3.4.4-Autres facteurs
L'analyse des résultats des guides, nous a permis
d'identifier d'autres facteurs par les différents répondants tels
que l'accouchement à domicile (le facteur le plus
déploré), la forte fécondité « J'ai
vu une femme de 24 ans qui a déjà fait 9
grossesses »(ICP de Dougué), la non prise des
médicaments préventifs (fer, vitamine...), le très faible
taux d'utilisation de la contraception, la sexualité précoce, les
grossesses non désirées camouflées, les tabous
alimentaires ( les femmes enceintes ne mangent pas d'oeufs, de bananes, de
viande, de farine, d'arachide, de riz par contre elles mangent de la terre, des
cendres, la bouse de vache...).
En résumer pour les facteurs qui favorisent la
mortalité maternelle, l'étude a démontré,
malgré la taille réduite de l'échantillon, que la
mortalité maternelle dépend d'une variété de
facteurs aussi bien économiques, politiques et sanitaires que sociaux,
culturels et environnementaux. Pendant longtemps les études sur la
mortalité maternelle ont ignoré ces facteurs et causes non
médicales au profit des causes biomédicales et cliniques.
Les facteurs socioculturels tels que
l'ignorance, l'analphabétisme, les croyances religieuses et
coutumières, le faible pouvoir décisionnel des femmes, la
pauvreté sont principalement responsables du premier retard à
savoir la prise de décision de recourir aux soins de santé. Selon
nos résultats ce retard est le premier impliqué dans près
de 25 % des cas de décès. Il est donc particulièrement
important que les prestataires et les décideurs aient conscience de ces
facteurs qui sont en amont. Il ne faut surtout pas sous-estimer l'influence des
chefs religieux, des guérisseurs ou des accoucheuses traditionnelles sur
l'attitude des ou de la communauté. Des femmes peuvent être
amenées à choisir d'accoucher dans des conditions dangereuses
pour des raisons culturelles et cultuelles telles que le refus d'être vu
par un homme ou la plus grande confiance aux tradipraticiens, aux marabouts et
autres...
Selon une étude au Maroc, en 1991, 15% des malades
issus de la campagne ont eu recours aux guérisseurs contre presque 6%
dans le milieu urbain. Par ailleurs, au cours de la période 1997-98,
presque une femme malade sur 4, soit 24%, n'a pas réalisé une
consultation médicale en raison du recours à la médecine
traditionnelle. Cette proportion est 22% dans le milieu urbain contre 27% dans
le milieu rural [11]. Le statut très bas des femmes est aussi un facteur
favorisant. Les femmes sont totalement dépourvues de pouvoir
décisionnel au profit du mari ou de la belle-mère. Selon une
étude au Sénégal, les hommes prennent plus de 50% des
décisions sur l'accès aux soins de santé des femmes [52].
Ce qui fait dire à Laura Katzive, conseillère juridique au centre
pour les droits reproductifs que « le rejet quotidien des
droits des femmes à l'autonomisation et à la non-discrimination
en matière de reproduction est un facteur contribuant à la perte
inutile de vies humaines » [34].
Dans le même ordre d'idée l'UNFPA
considère la mortalité maternelle comme un indicateur de la
différence et de l'inégalité entre les hommes et les
femmes et son importance un révélateur de la place des femmes
dans la société et de leur accès aux services sociaux,
sanitaires, nutritionnels tout comme à la vie économique [62]. Il
est donc nécessaire, pour NOUIJAI de prendre en compte les
caractéristiques sociales et économiques ainsi que les
spécificités culturelles de la population. Des actions dans le
sens de minimiser les effets de ces facteurs sur la santé de la
reproduction sont nécessaires par l'éducation et
l'alphabétisation des femmes en général et des femmes du
milieu rural en particulier [42].
Les facteurs physiques et
géographiques sont à l'origine du deuxième retard
qui empêche les femmes d'accéder aux structures sanitaires
adéquates. Souvent il se pose soit un problème de transport (la
charrette est le premier moyen de transport pour les urgences dans notre
série), soit un manque de moyens pour payer le transport. Parfois ce
sont les routes et les voies de communications qui sont complètement
bloquées. Cette situation était responsable de plusieurs
décès maternels à domicile ou en cours d'évacuation
ou de référence à Bakel.
Au Zimbabwe, plus de 50% de la mortalité maternelle due
à l'hémorragie peut être attribuée à
l'absence de transport d'urgence selon Fawcus [23]. La distance est parfois la
raison pour laquelle les femmes choisissent d'accoucher à domicile
plutôt que dans une structure de santé.
Dans cette étude ce retard est impliqué dans 12
des 20 cas de décès ce qui fait dire à l'OMS que c'est au
premier niveau de recours que de nombreux décès maternels ont
lieu, soit parce que les femmes viennent de trop loin et arrivent trop tard,
soit parce que les soins obstétricaux essentiels dont elles ont un
besoin immédiat ne peuvent être assurés [44]. Alors pour
lutter efficacement contre ce retard, Il faut donc mettre en place un bon
système d'orientation-recours reposant sur la rapidité des
communications de la prise des décisions et du transfert des
informations sur les patientes entre les services concernés, un
système de partage des coûts et un système de transport
adéquat entre les villages et les centres de santé et
améliorer l'état des routes. En plus de ces facteurs qui
minent la route aux SOU et aux SOUC se trouvent ceux liés
au système de santé tels le manque de personnel
compétent, le retard dans l'intervention, l'insuffisance de la
qualité des soins. Vu l'importance des cas de décès par
septicémie et le délai élevé entre les moments de
délivrance et le décès dans notre étude, il se pose
un problème de prise en charge efficace des complications dans les
structures sanitaires de Bakel. Selon la littérature, toutes les
grossesses sont à risque car la plupart des complications
obstétricales ne peuvent être ni prévisibles, ni
évitables mais peuvent être traitées. L'accent doit
être mis sur le moment de l'accouchement, au coeur de la
continuité des soins.
Une étude en Gambie sur des interventions pour la
réduction de la mortalité maternelle en 1987 a conclu que
« ...les facteurs de risques n'étaient pas utiles pour
identifier les femmes présentant le plus grand risque de
décès » [28].
Les retards de décision pour consulter, à
atteindre les formations sanitaires et à recevoir les soins,
rapportés par les familles contribuent fortement au fléau de la
mortalité maternelle qui frappe lourdement nos pays en
développement. L'ignorance des signes, le problème de transport,
le recours aux guérisseurs et accoucheuses traditionnelles, le retard
de référence, la pauvreté, le mauvais état des
routes, le manque de moyens de communication et de transport au niveau des
formations sanitaires et l'incapacité de réaliser une transfusion
sanguine au niveau de l'hôpital du district peuvent justifier ces
retards.
Il apparaît ainsi que les facteurs qui contribuent aux
décès maternels ne sont plus seulement biomédicaux mais
surtout socioculturels, économiques et environnementaux. Ce qui veut
dire que la lutte contre la mortalité maternelle ne doit plus être
basée sur l'accumulation de données
épidémiologiques à savoir les indicateurs d'impact tels
que le ratio de Mortalité Maternelle, mais plutôt sur les facteurs
socioculturels et économiques en relation avec la communauté et
aussi sur les indicateurs dits de processus tels que le taux de
césariennes qui à un niveau national permet de connaître
les besoins obstétricaux couverts et par déduction à
partir de ces derniers les besoins obstétricaux non couverts. Tabutin
D., ne disait-il pas en 1992, qu' «Une chose est certaine: la relation
simple et le facteur unicausal ne sont plus de mise ; l'interdépendance
entre l'économique, le social, le sanitaire et le culturel s'impose dans
les faits et dans la réflexion, l'approche systémique devient une
nécessité» [61]. Vision corroborée par le Pr. O.
FAYE qui affirmait que « Le modèle social de la
santé doit remplacer la stratégie de l'aval, coûteuse,
inégalitaire, et imposée par le tout-puissant modèle
biomédical, par une stratégie dite de l'amont, efficiente et plus
humaine » [54].
Bien que conscient des limites d'une étude
rétrospective qualitative basée sur l'exploitation de
données communautaires et hospitalières en plus du biais de
sélection, nous pensons que ces résultats reflètent en
grande partie les problèmes réels de santé de la
mère dans le département de Bakel.
Enfin, nous espérons fournir aux décideurs
locaux et régionaux un certain nombre d'éléments utiles
à l'élaboration d'une stratégie d'action en vue d'aboutir
à l'amélioration de la santé maternelle.
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