3.5.1.2 Traitement traditionnel
Les croyances aux maladies provoquées par des forces
surnaturelles ou personnes maléfiques déterminaient souvent les
itinéraires thérapeutiques qui privilégiaient le
traitement traditionnel. Ainsi les femmes dans leur majorité (70%) ont
consulté des guérisseurs, des marabouts et autres
tradipraticiens. Les familles de manière spontanée s'adressaient
d'abord à la médecine traditionnelle avant d'aller aux centres de
santé modernes car elles croyaient que la maladie n'était pas
naturelle mais surnaturelle due à un génie, un mauvais oeil, un
sort jeté par une personne mal vaillante, un sorcier, ...
« Nous pensions que ce n'était pas une maladie pour les
docteurs puisqu'elle s'évanouissait puis se réveillait, avant de
l'évanouir à nouveau. C'est alors que j'ai appelé un
marabout » (belle-mère d'une femme
décédée). Attitude confirmée par le Pr
Oumar Faye directeur de la santé « dans la culture
sénégalaise, la mortalité maternelle n'a pas souvent
d'existence en soi dans la mesure où son origine est surnaturelle. Ce
caractère composite de l'étiologie explique pourquoi elle n'est
pas à priori justiciable d'un seul traitement. La médecine
moderne s'intéresse au `comment' et reste muet sur
l'angoissante question du `pourquoi', qu'elle laisse à
la philosophie ou à la religion. Or, c'est là que se joue le
drame de la maladie pour un Sénégalais : connaître non pas
le comment de son affection (la femme est décédée par
hémorragie utérine lors de l'accouchement) mais le pourquoi de ce
décès (victime d'un mauvais sort, transgression d'un tabou,
mécontentement des ancêtres, etc. Selon Lévi
Strauss, `c'est le tradipraticien qui sait utiliser un langage adéquat
dans lequel peuvent s'exprimer des états informulés et autrement
informulables') » [54].
De plus les pratiquants de la médecine traditionnelle
ont une influence très importante sur la population et retardaient ou
empêchaient parfois le recours aux structures de santé :
« le marabout nous a dit que ce n'était pas la peine de
l'emmener au dispensaire car avec ses médicaments elle allait
guérir rapidement » (mari d'une femme dans un village de
Bakel).
Les accoucheuses traditionnelles jouaient
aussi un rôle très important dans les sociétés
où elles se trouvent puisqu'elles assuraient à la fois la
fonction d'accoucheuse, de pédiatre, de conseillère, de
psychologue, d'assistante sociale. Elles étaient le premier recours des
femmes en cas de besoin loin devant les sages-femmes et les matrones comme le
confirme cette accoucheuse à Moudéry
« C'était en 1986 (20 ans) que j'ai commencé
à faire les accouchements c'est à dire que je connais très
bien ce métier. Tout le village nous connaît et c'est vers nous
que les femmes s'adressaient en premier jusqu'aujourd'hui avant d'aller par
force dans le poste de santé ». De plus les
difficultés relationnelles entre les accoucheuses et les prestataires de
santé aggravent la situation, comme en témoignait la même
accoucheuse :
« Tout le monde a confiance en nous mais nous
ne pouvons plus exercer ce travail tant que la sage femme est sur place. La
sage-femme est contre nous alors que nous travaillons toutes pour la bonne
santé des femmes et que nous pouvons travailler ensemble sans
problème ».
Il est donc indispensable d'établir un espace de
dialogue ou de concertation entre les prestataires et les accoucheuses
traditionnelles. De plus certaines accoucheuses gardaient les patientes
jusqu'au dernier moment ; c'est après avoir perdu tout espoir de
réussir qu'elles référaient les femmes. Car elles
pensaient qu'en envoyant les femmes vers les hôpitaux, cela touchait
à leur réputation même si elles n'ont pas les
capacités techniques ni les moyens matériels pour faire face aux
complications qui pouvaient survenir sans signes annonciateurs. C'est pourquoi
elles essayaient toujours avec la dernière énergie de faire
l'accouchement jusqu'au moment où elles sont dépassées par
les évènements. Comme en témoignait cet hom-
me : « C'était l'accoucheuse F.G que nous avions
appelée lorsque ma belle fille allait accoucher. Le premier jour elle
avait tout fait sans réussir et au deuxième jour elle a
appelé la deuxième accoucheuse au secours. Malgré leurs
efforts conjugués l'accouchement n'a pas pu avoir lieu et c'était
au troisième jour que nous l'avions amené à Bakel alors
qu'il était trop tard. Elle est décédée avant son
opération » (Beau-père d'une femme
décédée à Golmy). L'accouchement à domicile
est considéré par les agents de santé du
département comme le principal facteur de mortalité et de
morbidité maternelle. Pour eux, le contexte où se
déroulaient les accouchements à domicile est
caractérisé par l'analphabétisme qui ne permettait pas aux
accoucheuses d'évaluer les risques encourus.
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