Cette conversion traduit et illustre non seulement
l'inculturation mais surtout ce que nous appelons la domination politique,
physique et symbolique du colonisateur à travers le
christianisme106. C'est de cette conversion au sacré
judéochrétien que va naître la criminalisation des
pratiques reliquaires africaines par l'Église et par les autochtones
eux-mêmes, devenus les« nouveaux convertis ».
Une première remarque s'impose quant à cette
notion de « conversion » et surtout son contexte de production.
Rappelons que nous sommes en pleine situation coloniale c'est-à-dire que
nous faisons face à un contexte régi par des logiques
capitalistes et de déstructuration sociale en Afrique. Par ailleurs,
n'oublions pas que la conversion se définit comme l'action qui consiste
à abandonner une religion pour une autre ; c'est le passage d'une
conduite à une autre mais surtout, c'est changer une chose en une autre,
donc une profanation des corps.
106 Nous tenons à rappeler ici que le christianisme n'a
été qu'un alibi politique et économique dans « la
mission civilisatrice 1 pour asseoir l'hégémonie occidentale. En
effet, sur cette question, le discours du roi des Belges
LEOPOLD II illustre bien l'idée selon laquelle la colonisation n'a
pas eu pour but d'apporter Dieu étant donné que les peuples
indigènes le connaissaient déjà ; plutôt
d'assujettir l'indig~ne et le désintéresser de ses terres et de
ses richesses.
D'autant plus que « la conversion, soit à une des
formes du christianisme, soit à l'islam ou, à l'intérieur
de ces religions, à un nouveau courant de piété, a
suscité dans les années 1970 un débat qui trouvera ici de
nouveaux exemples. L'effet de contraintes extérieures accompagnant la
conquête coloniale, jihad des XVIIIe et XIXe
siècles, pénétration de marchands étrangers venus
de l'Atlantique ou du Sahel. Mais les faits les plus importants sont ceux qui
éclairent les crises internes des sociétés et des
religions "autochtones" et les inquiétudes ou les calculs des pouvoirs,
des groupes sociaux ou des personnes qui se portent vers une nouvelle foi
>>.107 En un mot, << la conversion s'effectue ainsi
comme un approvisionnement du secret des Blancs, du moins dans un premier temps
(<) >>108
Selon Achille MBEMBE, << la conversion de
l'indigène a été tout, sauf neutre ou gratuite. En toute
hypothèse- et au risque de heurter une certaine théologie
romantique- elle n'a pas été, fondamentalement, le fait de
l'Esprit-Saint. Que les sociétés indigènes se soient, pour
ainsi dire, laissées << appâter >>, puis <<
capturer>> par certaines régions -et non la totalité- du
christianisme signifie précisément que leur << conversion
>> fut sélective. Mieux, elle prit constamment en compte les
perspectives de gains et de profits symboliques et matériels
qu'était de nature à entraîner le troc des idiomes
religieux ancestraux contre les idiomes des vainqueurs. Dès l'origine,
l'indigène s'avisa, par conséquent, d'instrumentaliser cette
modalité neuve >>.109
De toute évidence, il apparaît bien clair que la
conversion pour Achille MBEMBE et donc le christianisme, est un appareil
idéologique d'État qui fonctionne à l'idéologie, au
sens d'ALTHUSSER. La conversion a été et est cet outil qui
permet
d'asseoir l'hégémonie coloniale et donc, elle
n'a jamais été neutre. Bien au contraire, elle a
été orientée l'assise de l'hégémonie
coloniale car toute religion sert une politique. De même, ce point de vue
d'Achille MBEMBE est illustré par nos informateurs, même si ces
derniers a priori et inconsciemment ne le sentent pas mais ils le disent, quand
nous leur avons posé la question de savoir ce qu'ils entendent par la
conversion et à quoi sert-elle.
110 Nous précisons ici que pour mieux faire ressortir les
discours de nos interlocuteurs, nous avons décidé de rapporter
leurs discours in extenso.
111 Propos de mademoiselle Janny Esther DIVAGOU-IBRAHIM-KUMBA, 25
ans, chrétienne catholique, étudiante au département de
Sociologie de l'UOB,en année de Maîtrise,
Akélé-Punu.
112 Propos de mademoiselle Floriane Melinda KAYIBA, 27 ans,
chrétienne catholique, étudiante au département G-
6RFIRlRTI- G-R'S 2 V,i-Q BQQé- G- BîAUs-, N] pEi-Sango.
113 Propos de monsieur John SATURDAY, 29 ans, chrétien
pentecôtiste charismatique, étudiant au département G-
6RFIRlRTI- G-R'S 2 V,i-Q BQQé-1G- BîM-,:g XrXEB-Fang.
- « La conversion c'est un changement de vie
positif. Quand on se convertit s'est pour se rapprocher d'avantage du Christ et
se détacher de tout ce qui n'honore pas le christ. Je me suis converti
parce que j'ai eu l'expérience de la grace en étant avec le
Christ et je veux toujours vivre cette grace. Elle m'a apporté des
graces, la sagesse, l'humilité et le pardon ».115
Énoncé n°8 :
- « Se convertir c'est accepter ouvertement le
Seigneur, c'est naître de nouveau. On se convertit c'est pour devenir une
nouvelle créature ; repartir sur de nouvelles bases. Je me suis
convertie dès la classe de CM2 comme ma maman a vu que je ne pouvais
grandir sans conversion. Ma décision est venue des parents. Ma mere me
l'a imposé. Selon les parents c'est un chemin obligatoire et on ne peut
pas échapper. Dès le bas age, c'était inconscient ; car
jusqu'à 26 ans, je ne mesurais pas la portée de mon acte. A 27
ans, j'ai réessayé et j'ai vu certaines réalités.
La conversion c'est le nouvel individu, quand il suit les normes de l'Eglise,
il obtient ce qu'il veut. Si tu ne suis pas le cheminement tu échoueras
».116
Énoncé n°9 :
- « La conversion c'est l'acte de s'engager et
d'aller mettre en pratique une philosophie spirituelle
révélée et non révélée. On se
convertit c'est pour devenir adepte d'une philosophie
révélée. C'est l'amour du sacerdoce qui m'a conduit
à me convertir parce que je suis issu d'une famille de cinq (5)
générations de cinq (5) pasteurs : OGOUERA, NDJAVE, OMBAGHO,
OGOULA-M'BEYE, etc. Elle m'a apportée beaucoup, j'ai une autre
appréhension du monde et que la vie est une vanité des
vanités devant la mort. Elle m'a
114 Propos de mademoiselle Carine PENDY BOUANGA, 25 ans,
chrétienne catholique, Nzébi, étudiante au
département de Géographie de l'UOB, en année de
Maîtrise.
115 Propos de mademoiselle Maéva Juliette
WAMBONGO YABOZO, chrétienne catholique, 23 ans, Sango, étudiante
au département de Lettres Modernes, en Licence 2.
116 Propos de mademoiselle Graziella MENGUE, 29 ans, agent
marketing à Multi-chimie/Haut de Gué-Gué,
chrétienne catholique, Fang/Odzipe.
amenée à comprendre que la plus grande
initiation c'est accepter Jésus car le plus grand temple du monde c'est
le coeur de l'homme >>.117
Nous voulons préciser ici que notre objectif n'est pas
d'aligner les points de vue de nos interlocuteurs et de faire une quelconque
apologie de la conversion ou son contraire. Ces divers points de vue illustrent
bien le travail d'acculturation faite par l'Église et qui, finira par
déboucher sur une nouvelle façon de vivre et de percevoir les
pratiques traditionnelles.
1.2. La production « officielle » des
convertis
A travers les discours de nos interlocuteurs, nous nous
rendons compte que le travail des missionnaires a été effectif
c'est-à-dire que l'évangélisation a bien fonctionné
comme l'avait recommandé le roi des Belges LEOPOLD II dans son
discours118 aux missionnaires : - « votre rôle
essentiel est de faciliter la tâche aux administratifs et aux
industriels. C'est dire donc que vous interprétez l'Evangile de
façon qui sert à mieux protéger nos intérêts
dans cette partie du monde (<) Vous devez les détacher et les faire
mépriser tout ce qui leur procure le courage de nous affronter. Je fais
allusion ici principalement à leurs fétiches de guerre. Qu'ils ne
prétendent point ne pas les abandonner et vous mettre tous à
l'oeuvre pour les faire disparaître. Votre action doit se porter
essentiellement sur les jeunes afin qu'ils ne se révoltent pas. Si le
commandement du Père est conducteur à celui des parents, l'enfant
devra apprendre à obéir à ce que lui recommande le
missionnaire qui est le père de son âme. Insistez
particulièrement sur la soumission et l'obéissance. Eviter de
développer l'esprit de critique dans vos écoles. Apprenez aux
élèves à croire et non à raisonner
>>.119
Comme nous l'avons dit supra, ces illustrations
témoignent à suffisance que l'Église a servi
l'administration coloniale pour « fabriquer >> des fidèles
obéissants, soumis et totalement dévoués au christianisme.
Et donc, qui n'opposeraient aucune résistance quant à l'irruption
du monde occidental et ses corollaires. Il en va de
117 Propos du Pasteur Raymond AKITA, 42 ans, pasteur à la
Mission protestante de Baraka de Libreville, Galoa, protestant. Il est au
sacerdoce depuis 2000.
118 Discours prononcé devant les missionnaires se rendant
en Afrique en 1883 ; voir en annexes.
119 Discours prononcé par le roi des belges devant les
missionnaires se rendant en Afrique en 1883.
même pour André MARY qui entrevoit << la
conversion comme choix personnel et sincère, comme réponse ferme
à une alternative tranchée, ou comme rupture radicale et
irréversible avec la "coutume" >>.120
Toute réflexion faite, André MARY soutient que
<< l'idéologie de la conversion est fondée sur la guerre
déclarée aux puissances des ténèbres et dans cette
guerre l'autre maléfique, satanique c'est le "païen".Le premier
travail de l'évangélisme colonial c'est la démonisation,
la diabolisation de la différence culturelle. Un bon chrétien ne
peut pas vivre nu, sale, habiter dans les huttes, etc. Toutes les conditions
étaient donc réunies pour que l'entreprise missionnaire des
non-conformistes prenne la dimension d'un conflit idéologique et d'une
guerre culturelle (une « guerre des esprits >>), sans
possibilité de compromis >>.121 Comme il le dit enfin,
<< la conversion attendue relève moins de l'adhésion
à une vérité que d'un "changement de vie", d'un changement
d'être qui fait du converti un "nouveau
né">>.122
Néanmoins, c'est Achille MBEMBE qui nous donne une
réponse assez pertinente comparativement à celle d'André
MARY, au sujet de la conversion. Pour MBEMBE, la conversion traduirait
plutôt une tactique, une stratégie des colonisés pour mieux
percevoir de << l'intérieur >> la logique culturelle des
croyances du colonisateur et pour mieux le combattre. Aussi, << en
répondant à la question de savoir " pourquoi se sont-ils
convertis ", l'on a trop souvent négligé la part de ruse et de
calcul qui convainquit les natifs de "fréquenter" les systèmes
religieux et symboliques victorieux des confrontations qu'ils ne pouvaient plus
différer. On n'a pas jeté suffisamment de soupçon sur ce
qu'il eut de simulacre dans la manière dont ils
théâtralisèrent ce qui s'apparente bel et bien à la
défaite de leurs dieux et de leurs codes de référence
>>.123
120 André MARY, « Conversion et conversation ;
les paradoxes de l'entreprise missionnaire », p.791 in Cahiers
d'Études africaines, 160, XL-4, 2000, pp.779-799.
121 Ibid., pp.779-799.
122 Ibid., p.787.
123 Achille MBEMBE, Afriques indociles. Christianisme,
pouvoir et État en société postcoloniale, Paris,
Karthala, (coll. « Chrétiens en liberté »),
1988, p.77.
D'ailleurs à la suite de MBEMBE, nous pensons aussi
qu'il s'agit d'une conversion volontaire et qu'« au fond, il n'y a pas eu
de "vraie" conversion. Il eut surtout le désir d'épouser le genre
de vie missionnaire. Les exigences religieuses imposées par lui
n'étaient que le moyen d'obtenir des avantages matériels. Elles
étaient plus révérées qu'observées (<)
L'Église a réussi sur le point de l'éducation. Pour ce qui
est de l'ame, elle a échoué ».124 Finalement,
« le christianisme s'est toujours développé dans un type de
civilisation de cité-état-empire oil la paysannerie a perdu son
autonomie et est devenue tributaire. Il est plus facile à un peuple
déjà étatisé ou citadin de devenir chrétien,
qu'à des chasseurs-cueilleurs, à des nomades ou à des
agriculteurs indépendants. L'histoire montre que le christianisme ne
peut vivre que sur la mort de certaines civilisations -genres de vie
».125
En un mot, le colonisateur a démagifié et
démystifié l'univers symbolique et religieux des croyances des
colonisés. Achille MBEMBE pousse sa réflexion en soulignant que
« le refus de prendre institutionnellement en compte les symboliques
rattachées aux us et coutumes ancestraux coûte certes cher au
christianisme aujourd'hui, compte tenu de l'irruption d'autres concurrents sur
le marché religieux ».126 Ce qui conduit Florence
BERNAULT127 à parler de la reformulation du sacré en
Afrique avec la floraison de sectes transnationales (Rose-Croix,
Francmaçonnerie, Ekankar, Fraternité Blanche Universelle, etc.),
ou des cultes syncrétiques religieux ; mais surtout, la persistance et
la survivance des pratiques fétichistes telles les sacrifices humains,
la sorcellerie du Kong128, ou des profanations des tombes à
l'orée des élections politiques au Gabon. D'autant plus que cette
persistance traduit l'échec de l'évangélisation au
Gabon.
124 Guy MUSY, Après 75 ans..., dans
Au coeur de l'Afrique, t.15, 1975/4, p.227 in « Conversion
», prof. Henry DERROITTE, Faculté de théologie de
l'UCL, s.d.n.l, 3p. ; tiré sur
www.google.fr
125 H.MAURIER, Religions africaines : Les paysans,
dans Vivant Univers, n°342, déc. 1982, p.39 in «
Conversion », prof. Henry DERROITTE, Faculté de
théologie de l'UCL, s.d.n.l, 3p. ; tiré sur
www.google.fr
126 Achille MBEMBE, Afriques indociles.
Christianisme, pouvoir et État en société postcoloniale,
ibid., p.76.
127 Florence BERNAULT, « Magie, sorcellerie
et politique au Gabon et Congo Brazzaville » in MBEKALE
M.M
Démocratie et mutations cultures en Afrique Noire, Paris,
l'Harmattan, 2005, 12 p.
128 Max Alexandre NGOUA, La sorcellerie du Kong
à Bitam : Une manifestation symbolique de l'économie et de l'Etat
capitaliste, Rapport de Licence en Sociologie, Libreville, UOB/FLSH,
Septembre 2003, 25 p.
Nous ne saurions conclure ce débat consacré au
christianisme et son rôle dans l'hégémonie coloniale sans
convoquer la contribution de Chinua ACHEBE129. Il a qualifié
d'ambiguïté" l'action des missionnaires en Afrique. En effet, dans
son ouvrage intitulé << le monde s'effondre >>, le
romancier y relate l'histoire du peuple Ibo en pleine situation coloniale
occidentale sous l'impulsion des missionnaires qui, déterminés
à apporter << la civilisation >> et
l'évangélisation, profanent les lieux sacrés Ibo pour
imposer le christianisme. Cela a pour conséquences la
déstructuration de la vie tribale et la tragédie d'un homme dont
toute sa vie a tendu à devenir l'un des personnages les plus influents
de son clan et qui finit de façon << misérable ».
Sans omettre la conversion au christianisme de son fils
pourtant destiné à continuer la tradition de ses ancêtres :
à ce moment, le monde africain, symbolique et lignager s'effondre". Les
profanations des lieux sacrés ont été les actes quotidiens
que les missionnaires firent subir aux indigènes ; leur montrant la
puissance du Dieu chrétien sur les dieux ancestraux africains. Le roman
met donc en évidence les rapports sociaux de force.
En témoigne ce bref passage du roman qui met en
évidence cette dialectique de la profanation basée sur le
défit, l'imposition. C'est donc l'imposition de la violence symbolique
et religieuse occidentale en Afrique dont cet extrait en est une des
illustrations : << les missionnaires passèrent leurs quatre ou
cinq premières nuits sur la place du marché, et le matin se
rendirent au village pour prêcher l'évangile. Ils
demandèrent qui était le roi du village, mais les villageois
leurs dirent qu'il n'y avait pas de roi (<) Ils demandèrent une
pièce de terre pour bâtir leur église. Chaque clan et
chaque village avait sa "Forêt Maudite".Là étaient
enterrés tous ceux qui mourraient de maladie réellement mauvaise,
comme la lèpre ou la petite vérole. C'était aussi le
dépotoir des puissants fétiches des grands hommes-médecine
quand ils mourraient. Une << forêt maudite » était donc
tout animée de forces sinistres et de puissances de
ténèbres. Ce fut une telle forêt que les dirigeants de
Mbanta donnèrent aux missionnaires (<) Le lendemain matin ces hommes
fous se mirent bel et bien à
nettoyer une partie de la forêt et à bâtir
leur maison. Les habitants de Mbanta s'attendaient à ce qu'ils soient
tous morts dans les quatre jours. Le premier jour passa et le second et le
troisième et le quatrième, et aucun d'entre eux en mourut. Tout
le monde était intrigué. Et alors il devint connu que le
fétiche de l'homme blanc avait d'incroyables pouvoirs. On disait qu'il
portait des verres sur les yeux de sorte qu'il pouvait voir les esprits du mal
et leur parler ».130
Et n'oublions pas qu' « il était bien connu chez
les gens de Mbanta que leurs dieux et leurs ancêtres étaient
parfois d'une grande patience et laissaient délibérément
un homme continuer à les défier. Mais même dans de tels cas
ils fixaient la limite à sept semaines de marché ou vingt-huit
jours. Au-delà de cette limite on ne laissait personne continuer. C'est
pourquoi l'excitation augmentait au village tandis que la septième
semaine approchait depuis que ces impudents missionnaires avaient bâti
leur église dans la Forêt Maudite. Les villageois étaient
si certains du destin fatal qui attendait ces hommes qu'un ou deux convertis
jugèrent sage de suspendre temporairement leur fidélité
à la foi nouvelle. Enfin le jour vint où tous les missionnaires
auraient dû être déjà morts. Mais ils étaient
toujours vivants, et construisaient une nouvelle maison de terre rouge et de
chaume pour leur instructeur, M.Kiaga. Cette semaine là, ils
gagnèrent une poignée de convertis de plus
».131
Nous avons vu dans cet extrait que, bien qu'étant issu
d'une histoire imagée, la conversion repose néanmoins sur un fait
historique réel qu'est la colonisation en Afrique. Ce que nous voulons
montrer, c'est que l'Église, par l'entremise des missionnaires, aura
profané les lieux sacrés africains pour imposer le Dieu
chrétien tout en diabolisant les rites et les dieux ancestraux
africains. Par ailleurs, cet extrait nous renseigne sur la façon dont le
christianisme s'est implanté et comporté en Afrique : il a
été un mouvement religieux du défit, de
déstructuration de l'ordre social ancestral africain, un juge des
valeurs morales en présence et une mise en
évidence de l'européocentrisme. Or n'est-il pas
écrit dans la sainte Bible que le chrétien ne doit ni juger, ni
porter de faux témoignages sur son prochain, encore moins
blasphémer ? D'autant plus qu'on assiste à une diabolisation des
rites ancestraux africains depuis la colonisation jusqu'à la
postcolonie.
2. L'islam
2.1. Le rôle de l'islam dans
l'hégémonie coloniale
Nous avons vu finalement que la conversion ou la profanation
des corps en Afrique s'est faite par l'Église et surtout, que « les
missionnaires rejetaient les pratiques religieuses précoloniales et
cherchaient à imposer une morale victorienne qui légitimait la
hiérarchie coloniale >>.132 De même, l'Islam
s'est comporté de façon identique que le christianisme en Afrique
; c'est-à-dire qu'il a été également un appareil
idéologique d'État qui a servi à asseoir la domination
coloniale arabomusulmane. Et n'oublions pas que la structuration de la
population informe sur l'appartenance religieuse des groupes sociaux : on
retrouve les chrétiens, les musulmans, des animistes, sans oublier les
adeptes des sectes ésotériques.
Mais cela ne change en rien le rôle de la conversion
à l'islam comme une profanation des corps. Comme pour le christianisme,
nous avons recueilli les discours de deux (2) de nos interlocuteurs musulmans ;
dans l'édification de notre préoccupation. Aussi, il leur a
été posé la question de savoir ce qu'est la conversion.
Ils répondent à cet effet que :
Énoncé n°10 :
- « Être converti c'est être croyant,
c'est aimer sa religion. Se convertir c'est devenir
un vrai musulman et c'est pour avoir l'islam en soi, j'ai
grandi dedans. Ça m'a apportél'amélioration des
conditions de vie ; je ne fais plus de bêtises comme avant et
çà m'a appris à savoir me maîtriser quand je suis
dans les problèmes >>.133
132 Helen CALLAWAY, << Purity and Exotica in
Legitaming the Empire : cultural constructions of Gender, sexuality and
race » cité par André CORTEN et André MARY
(éds) in Imaginaires politiques et pentecôtismes
Afrique/Amérique Latine, Paris, Karthala, (coll. <<
Hommes et sociétés »), 2000, p.92.
133 Propos de monsieur Moussa TOGOLA, 35 ans, entretien
réalisé le 26 mai 2009 à 20h18 à son domicile. Il
est malien, coutume Dogon. C'est un musulman.
Énoncé n°11 :
- « La conversion c'est s'intégrer dans une
religion et changer d'habitudes ; suivre les instructions du Coran pour nous,
de la Bible pour les chrétiens. L'évenement qui m'a amené
à me convertir c'est mon opération chirurgicale. Quand je me suis
faite opérée, j'ai pensé que ce n'est pas tout le monde
qui peut revenir. Je me suis faite convertir parce que j'avais besoin d'une
assise, d'un endroit où je peux adorer mon Dieu ; Allah. Je dois dire
qu'elle m'a apportée beaucoup de choses ; le bien-être, l'humour,
la joie, mon coeur est libre car avant, je me cherchais vraiment ; tous les
jours je pouvais être malade, ce qui n'est plus le cas
».134
Rappelons ici que comme le christianisme, l'islam de Mahomet
s'est imposé et s'est diffusé en Afrique dans un contexte
colonial de déstructuration sociale de l'ordre social des
sociétés symboliques africaines. On se rend compte aussi que
« la mise en ordre religieuse par l'érection de monuments
procède d'un désir de visibilité et d'affichage public des
cultes. Les cultes, musulman comme catholique, s'affirment contre génies
et les esprits ancestraux, désormais retranchés dans l'espace
privé, les lieux obscurs et de la mémoire »135
des autochtones.
C'est dans cette déstructuration sociale que le temps
de la régulation et du contrôle social ont la coloration
coloniale. Il s'agit donc d'une conversion qui a la capacité
d'inscription du corps social colonisé dans un universel
irréductible à l'ethnologie et la (dé)tribalisation
coloniale ; voire une négation de son identité africaine sous le
prétexte colonial.
Dans ce marché religieux et politique, une bataille
à caractère religieux voit le jour mais dont les soubassements,
en filigrane, restent politico-administratifs; c'est le fait que face à
l'islam, « la préoccupation principale de l'Église est
d'imposer des pratiques religieuses orthodoxes pour faire pièce à
Mahomet *< et+ sa religion absurde et rétrograde qui a détruit
< Je dirais seulement qu'une religion qui s'est établie par la force,
et qui promet à ses adeptes des voluptés charnelles pour
134 Propos de mademoiselle Khadidjatou MAROUNDOU, gabonaise,
reprographe à l'UOB, 33 ans, coutume Punu, musulmane ; entretien
réalisé le 5 aoLt 2009 à 16h à l'UOB.
135 Mamadou DIOUF, « Assimilation coloniale
et identités religieuses de la civilité des originaires des
Quatre Communes du Sénégal » paru in Le
CODESRIA, Dakar, Sénégal, sans date, p.839.
récompenses ne pouvait que s'étendre rapidement
: l'État d'ignominie, de stupidité, de servitude, de corruption,
dans lequel sont plonges tous les peuples soumis à la loi de Mahomet en
est une demonstration evidente ».136
Le discours de ce pretre nous permet de voir les paradoxes de
l'entreprise missionnaire (de telle sorte qu'il ne s'agit pas de juger pour ne
pas etre juge, seulement de proclamer la Bonne Nouvelle dans le monde). Il va
plus loin dans son propos en affirmant qu'au sujet des Africains, « ils
etaient donc chretiens par le bapteme *<+ superstitieux comme les
mahométans et les fétichistes. Leurs moeurs etaient à peu
près les memes *<+ C'étaient des chrétiens sans
instruction, dans un pays eminemment mahometan ».137 Nous
rajouterons egalement que le processus de diabolisation des us et coutumes
africaines ne datent pas d'aujourd'hui, plutôt depuis la colonisation.
C'est d'ailleurs pour quoi « la revendication de
l'instauration d'un tribunal musulman doit se lire non comme une lutte pour un
regime juridique inscrit dans une tradition religieuse, mais la circonscription
d'un espace de production d'une identite indigène, soustraite à
la violence de la domination et l'arrogance culturelle coloniale. Lorsqu'on
suit à la trace les objets autour desquels se nouent l'opposition entre
communaute musulmane et les acteurs metropolitains (juges et fonctionnaires
coloniaux), sont en cause la polygamie, qui travaille l'imaginaire des colons-
et le fantasme d'une sexualité indigène torride,
débridée et fertile-, la gestion, par la communaute, des
orphelins- qui engage à la fois les problèmes d'héritage,
de succession, mais egalement de conversion (<) »138
Loin d'être un jugement de valeur, plutôt un
jugement de fait basé sur un constat, on se rend compte que le
pentecôtisme repose sur la capacite de diaboliser et de demoniser les us
et coutumes des autochtones en creant des images negatives.
136 L'abbé BOILAT, 1984 :232 cite par Mamadou DIOUF,
ibid., p.842.
137 L'abbé BOILAT, 1984 :214-215 cite par
Mamadou DIOUF in « Assimilation coloniale et identités
religieuses de la civilité des originaires des Quatre Communes du
Sénégal », ibid.,p.842.
138 Mamadou DIOUF, op.cit., p.842.
Sans oublier que le pentecôtisme participe à
renforcer les stratifications sociales en Afrique.
En résumé, par le pentecôtisme, l'espace
public est un espace de guerre où l'autre doit être «
démoli », consommé et consumé. On est dans un
discours métonymique.
2.2. Les effets de l'islam
Grosso modo, nous proposons aussi un passage, mettant en
scène le père de Samba DIALLO, un personnage central et un
instituteur, tiré du livre de Cheik HAMIDOU KANE139
titré << L'aventure ambiguë », dans le but de
montrer justement les paradoxes de la rencontre entre le <<
civilisé >>(l'homme blanc) et le « sauvage » (le noir) ;
dans une perspective d'une certaine résistance, d'un échec de la
gestion du champ religieux et symbolique africain par les européens
comme le pense Achille MBEME. << Il est certain que rien n'est aussi
bruyamment envahissant que les besoins auxquels leur école permet de
satisfaire. Nous n'avons plus rien<grace à eux, et c'est par
là qu'ils nous tiennent. Qui veut vivre, qui veut demeurer
soi-même, doit se compromettre. Les forgerons et les bûcherons sont
partout victorieux dans le monde et leur fer nous maintient sous leur loi. S'il
ne s'agissait encore que de nous, que de la conservation de notre substance, le
problème eût moins compliqué : ne pouvant les vaincre, nous
eussions choisi de disparaître. Plutôt que de leur céder.
Mais nous sommes parmi les derniers hommes au monde à posséder
Dieu tel qu'Il est véritablement dans Son Unicité<Comment Le
Sauver ? Lorsque la main est faible, l'esprit court de grands risques, car
c'est elle qui le défend< -Oui, dit l'instituteur, mais aussi
l'esprit court de grands risques lorsque la main est trop forte. Le
maître, tout à sa pensée, leva lentement la tête et
considéra les trois hommes. - Peut-être estce mieux ainsi ? Si
Dieu a assuré leur victoire sur nous, c'est qu'apparemment, nous qui
sommes Ses zélateurs, nous l'avons offensé. Longtemps, les
adorateurs de Dieu
ont gouverné le monde. L'ont-ils fait selon Sa loi ?
Je ne sais pas<J'ai appris qu'au pays des blancs, la révolte contre
la misère ne se distingue pas de la révolte contre Dieu. L'on dit
que le mouvement s'étend, et que, bientôt, dans le monde, le
même grand cri contre la misère couvrira partout la voix des
muezzins. Quelle n'a pas dii être la faute de ceux qui croient en Dieu
si, au terme de leur règne sur le monde, le nom de Dieu suscite le
ressentiment des affamés ? »140
En un mot, on s'aperçoit d'abord qu'il ya là
comme un discours sur la théodicée prophétique de Max
WEBER. Un détour chez Jean-François BAYART141 est
intéressant. En effet, dans cette perspective de la conversion des
Africains au christianisme et à l'islam et qui s'apparente à un
conflit symbolique de profanation des corps, BAYART attire notre attention en
nous apprenant que « le travail d'inculturation ne se fera que par les
Églises d'Afrique elles-mêmes. Et si le Pape préside, c'est
par la charité et non la culture. C'est entre autre pour ne pas avoir
compris cette distinction qu'il y a eu, au cours de l'histoire de
l'Église, les ruptures des mondes byzantin, slave et germanique (<)
Nos Églises ont été fondées par des missionnaires
venus du monde latin mais cela ne signifie pas que nous sommes devenus des
Latins. Les Occidentaux eux-mêmes ont été
évangélisés par des Judéochrétiens et des
Grecs ; ils sont restés latins et romains. De même les
Églises copte et éthiopienne ont été
évangélisées par Byzance. Cependant, elles se sont
développées selon leur manière et leur génie
propres (<) Les Occidentaux ont vécu jusqu'ici selon une vie culture
unifiée et monolithique. Ils ont fait d'une contingence (la
manière dont le christianisme s'est développé en Europe)
une nécessité et considèrent le mode européen comme
indispensable. Ils contestent la diversité culturelle, la seule culture
étant la leur (<) Il y a eu de fait confusion entre l'ordre de la
charité et l'ordre de la culture. Il faut donc reconnaître
qu'aujourd'hui encore, l'admission d'un
140 Cheik HAMIDOU KANE, L'aventure ambiguë.
Préface de Vincent MONTEIL, ibid., pp.20-21.
141 Jean-François BAYART, « Les Églises
chrétiennes et la politique du ventre : le partage du gâteau
ecclésial », CERI-CNRS, 26 p, document en pdf tiré sur
le site
www.google.fr
pluralisme culturel de la part de l'Occident est purement
théorique : il n'y a pas admission effective d'un tel pluralisme
».142