3.5.3.3 Qualité des services offerts
L'analyse des cas de décès maternels survenus au
niveau des postes de santé et du centre de référence de
Bakel montre une insuffisance de la qualité des services. Au niveau des
postes de santé, les patientes sont parfois gardées trop
longtemps avant l'évacuation. C'est le cas de ce décès
survenu à l'hôpital régional de Tamba après que la
patiente ait fait 6 jours d'hospitalisation dans un poste et un jour au Centre
de santé de Bakel. Ce problème de qualité vient
« boucler la boucle » d'une série de retards et de
manquements, le tout étant responsable du décès maternel
comme l'illustrait ce cas. « Elle a eu des difficultés
à l'accouchement que l'accoucheuse traditionnelle n'a pas pues
résoudre. Elle nous a dit d'aller au poste de santé.
Nous avons quitté la maison vers 19 h, nous avons
attendu au bord de la route presque 2 heures sans avoir de
véhicule.
C'est après que nous avions pris une charrette
pour aller au poste. Ici c'est difficile de trouver un moyen de transport
surtout quand on a un malade ou une femme enceinte. Nous avons fait une
journée là bas, c'est au deuxième jour qu'elle a
accouché. Après accouchement nous avons fait 6 jours
d'hospitalisation dans le poste car elle était tombée malade.
Nous avions acheté des ordonnances et l'infirmier lui a fait plusieurs
perfusions. C'est après que l'infirmier nous a dit d'aller au centre de
santé avec l'ambulance du poste. Arrivée au Centre de Bakel, nous
avons fait une journée où elle recevait des traitements. J'ai
acheté des ordonnances sans compter. Comme rien n'allait, le lendemain
à 16 heures nous avons quitté Bakel pour aller à Tamba
où nous sommes arrivés vers 20 heures. Elle a été
immédiatement hospitalisée où elle est
décédée vers 3 h du matin. Le bébé aussi est
décédé à l'hôpital quelques heures
après »( Mari d'une femme décédée
à Samba Yidé). C'est ce qui fait dire à un
médecin de Tamba qu'« On ne peut pas faire de miracles
quand on nous amène des épaves de femmes à l'hôpital
régional, c'est ce qui explique le nombre élevé
de femmes qui décèdent. Ces décès sont
évitables à condition que les femmes viennent à
temps ».
Un autre élément de la qualité des
services qui fait défaut dans le département de Bakel est le
plateau technique insuffisant voir obsolète pour prendre en charge les
complications obstétricales tel que l'inexistence de banque de sang dans
le centre de santé de référence. Dans cette étude,
4 femmes ont été référées à
l'hôpital régional pour hémorragie, avaient besoin de
transfusion, et sont décédées en cours de route sans
jamais y arriver d'où l'importance capitale de disposer des SOUC sur
place ou à peu de distance des populations.
Le cas qui suit illustre la triste réalité
vécue par les femmes dans ce département victimes de l'ignorance,
de la discrimination, du mépris et de la dévalorisation de leur
vie.
« C'était en
pleine nuit qu'elle m'a réveillée pour me dire qu'elle ne pouvait
pas dormir à causes des douleurs. Comme il faisait nuit, nous avons
attendu 6 h pour se rendre à l'hôpital par une charrette. Quand
nous sommes arrivés, les sages-femmes ont essayé de la faire
accoucher mais ça n'a pas marché. Vers 9 h la sage-femme nous a
dit d'aller à Tamba car le médecin qui fait les opérations
est absent. Nous avons attendu midi pour avoir une ambulance et partir. Nous
sommes partis avec F. C un soigneur de plaies de l'hôpital. C'est vers
Boye Nguel prés de Balla qu'elle a commencé à accoucher.
L'ambulance s'est arrêtée et nous sommes descendus pour permettre
à F.C de faire l'accouchement. Quelques moments après, l'enfant
est né sans vie. Moi j'étais sûr que le bébé
n'allait pas vivre vu les difficultés de son accouchement. Nous sommes
encore repartis mais elle souffrait, hurlait et saignait.
F. C a arrêté la voiture pour faire sortir le
placenta qui est resté. C'est ainsi qu'il l'a tiré, tiré
de toutes ses forces et ma femme hurlait très fort, se débattait
et elle s'est levée du lit à cause de la force utilisée
par F. C et le cordon du placenta qu'il tenait par les deux mains s'est
coupé, J'ai moi-même entendu le brut de rupture du cordon. Ma
femme est retombée renversée du lit en criant pour la
dernière fois de toutes ses forces, « je suis morte ...tu
m'as tuée ». Depuis elle ne parlait plus ni ne bougeait, elle
saignait jusqu'à notre arrivée à Tamba. F. C nous a dit
que maintenant elle s'en ira mieux puisque le placenta est sorti. Elle est
arrivée à Tamba mourante avec du sang qui coulait partout. Le
médecin a prescrit une ordonnance que je suis allé acheter,
à mon retour il m'informait qu'elle est décédée
sans qu'il ne puisse rien faire. Nous sommes retournés à Bakel et
ce jour là personne ne pouvait retenir ses larmes. Voilà comment
S. Ba est morte.» (Mari d'une femme décédée
de Bakel).
Des éléments importants dans la réussite
d'une prise en charge rapide des urgences obstétricales ont fait
défaut et ont été rapportés par les familles. Il
s'agit par ordre d'importance, un retard dans la prise de décision pour
aller à la formation sanitaire (24.5%), la gravité du
problème de la femme n'a pas été perçue plus
tôt par l'entourage (16.33%), un problème de transport pour
rejoindre le centre de santé (14.29%), une autre perception de la
maladie (12.24%), un retard à atteindre le centre malgré un moyen
de transport (12.24%), l'indisponibilité des SOU (10.20%) et un retard
à avoir les soins au niveau du centre de santé(6.12%) et retard
de référer(4%). On note qu'il arrive que pour un même
décès maternel, plusieurs de ces facteurs soient rapportés
par la famille.
Méconnaissance
de la gravité des signes
16.33 %
Retard dans la
prise de decision
24.5 %
Problème de
Transport 14.29 %
Retard à
accéder aux
Soins
12.24%
Retard à
recevoir des
Soins
6.12%
Autre
Perception de la
maladie
12.24%
Retard dans la référence
4.08%
Manque de
SOU
10.2 %
Figure 7: Facteurs contributifs de la
mortalité maternelle
Tableau N°13: Tableau de synthèse
N°
|
Age
|
Lieu de décès
|
Causes probables
|
Facteurs impliqués
|
1
|
38 ans
|
Centre de Santé
|
Palu grave
|
(1) (2)
|
2
|
33 ans
|
Centre de Santé
|
Hémorragie
|
(5)
|
3
|
28 ans
|
Centre de Santé
|
Hémorragie +Palu
|
(1)
|
4
|
29 ans
|
En cours de route
|
Indéterminée
|
(5) (3) (4) (8)
|
5
|
20 ans
|
Centre de Santé
|
Hémorragie
|
(6)
|
6
|
37 ans
|
Hôpital
|
Dystocie
|
(2) (5) (8)
|
7
|
30 ans
|
En cours de route
|
Indéterminée
|
(3) (4) (7) (8)
|
8
|
25 ans
|
Centre de Santé
|
Hémorragie
|
(8)
|
9
|
20 ans
|
Domicile
|
Hémorragie
|
(1) (2) (3)
|
10
|
17 ans
|
En cours de route
|
Eclampsie
|
(1) (3) (4)
|
11
|
35 ans
|
Hôpital
|
Septicémie
|
(2) (3) (7)
|
12
|
22 ans
|
Centre de Santé
|
Palu grave
|
(1) (2)
|
13
|
20 ans
|
Domicile
|
Septicémie
|
(2) (6)
|
14
|
45 ans
|
En cours de route
|
Indéterminée
|
(3) (4)
|
15
|
24 ans
|
Centre de Santé
|
Eclampsie
|
(1) (2) (6)
|
16
|
16 ans
|
En cours de route
|
Avortement
|
(1) (2) (6) (8)
|
17
|
21 ans
|
Centre de Santé
|
Hémorragie
|
(2) (4)
|
18
|
20 ans
|
Domicile
|
Eclampsie
|
(1)(2) (6)
|
19
|
14 ans
|
Centre de Santé
|
Dystocie
|
(2) (3) (4)
|
20
|
23 ans
|
Hôpital
|
Septicémie
|
(2) (6)
|
(1)- Méconnaissance de la gravité
des signes : 16.33 %. 5) -Retard
à les recevoir : ...6.12 %
(2)-Retard de la prise de décision
:......24.5% (6)-Autre perception de la
maladie:12.24 %
(3)-Problème de transport
: .........14.29 % (7)
-Retard de référence :.............4.08 %
(4)-Retard à accéder aux
soins :.........12.24 %
(8)-Indisponibilité des sou :........
10.20
|