d'aller au village pour châtier les coupables
à la traditionnelle c'est-à-dire :
Énoncé n°40:
- « J'attends les vacances puisque la famille m'a
chargé d'aller à Fougamou pour frapper le diable. Dans ces
conditions, on n'est jamais mieux servi que par soi-même car la justice
c'est pour ceux qui gouvernent ».241
Le fétichisme se développe sur la base de la
faiblesse de la justice, car elle n'arrive pas à punir les coupables.
C'est un problème de justice, les gens recourent, par désespoir,
aux génies dans un contexte de déstructuration sociale. Il faut
une puissance pour rendre justice à la place du "Blanc". On «
frappe le diable pour punir ceux qui ont volé les crânes. Les
expressions « frapper le diable », ou « fermer le
mwiri » sont courantes au Gabon et à Libreville par exemple
lorsque des actes de fétichisme sont constatés et que
l'État ne peut pas réagir. Le mwiri242 est
convoqué parce qu'étant considéré comme une
façon de réduire les tensions et de demander aux génies
d'intervenir; quand les moyens rationnels et judiciaires échouent ou ne
fonctionnement pas.
Figure n°2 : Histogramme des tombes
profanées à Mindoubé de 2004 à 2009
Années (xi)
2004
2006
2007
2008
2009
Total
241 Propos de monsieur Guy-Joseph MBOUMBA, Gisir, qui, pour la
circonstance, a bien voulu nous donner son identité et profiter de notre
canal pour exprimer son mécontentement par rapport aux profanations des
tombes. Cet entretien s'est déroulé à 13 heures à 0
doub OKImars IM07 IIrs de notre 2ème passage.
242,Il s'agitRI'uQ- soIléyiinitiatique masculiQ-
IQet secrAte dEKpHCOMu Sud du01 abIVuLVMW
Effectifs (ni)
20
46
32
9
40
147
Comme on peut le constater, les chiffres que nous donnons dans
ce tableau, proviennent de notre propre comptage des tombes profanées
sur le terrain. Excepté les 20 tombes profanées en 2004 dont nous
avons reçu les chiffres par M. Toussaint ELLANGMANE, à cette
époque243, ancien conseiller du Directeur
général des services techniques de l'hôtel de ville de
Libreville. Aussi, nous pouvons émettre quelques points de vue ; par
exemple, en 2006, date des élections législatives de
décembre, on peut supposer qu'il s'agissait du renouvellement de la
classe politique des députés. Il en est de même pour 2007,
qui a vu les partielles et enfin, l'élection présidentielle de
2009 illustre donc la détermination pour les politiques de remporter
l'échéance électorale à tout prix.
Ce qui nous permet de donner la représentation sociale
de la fonction d'homme politique au Gabon à travers nos
interlocuteurs.
Énoncé n°41:
-« Ce sont les hommes politiques qui passent la
plupart de leur temps à féticher et à casser les tombes de
nos disparus, au lieu de s'occuper de faire leurs campagnes. S'ils le font
c'est parce qu'ils savent qu'on ne va plus les voter, ce sont des criminels,
des assassins, des menteurs, des gens sans aucun respect des morts. On
espère qu'ils ne vont jamais mourir et quand ils vont mourir, ils vont
être enterrés dans les nuages et non pas à Mindoubé,
car ce qu'ils font c'est cruel ; déranger des morts et s'attaquer
à ceux qui ne peuvent plus se défendre
».244
Énoncé n°42:
-« Je te dis que ce sont les hommes politiques. Moi
je travaillais pour un grand dignitaire du régime de BONGO. Il y a aussi
les ngangas, il ya même des pasteurs qui font ce genre de chose pour
seulement être nommés, pour avoir de l'argent, les clients, les
fideles, pour être de grands types et pour avoir le pouvoir. Même
moi, mon patron a voulu que je rentre dans la loge mais j'ai dis non. Et il
n'était pas content que je refuse. Aujourd'hui j'ai
243 Séance de travail du 30 mars 2007 à la D.G.S.T
sise dans les locaux de la Mairie de Libreville.
244 Extrait du point de vue général des familles
victimes des profanations à Mindoubé le 1er novembre
2007.
laissé tout çà, je fume mon gros
tabac, je bois ma biére, je m'occupe de ma pêche qui marche bien
et je prie quand même. Car j'ai fais du mal. La nuit je ne dors plus, je
vois des gens filchés dans un cimetière qui viennent me taper et
me couper la tête et jouent avec. Alors pour dormir, je fume beaucoup le
gros tabac et je prie un peu »245.
Énoncé n°43:
- « À mon avis, il n'y a que les gens qui
veulent le pouvoir, c'est-à-dire les politiciens du pays car il n'y a
qu'eux que pour faire çà, sans compter qu'on leur demande
çà dans leurs sectes et les loges pour rester au pouvoir
»246.
Énoncé n°44:
- « Les politiciens sont ceux qui font cela. Car
à chaque fois que j'ai appelé la hiérarchie pour venir
constater les déglits ici, elle ma toujours dit que ce n'était
pas mon travail, et que je devais juste garder, m'occuper d'ouvrir le
cimetiére le matin et le refermer le soir, c'est tout ce que j'ai
à faire. Le reste c'est pas mon problème. Alors je reste
tranquille dans mon coin »247.
Énoncé n°45:
- « Pour moi, il ne faut pas chercher loin. Vois
toi-même mon petit, ce sont les hommes politiques qui font ces choses
abominables et je crois qu'ils n'ont pas peur de Dieu. Et celui qui a peur de
Dieu ne peut pas faire çà tu comprends ? Il faut prier car notre
pays est en danger, le pouvoir tue ses concitoyens vivants et aussi les morts,
si je peux dire çà ainsi »248.
Énoncé n°46:
- « Pour moi, il n'ya plus aucun doute, ce sont ceux
là qui sont les grands hommes du pays qui font çà car
là où nous vivons, nous voyons pleins de choses, les grosses
voitures vitres fumées et noires qui font trop de tours ici la
journée et la nuit, tu vois du mouvement dans le cimetière et le
lendemain, le pauvre gardien ne peut que constater les déglits.
C'est
245 Propos de monsieur M.D, 43 ans, gabonais et se dit
« ex profanateur a~. L'entretien a été réalisé
à 22 heures au quartier Ambow~ de Libreville le 17 mai 2008, lors d'une
cérémonie de jumeaux.
246 Propos d'une dame de 32 ans, gabonaise, ethnie Lumbu,
catholique et agent commercial. La tombe de son parent a été
profanée à Mindoubé. L'entretien a été
réalisé le 1er novembre 2007 en matinée
à Mindoubé.
247 Propos de monsieur Jean-Noël, le gardien du
cimetière de Mindoubé.
248 Propos d'un monsieur de 56 ans, retraité,
Nzébi de Koulamoutou, Il prie à l'Alliance chrétienne du
Gabon. Nous l'avions interviewé le 1er novembre 2007 à
Mindoubé alors qu'il était entrain de refaire la tombe de son
parent qui a été profané.
toujours quand on fait les élections que tu vois ce
phénoméne. C'est tout simplement triste et désolant
».249
Énoncé n°47:
-« Oh toi aussi, comment peux-tu me demander qui fait
ce genre de choses ? Ce sont vos fameux hommes politiques qui font des choses
pareilles. Pour moi, ce sont des vampireux mais ils oublient que qu'il y a Dieu
et Lui seul sait. D'ailleurs, cela ne sert à rien de porter plainte pour
çà, ce sont les mêmes gens là de la Sablière
qui font çà et tu vois que l'on ne va pas te suivre ou t'aider.
Alors en tant que chrétien, on remet tout entre les mains de Dieu. Lui
seul connaît »250.
Énoncé n°48:
-« C'est clair pour moi, ce sont les hommes
politiques et tous les charlatans du pays qui font tout ce désordre
spirituel. Ce sont des démons. Ils le font pour le pouvoir, la richesse,
ils veulent la gloire ici bas sans savoir qu'ils pactisent tous avec le Diable
et je crois qu'ils savent où ils iront après leurs morts. Chacun
fait ce qui veut dans ce pays au point que l'immoral est devenu
tolérable et on ne peut pas dire qu'on est dans un État de droit,
plutôt un État de force et de sorciers. Quelle tristesse et sache
que l'argent c'est le Diable incarné, ce qu'il te donne ne dure jamais
et t'es obligé de refaire l'immoral pour avoir encore. Il faut prier
»251.
En somme, il s'agit d'une vision négative et
sorcellaire des hommes politiques au Gabon et confirme les analyses de
BALANDIER sur la représentation sociale du pouvoir politique, en ce sens
que « le pouvoir sépare, isole, enferme ; c'est bien connu.
Surtout, il change celui qui y accède ».252 De
même, WEBER nous rappelle métaphoriquement que « celui qui,
en général, veut faire de la politique et surtout celui qui veut
en faire sa vocation doit prendre conscience de ces paradoxes
éthiques
249 Propos d'une habitante à proximité du
cimeti4re depuis 15 ans. Elle a 40 ans, gabonaise d'ethnie Fang. Elle est
technicienne de surface. L'entretien s'est réalisé chez elle le
1er novembre 2007 à 16 heures. Elle prie chez les
pentecôtistes.
250 Propos de madame M.T, catholique, Punu-Fang,
gabonaise de 37 ans. Elle est secrétaire comptable. L'entretien a
été réalisé le 1er novembre 2007 et la
tombe de son défunt grand-frère a été
profanée.
251 Propos d'un monsieur de 46ans, chrétien
pentecôtiste depuis 7 ans. Il est Fang. Il est un ancien personnel
navigant commercial de l'ancienne compagnie Air Gabon. Enfin, nous l'avons
rencontré le 1er novembre 2007 à Mindoubé et la
tombe d'un de ses parents a été profanée.
252
Georges BALANDIER, Le pouvoir sur scènes, Paris,
Balland, 1992, pp.30-31.
et de la responsabilité de ce qu'il peut lui-même
devenir sous leur pression. Je le répète, il se compromet avec
des puissances diaboliques qui sont aux aguets dans toute violence
».253
2. La banalisation de la mort en postcolonie
gabonaise
Il faut d'abord rappeler que « banaliser >>
désigne l'action qui consiste à dépouiller de son
originalité ou de son caractère exceptionnel quelque chose. De
là, la banalisation est synonyme de désacralisation. En effet, ce
sous-chapitre a pour objet de montrer qu'en postcolonie gabonaise actuelle, ce
qui passait pour quelque chose de sacré, dont on parlait avec le plus
grand respect ; voire un tabou : la mort, a été banalisée,
désacralisée.
2.1. La mort a-t-elle encore un sens aujourd'hui à
Libreville ?
Des mécanismes symboliques ont été mis en
place pour arriver à produire de tels résultats : les mutilations
des corps ou profanations des cadavres, les profanations des tombes.
DURKHEIM nous apprend que << le mort fait partie du
sacré, tout ce qui est ou a été en rapport avec lui se
trouve par contagion, dans un état religieux, exclut tout contact avec
les choses de la vie profane ».254 Il nous permet de voir toute
la complexité d'un phénomène plus social que biologique et
qui conduit l'homme à s'interroger sur sa nature même ; parce
qu'étant un fait social total. De même, si avec cet auteur, la
sacralité de la mort est mise en relief, la société
gabonaise, à un moment donné de son évolution vers le
<< modernisme », privilégiait ces valeurs de respect et de
sacralité accordées à la mort. Aussi, devant le passage
d'un corps (pendant la période précoloniale et pour quoi pas
coloniale), les Gabonais s'inclinaient chacun à sa manière en
signe de respect.
Aujourd'hui le Gabon présente un tout autre visage ; si
bien que le passage d'un corbillard dans les rues de Libreville, a perdu son
sens. Les Librevillois ne témoignent plus leur respect devant celui ou
celle qui vient de les précéder.
Certainement que les decouvertes macabres des corps «
depieces » ; mutiles deviennent leurs lots quotidiens. D'autant plus que
« le nombre de victimes des crimes rituels pour ce début
d'année 2008 ne cesse de croître à Libreville. Après
la découverte du corps mutilé d'une jeune lycéenne,
avant-hier , à la plage qui jouxte le siège du Conseil economique
et social (C.E.S) , le tour est revenu, hier, à un homme d'une trentaine
d'années, d'être retrouvé mort à proximité du
stade Omnisports Omar Bongo. De ce fait, la victime portait des signes de
mutilation. Il lui a ete preleve la langue et d'autres organes. Cette
découverte macabre a provoqué une véritable onde de choc
dans le quartier et même au-delà ».255
Ce qui vient conforter notre point de vue concernant la
banalisation de la mort aujourd'hui c'est que, selon le même journal,
« dès l'annonce de cette decouverte macabre, de nombreux riverains
ont deferle sur les lieux pour contempler le spectacle désolant
qu'offrait le corps gisant dans une mare de sang ».256
Cet article de presse met en evidence les effets du
«Souverain moderne ». Cet etat de fait plonge Libreville
dans une violence, qui n'est plus symbolique, mais bien physique. Au fond, nous
soutenons le point de vue de Joseph TONDA selon lequel, « absurdement
anachronique, le cannibalisme est revenu au galop dans notre societe. Il ne se
passe pas un seul jour où l'on ne signale la découverte de corps
d'hommes ou de femmes delestes de leurs organes genitaux. Non plus, il ne se
passe pas un seul jour où l'on arrête d'étranges voyageurs
avec des glacières remplies de restes d'humains soigneusement
dépiécés (<) Et jamais peut-être en aucun temps
comme le nôtre, la consommation de la chair humaine n'a été
si vive et si ouverte (<) Nos ancêtres avaient des methodes plus
discrètes, liees plus à la protection du clan qu'à la
promotion individuelle (<) Aujourd'hui c'est régulièrement que
l'on mange son semblable, et les consommateurs sont de tous âges. La
course aux nominations et la regeneration des cellules vitales expliquent la
voie sans issue oil tous sont engages (<) Toutes ces personnes n'ont pas le
sommeil tranquille, malgré la fortune acquise
pas l'effraction et l'éternelle jouvence. Satan, leur
maître, sur ce point, ne leur assure rien >>.257
2.2. Le sens ou les effets de cette
banalisation
Face à la banalisation de la mort, mais surtout, de la
description des rapports sociaux et de la production des corps et des
imaginaires en postcolonie gabonaise, << il découle que, parce que
le Souverain moderne produit, à notre sens, une forme de connaissance ou
d'imagination de la valeur des corps et des choses qui travestit les liens
sociaux intimes, il est producteur de rapports de connaissance et de pouvoir
constitutifs de rapports sociaux dont le principe est l'aveuglement et le
travestissement >>.258
Dans cette prédation, ce cannibalisme du corps humain
voire du corps social, Pierre LEMONNIER nous révèle que <<
l'esprit mauvais cannibale (mauvais pour ceux qu'il attaque) dévore les
vivants ou les morts, soit de l'intérieur, soit après avoir
découpé et emporté leur chair ou leurs organes lors des
festins collectifs >>.259 Pour sa part, Filip de
BOECK260 pense que << dans le processus de cette production
croissante de violence, les corps sont progressivement devenus des
entités à perturber et démembrer >>261 et
<< la logique du démembrement corporel est également
présente au niveau de l'imaginaire collectif >>.262
Autrement dit, << à travers une attaque contre le
corps humain par la violence, la mutilation, la torture, la sorcellerie, le
cannibalisme et l'inceste, il ya démembrement de ce corps individuel
mais social. Cela provoque un traumatisme révélé dans
l'incapacité d'oublier ce démembrement ou, autrement dit, de
re-
257 Joseph TONDA, Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir
en Afrique centrale (Congo/Gabon), Paris, Karthala, 2005, (coll. «
Hommes et sociétés »), pp.19-20 ; citant le Nganga,
55, 21 février 2003, p.2.
258 Ibid., p.14.
259 Pierre LEMONNIER, « Maladie, cannibalisme et
sorcellerie chez les Anga de Papouasie, Nouvelle-Guinée »
p.398 in Maurice GODELIER et Michel PANOFF, Le corps humain.
Conçu, supplicié, possédé, cannibalisé,
Paris, Éditions CNRS, 2009, 546 p.
260 Filip DE BOECK, « Au-delà du tombeau :
histoire, mémoire et mort dans le Congo/Zaïre postcolonial »,
pp.129-169 in Cahiers africains, Paris, l'Harmattan, volume 8,
1998, n°31-32, 172 p.
261 Ibid., p.160.
262 Ibid., p.160.
membrer (to re-membrer) ce qui fut déconnecté
(<), cela veut dire la destruction d'un habitus, d'une identité
sociale profondément incarnée >>.263
En un mot, << le démembrement transforme les
vivants en morts vivants, tandis que les morts, par leur désincarnation,
semblent de plus en plus étendre leur présence dans le domaine
des vivants >>.264
Pour tout dire, la banalisation de la mort aujourd'hui au
Gabon, produite par les cadavres en exposition et en décomposition dans
les rues et sur les plages de Libreville, laisse sans réactions les
autorités compétentes d'un côté et les populations
de l'autre côté qui subissent au quotidien ces violences
symboliques et physiques.
Surtout lorsqu'il s'agit de corps de femmes ou d'hommes
dépossédés de leurs organes génitaux et autres,
voire désossés. Ce type de constat qui s'impose à nous
avec force et récurrence, nous laisse déduire qu'« une
autorité qui dévore la vie est une autorité productrice de
morts, ou, ce qui revient au même, de morts-vivants, c'est-à-dire
des zombies, des vampires, au sens où l'imagination populaire donne
à ce mot au Gabon, à savoir les sorciers. Les "cités
africaines" sont, dans cette perspective, des cités de "vampires"
>>265 où prospère le commerce illégal et
occulte de << l'or blanc >>.
263Filip DE BOECK, « Au-delà du
tombeau : histoire, mémoire et mort dans le Congo/Zaïre
postcolonial », pp.162-163.
264 Ibid., p.163.
265 Joseph TONDA, op.cit., p. 10.
|