Section 3 : Démarche méthodologique
La notion de << terrain >>, notion clé en
sciences sociales en ce sens que c'est le terrain qui est le premier <<
guide du chercheur >>, il est également le laboratoire où
le chercheur va puiser le matériau brut de son enquête et il est
enfin le lieu idéal où l'on peut observer les pratiques sociales,
sinon la réalité sociale. En effet, << faire du terrain,
c'est avoir envie de se colleter avec les faits, de discuter avec les
enquêtés, de mieux comprendre les individus et les processus
sociaux >>.69 Il va de soit qu'il n'y a pas de recherche sans
terrain, surtout en sciences humaines.
1- Cadre empirique de la recherche
Indépendamment du cimetière de Mindoubé
comme cadre empirique principal de notre recherche, nous avons aussi retenu
deux autres sites : la Mission protestante de Baraka et la cathédrale
Sainte Marie de Libreville. Ces deux sites présentent une même
caractéristique : ils sont construits aux abords des cimetières
(comme le montrent les photos qui suivent). D'où le tableau suivant :
69 Stéphane BEAUD et Florence WEBER, Guide
de l'enquête de terrain. Produire et analyser des données
ethnographiques, Nouvelle édition, Paris, éd. La
Découverte, 2003, p.16.
Tableau n°2 : les Églises à
proximité des cimetières
Arrondissement
|
Église
|
Cimetière clôturé
|
Cimetière éclairé
|
Cimetière Gardé
|
Obédience
|
2ème
|
Sainte Marie
|
Oui
|
Non
|
Non
|
Catholique
|
4ème
|
La Mission Baraka
|
Partiellement
|
Non
|
De jour
|
Protestante
|
Nous voulons apporter quelques précisions. La Mission
protestante de Baraka est construite à côté de son
cimetière et comme nous l'a fait remarqué le pasteur Raymond
AKITA de la paroisse :
Énoncé n°1 :
- « La construction du cimetière
répondait déjà à un souci de sécurité
des morts. Depuis l'antiquité, les cimetières doivent être
mis en sécurité par les hommes d'Église pour éviter
les profanations des tombes. L'Église étant mieux placée
pour connaître les lois ésotériques. L'Église se
faisait garante de veiller sur les cimetières. Et l'Église a
compris et a réalisé que le pôle central de toutes les
Églises du monde entier doit regarder le coucher du soleil. Tout
simplement parce que le coucher du soleil est le repos de l'dme. Tout n'est que
la symbolique du reflet du visible et de l'invisible selon les enseignements de
l'Église et des dimensions supérieures. Alors quand tu viens
à l'Église le dimanche c'est pour chercher le repos de ton dme.
Et la porte centrale regardant le coucher du soleil c'est le symbole de l'homme
qui a travaillé toute la journée et qui rentre dans sa maison le
soir se reposer. Et l'Église, pour l'orientation de la
vérification de la porte centrale face au coucher du soleil,
l'Église a jugé mieux non seulement pour la
sécurité, pour éviter la profanation des tombes, a
trouvé mieux de mettre les cimetières derrière les
Églises. Et la tête et la croix se situent au niveau du
levé du soleil tout simplement parce que le levé du soleil est le
symbole de la résurrection, de la naissance, le réveil du matin.
Comme l'homme se réveille, celui qui est parti aussi a besoin d'un
réveil par l'orientation de la croix sur la zone du soleil
».70
Ce que montrent surtout ces propos, c'est que la mission de
l'Église est de protéger les cadavres de la profanation. Autre
fait, c'est que les propos du pasteur, le
70 Propos du pasteur Raymond AKITA, pasteur de la
Mission protestante de Baraka de Libreville, 42 ans, Galoa. Entretien
réalisé le 6 août 2009 à 13 heures. Il exerce le
sacerdoce depuis 2000.
seul qui a bien voulu nous recevoir, nous éclairent sur
la façon dont sont disposées les tombes dans un cimetière
et cela peut expliquer les propos selon lesquels il y'aurait une vie
après la mort. La Mission protestante de Baraka est construite autour
des habitations et Sainte Marie, est plutôt entourée de
cimetières, nonobstant l'école catholique qui est située
dans sa concession. De même, pour avoir une idée précise de
ce que nous avançons ici, nous proposons aussi quelques photos de La
Mission Baraka et de la cathédrale Sainte Marie qui viennent illustrer
notre argumentation :
Photo n°1 : Une des vues de la Mission
protestante de Baraka de Libreville dans le 4ème
arrondissement
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, 6
août 2009
Au premier plan, on peut apercevoir la bâtisse en bois
construite dans les années 1880 par les missionnaires américains
au Gabon. On note également une route secondaire visible qui conduit au
cimetière de la Mission. Enfin, au second plan le nouvel édifice
abritant la paroisse et au milieu la route principale goudronnée. De
plus, le site est dans l'obscurité. Enfin, pour revenir au premier plan,
la bâtisse en bois sert de centre de documentation et peut, selon les
circonstances, prêter son cadre pour des réunions importantes
etc.
Photo n°2 : Une vue principale du
cimetière de Baraka
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, 6
août 2009
Le portail principal du cimetière est fait de bois et
c'est un site qui n'est pas éclairé comme Plaine Niger,
Mindoubé et Lalala. On observe lors de notre passage un travailleur qui
préparait le caveau pour un enterrement. De plus, le pasteur AKITA nous
a rappelé qu'il n'y a aucune profanation dans ce site. Ce qui prouve que
l'Église protège de la profanation des tombes et des corps.
Photo n°3 : Un aperçu de la
Mission protestante de Baraka
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, 6
août 2009
Notons que la paroisse est sans barrière de protection et
est traversée de jour comme de nuit par les habitants qui vivent aux
alentours.
Photo n°4 : Une vue latérale de
la cathédrale Sainte Marie de Libreville
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, 6
août 2009
Ici en premier plan, nous avons le cimetière catholique
de Sainte Marie qui est protégé par une barrière. Notons
que seules les tombes des missionnaires et les hommes qui ont servi
l'Église y sont enterrés. Le site toutefois est dans
l'obscurité. Dans la concession, il existe ce genre de cimetière,
surtout lorsque l'on fait le tour de la cathédrale. Il ya plus de 2 ans
que cette cathédrale fut fermée au public pour des travaux de
réfection et d'agrandissement. Il semblerait que ces travaux ne furent
qu'un alibi pour mieux déplacer la dépouille du défunt
archevêque Monseigneur ANGUILET qui fut enterré à
l'intérieur comme le veut la tradition catholique. Il fut
canonisé.
Photo n°5 : Une vue partielle du
cimetière catholique de Sainte Marie
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, 6
août 2009
De près cette photo montre bien la disposition des
stèles dont faisait allusion le pasteur AKITA. Au second plan, nous
avons la cathédrale et juste sur son flan gauche, des statuettes
d'hommes d'église qui ont fait son histoire. C'est comme si il s'agit
d'un culte des morts un peu à l'européenne.
Photo n°6 : Une prise de vue faciale de
Sainte Marie
Toujours pour renchérir les propos du pasteur AKITA,
nous voyons que sur ce plan, une tombe a été érigée
juste à l'entrée de l'église et est toujours
disposée de telle sorte que le défunt puisse « ressusciter
» selon le levé du soleil.
Photo n°7 : Des stèles à
Sainte Marie
Cliché de Lionel Cédrick IKOGOU-RENAMY, 6
août 2009
On se rend compte finalement que Sainte Marie est un grand
cimetière et nonobstant le fait que la cathédrale soit un lieu de
prière, ce qui fascine les visiteurs et donc l'Église est un
« cimetière » fait pour protéger les corps de la
profanation.
2- Caractéristiques de notre population
d'enquête
Sur un échantillon de cinquante-deux (52) personnes,
nous n'avons retenu que 25 personnes dont les réponses nous paraissent
plus pertinentes pour le travail. Aussi, en références
documentaires, nous avons détaillé cet échantillon de
vingt-cinq (25) personnes.
3. Techniques de collecte et de traitement des
données
3.1. L'entretien et la photographie comme techniques
de collecte des données
La technique utilisée pour collecter l'information
repose sur un guide d'entretien, technique que nous avons trouvé
pertinente car elle met en situation d'échange le chercheur et
l'informateur ; mieux, comme on dit, il s'agit d'« une technique qui
consiste à organiser une conversation entre enquêté et
enquêteur. Dans cet esprit, celui-ci doit préparer un guide
d'entretien, dans lequel figurent les thèmes qui doivent être
impérativement abordés ».71 De même, le
travail ethnographique est délicat puisque « être
ethnographe, en effet, c'est d'abord consigner les dires d'informateurs
indigènes convenablement choisis ».72
En somme, il existe plusieurs modalités d'organisation
des entretiens ; dont nous avons retenu l'entretien semi-directif
comme modalité utilisée. Cet entretien
semi-directif « suppose que le chercheur annonce à
son interlocuteur le thème de l'entretien. Il fait en sorte que celui-ci
se déroule le plus « naturellement » possible (non
standardisation de la forme et de l'ordre des questions), tout en abordant
l'ensemble des sujets fixés au départ ».73
La photographie pour sa part nous permet de mieux
apprécier le phénomène étudié parce qu'elle
raconte l'objet en le rendant plus vivant, plus concret. En fait, elle suscite
les émotions et la sensibilité du chercheur et des lecteurs face
à l'objet d'étude. Mieux, les « photographies pourront
(<) servir de document, d'aidemémoire »74 et font du
chercheur un « spectateur au carré, caisse de résonance du
spectacle»75 ou un témoin oculaire. La photographie est
donc une preuve
71 Alain BEITONE et al., Sciences sociales,
Paris, Sirey, (coll. « aide-mémoire »),
3ème éd., 2002, p.27.
72 Jeanne FAVRET-SAADA, Les mots, la mort, les
sorts, Paris, Gallimard, 1977, p.26.
73 Alain BEITONE et al., ibid., p.28.
74 Stéphane BEAUD et Florence WEBER, Guide
de l'enquête de terrain. Produire et analyser des données
ethnographiques, Nouvelle édition, Paris, éd. La
Découverte, 2003, p.154.
75 Ibid., p.155.
immensément importante au sujet de la nature même de
l'objet d'étude observé et sur le rôle que l'on occupe
souvent sans le savoir sur le terrain.
3.2. L'analyse de contenu comme technique d'analyse des
données
« L'analyse de contenu porte sur des messages aussi
variés que des oeuvres littéraires, des articles de journaux, des
documents officiels, des programmes audiovisuels, des déclarations
politiques, des rapports de réunion ou des comptes rendus d'entretiens
semi-directifs. Le choix des termes utilisés par le locuteur, leur
fréquence et leur et leur mode d'agencement, la construction du «
discours » et son développement constituent des sources
d'informations à partir desquelles le chercheur tente de construire une
connaissance ».76
En un mot, l'analyse de contenu est un des outils d'analyse
qui nous permet, en tant que technique de traitement des données, de
confronter l'idée selon laquelle les faits scientifiques sont à
la fois « conquis, construits et constatés ». Au coeur du
dispositif : le recueil des données et leur analyse. Elle nous permet de
rendre explicite l'implicite, pour lire au-delà des textes, pour
décrypter les idéologies de nature qualitative et quantitative.
Surtout, elle est à la base de la construction de notre concept
fondamental d'étude : l'« or blanc ».
3.3. Limites de l'étude
Une des difficultés majeures n'est pas tant celle de la
documentation en tant que telle, plutôt de pouvoir obtenir des entretiens
avec les différents responsables religieux de Libreville. En effet, nous
n'avons pas pu rencontrer un des prêtres du séminaire Saint
Augustin assermenté sur la question et ce ; indépendamment du
fait que nous étions recommandés. Cependant, seul le vicaire de
la Paroisse de Saint André, l'abbé Dieudonné nous a
apporté des informations précieuses. Il en est de même pour
le pasteur de la Mission protestante de Baraka qui a été
très coopératif.
76 Raymond QUIVY et Luc VAN CAMPENHOUDT,
op.cit., pp.229-230.
Par ailleurs, certains pasteurs des Églises dites de
réveil qui, lors de nos premiers passages, acceptaient de nous recevoir
puis, refusèrent sous prétexte qu'ils n'avaient jamais le temps
disponible.
Précisons que nous assistions à toutes les
messes comme ces pasteurs nous le recommandaient mais après, des parades
étaient mises en place pour ne plus nous recevoir. De même, nous
nous rendons compte que travailler de manière générale sur
la problématique de la mort à Libreville pose d'énormes
difficultés : la réticence de nos interlocuteurs de nous
recevoir. Parfois même, on a été victime d'injures (les
plus fréquentes faisaient toujours allusion à une possible
adhésion aux loges rosicrucienne et franc-maçonne de la place)
parce que selon eux, on ne peut pas travailler sur de tels sujets sans
être un des leurs.
Pour finir, signalons que l'anonymat et les agressions
verbales des interlocuteurs au cimetière ont constitué aussi des
limites. En effet, si certains de nos interlocuteurs ont accepté que
nous déclinions leurs identités dans ce mémoire, il n'en
demeure pas moins que la majorité de nos interlocuteurs (surtout les
familles des victimes des profanations des tombes et certains habitants de
Mindoubé) a préféré l'anonymat et les menaces
verbales à notre égard ; due certainement à la
sensibilité et à la délicatesse du sujet que nous traitons
présentement.
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