« Ne portez de jugement contre personne, afin que
Dieu ne vous juge pas non plus. Car Dieu vous jugera comme vous jugez les
autres ; il vous mesurera avec la mesure que vous employez pour eux. Pourquoi
regardes-tu le brin de paille qui est dans l'oeil de ton frere, alors que tu ne
remarques pas la poutre qui est dans ton oeil ? Comment peux-tu dire à
ton frère : " laisse-moi enlever cette paille de ton oeil", alors que tu
as une poutre dans le tien ? »143
Cette maxime biblique est intéressante en ce sens
qu'elle nous permet de relever un des nombreux commandements auxquels les
chrétiens du monde entier doivent s'astreindre pour etre en phase avec
Dieu. Cependant, entre ce qui est recommandé et ce qui se fait sur le
terrain, nous nous rendons compte qu'il y a un écart. Autrement dit,
l'observation des faits empiriques de la réalité sociale et
historique montre que le christianisme (qu'il soit pentecôtiste
charismatique, catholique, etc.) est allé à l'encontre de cette
prescription divine, en jugeant, en diabolisant par exemple les us et les
coutumes autochtones, tout en créant des images négatives. C'est
du moins ce que plusieurs chercheurs (notamment Florence BERNAULT pour ne citer
qu'elle) ont appelé la criminalisation des pratiques ancestrales.
142 Jean-Francois BAYART, « Les Églises
chrétiennes et la politique du ventre : le partage du gâteau
ecclésial », CERI-CNRS, ibid., p.7.
143 3EIRleMliTNEDWIRIIIl4 NOOJIle dER1
IttICIENFICaSBIBI versets 1-4.
1. Criminalisation et persistance des pratiques
ancestrales
1.1. La criminalisation des pratiques ancestrales par
l'administration coloniale
La criminalisation découle d'un jugement de valeur
européocentriste imposé par l'administration coloniale et
partant, de l'Église, qui considérait que toute pratique
n'honorant pas le sacré judéo-chrétien et universel,
c'est-à-dire Yahvé, était qualifiée de "pratique
sorcellaire", de paganisme. D'ailleurs, Florence BERNAULT nous apprend que
<< le terme "sorcellerie" en français renvoyait
systématiquement à toute croyance religieuse qui tentait de
résister au christianisme, et qui servit de référent
intellectuel à la criminalisation des pratiques anciennes qui
composaient l'essence de l'ordre moral et social des sociétés
équatoriales >>.144
Puisque nous travaillons sur la mort, cela inclut
nécessairement les croyances qui y gravitent. Nous voulons montrer dans
cette partie relative à la criminalisation des pratiques reliquaires que
le cas de la mort et de tout rituel (exposition du corps, condamnation du
coupable, réconciliation jusqu'à l'enterrement du défunt),
nous permet d'évaluer l'ampleur des bouleversements imposés par
la colonisation, voire les missionnaires. Sans parler du fait que << la
législation française en effet interdit immédiatement
après la conquête la pratique des autopsies et l'exposition des
défunts. Elle décréta l'obligation simultanément de
l'enterrement dans les cimetières publics, la condamnation des reliques
sous la rubrique << profanation des tombes >>, et conduisit avec
l'aide des missionnaires chrétiens la destruction des autels mobiles et
des reliquaires considérés comme << fétiches
>> et fatras sorcier indésirables >>.145
Par ailleurs, cette criminalisation des pratiques ancestrales
s'accompagnait également d'autres éléments importants que
nous ne pouvons omettre pour notre démonstration. Dans un tel contexte,
il n'y a pas de doute que « la fabrication rituelle
144 Florence BERNAULT, « Magie, sorcellerie et
politique au Gabon et Congo-Brazzaville », p.9, in MBEKALE
M.N, Démocratie et mutations cultures en Afrique Noire, Paris,
l'Harmattan, 2005, pp.21-39.
145 Florence BERNAULT, « Économie de la mort
et reproduction sociale au Gabon », p.10, in Mama Africa :
Hommage à Catherine COQUERY-VIDROVITCH, édité par Odile
GOERG et Issiaka MANDE, Paris, l'Harmattan, 2005, 12 p.
des reliques des morts familiaux, par exemple, pouvait
s'avérer paradoxalement plus risquée. Sous l'oeil de la force
coloniale, que l'utilisation d'organes et ossements prélevés sur
des cadavres "discrets", mais extérieurs au lignage. Le vol ou
l'accaparement de reliques et d'organes hors des limites mais il est probable
que ces transgressions devirent plus fréquentes face aux assauts de la
législation coloniale ».146
Pour beaucoup d'auteurs, cette criminalisation des pratiques
ancestrales par l'Église expliquerait les différents changements
sociaux vis-à-vis du sacré des autochtones.
En effet, s'agissant du christianisme, « on ne saurait
sous-estimer le traumatisme qui a été la conséquence de
l'abandon des dieux et des religions traditionnelles. Il serait maladroit
d'affirmer que leurs institutions sociales religieuses étaient
"mauvaises". Plus simplement, elles ont pris un coup sérieux pour la
pseudo-raison qu'elles ne cadraient pas avec le contenu de la dignité
humaine telle que l'entendait la théologie chrétienne
occidentale, tributaire vraisemblable de la culture et de la civilisation qui
l'ont construite >>.147
Nous pensons même que ces pratiques ancestrales sont
des marqueurs identitaires pour les autochtones ; les seuls moments qui leur
permettent d'unir et de renforcer l'ordre social, le lien social entre eux. Or,
« que ce soit l'église catholique ou protestante, toutes deux ont
conduit à la destruction des anciens systèmes de croyances.
Aujourd'hui, le chrétien qui ose encore parler du culte des
ancêtres est interdit de sacrements ou considéré comme un
paria. C'est la preuve que toutes les croyances et coutumes traditionnelles
sont jugées mauvaises par la religion chrétienne, contraire
à ce que dit la Bible ».148
146 Florence BERNAULT, « Magie, sorcellerie et
politique au Gabon et Congo-Brazzaville », ibid., p.10.
147 Bernardin MINKO-MVE, Gabon entre tradition et
postmodernité. Dynamique des structures d'accueil Fang. Préface
de Jean POIRIER, Paris, l'Harmattan, (coll. « Études
africaines »), 2003, p.183.
148 Ibid., p.206.
D'ailleurs pour l'Église, cela voudrait dire que
« vous annulez ainsi la parole de Dieu au profit de votre tradition
».149 Ce décryptage des pratiques coloniales dans la
criminalisation des us et coutumes autochtones nous poussent à dire que
puisqu'ils (les missionnaires et administrateurs coloniaux) interdirent les
cultes des ancêtres, cette prohibition conduisit les autochtones à
profaner. Notons ici que les cimetières publics naissent avec la
colonisation ; en tant qu'archive nécrologique et qui renforce le
contrôle social occidental. Pour rester dans cette pratique de
criminalisation, il faut noter que « dans son empressement à
interdire ce qu'elle assimilait à un (des) ordre rétrograde
criminel, voire à des pratiques cannibales, la colonisation
française attaqua ces cultes anciens, et ce faisant, commença de
démanteler la logique de la reproduction familiale et collective
».150
Florence BERNAULT nous permet de voire que le christianisme
est une religion de la guerre ; qui use de la violence physique et symbolique
pour imposer son sacré universel et donc ; pour se faire voir ;
connaître. Cette situation montre que « le premier travail de
l'évangélisme colonial c'est la démonisation, la
diabolisation de la différence culturelle »151 dans
laquelle le plus faible ou celui qui refuse la conversion est automatiquement
diabolisé.
Cette criminalisation « désagrège les
rapports familiaux en créant deux "camps" distincts: ceux qui sont
supposés être les adeptes de Satan: les inconvertis en un enfer
qui n'est pas censé avoir d'autres solutions que la conversion de tous
dans le "cercle" du sang de Jésus ».152
1.2. La persistance ou survivance des pratiques
reliquaires
À ce stade, la persistance des pratiques ancestrales au
Gabon apparaît ici comme une réponse à une interdiction par
l'administration coloniale de l'époque des
149 Lire à ce sujet le livre de Matthieu
chapitre 15 verset 6.
150 Florence BERNAULT, « Économie
de la mort et reproduction sociale au Gabon », p.7, in Mama
Africa ; Hommage à Catherine COQUERY-VIDROVITCH, édité par
Odile GOERG et Issiaka MANDE, Paris, CI-F LIP aAAWTIELI, ILIS.
151 André MARY, « Conversion et
conversation: les paradoxes de l'entreprise missionnaire », p.787
in Cahiers d'Études africaines, 160 XL-4, 2000, pp.779-799.
152André MARY, « Actualité du
paganisme contemporanéité des prophétismes »,
p.384 in L'Homme, l'anthropologue et le contemporain: autour de
Marc-Auge, 185-186/2008, pp.365-386.
pratiques culturelles autochtones dites"païennes" et de
rendre hommage aux ancêtres ; ces médiateurs probables entre eux
et << Nzame >>, << Nzèmbi >>, <<
Anyambyè >> ; en un mot, Dieu. Pour Florence BERNAULT, << la
loi coloniale provoqua donc une extrême fragilisation de la reproduction
sociale basée sur le deuil et la collecte des reliques. Certaines
pratiques ne purent survivre qu'en devenant illégales et clandestines.
La fabrication rituelle des reliques familiales, par exemple, pouvait
s'avérer paradoxalement plus risquée, sous surveillance
coloniale, que l'utilisation d'organes et d'ossements prélevés
sur des cadavres "discrets", mais extérieurs aux lignages. S'il est
établi que le vol ou l'accaparement de reliques et d'organes hors des
limites lignagères existait devant la conquête coloniale, il est
probable que ces transgressions devirent plus fréquentes face aux
assauts de la législation coloniale >>.153
Pour clore ce premier point, nous devons compter aussi sur
les différents points de vue de nos interlocuteurs sur la
criminalisation des pratiques ancestrales. En effet, en leur posant trois
questions fondamentales pour notre travail à savoir : << pour
vous, le culte des ancêtres signifie quoi et quelle est sa place dans la
société gabonaise aujourd'hui ? A qui profite la criminalisation
des reliques et enfin pourquoi cette criminalisation ? >> Nos
interlocuteurs ont des points de vue que nous vous exposons ici.
Énoncé n°12 :
- << Pour moi, le culte des ancêtres signifie
qu'on est attaché à la coutume à laquelle on appartient
car pour obtenir quelque chose de bien il faut invoquer les ancêtres. Sa
place dans la société gabonaise aujourd'hui ; il n'a plus
d'importance comme dans le passé car on a recourt au fétichisme ;
aux différentes sectes et à l'Église. Et la
criminalisation, ça profite aux prêtres qui exercent dans les
Églises, d'avoir un dessus sur les fideles. Parce que ces
prêtes;
153 Florence BERNAULT, « Économie de la mort
et reproduction sociale au Gabon » , p.8, in Mama Africa ;
Hommage à Catherine COQUERY-VIDROVITCH, édité par Odile
GOERG et Issiaka MANDE, Paris, l'Harmattan, 2005, 12 p.
par exemple lorsqu'ils se retrouvent dans une situation
qu'ils ne contrôlent plus, ils font recours à ces reliques qui
sont une deuxième puissance pour eux ».154
Le discours de notre interlocutrice suppose que la
criminalisation des reliques et pratiques ancestrales par l'Église, sert
cette même Église. Pour elle, un « homme de Dieu » qui
crie aux profanations des tombes, qui crie aux reliques humaines ou «
pièces détachées » humaines, tire certainement profit
de cette façon de faire et de ce comportement. Cela lui permet dans un
premier temps de remplir sa paroisse de fidèles pour la plupart du temps
incrédules pour s'assurer un profit financier important. Dans un second
temps, est-ce que ces reliques, qu'on leur apporte pour soit disant les
détruire à l'Église, ne sont-elles pas utilisées
par ces mêmes pasteurs pour consolider leurs pouvoirs de domination et de
contrôle de la vie des fidèles?
Énoncé n°13 :
- « Le culte des ancêtres c'est
vénérer les ancêtres, c'est faire appel aux morts
c'est-àdire les invoquer, car les morts ne sont pas morts, puisque nous
savons qu'ils nous protégent et qu'ils nous apportent la
guérison, le bonheur, ils viennent nous aider. Je sais que ce culte des
ancêtres, malgré l'évolution de la société,
occupe une grande place. Même les gens convertis ont toujours recours aux
ancêtres, ils n'ont pas fait une rupture totale. Aprés tout, on
est d'abord africain. Au sujet de la criminalisation, je dirai que ça
profite aux chrétiens car pour ceux qui sont ancrés dans la
tradition c'est une bonne chose et ceux qui sont à l'église c'est
une mauvaise chose. Car on ne doit pas travailler avec le crâne des
grands-parents. Cela apporte le pouvoir à ceux qui sont dans la
tradition. Cette criminalisation est là peut être parce que les
chrétiens veulent convertir ceux qui pratiquent ces actes. C'est tout ce
que je peux dire ».155 Ces propos nous
révèlent aussi que ce sont les chrétiens qui profitent de
cette criminalisation pour certainement drainer de nouveaux adeptes à la
conversion, donc à leur propre réification, leur propre
profanation.
154 Propos de mademoiselle Janny Esther
DIVAGOU-IBRAHIM-KUMBA, 25 ans, chrétienne catholique, étudiante
au département de Sociologie de l'UOB,en année de Maîtrise,
Akélé-Punu.
155 Propos de mademoiselle Floriane Melinda KAYIBA,
27 ans, chrétienne catholique, étudiante au département de
Sociologie de l'UOB, en année de Maîtrise, Nzébi-Sango.
Énoncé n°14 :
- « Le culte des ancêtres signifie pour moi la
vénération des morts. C'est vrai que les morts ne sont pas morts
et pour nous qui avons adopté la culture occidentale de la Bible ; nous
ne pouvons accepter le culte des ancêtres qui désigne l'invocation
des morts. On parle de retraits de deuil, sacrifices, l'invocation des totems
et donc en contradiction avec la parole de Dieu. Celui qui participe à
ces choses est un Nganga, un sorcier, un enchanteur en langage chrétien.
Et la Bible dit " dehors les enchanteurs" (Apocalypse 22). J'ajouterai qu'en
milieu citadin, sa place n'est pas omniprésente toutefois pendant les
vacances il est prédominant dans l'arrière pays et c'est un moyen
de se ressourcer dans les ancêtres. Il occupe une place importante et
comme la religion, il permet de s'affirmer dans la société. En
Afrique, la croyance autour des pouvoirs, privilèges et prestiges
s'articulent autour de la capacité d'un individu d'acquérir les
pouvoirs mystiques. "Être un grand"dans le sens africain du terme c'est
posséder les pouvoirs qu'avaient les ancêtres. C'est un trafic
d'influence à travers la capacité de pouvoir dominer son
semblable. Non seulement par le discours soit par la capacité de mettre
en pratique ce discours. Ce sont les politiciens qui ont un pouvoir
développé grâce à ces reliques ; et aussi aux
Ngangas car pouvoir guérir il faut qu'ils s'accaparent les forces des
génies qui ne parlent qu'à travers les reliques. Cette
criminalisation est là parce que le monde est ce qu'il est là
parce que le monde est ce qu'il est, un homme ambitionne de pouvoir être
grand au milieu de ses semblables ; qui est dépourvu de certaines
qualités spirituelles. Il a besoin d'autres choses ; les reliques, les
profanations de tombes sont un moyen d'arriver aux reliques. Les hommes
d'Église remplissent leurs Églises des gens en
dénonçant ces pratiques pour informer les populations face aux
dangers des pièces détachées. Les fidèles, par la
foi, affluent dans les églises pour être
protégés ».156
Les propos de notre interlocuteur témoignent d'un
certain engouement constaté pour la criminalisation des reliques et
autres pratiques ancestrales par l'Église. Par ailleurs, l'informateur
stipule que même les hommes politiques et les
Ngangas y ont recours mais il nous rappelle que la bible est
formelle dessus, on ne peut pas être chrétien et attaché
encore aux reliques.
Énoncé n°15 :
- << Le culte des ancêtres n'existe pas pour
nous, mais pour les profanes il s'agit de tenter de rentrer en contact avec des
entités surnaturelles." Laissez les morts enterrer les morts." Tout
culte d'ancêtre n'a pas d'apport positif pour notre société
c'est la vanité des vanités. D'ailleurs, la criminalité
des reliques profite à Satan, pas à aucun homme normal, aux
hommes politiques. Je peux te citer des grands noms du Moyen-Ogooué
où les familles connaissent la malédiction à cause de ces
reliques. Il ya criminalisation parce qu'il ya des hommes qui pactisent avec le
diable ; pour le paraître. Il faut accepter Jésus pour le salut de
son âme >>.157 Le point de vue du pasteur AKITA
vient confirmer l'idée d'une criminalisation des pratiques ancestrales
autochtones par l'Église. Or la Bible, en tant que Livre Saint contenant
la Parole divine, nous rappelle qu'il ne faut pas << porter de jugement
contre untel afin que Dieu ne nous juge pas non plus >>. Ce passage
biblique tiré de l'Évangile de << Matthieu >> montre
les paradoxes de la mission évangélisatrice de
l'Église.
Dans cette criminalisation, il faut dire que << tout
geste (ou toute parole) culturel à l'attention des défunts est
désormais considéré au mieux comme sans objet, au pire
comme satanique. Il n'est donc plus question de participer aux
cérémonies familiales dédiées aux ancêtres,
voie par lequel le non-converti marque périodiquement son inscription
dans la lignée croyante du culte familial. De même, les
pentecôtistes sont les seuls à considérer que les
défunts qui leur apparaissent en rêve sont de mauvais esprits,
éventuellement envoyés par un sorcier pour les amener à se
compromettre, et non les esprits des défunts eux-mêmes (qui ne
peuvent plus se
manifester), ce qui les pousse à prier pour chasser
ces esprits "au nom de Jésus" >>.158 C'est une sorte de
diabolisation des défunts.
Pour finir, << le pentecôtisme (<) sape non
seulement un fondement de l'institution familiale comme le culte des
ancêtres lignagers, mais encore le principe même de
l'échange symbolique avec les morts. C'est en effet autour de leurs
morts que les familles et, plus largement, les lignages se retrouvent
annuellement. Même les milieux qui tendent aujourd'hui à refuser
les cultes ancestraux (comme les chrétiens célestes ou les
catholiques engagés) organisent régulièrement des cultes
ou des messes pour les morts qui rassemblent une part non négligeable
des familles >>.159
2. Le respect de la mort
> Le culte des ancêtres
Le culte des ancêtres est une illustration du respect
de la mort. A ce sujet, on ne peut exclure que toutes les
représentations sociales africaines en général, gabonaises
singulièrement gravitent autour d'une vie après la mort. Autre
fait, « la science et la médecine sont en mesure de nous
protéger contre maintes maladies et dans une certaine mesure de
prolonger notre existence, elles ne proposent toutefois aucune solution au
problème de la mort. Nous devons nous tourner vers la philosophie et la
religion pour trouver des réponses ultimes >>.160
C'est dire donc que la place des morts demeure une des
préoccupations pour les vivants, mieux pour l'institution familiale qui
est « un des lieux par excellence de l'accumulation du capital sous ses
différentes espèces et de sa transmission entre les
générations >>.161 Ce qui voudrait dire que dans
la place des morts et la construction des sujets, << le refus des
cérémonies familiales (et en particulier des cultes aux
ancêtres) qui caractérise notamment les convertis born again
se présente comme un
158 Joël NORET, « De la conversion au
basculement de la place des morts. Les défunts, la personne et la
famille dans les milieux pentecôtistes du Sud-Bénin »,
p.150, in Politique Africaine « Globalisation et illicite en Afrique
», n°93, mars 2004, Paris, Karthala, 193 p.
159Ibid., p.151.
160 Daisâku IKELA, La vie à la lumiqre du
Bouddhisme. Traduit de l'anglais par Paul COUTURIAU, Monaco, Editions du
Rocher, 1985, p.237.
161 Joël NORET, op.cit., p.149.
rejet des rites d'institution familiaux et comme un refus de
s'inscrire dans la lignée croyante du culte familial, situation qui
débouche sur une forme de " sécularisation" de la famille
>>.162
Énoncé n°16 :
- « Les années 1940 et 1950 au Gabon ont
été caractérisées par le fait d'un fort respect de
la mort. En effet, il fut quasiment difficile de voir les corps exposés
sur les rues de Libreville ou dans les villes de l'intérieur du pays
parce que tout le monde a été élevé et
préparé à respecter la mort. Les morts ont toujours
occupé le temps des vivants et on devait leur préparer les
meilleures funérailles pour qu'ils ne viennent pas en songes demander.
Chez nous les Myènè, on a ce qu'on appelle Agombé
Nèrô ou culte des ancêtres ; qu'on faisait quelques temps
après le décès. Ce n'est pas une mauvaise chose mais ce
qui est mauvais ce sont plutôt les motivations des individus malveillants
dans nos familles qui pensent bénéficier de certaines faveurs de
ce culte. Même quand nos aînés nous racontent que quand ils
allaient à l'Église, les prêtres insistaient sur la
solidarité et notre respect des morts. Je te rassure même que les
femmes n'allaient pas au cimetière car il se passait souvent des choses
bizarres. Il pouvait arriver que le mort revienne à la vie. Retiens
aussi que quand on demandait aux gens de rentrer au cimetière avec le
cercueil on rentre toujours par la tête. Tout simplement parce que quand
un enfant naît, il sort des entrailles de sa mère par la
tête. Et quand tu retournes c'est-à-dire quand tu meurs tu
retournes avec tes deux pieds tu vas assumer ton arrivée au monde de ta
mère. Aujourd'hui on a tout oublié, on profane les tombes et les
corps, on coupe la langue, les mains, les testicules, le clitoris quand on tue
quelqu'un >>.163
D'autre part, « la croyance fondamentale sous-jacente au
culte des ancêtres est que les morts ne sont pas morts, mais continuent
à être liés au destin des humains visibles
>>.164 Les reliques des ancêtres ; sous la forme
d'ossements et en particulier sous la forme des crânes, « sont la
réplique exacte du culte des saints dans la religion catholique. Ces
cultes sont d'autant plus parlants, si l'on peut dire, qu'ils
établissent
162 Joël NORET, « De la conversion au basculement
de la place des morts. Les défunts, la personne et la famille dans les
milieux pentecôtistes du Sud-Bénin », p.152.
163 Propos du pasteur Raymond AKITA de la Mission protestante de
Baraka.
164 Raymond MAYER, Histoire de la famille gabonaise,
2ème éd. revue et augmentée, Libreville,
Editions du LUTO, 2002, p.48.
réellement, par l'intermédiaire de
phénomènes médiatisés par les transes, le contact
avec les défunts. Cette communication avec les défunts est
souvent établie dans un cadre thérapeutique, soit pour faire la
guérison, soit pour réparer les jeteurs de mauvais sorts et
conjurer ainsi, dans son sens littéral, le mauvais sort
>>.165
Somme toute, « les messes catholiques pour les
défunts, assimilées à des cultes aux morts, sont
interprétées à partir de la même grille : la
position des prêtres (qui demandent de l'argent pour dire les messes) est
associée à celle des chefs de famille, les uns comme les autres
jouant le même rôle de spécialistes religieux ou rituels
à l'intérêt politique évident. Et l'on souligne que
la basilique Saint-Pierre a été construite sur le tombeau de
Pierre pour sceller le caractère déviant de l'Eglise catholique
>>.166
Nous voulons juste montrer que le respect des morts,
illustré par le culte des ancêtres représente la
mémoire collective des familles. Et dans l'imaginaire gabonais, la
croyance aux pouvoirs et l'influence des morts sur les vivants est bien
manifeste. Le culte des ancêtres a été une donnée
fondamentale dans la construction des identités des sujets. On se rend
compte que selon les propos du pasteur Raymond AKITA, il n'était pas
facile de faire des découvertes macabres à Libreville. Or
l'observation de la réalité sociale actuelle démontre
qu'aujourd'hui, la mort est banalisée voire désacralisée.
Ainsi, le corps du gabonais est, comme l'affirme Maurice GODELIER167
, « conçu, supplicié, possédé et
cannibalisé >>.
165 Raymond MAYER, Histoire de la famille gabonaise,
2ème éd. revue et augmentée, Libreville,
Éditions du LUTO, 2002, p.49.
166 Joël NORET, « De la conversion au basculement
de la place des morts. Les défunts, la personne et la famille dans les
milieux pentecôtistes du Sud-Bénin », p.151.
167 Maurice GODELIER et Michel PANOFF, Le corps humain.
Conçu, supplicié, possédé, cannibalisé,
Paris, CNRS Editions, 2009, 572p.