Chapitre IV : La modernité
insécurisée
Nous apprehendons la modernite comme le desenchantement du
monde et donc, de la promotion de l'ère de la rationalité et de
la rationalisation de tous les domaines de l'organisation sociale. Cependant,
l'observation de la formation sociale gabonaise postcoloniale sous l'ère
du souverain moderne révèle que nous faisons face à une
« modernite insecurisee »266 ; c'est-à-dire, une
« modernite associant dans ses fureurs les schèmes de la
destruction, de la collection et du cumul des corps et des choses dans les
domaines politique, economique, religieux, familial ».267
Aussi, nous voulons nous interesser au religieux qui, au lieu
de desenchanter le Gabon postcolonial, l'enchante davantage par la
création incessante d'images de guerre contre les demons ; contre les
inconvertis consideres comme des sorciers responsables des malheurs familiaux ;
tout en diabolisant ce qui n'est pas de l'ordre du christianisme et donc
replongerait dans l'obscurantisme. Toutefois, pour MBEMBE, « le projet de
modernite reposerait, entre autres, sur la possibilite de réalisation du
progrès et sur l'espoir d'une victoire definitive de la raison sur
toutes les formes d'obscurantisme ».268
266 L'expression est de Pierre-Joseph LAURENT, Les
pentecôtistes du Burkina Faso. Mariage, pouvoir et guérison,
Paris, Karthala, 2003, cité par Joseph TONDA in Le Souverain
moderne. Le corps du pouvoir en Afrique Centrale (Congo/Gabon), 2005,
(coll. « Hommes et sociétés »), p.15.
267 Joseph TONDA, op.cit., p.15.
268 Achille MBEMBE, De la postcolonie. Essai sur
l'imagination politique dans l'Afrique contemporaine, Paris, Karthala,
(coll. « Les Afriques »), 2000, p.27.
Section 1 : Agression << sans retenue >>
de l'espace médiatique à Libreville
Cette section met un accent particulier sur le rôle et
la prédominance des Églises pentecôtistes et charismatiques
dites de « réveil >> au Gabon. Ces Églises sont donc
présentent au Gabon sur l'espace médiatique en proposant des
séminaires de délivrances, des veillées de prières
pour les malades mais aussi pour le Gabon, afin qu'il soit béni par
Dieu.
1. Le matraquage médiatique religieux
Pour mieux vendre leurs images auprès des populations,
toutes ces Églises pentecôtistes et charismatiques dites de «
réveil >> optent aujourd'hui pour la publicité. Elles
deviennent des entreprises commerciales qui vendent leurs produits, ce qui a
pour effet la concurrence. Et c'est l'Église qui aura fait plus de
publicité, qui se fera plus présente qui tirera son
épingle du jeu. D'où le « marketing religieux >> et l'
« instrumentalisation des médias privés >>.
1.1. Le << marketing >> religieux
De plus en plus, les quartiers de Libreville se dotent
d'Églises dites de « réveil >> qui se créent
rapidement. On peut citer par exemple qu'au quartier Kinguélé,
l'Église universelle du royaume de Dieu « Arrêtez de souffrir
>> ; la même Église au quartier Glass, ou de l'Église
Shékina au quartier Derrière l'hôpital ; etc., attestent le
fait que dans ce marché religieux, la promotion de séminaires de
guérisons et de délivrances programmées des «
possédés de Satan >> est une réalité. De
même, certaines chaînes de radio et de télévision
privées telles R.T.N269 au château d'eau de Sotega ou
de la radio Sainte Marie, ne vont pas de main morte dans ce matraquage
médiatique ; qui n'est qu'une autre forme de violence symbolique et
physique.
Les affiches religieuses déployées dans la ville
ne sont pas en reste : ainsi pouvons-nous lire sur certaines d'entre elles des
messages tels « la nuit du couvre-
feu spirituel décrétée à Satan
» selon le révérend pasteur Max Alexandre NGOUA, pasteur
d'une Eglise de réveil de la place. Ou encore, des spots
télévisés qui font dans la programmation des miracles de
Dieu qui, pour le constat, interviennent généralement lors des
périodes de fin du mois. Quand on sait qu'au Gabon, les fonctionnaires
en général, sont payés chaque fin de mois,
c'est-à-dire, des périodes allant du 25 au 5 du mois suivant.
Un autre fait, toutes ces Eglises disposent d'un
matériel de sonorisation performant qui conduit à une production
sonore de haute fréquence excédant les 22 heures jusqu'au
lendemain. Par ailleurs, nous étions obligé de passer plus de 8
heures dans une Eglise éveillée de la place pour assister au
culte de 19 h jusqu'à 21 h car étant l'une des conditions sine
qua none, dans l'espoir de pouvoir rencontrer le pasteur de ladite Eglise pour
notre travail. Nous nous sommes rendus compte que les prédications sont
plus orientées vers la traque de l'esprit du malin ; qu'à Dieu,
à la diabolisation des membres inconvertis de la famille270
et des us et coutumes. Comme nous l'avions dit plutôt, la conversion
(parfois immédiate pour la rédemption) demeure le leitmotive des
prédications dans ces églises.
1.2. L'instrumentalisation des médias
privés
Cette instrumentalisation des médias privés se
traduit par des consultations et prières en « directe » sur la
R.T.N271 ou sur la TV+272 où tous les dimanches
à 17 heures, l'animateur Joe Francis reçoit
régulièrement un pasteur (la plupart du temps c'est le Dr Louis
Francis MBADINGA, pasteur de l'Eglise Shékina de Derrière
l'hôpital) pour présenter « les guérisons miraculeuses
» à la suite des séminaires bibliques. A ce propos, «
il est par exemple banal, dans une Eglise pentecôtiste de Libreville
disposant de tranches horaires d'émission dans une radio locale,
270 A ce sujet, dans ladite Eglise du Bishop Sylvain EDZANG
située au carrefour Kanté au quartier Ozangué, le jeudi
est souvent consacré à ces délivrances et guérisons
miraculeuses. Pour cela, il est fortement recommandé de venir avec un
témoin, particulièrement un membre de la famille.
271 Notons que le révérend Georges Bruno NGOUSSI
anime une émission télévisée lui-même tous
les jeudis en soirée aux alentours de 21 heures. Emission
dénommée « Allo pasteur », (nous rappelant une vielle
émission de santé « Allo docteur » animée par le
Dr André Christ NGUEMBET, actuel ministre de la république qui
passait sur la RTG 1 dans les années 1980-1990) où le pasteur
répond à toutes les questions des téléspectateurs
en direct en proposant, prières, conseils bibliques, méditations
des versets selon les cas exposés.
272 Il s'agit d'un autre média privé.
d'entendre des "témoignages" de femmes qui accusent
publiquement leur père d'être soit leur "mari de nuit" ; se
glissant "diaboliquement" dans le lit conjugal, soit d'être des sorciers
responsables de leur chômage, stérilité ou célibat.
Banal aussi d'écouter des "soeurs et frères en christ" qui, une
fois "convertis", rejettent enfants, maris ou femmes sous prétexte que
les non-convertis qui sont dans le "monde" sont des gens de Satan, donc des
sorciers >>.273
Face au problème de << pollution sonore >>,
une rencontre avait été initiée entre les autorités
municipales en mai 2009 et les responsables de ces Églises, afin de
trouver une solution devant la récurrence de ce phénomène.
Car même si le Gabon, dans sa constitution, demeure un État
laïc et où la liberté d'association est proclamée, on
se demande pourquoi y a-t-il ce matraquage médiatique de la part de
certaines communautés religieuses, notamment sur la question relative
à la conversion ?
À cette question par exemple, Achille MBEMBE nous
propose un début de réponse en affirmant que << l'acte de
conversion participe aussi à la déconstruction des mondes.
Convertir l'autre c'est l'inciter à abandonner ce en quoi il croyait.
Théoriquement, le passage d'une croyance à une autre devrait
entraîner la soumission du converti à l'institution et à
l'autorité en charge de proclamer la nouvelle croyance (<) Toute
conversion devrait donc entraîner, du moins en théorie, une
altération fondamentale des modes de penser et de se conduire de celui
qui prend sur lui d'y procéder. Dans cette perspective, l'on sous-entend
que l'acte de se convertir devrait aller de pair avec l'abandon des
repères familiers, que ceux-ci soient culturels ou symboliques. Il
s'agirait donc d'une mise à nu >>.274
En fait, le converti est << formaté >> et
est << à la merci >> des pasteurs de ces Églises
pentecôtistes et charismatiques dites de << réveil >>.
Il apparaît clair que la modernité insécurisée
s'apparenterait plus à la maintenance d'un enchantement de l'univers
symbolique gabonais, amorcé déjà lors de la colonisation
et de la mission
273 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, « Dynamiques de
l'invisible en Afrique », p.10 in Politique Africaine
n°79, 2000.
274 Achille MBEMBE, De la postcolonie. Essai sur
l'imagination politique en Afrique contemporaine, Paris, Karthala, (coll.
« Les Afriques »), 2000, p.212.
civilisatrice. C'est un enchantement lié aux anges, aux
démons en conflits sur terre et dont l'enjeu s'avèrerait
être le gabonais ; oscillant entre diabolisation, syncrétisme
religieux et confessions chez les prêtres le dimanche.
L'Église de ce fait, en tant qu'appareil
idéologie d'État, est en fait un pan de la face cachée de
l'iceberg du Souverain moderne au Gabon, travaillant pour l'assise de
l'hégémonie du pouvoir politique au Gabon. D'où, « la
modernité au nord ou au sud, est fort peu synonyme de
désenchantement du monde >>.275
2. Le mysticisme exacerbé
Par << mysticisme exacerbé >> nous
entendons la prédominance manifeste de l'ésotérisme, des
esprits de toute nature, cohabitant avec les hommes et qui influenceraient
voire dicteraient leur conduite. Au Gabon, le mysticisme a pris de l'ampleur
à tel point que toute explication apportée à un fait
social est d'abord d'ordre symbolique et spirituelle.
> La persistance de
l'ésotérisme
Le mysticisme exacerbé, dans cette modernité
insécurisée, est le résultat des rapports sociaux
mortifères entretenus et voulus au Gabon postcolonial. Tous les corps
sociaux (Églises, politiques, etc.) sont incriminés de maintenir
ce climat mystique, dans un pays où la fracture sociale est importante.
À tel point que c'est dans ce même pays que << dominants
dominés partagent en effet la croyance, très prégnante au
Gabon, que "la réussite sociale", qui signifie l'accès à
la consommation des marchandises, trouve son principe dans l'appartenance aux
"sectes", "magies" et fraternités qui imprègnent dans
l'imaginaire la vie quotidienne diurne et nocturne du "Bord de mer" et des
quartiers populaires >>.276
Au Gabon, le fait que l'on voit des personnes aisées
(professeurs d'universités voyager tout le temps quand d'autres ne
peuvent pas le faire, des fonctionnaires et des étudiants
organisés, des cadres d'entreprises, etc.) ne pas vivre dans la
misère
275 Florence BERNAULT et Joseph TONDA, « Dynamiques de
l'invisible en Afrique », p.5 in Politique Africaine
n°79, 2000.
276 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, op.cit.,
p.166.
comme la population en general, même quand ils habitent
dans des quartiers enclaves, le discours commun ou le Kongossa277 a
tendance à tirer des conclusions d'ordres mystiques (le plus souvent
sans preuve, parce que fonctionnant sur la base du « on m'a dit<, il
paraît que<, ») comme quoi ces personnes sont des
francsmaçons, des rosicruciens voire des homosexuels, etc. La
competence, les valeurs de travail, le gout de l'effort et de la
persévérance ont a priori été gommées pour
laisser la place à l'occultisme, mysticisme et au fétichisme.
Joseph TONDA poursuit son argumentaire en disant que «
les sectes visees sont la Franc-maçonnerie et la Rose-croix, mais
egalement les sectes locales. Même les Églises pentecôtistes
sont soupçonnees de se livrer à cette magie, notamment à
travers l'imposition des mains, censée rendre les gens idiots en pompant
leur "energie" ou leurs "etoiles" ("chance") ».278
Actuellement, le Gabon qui est plonge dans ce mysticisme exacerbe, est un Gabon
magifie, enchante, domine par les esprits (bons et mauvais) qui sont en
interaction avec les hommes, ceux qui sont en affaire avec eux. En effet, de
l'Église où l'on met l'accent sur le diable et ses demons qui
sèment la panique dans les familles ; les attaques des sorciers la nuit
qui « sortent en vampire » pour devorer leurs victimes ; aux «
fusils nocturnes » qui rythment le quotidien des gabonais ; à la
criminalisation des mandataires qui profanent les tombes dans les
cimetières de la capitale ; voilà le mysticisme exacerbe en
postcolonie gabonaise ; prise sous les rêts du Souverain moderne.
D'ailleurs dans cette perspective d'un mysticisme exacerbe et
des pratiques occultes, Comi TOULABOR affirme que « dans les postcolonies
africaines existent de petits groupes d'individus qui s'y adonnent dans les
cercles restreints des pouvoirs en place. Bien qu'ils cherchent à
camoufler soigneusement par toutes sortes de
277 Expression gabonaise désignant les
commérages de tout genre. Le plus étonnant c'est que le Kongossa
est même tr~s présent à l'Université. Cette
même expression a donné lieu à une série gabonaise,
diffusée d'abord sur TV+, puis sur la RTG 1, le dimanche soir.
278 Joseph TONDA, Le Souverain moderne,
op.cit., p.187.
subterfuges les traces de ces pratiques, les échos
indirects de celles-ci parviennent jusqu'à l'extérieur,
embarrassé de savoir quelles utilisations en faire
>>.279
En résumé, << le Souverain moderne
apparaît comme un Souverain qui travaille à la destruction des
corps et à leur remplacement par l'incorporel" des spectres, des
fantômes (<) >>280
Section 2 : La profanation des corps à
Libreville
Désacraliser les corps c'est leur nier tout
caractère sacré pour ne les considérer que comme des
objets marchands, des choses. À Libreville, les profanations des corps
illustrent bien cette désacralisation des corps puisque l'on
découvre aussi bien sur les plages que dans les rues de Libreville des
cadavres d'hommes, de femmes et enfants mutilés de leurs parties
génitales. Les coupables, s'ils sont identifiés, ne sont pas
inquiétés tel que prévoit le code pénal en son
<< article 291 >>281. Aussi, la profanation des corps
à Libreville est envisagée sous deux angles : la
désacralisation des corps et l'économie de la sorcellerie.
1. La désacralisation des corps
GODELIER nous rappelle que << fabriqué
culturellement dans chaque société, le corps subit diverses
agressions culturellement programmées. Celles-ci expriment, tout autant
que les processus de fabrication, l'ordre en vigueur dans les
sociétés évoquées >>.282 Cette
idée nous conforte dans notre argument de la désacralisation et
de la réification des corps en ce sens qu'il s'agit en filigrane, d'une
violence exercée sur le corps. On peut aller plus loin, car cette
désacralisation des corps montre aussi que nous nous situons dans une
économie de la profanation ; en tant que point central dans une
société gabonaise ; et finalement, une << modernité
insécurisée >>.
279 Comi TOULABOR, << Sacrifices humains et
politique : quelques exemples contemporains en Afrique », p.207, in
P.KONINGS, W. van BINSBERGEN et G.HESSELINGS (dirs.), Trajectoires de
libération en Afrique contemporaine, Paris, Karthala ; Leiden, ASC,
2000, 295 p.
280 Joseph TONDA, op.cit, p.187.
281 Cet article 291 du chapitre 13 du 31 mai 1963
stipule en son second paragraphe que << sera puni les
mêmes peines quiconque aura profané ou mutilé un cadavre,
même non inhumé ».
282 Maurice GODELIER, Le corps humain. Conçu,
supplicié, possédé, cannibalisé, Paris, CNRS
Editions, 2009, p.375.
En tout point, parler de la profanation des corps, c'est
d'abord rappeler que le corps humain est une entité dotée de
sacralité, donc doté du mana, du charisme, de l'évus ou de
l'inyèmba. Le fait d'enterrer un corps est une étape qui marque
le passage de la nature vers l'état de la culture. Cela est perçu
comme un acte culturel; nous pensons que l'enterrement est un des nombreux
mécanismes qui nous permet d'étayer l'argument de la
sacralité du corps. On n'enterre pas seulement le corps parce que nous
répondons à une pratique culturelle, c'est parce qu'on est
guidé par le mobile du sacré et d'une vie dans
l'au-delà.
Pour tout dire, profaner un corps aujourd'hui à
Libreville, c'est lui ôter sa sacralité, c'est le banaliser, le
réifier en ce sens qu'il sert à maintenir et entretenir un autre
corps ; qui est peut être social ou politique. De même, Joseph
TONDA, pense que << des parties du corps comme le "coeur", la
"tête", et même un foetus peuvent être ainsi
détachées et circuler indépendamment (<) du corps
>>.283
Énoncé 49 :
-<< Il ne fait aucun doute que ceux qui profanent,
sont des gens de très mauvaise foi, ils sont prêts à tout
pour arriver à leur fin, même vendre leurs propres mères.
Car ceux qui profanent les tombes, ce sont des criminels et ne reculent devant
rien. Ils s'opposent farouchement à la volonté divine et c'est
grave pour le salut de leurs dmes. Je n'ai jamais été
confronté à la profanation des tombes ; je m'informe. Mais je
remarque que c'est en périodes des élections que les profanations
des tombes se passent dans le pays. Je déduis alors que ce sont des gens
qui cherchent le pouvoir, ce sont des politiciens de ce pays qui maudissent et
souillent le Gabon avec les profanations qu'ils pratiquent. C'est grave
figure-toi. Il n'y a plus de respect pour les morts
>>.284
Ces arguments prouvent bien que le corps profané fut
sacré ; d'où l'importance accordé aux parties du corps ou
<< pièces détachées >> qui servent à la
production d'autres corps, comme fétiches ; en tant qu'« objet
dépositaire de la puissance, de l'énergie présente qui
(<) justifie la force et l'intelligence (<) des
283 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, op.cit,
p.148.
284 Propos du vicaire Dieudonné MOULOUNGUI, 35 ans, Punu,
de la paroisse de Saint André des 3 Quartiers de Libreville, le 4 mars
2010 à 22 heures, après la messe dite de la
Miséricorde.
humains, c'est-à-dire leur existence, leurs differences,
leurs inegalites dans tous les domaines ».285
2. L'économie de la sorcellerie
Une autre caracteristique de cette « modernite
insecurisee » en postcolonie gabonaise ; en dehors des profanations des
corps, c'est certainement « l'économie de la sorcellerie ».
Par l'« economie de la sorcellerie », nous voulons dire qu'il s'agit
de la production et de la vente des « pièces detachees »
humaines aussi bien des corps morts que des corps vivants depieces, demembres
ou mutiles. Ce constat se fait generalement au Gabon lors des periodes
electorales286. Cette economie de la sorcellerie est mise en
evidence non seulement par les profanations des corps et des tombes ; qui
elles, produisent de la « matière première », «
l'or blanc » c'est-à-dire les organes humains ou «
pièces detachees » ; mais aussi par des acheteurs potentiels : les
entrepreneurs politiques et les autres hommes du pouvoir tels les ngangas.
Par ailleurs, avec cette notion d'« economie de la
sorcellerie », c'est surtout l'illustration de l'existence d'un reel
marche occulte et illegal des restes humains à Libreville postcoloniale.
Et l'existence de ce marché occulte et illegal explique la profanation
des tombes et des corps, notamment à l'approche des élections
politiques. Selon Comi TOULABOR, il existe aussi un commerce des organes
humains dans les pays de l'Afrique de l'Ouest (Togo, Ghana, Nigeria,
Bénin) qui aurait pris encrage à Libreville287. En
effet, comment comprendre la floraison des tradi-praticiens et Nganga à
Libreville ; qui promettent de « guerir » toutes sortes de
maladies288; de restaurer ce qui aurait ete derobe par « les
puissances du diable » en utilisant des philtres dont on ignore la
composition le plus souvent. Ou encore, des
285 Joseph TONDA, Le Souverain moderne, op.cit,
p.149.
286 Nos recherches, entreprises depuis l'année
de Licence jusqu'en Maîtrise et sur le terrain, attestent bien de cette
économie sorcellaire en périodes électorales.
287 À ce propos, un de nos interlocuteurs nous
révèle que la nuit, le marché Mont-Bouët devient un
marché où l'on vend les piqces détachées sur
commande.
288 Pour Joseph TONDA, la maladie dont il serait
question à Libreville, c'est surtout une forme d'infortunes, de
malheurs, auxquelles la médecine traditionnelle propose ses services.
Lire à ce propos, « La santé en Afrique ou l'esprit
contre le corps » pp.65-89 in Palabres actuelles. Revue de la
Fondation Raponda-Walker pour la science et la culture, n°2 volume
A-2008, « L'homme et la maladie », Editions Raponda-Walker,
2009, 307 p.
guérisseurs qui laveraient leurs patients avec des
crânes humains289 ; sans l'intervention de l'État ? De
meme, dans l'existence d'une économie de la sorcellerie ; traduite par
la réalité d'un marché des « pièces
détachées », Comi TOULABOR nous apprend que « s'il se
développe actuellement un important trafic du corps humain dans nombre
de pays africains, cela suppose en amont l'existence de demande réelle
comme le laissent penser les faits divers à travers les
dépêches et les organes de journaux ».290 C'est ce
meme marché qui a priori serait présent à Libreville.
C'est dans le même sens que notre interlocutrice nous a affirmé,
au sujet de la profanation, ce qui suit :
Énoncé 50 :
-« La profanation des tombes c'est tout simplement de
la sorcellerie, un acte que je croyais voir seulement au village, maintenant il
se retrouve en ville, très franchement si de notre vivant on n'est pas
en sécurité et combien de fois mort ? Ce sont les hommes
politiques qui font çà, leurs pratiques occultes et
fétichistes leur imposent de faire ce genre de chose, comme ils savent
qu'ils sont boudés par les populations, alors ils utilisent
l'occultisme, le mysticisme et le diable pour gagner. Sache que nous les
protestants, nous condamnons ces actes fétichistes avec la
dernière énergie. On ne peut plus vivre comme aux temps de nos
ancêtres, toujours avoir recours à la sorcellerie, à la
magie, aux fétiches ou aux ngangas pour avoir le pouvoir, la richesse,
pour être bien vu dans la société, mais à quel prix
et pour combien de temps ? »291
Tous ces exemples attestent qu'il y a au Gabon une
économie de la sorcellerie, en tant que croyance très
présente et réelle dans les représentations sociales des
gabonais ; surtout très présentes dans la sphère du
politique. Ainsi, de toutes ces observations, nous pensons que la
modernité au Gabon postcolonial, est une « modernité
insécurisée ».
289 Pour le cas d'esp~ce, on peut retenir l'Union plus
du 3 juillet 2008, page 6, rubrique « VocFété
WWWFWre ».
290 Comi TOULABOR, « WcrFfFcWWWaFns et
polFtFqWWqWWWKWWpVes cWWVpWraFns en WfrFque », p.208, Fn
P.KONINGS, W.Van BINBERGEN et G. HESSELINGS (dirs.), VWectoFres
VWlFbératFoWWVVWFVVW WVWVpWraFnV, Paris, Karthala ; Leiden, ASC,
2000, 295 p.
291 Propos d'une interlocutrice, victime des profanations des
tombes et que nous avons pu rencontrer au cimetière de Mindoubé
le 1er novembre 2007. Elle a fortement demandé l'anonymat.
Notre interlocutrice a 47 ans, Myènè du Moyen-Ogooué,
protestante, agent comptable dans une entreprise privée de la place.
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