Conclusion de la deuxième partie
In fine, la situation postcoloniale gabonaise illustre bien
les rapports mortifères et les rapports sociaux de forces qui existent
au Gabon, et qui font de l'église gabonaise, un pouvoir de
décisions et d'influences non négligeables. Si nous avons vu en
début d'analyse que l'Église, par la construction des
cimetières, défend et protège les corps des religieux
enterrés dans sa concession, nous nous rendons compte qu'elle place les
morts au coeur de ses homélies. Ceci s'illustre par la
célébration de la fête de << Toussaint » chaque
année ; tout comme << les messes catholiques pour les
défunts, assimilées à des cultes aux morts, sont
interprétées à partir de la même grille : la
position des prêtres (qui demandent de l'argent pour dire les messes) est
associée à celle des chefs de famille, les uns comme les autres
jouant le même rôle de spécialistes religieux ou rituels
à l'intérêt politique évident
».292
Cela laisse à supposer que les morts ont un pouvoir et
que la croyance en leur pouvoir susciterait les hantises et les convoitises de
certains individus ; en quête de pouvoir, de position et d'ascension
sociales au sein de l'appareil administratif et politique de l'État.
Néanmoins, dans un contexte marqué par la
logique capitaliste de l'accumulation, de l'exploitation ou de
l'assujettissement, l'Église montre un autre aspect, celui de la lutte
contre les inconvertis, la diabolisation des us gabonais et une << guerre
» incessante contre les démons, les esprits qui habiteraient dans
les corps des gens.
Ceci pour dire que l'Église enchante et exerce son
hégémonie, et crée une forme de dépendance sociale
; par la légitimation de forces diaboliques et un matraquage
médiatique religieux important. C'est donc un Gabon postcolonial
magifié, enchanté, dominé et habité par les esprits
(bons et mauvais) en interaction avec les hommes et les profanations des
tombes, qui font que la modernité au Gabon soit une modernité
<< insécurisée ».
Les profanations des tombes et des corps observées
illustrent bien qu'il y a au Gabon, à Libreville singulièrement,
un marché occulte et illégal des restes humains et que cette
commercialisation des << pièces détachées >>
ou << or blanc >> en périodes électorales fait donc
des cimetières de Libreville des pourvoyeurs de << matières
premières >>. C'est dire que le fétichisme se
développe sur la base d'un contexte gouverné par le capitalisme
de l'occulte et de fétichisme.
Toutefois, le code pénal gabonais nous rappelle
fortement en son article 210 l'interdiction de la
commercialisation des organes humains ou «or blanc >>, ainsi qu'il
suit : << sera puni d'un emprisonnement de deux à cinq ans et
d'une amende de 50.000 à 200.000 francs, ou l'une de ces deux peines
seulement, quiconque aura participé à une transaction portant sur
des restes ou ossements humains, ou se sera livré à des pratiques
de sorcellerie, magie ou charlatanisme susceptibles de troubler l'ordre public
ou de porter atteinte aux personnes ou à la propriété
>>.293
Pour tout dire, rappelons à toute fin utile qu'au
cimetière municipal de Mindoubé, il s'agit d'un recyclage de
tout, des gerbes des fleurs, à « l'or blanc >> en passant par
les vêtements des morts où tout est (ré)introduit dans le
marché économique et fétichiste. Par ailleurs,
l'État sera jugé aux pieds du mur par les populations, dans sa
capacité de réaction et dans le domaine de la sorcellerie et du
fétichisme, même si << la sorcellerie, par
définition, se cache et se fait insaisissable >>294, se
pratiquant de préférence dans le noir.
293 Le Code Pénal, chapitre XIX : « De
la sorcellerie, du charlatanisme et des actes d'anthropophagie »,
Libreville, le 31 mai 1963, p.45.
294 Peter GESCHIERE, Sorcellerie et politique en Afrique. La
viande des autres, Paris, Karthala, (coll. « Les Afriques
»), 1995, p.31.
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