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La Coopération Multilatérale et la Question de l'Eau au Bassin du Nil

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par Christine A. ISKANDAR BOCTOR
Institut d'Etudes Politiques de Paris (IEP) - DEA (Master) en Relations internationales 2002
  

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C. Les stratégies des pays riverains

Face à une demande en forte croissance, il faudra aussi trouver de nouvelles sources d'approvisionnement : le recours à des ressources de l'eau « non conventionnelles » ; le dessalement de l'eau de mer, le recyclage de l'eau usée. La rareté croissante des ressources en eau douce, dans diverses régions de la planète, pousse plusieurs consommateurs à se tourner vers des sources d'approvisionnement autres. La plupart de ces alternatives ne sont encore utilisées que de façon marginale, en raison des coûts excessifs qu'elles impliquent, mais des essais sont tout de même effectués dans un certain nombre de pays, comme l'Arabie Saoudite.

Autre possibilité. Les pays qui sont incapables financièrement et techniquement d'appliquer ces ressources « non conventionnelles », pensent à la solution coopérative. L'intégration régionale pour un bassin multinational est la bonne voie pour une meilleure gestion commune.

a) Une gestion plus rigoureuse des eaux

En Egypte183(*), l'extension extraordinaire de l'espace vitale du pays a passé de 4.5 millions de feddans en 1887 à environ 7 millions actuellement (presque 3.5 millions d'hectares). Le CAPMAS donne le chiffre global de 2.261 millions de feddans de toutes catégories considérées pour la période entre 1952-53 et 1992-93184(*). Cette augmentation de la surface cultivée du pays, accélérée depuis la construction du Haut Barrage d'Assouan (mis en eau en 1964), s'est accompagnée d'une intensification du système de production agricole en passant d'une récolte par an à presque deux en moyenne, voire trois, dans certaines zones du pays. Depuis la fin des années quatre-vingts, un énorme effort a été entrepris pour rendre la gestion des eaux plus rationnelle dans l'ensemble des secteurs et postes de consommation : l'agriculture, l'industrie, les services et enfin la consommation domestique d'eau potable. Entre 1987 et 1998, plus de la moitié de la surface agricole a été équipée en système de drainage souterrain.

Le recours à des ressources non-conventionnelles185(*): la réutilisation des eaux usées après traitement offre des perspectives plus intéressantes. Pour l'instant, leur emploi est faible : pas plus de 200 millions de mètres cubes par an. La situation pourrait changer dans des dizaines d'années si les chantiers d'assainissement des grandes villes sont menés à bien. Quand ces travaux seront achevés c'est 2 milliards de mètres cubes par an d'eau retraité qui pourraient être utilisables. L'exploitation des nappes souterraines comme le grand aquifère nubien est au courant. L'aquifère nubien est de 50 milliards de mètres cubes dont 20 dans le sous-sol égyptien. Seuls 5 millions de mètres cubes par an sont exploités actuellement.

Le dessalement, solution au problème de l'eau : tous les spécialistes en eau affirment que le dessalement pourrait être une des solutions pour pallier la pénurie d'eau qui frappe le Moyen-Orient. Déjà les monarchies du Golfe ont adopté cette voie pour subvenir à leurs besoins en eau potables ; plus de 100 unités de dessalement fournissent aujourd'hui près de 70% de cette eau, l'Arabie Saoudite186(*) occupant la première place mondiale dans ce secteur. La plupart des villes saoudiennes sont approvisionnées en eau dessalée grâce à un réseau de conduites qui amène l'eau des unités situées sur la Mer rouge et le Golfe vers les milieux urbains (la Capitale est approvisionnée à 60%, Dammam à 95%, Jeddah à 90% et la Mecque à 40%). Pour le moment, le coût élevé (entre 1.10$ et 1.50$), constitue le principal obstacle à la généralisation du dessalement dans d'autres pays qui subissent des pénuries d'eau. De plus ces usines nécessitent une maintenance et un entretien particulièrement lourds.

L'expansion hors de la vallée du Nil, en Egypte, est indispensable. Le Ministère de l'Irrigation a présenté en 1998 au gouvernement un plan à long terme pour apporter une plus grande quantité d'eau. Ce plan187(*) est axé sur trois points fondamentaux concernant le rationnement et l'usage de l'eau disponible : amélioration du système d'irrigation, changement de la structure agricole et recyclage des eaux usées. Tout cela apportera vers l'an 2017 une quantité de près de 8 milliards de mètres cubes en plus. En outre, le plan vise à étendre l'utilisation des eaux souterraines à 7 milliards de mètres cubes, contre 4 milliards actuellement. L'unité des études stratégiques du ministère se prépare aux plus mauvais scénarios. En particulier celui de ne pas trouver un accord avec les pays du bassin du Nil pour augmenter les quotas de l'Egypte en eau, ou encore le cas où les travaux du canal de Jonglei au Soudan ne soient pas achevés avant l'an 2017. L'étape à achever en 2017 sera d'irriguer 540.000 feddans (230.000 hectares188(*)). Il existe aussi le dessalement de l'eau de mer. Cette option est pour l'instant exclue pour cause de coûts élevés. Mais le progrès technologique pourrait bientôt mener à la réduction de ses coûts.

Le projet de la Nouvelle Vallée, commencé en janvier 1997 dans le Sud-Ouest du pays, est certainement celui qui l'exprime le mieux. A plus long terme (15 à 20 ans), les responsables égyptiens envisagent la mise en culture d'une superficie totale de 1.5 à 2 millions de feddans irrigués par les eaux du Nil et par celles de la grande nappe fossile du désert occidental. Or, le grand projet de Tochka soulève le problème suivant : où trouver l'eau nécessaire pour la mise en culture de ces nouvelles terres ?. Pour mieux trouver les 5 milliards de mètres cubes des eaux du Nil nécessaire à la première étape du projet, certains responsables envisagent de réduire la consommation en aval en limitant les surfaces cultivées en riz (Nord du Delta) et canne à sucre (Haute Egypte), toutes deux fortement consommatrices d'eau. L'Egypte est de plus en plus exposée aux conséquences du déséquilibre, déjà, visible entre les ressources hydrauliques et la démographie : la population égyptienne continue d'augmenter à un rythme moyen estimé, pour les 18 ans qui viennent, à 1.9% par an et qui se traduira par une augmentation totale de 25.41 millions de personnes d'ici l'an 2015. La question est alors de savoir comment l'Egypte peut développer sa disponibilité hydraulique pour répondre aux besoins de la population à l'horizon des années 2015189(*).

Autre registre, c'est de diminuer l'agriculture du riz et du Bersim (trèfle d'Alexandrie) très exigeants en eau. Les autorités estimaient à 800.000 feddans. Quant au Bersim, il occupe près de 70% de la superficie des cultures d'hiver (3.500.000 feddans). Tôt ou tard, le pays devra adopter des systèmes de culture plus compatibles avec les ressources dont il dispose. Le pays songe à revenir à l'irrigation nocturne afin de diminuer les rotations. L'entretien des dizaines de milliers de kms de canaux de toutes (y compris les canaux secondaires) qui constituent la chaîne hydraulique de l'Egypte est de ce point de vue une priorité. Partout s'observent les signes de laisser-aller : canaux mal curés, ouvertures mal contrôlées, perte en tout genre. Les Jacinthes du Nil couvrent des canaux entiers : elles activent l'évaporation et constituent des foyers où pullulent toutes sortes de parasites.

Autre que le recours aux sources dites non conventionnelles, de substantielle économies d'eau sont possible : promouvoir une société économe en eau, promouvoir l'éducation relative à l'eau, harmoniser des valeurs relatives à l'eau pour une meilleure coopération entre le peuple. De fait, en règle générale, plus le pays est pauvre et plus il consomme d'eau pour irriguer ; les pays du Tiers-Monde utilisent deux fois plus d'eau par hectare que les pays industrialisés pour une production agricole trois fois inférieure190(*). « Un genou bien noyé, c'est un champ bien irrigué », ce vieux proverbe égyptien valable pour les cultures de crue est appliqué où l'eau est en permanence à la disposition du fellah. Les paysans utilisent l'eau sans aucune limite.

En première approche, 51 milliards de mètres cubes sont actuellement consacrés à l'irrigation pour une superficie de 7 millions de feddans : soit, en principe, 17000 mètres cubes hectares par an, une quantité énorme. Les études de terrain montrent que les charges d'irrigation réelles se situent entre 7 et 8000 mètres cubes par an. Le nombre de rotations d'irrigation est par ailleurs très élevé : entre 10 et 20 par an. Il y a donc un évident gaspillage de l'eau. Il faut aussi prendre en compte les techniques utilisées. Sur les vieilles terres de la vallée, le fellah pratique uniquement l'irrigation par l'inondation des parcelles. Le recours à l'aspersion et surtout au goutte à goutte permettrait d'importantes économies en réduisant des ? les consommations d'eau. Mais cela suppose l'adoption par les fellahs égyptiens de nouvelles technologies qui ne sont pour l'instant, pratiquées que sur les terres récemment bonifiées. Actuellement l'aspersion n'est utilisée que sur le 1/5 des terres seulement191(*).

En ce qui concerne le bassin du Jourdain192(*), la région manque d'eau et manquera de plus en plus d'eau car les ressources sont limitées et la demande ne fera qu'augmenter. La population pour l'ensemble du bassin du Jourdain pourrait avoisiner 20 millions d'habitants en 2020 contre 9 actuellement. Un rapport de la Banque mondiale (1994) prévoit que la demande vers 2040 pour Israël, les Territoires actuellement occupées et la Jordanie pourrait s'élever à 7 milliards de mètres cubes. De toute évidence les ressources du bassin du Jourdain sont insuffisantes. Le règlement ne peut être que régional par de transferts d'eau ou par le recours coûteux à des ressources non-conventionnelles, dessalement de l'eau de mer, recyclage des eaux usées.

En Jordanie, dans le domaine des réseaux d'assainissement et conformément aux recommandations de la Banque mondiale, des efforts d'investissement ont été consentis par les pouvoirs publics. Depuis 1988, 70% de la population urbaine est reliée au réseau d'égouts, ce taux atteignant 90% de la région d'Amman. Treize stations de traitement des eaux usées sont actuellement en service, dans les villes d'Amman, Aqaba, Irbid, Jerash, Madaba, Salt, Tafilah et Zarqa. Au total, 33 hm3 d'eau ont été traités en 1988, dont plus de 60% par la station Khurbet as-Samra, située au nord-est d'Amman. La Jordanie importe, déjà, 63% de ses besoins en produits alimentaires193(*).

Bref, la gestion plus rigoureuse des eaux comme une stratégie hydraulique au niveau national venait au premier degré. Si cette stratégie représente l'aspect interne de la politique, n'importe quel Etat riverain est d'accord sur l'aspect externe de sa politique : éviter la politisation de l'eau comme carte de jeu, encourager la coopération sous l'égide de la multiforme topographie du bassin, mettre en évidence une vision complète d'une politique hydraulique de tous les Etats, et refuser la tarification de l'eau.

* 183


En Egypte : Ils seront vraisemblablement 86 millions en 2025. Et la population pourrait se stabiliser à 120 millions d'habitants autour de 2051.

* 184


Habib AYEB, L'eau et les politiques d'aménagement du territoire en Egypte, Monde arabe / Maghreb -Machrek, octobre - décembre 1998, n° 162, p. 69-83

* 185


Georges MUTIN, op. cit., p. 62-63

* 186


Georges Amine LEBBOS, Rareté et précarité des ressources, op. cit., p. 17

* 187


Al-Ahram Hebdo 16 décembre 1999

* 188


1 feddan = 0.42 hectare

* 189


Voir annexe XIII : La situation hydraulique égyptienne en 2015

* 190


Jacques SIRONNEAU, L'eau, nouvel enjeu stratégique mondial, Paris : Economica, 1996, p. 22

* 191


Ibid.

* 192


Georges MUTIN, op. cit., p. 100

* 193


Hillel L. SHUVAL, op. cit., p. 41-43

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984