Chapitre V : Les effets sociodémographiques des
migrations dans la commune de Diéoura
1- La commune de Diéoura: un véritable
pôle d'attraction pour les ouvriers agricoles :
L'un des phénomènes majeurs dus aux fonds des
émigrés est la forte attraction de la commune à
l'égard des ouvriers agricoles. Mais c'est le village de Diéoura
qui attire le plus grand nombre d'ouvriers. Le village de Diéoura a le
plus grand nombre de migrants par rapport aux autres villages de la commune et
c'est aussi que la plus forte (plus grand nombre de populations).
Pendant notre phase de terrain, nous avons remarqué
à Diéoura que dans plusieurs familles, il y avait des ouvriers
agricoles. Dans plusieurs cas, ce sont les émigrés de la famille
qui envoient les salaires de ces ouvriers à la fin des récoltes.
Ces ouvriers aident les chefs de famille à cultiver les champs de mil et
les champs d'arachide des femmes. Avec le départ des jeunes, ces
ouvriers sont considérés comme leurs remplaçants. Dans
certaines familles, on trouve seulement les personnes âgées, les
enfants, les femmes et les ouvriers.
Parmi ces ouvriers on a des saisonniers et certains finissent
par s'installer définitivement dans le village .Nous avons
remarqué que ceux qui viennent sont jeunes et ne sont pas
Soninkés. Ce sont en général des jeunes des communes comme
Sefeto, des cercles Kita, Bafoulabé et parfois de Koulikoro, mais en
majorité ils viennent de l'intérieur de la région de
Kayes. Ils viennent de zones qui ne connaissent pas la forte migration vers
l'extérieur du pays. C'est le cercle de Kita qui envoie plus de
travailleurs agricoles dans la commune de Diéoura. Le facteur
déterminant ici est la distance qui relie la commune Diéoura et
le cercle de Kita.
Les habitants de Diéoura ont davantage de relations
avec le cercle de Kita qu'avec ceux de Bafoulabé. Ces flux
dépendent surtout de la distance géographique c`est à dire
la proximité entre le cercle de Kita et la commune de Diéoura.
Les flux des travailleurs agricoles ont des conséquences souvent
dangereuses pour les populations. On assiste de plus en plus à la
montée
de la criminalité notamment des vols et des viols.
Dans une zone complètement vidée de ses bras
valides, ce sont les ouvriers agricoles (originaires d'autres communes) qui
font la loi.
Ces migrations vers la commune de Diéoura donnent aussi
lieu à des changements culturels importants. De nombreux jeunes de
Diéoura nous ont affirmé qu'ils ont maîtrisé
aujourd'hui le bambara grâce aux travailleurs agricoles. Les ethnies qui
viennent travailler dans la commune de Diéoura sont en majorité
des Malinkés ou Kansonkés. Une autre ethnie était
présente depuis longtemps, il s'agit des Peuhls. Mais le conflit entre
les éleveurs (Peuhls) et les agriculteurs (Soninkés et Bambara)
en 1998 a contribué à un abandon de la commune de Diéoura
par les Peuhls. Les Peuhls étaient chargés de conduire les
troupeaux pendant la saison des pluies. Donc tous ceux qui possédaient
de nombreux animaux recrutaient des Peuhls pour la surveillance de leurs
animaux. Là encore, on a remarqué que les troupeaux de boeufs
appartenaient à des migrants, mais beaucoup plus anciens car
actuellement les jeunes investissent surtout dans l'immobilier à
Bamako.
La commune de Diéoura, depuis fort longtemps attire les
Maures qui viennent de la frontière entre le Mali et la Mauritanie avec
leurs troupeaux pendant la saison sèche. Mais, disons là que les
flux des Maures n'ont pas de lien direct avec les migrants ; la raison
avancée ici est la richesse des pâturages de la commune de
Diéoura que dans la zone frontalière. Les Maures et les Peuhls
amènent avec eux dans la commune des épidémies qui peuvent
conduire à la mort de plusieurs animaux. Les flux en direction de la
commune de Diéoura sont en effet essentiellement nationaux sauf en ce
qui concernent les Maures qui peuvent venir de Mauritanie.
Si la migration procure aux populations un certain «
développement » il faut dire qu'elle a aussi des
inconvénients dramatiques pour les lieux de départ. Plus loin, on
développera les inconvénients liés à cette
migration.
L'envoi des fonds issus de la migration des ressortissants
reste en tout cas le facteur déterminant pour expliquer les flux des
ouvriers agricoles vers la commune de Diéoura. La présence des
ouvriers agricoles dans les lieux qui envoient beaucoup de migrants en France
n'est pas une spécificité de la commune de Diéoura. Dans
la commune de Lambidou (Soninké) et de Fatao, c'est le même
phénomène mais là dans le cercle (département) de
Diéma, c'est la commune de Lambidou qui attire le plus grand nombre
d'ouvriers. Cela est dû à sa position de carrefour, par rapport
à d'autres communes du cercle de Diéma, et aussi au fait que les
migrants
sont beaucoup actifs dans le village de Lambidou que nulle part
ailleurs au Mali contrairement aux migrants de la commune de Diéoura.
2- Les conséquences démographiques
:
Dans les études des migrations des Soninkés, on
a beaucoup sous-estimé les effets négatifs. Pourtant ils sont
nombreux et contribuent à la structuration de l'espace. Parmi les
conséquences négatives, il faut distinguer en tout premier les
effets démographiques. Le départ des bras valides constitue un
danger majeur pour les lieux de départ. On a remarqué que dans
tous les lieux étudiés, on rencontre surtout des petits-enfants,
des vieilles personnes et les femmes. Tous les jeunes entre 15 et 35 ans sont
partis dans d'autres lieux. Dans nos entretiens avec les chefs de familles,
c'est le problème numéro un qu'ils ont évoqué.
L'attraction de la commune exercée sur ruraux d'autres communes a des
effets négatifs très dangereux pour les populations. Il s'agit de
la montée de la criminalité en particulier.
Comme nous l'avons évoqué
précédemment, dans la commune de Diéoura, l'arrivée
des ruraux est considérée comme une solution pour palier le
manque de bras valides. Il faut en effet dire que les ruraux ne peuvent pas
combler le vide laissé par les migrants.
- La baisse générale de la
fécondité :
Un autre phénomène observé par les
migrations est celui de la baisse la fécondité. Dans la religion
musulmane, avoir beaucoup d'enfants est un signe de bénédiction.
Compte tenu de nombreux problèmes des migrants en France dus notamment
à leur situation administrative (vivre sans papiers), les migrants ne
peuvent se permettre d'aller régulièrement au pays et d'y vivre
avec leurs épouses. Dans le contexte de la politique française
actuelle en matière d'immigration, un migrant « sans-papiers »
peut être obligé de rester cinq ou six ans sans sortir du
territoire français car il sait qu'en sortant, il ne lui sera pas facile
de revenir sans titre de séjour. Pour être
régularisé actuellement en France, il faut au moins dix ans de
présence sur le territoire français. Ces nombreuses années
d'absence ont sans doute des conséquences sur le taux de natalité
des lieux de départ. De nombreux migrants et des femmes nous ont fait
part de leur souci à ce sujet. Les migrants en situation
régulière, la durée moyenne du séjour en France est
de deux ans. Ce sont eux, qui vont en général tous les deux ans
et pour une période de deux à trois mois au pays, d'après
les résultats de nos enquêtes auprès des migrants en
France.
Dans certains cas, des migrants regrettent d'avoir
passé toute leur vie en France et avoir été
séparés de leurs épouses. Les migrants Soninkés en
général ont plus d'une femme (deux, ou trois ou même plus).
On remarque que les non migrants qui vivent avec leurs femmes ont un nombre
d'enfants plus important que les migrants. Ces longues années d'absence
peuvent souvent amener certaines femmes à vivre clandestinement avec
d'autres hommes. On assiste alors à la naissance d'enfants << non
désirés ». La naissance de ces enfants << non
désirés » donne lieu, dans la plupart des cas, à des
divorces. Il a été difficile pour nous de poser cette question
aux migrants qui ont divorcé sur la raison principale de leur
séparation.
3- Effets sur l'éducation des enfants
:
Le développement de tout le pays dépend de la
qualité de son système éducatif. La commune de
Diéoura est l'une des communes qui connaissent les taux de
scolarité les plus faibles du cercle de Diéma. La volonté
affichée par les autorités maliennes depuis 1992, dans le domaine
de la formation des enfants, n'est pas encore une réalité dans
cette commune. L'école fondamentale (primaire) de Diéoura a
été créée en 1977 et l'on compte aujourd'hui moins
de dix diplômés originaires de la commune. La migration est le
principal facteur qui conduit les jeunes à abandonner très
tôt l'école. Nous avons cherché à comprendre
auprès des migrants et des chefs de famille pourquoi ils
n'encourageaient pas les jeunes à poursuivre les études. Nos
interlocuteurs
nous ont déclaré que les études au Mali
n'avaient pas de valeur significative dans la mesure oüon sait
qu'un ouvrier en France gagne 4 à 5 fois le salaire d'un cadre malien.
La majorité des
jeunes abandonne l'école avant la cinquième
année (CM1).
Précisons également que l'école fondamentale
de Diéoura était la seule école de la commune jusqu'en
octobre 2002, date à laquelle le village de Tassara a ouvert la
sienne.
Le taux fréquentation de ces écoles aujourd'hui
serait de 40 % selon l'ex-maire de la commune, au même niveau avec les
medersas ou les écoles coraniques.
De plus en plus, les migrants encouragent leurs enfants
à poursuivre des études plus longues car la maîtrise du
français est un atout important pour un candidat à
l'émigration en France. Les migrants ont également compris que la
meilleure façon de s'intégrer en France est la maîtrise du
français.
S'il est aujourd'hui clair qu'il y a de nombreux
étudiants maliens en France, il faut cependant préciser qu'il y a
moins d'étudiants Soninkés parmi eux. L'ethnie Soninké est
en effet la moins
alphabétisée du Mali.
La pratique de la migration vers la France a conduit les
autres ethnies maliennes à dire que si l'on va en France, il faut
maîtriser deux langues : le Soninké, et le français. Les
Soninkés sont attirés par la France plus que par toute autre
destination.
4 - Les transformations sociales:
Les rapports familiaux se sont transformés, en ce sens
que celui qui vit et travaille en France est plus valorisé que les
autres. On lui accordera volontiers la main d'une jeune fille qu'un pauvre
paysan resté au village.
Désormais, la coopérative
céréalière est devenue le grenier de chaque maison, et ce
sont les migrants qui remplissent les greniers, plus que les récoltes
des grands champs de la famille cultivés jadis sous l'autorité du
chef de famille. Ce pouvoir qu'a le cadet émigré de passer la
commande à la coopérative à partir de Paris,
accélère les mutations dans les rapports cadets -
aînés. On peut même affirmer que la migration contribue
à la transformation des bases culturelles de la société
Soninké.
Dans la famille, le pouvoir de l'émigré peut
être compris en observant ses épouses et à ses enfants de
celles ou ceux des non migrants. Retenons également que l'on assiste
à l'éclatement de la grande famille Soninké et au
développement de comportements de plus en plus individuels chez les
migrants.
Un autre aspect beaucoup plus fréquent aujourd'hui chez
les migrants Soninkés : le changement des rapports entre le maître
et son esclave. L'esclavage a été officiellement aboli au Mali
après l'indépendance (1960), mais dans les sociétés
Soninkés, c'est une pratique qui existe encore. Le maître comme
son esclave sont devenus des ouvriers en France. Il arrive même que
l'esclave coiffe son maître dans l'entreprise. Ils ne tissent donc plus
les mêmes relations qu'au village. Cet état de fait conduit
à des tensions souvent très vives dans la société.
Les esclaves
affranchis ou non par leurs maîtres considèrent
désormais qu'ils ont le même statut social et politique d'onc
qu'ils doivent jouer les mêmes rôles au niveau social, aussi bien
en France que dans le village.
Les conflits locaux, par exemple de nature religieuse, comme
que nous avons largement évoqué par le cas de la commune de
Diéoura, ne sont alimentés que par les fonds des migrants en
France.
Ces différentes transformations contribuent de plus en
plus à l'éclatement de la société
Soninké.
5 - D'importants espaces agricoles sont
délaissés :
Une analyse des espaces agricoles montre une régression
des surfaces cultivées dans les villages d'origine des migrants.
L'argent des migrants intervient surtout pour le paiement des ouvriers
agricoles et ne favorise pas la modernisation de l'agriculture.
Les migrants en général retournent au pays
pendant la saison sèche après les récoltes, surtout en
janvier, février mars, mai. Ces paysans devenus ouvriers en France n'ont
plus besoin de se fatiguer dans les travaux champêtres. Les migrants nous
ont surtout affirmé qu'un mois de salaire en France vaut mieux que
l'ensemble de la récolte de tous les membres de la famille. Avec un mois
de salaire on peut nourrir toute la famille pendant toute une année
entière. La baisse de production agricole et artisanale a conduit
à réduire le prestige lié au statut de bon paysan.
L'émigration crée de la dépendance des lieux
d'origine vis-à-vis des revenus des émigrés. Cette
dépendance aux revenus de la migration accélère la
désaffection pour l'agriculture.
On remarque chez les non migrants une sorte de paresse, un
manque d'initiative qui les conduisent à ne plus s'impliquer dans les
travaux du milieu rural notamment les travaux champêtres. Les migrations
contribuent à réduire considérablement le volume de la
production agricole en milieu soninké.
En plus de cette dégradation de l'agriculture, on
assiste à un accroissement de la consommation des produits vivriers
importés ; l'économie se fonde de moins en moins sur la
production locale pour devenir dépendante de l'extérieur. La
production agricole devient de plus en plus marginale.
Les difficiles conditions climatiques ont été
toujours considérées comme l'élément majeur dans la
baisse de la production agricole dans le Sahel. Mais aujourd'hui, en milieu
Soninké, c'est surtout l'émigration qui conduit à la
baisse de la production agricole.
Les migrants interviennent beaucoup plus dans le commerce que
dans l'agriculture. Ils n'achètent des charrues que pour la culture de
quelques hectares par famille. Cette baisse de la production a pour
conséquence l'augmentation des prix des produits alimentaires,
multipliant ainsi les charges de l'émigré.
Globalement la production agricole baisse, même si les
conditions climatiques sont bonnes du fait des migrations et l'agriculture se
trouve dans une véritable l'impasse.
TROISIEME PARTIE :
LES MIGRANTS ET LE PROCESSUS DE
DECENTRALISATION : LIMITES ET PERSPECTIVES
|
Chapitre I : Quelques rappels historiques et
contextuels de la décentralisation au Mali:
1-Un bref aperçu sur la mise en place de la
décentralisation au Mali :
La décentralisation vient au Mali avec le changement de
régime politique survenu en mars 1991 suite en une insurrection
populaire qui met ainsi fin à 23 ans de régime dictatorial et
corrompu du Général Moussa Traoré.
En 1992, après une période de transition durant
laquelle le Lieutenant Colonel Amadou Toumani Touré (A.T.T.), a
dirigé le pays à la tête du Comité de Transition
pour le Salut du peuple (C.T.S.P.), les premières élections
pluralistes ont été organisées. C'est le candidat de
l'Alliance pour la Démocratie au Mali (ADEMA), Alpha Omar Konaré
qui a remporté ces élections.
La décentralisation est devenue le premier et le plus
grand chantier du nouveau gouvernement De nombreux outils ont été
crées par l'État pour lancer le processus de la
décentralisation. Nous avons par exemple la mission de
décentralisation, des émissions sur les radios rurales et la
radio nationale, des équipes locales de la mission de
décentralisation ont également vu le jour et même un
Ministère de la Décentralisation et Collectivités
Territoriale a été créé pour l'occasion.
Plusieurs textes de loi définissent les fonctions des
communes aujourd'hui en activité. On peut citer notamment :
- La loi n°93 - 008 qui détermine « les
conditions de l'administration des collectivités territoriales en
République du Mali ».
Le découpage communal a été effectif en
1997. Celui-ci a abouti au regroupement de plusieurs villages en communes,
selon des critères de viabilité économique, d'entente
sociale et de démographie proposés par l'État. Le
territoire national a été découpé en 703
communes.
Les premières élections municipales ont eu lieu en
1999.
Les communes se retrouvent aujourd'hui responsables du
développement de leur territoire.
La loi de décentralisation doit permettre aux
collectivités locales de s'impliquer pleinement dans les secteurs qui
concernent directement les populations locales, à savoir
l'éducation, l'alphabétisation, la santé, la gestion des
infrastructures, d'intérêt local (dont les adductions d'eau,
l'environnement.....) en étant tantôt initiatrices, tantôt
décisionnaires, les communes se trouvent au coeur des rapports entre les
acteurs qui oeuvrent pour le développement. Mais les
collectivités locales restent encore démunies en moyens humains,
matériels, et financiers. De ce fait, elles ne peuvent pas honorer leurs
responsabilités sans associer pleinement les partenaires qui oeuvrent
sur leurs propres territoires.Tous les acteurs y compris les associations des
migrants, doivent, si possible, travailler ensemble dans un même objectif
afin d'économiser les ressources disponibles et créer des
synergies.
Donc l'action des migrants soninkés s'exerce
aujourd'hui à la fois à l'échelle de leur famille, des
villages d'origine et de la commune depuis la reforme de la
décentralisation. La décentralisation était
revendiquée depuis plusieurs années par les ressortissants et la
voir aujourd'hui à l'oeuvre est pour eux, la preuve que l'État ne
veut ou ne peut pas planifier et conduire au développement. En ce sens
que les populations des zones rurales sont abandonnées par les
autorités politiques. Si l'Etat intervient c'est pour la
récupération des impôts. La construction des écoles,
des centres de santé, et l'accès à l'eau potable sont les
domaines prioritaires relevant des compétences de l'Etat.
Généralement en Afrique les autorités politiques
s'occupent surtout des zones urbaines, car les contestations politiques
viennent d'elles.
De nouvelles formes de communication et de collaboration
doivent émerger entre associations villageoises des migrants, d'une part
et les acteurs locaux, dont notamment les communes d'autre part.
Les migrants ne cherchent pas à se positionner
ouvertement comme concurrents aux collectivités locales. L'Etat malien a
exprimé sa volonté d'associer les migrants au processus de
décentralisation. Des mesures régulières d'informations
étés menées auprès des ressortissants pour faire
connaître les fondements de la politique de
décentralisation.11
A propos de la décentralisation l'ancien, Président
du Mali, Alpha Omar Konaré disait:
« Il ne saurait y avoir de meilleur avocat que les
populations elles mêmes pour déterminer les
11 -Stéphanie .Lima, 1998.
priorités et gérer leur cause
>>.12
Il s'agit en effet de définir des nouvelles
entités territoriales, de tenir compte des besoins, des ressources et le
savoir faire des populations, à leur échelle d'action.
. L'enjeu était alors de redonner aux populations la
possibilité et la légitimité pour agir par
ellesmêmes et prendre en main le développement de leur propre
communauté et territoire. Cela a été doublé par un
centrage du travail de l'État sur les conditions garantissant
l'équipe et l'intérêt général.
2 - L'implication des migrants dans le
développement des lieux d'origine :
La décentralisation vient ainsi à point
nommé pour aider les associations des migrants dans leurs actions de
développement en particulier.
Depuis le début des années 1980, les migrants
Soninkés en France s'engagent de plus en plus dans leurs lieux d'origine
pour la réalisation d'infrastructures d'intérêt commun
à travers des caisses de solidarités.
Une caisse de solidarité est en général
un regroupement de migrants d'un village au sein d'une caisse, à
caractère informel qui ne reconnu que par ses ressortissants. Toutes les
ressources de la caisse viennent des ressortissants.
Par contre une association de développement est un
regroupement de migrants d'un village ou une commune. L'association de
développement à un caractère formel et publié au
journal officiel, donc reconnu par les autorités. Contrairement à
la caisse de solidarité, l'association de développement peut
demander des aides, des subventions et peut trouver des partenaires beaucoup
plus facilement.
Dans cette partie, nous allons chercher à comprendre
l'engagement des migrants dans le cadre associatif, et dans les contextes de la
décentralisation au Mali et la particularité de la commune de
Dieoura.
Pour atteindre nos objectifs, nous allons porter un regard dans
le passé et rappeler l'historique des associations de
développement et le contexte de la décentralisation.
12 - Le monde Économie numéro spécial «
l'Afrique Noire revendique sa renaissance >>,26 juin 2001.- voir aussi sa
déclaration à la 3e conférence de Nations Unis
sur les pays moins avancés, le 14 mai 2001.
D'après les sources documentaires et les enquêtes
réalisées, on remarque que la dynamique associative des
immigrés sahéliens apparaît au début des
années 1980 avec que leur regroupement dans des associations de
développement de migrants, dans le cadre de la loi 1901. Depuis lors,
elle a connu une évolution quantitative et qualitative remarquable.
En effet à partir de 1985, le phénomène
s'est rapidement répandu à l'ensemble de la communauté des
immigrés originaires du bassin du fleuve Sénégal. On
assiste alors à un véritable phénomène
d'entraînement. Selon D. Christophe, en 1993, 70% des migrants du bassin
du fleuve Sénégal sont regroupés dans un peu plus de 400
associations essentiellement tournées vers le développement des
villages d'origine par le truchement des chefs de villages et leurs
conseillers. Une analyse géographique des zones d'implication de ces
organisations montre que l'ensemble des lieux de départ est couvert.
Il existe plusieurs types d'associations de
développement créées par les migrants essentiellement sur
une base villageoise inter- villageoise. Dans certains cas, ce sont les
anciennes caisses de solidarité qui ont été
transformées en association de développement et dans d'autres cas
les deux existent parallèlement. La commune de Diéoura
relève de dernier cas.
- Une caisse d'entraide à l'échelle familiale
gérée par le migrant le plus âgé de la famille.
- Une caisse de solidarité à l'échelle de
chaque village, gérée aussi par le représentent du chef de
village en France.
Une association de développement à
l'échelle de la commune est apparue avec le processus de
décentralisation. L'association de développement a regroupe
toutes les catégories de personne et les représentant de chaque
village.
Au niveau du Mali, l'association pour le Développement
du Cercle de Yelimané est la plus active car c'est la seule qui a pu,
jusqu'à présent, réaliser des projets de grande envergure.
C'est la première grande association de développement qui est
connue presque de tous les partenaires du développement.
En ce qui concerne, l'Association pour le Développement
de la Commune de Diéoura (ADCD), il faut tout simplement dire qu'elle
n'a été créée qu'en octobre 2003. Depuis fort
longtemps, les jeunes de la commune souhaitaient la création d'une
association de développement mais étaient chaque fois
confronté à l'opposition des tenants de la caisse de
solidarité. Pour les responsables de la caisse de solidarité, la
mise en place d'une quelconque association symbolise pratiquement la fin de
leur pouvoir sur l'ensemble des migrants de la
commune. Les tenants de la caisse de solidarité pensent
qu'avec l'association ils auront du mal à convaincre les migrants pour
le paiement des cotisations parce qu'ils n'ont pas de projet, donc pas
d'arguments efficaces. On assiste alors à un conflit de
génération entre les aînés et les jeunes. Au bout
d'une année et demi d'existence de l'association les problèmes ne
cessent de se multiplier entre les deux camps. Les cotisations de l'association
ont du mal à rentrer.
Pourtant, ces deux acteurs ont le même objectif : le
développement des lieux d'origine.
Dans ces conditions, on ne peut en aucune manière
parler d'un véritable effet de l'Association pour le
Développement de la Commune de Diéoura dans l'organisation de
l'espace à l'échelle communale.
3 - Quelles relations les migrants de la commune de
Dieoura ont-ils avec le conseil municipal ?
Un élément important à prendre en compte,
pour tout chercheur qui entreprend une étude sur l'Afrique au Sud du
Sahara et plus particulièrement en milieu Soninké est le pouvoir
des aînés. L'élection des maires en 1999 a engendré
une de rivalité dans la gestion des affaires des villages voir de la
commune. Le nouveau pouvoir établi ne bénéficie d'aucune
popularité auprès des populations. C'est toujours le conseil des
aînés qui a le plus de poids. Ces relations tendues entre les
responsables locaux ont des conséquences négatives en ce qui
l'implication des migrants dans le développement de la commune de
Diéoura.
Pendant les enquêtes de terrain, nous nous sommes rendu
compte de la réalité de ce fait. Par exemple, nous avons
remarqué que c'était le chef du village qui était
chargé de l'organisation du scrutin municipal de 2004 et non le conseil
municipal. Les projets des migrants sont toujours élaborés sous
la haute responsabilité du chef du village. Le chef du village de
Diéoura possède ses représentants depuis la France pour
l'application de ses souhaits pour le village. Pendant nos enquêtes en
France les représentants du chef du village nous ont affirmé
qu'ils font plus confiance au chef du village qu'au Maire.
A l'heure actuelle, c'est un véritable dialogue de
sourds, entre les trois acteurs : le chef du village, Maire, les migrants. Les
tensions entre ces acteurs se sont beaucoup compliquées depuis quelques
mois. Il faut dire qu'aux élections de 1999, ce sont les candidats des
jeunes et des femmes qui ont remporté la victoire contre les candidats
des anciens. Ce fait a été le premier élément qui a
nourri les tensions entre le nouveau maire et les anciens. Cette victoire a
été
considérée comme une offensive à
l'autorité des notables des villages. Les notables des villages
considèrent les nouveaux élus comme un pouvoir
déstabilisateur de leur autorité. Avant la mise de la
décentralisation, des liens existaient entre tous les villages. Donc si
les élus locaux n'ont pas de crédibilité dans le chef lieu
de la commune, il faut dire que dans tous les autres petits villages c'est le
même traitement.
Avant tout aujourd'hui, la commune doit être
perçue comme un espace de cohésion entre les différentes
communautés qui la composent. Si le Maire parvient à s'entendre
avec les conseils des anciens, il lui sera possible ensuite de demander aux
migrants leur soutien ou leurs financements aux actions qu'il propose, sous
réserve que cela se fasse, village par village.
La qualité des relations entre les acteurs locaux et
migrants dépend désormais de la volonté des élus
locaux.
Dans la plupart des communes rurales au Mali, pour les cinq
dernières années (1999-2004) comme pour la commune de
Diéoura on a un bilan mitigé des Maires. Cet état de fait
n'encourage pas les migrants, rien n'est possible sans une bonne
cohésion sociale très forte entre les différents acteurs
locaux.
Ce sont les relations entre ces acteurs qui déterminent
la prise en compte ou non de la commune par ses ressortissants résidant
à l'extérieur. Quand les relations sont mauvaises les migrants se
désintéressent de la réalisation des projets à
l'échelle communale pour se cantonner à leur propre.
.
4 - Relations entre les migrants et les partenaires du
développement en
France
Les migrants sont considérés aujourd'hui comme
les acteurs principaux acteurs de la coopération internationale. C'est
dans ce sens que de nombreuses associations de migrants travaillent avec les
partenaires du développement pour la réalisation de projets dans
les lieux d'origine. Cette coopération montre la capacité
d'intégration des migrants aussi bien en France qu'au Mali.
Trois acteurs principaux sont à prendre en compte:
a- Les pouvoirs publics :
Les pouvoirs publics français, privilégient
aujourd'hui le « co-développement » c'est-à-dire
le développement des régions émettrices
d'immigrés. Ce discours est tenu par les autorités
françaises depuis 1998 mais n'inspire pas les ressortissants de la
région de Kayes. A l'occasion de sa visite en février 2003 au
Mali, le Ministre français de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, avait
proposé une somme de 7000 € à chaque migrant qui souhaite
rentrer au pays avec un projet capable de créer des emplois. Ce projet
n'intéresse pas les migrants. Ils ont payé cher leur voyage en
France (plus de 3000 €) et ils gagnent pour la plupart au moins le
SMIC.
En octobre 2003, le chef de l'État français
avait proposé l'amélioration de ce montant (7000€) lors de
sa visite au Mali mais depuis lors rien n'a été fait dans ce
sens.
La politique française tente actuellement de confondre
aide au développement et politique de retour. Mais les candidats au
retour sont peu nombreux et souvent, sauf exception remarquable, des gens en
situation d'échec et non pas des promoteurs. Pour l'ensemble des
migrants de Diéoura en France sur plus de 600 personnes en dix ans,
seules 2 personnes ont accepté l'aide au retour. Et ils ont beaucoup
regretté. L'un des deux est même revenu en France et travaille
dans la clandestinité maintenant. Les migrants n'ont pas en
général la capacité de gestion au pays. De ce fait, il est
très rare que leurs projets reçussent à long terme.
L'aide au retour et le développement des
localités émettrices ne sont pas des solutions pour la
maîtrise des flux migratoires maliens. Il faut donc d'autres politiques
plus efficaces. Un accompagnent beaucoup plus adapté pour les migrants
porteurs de projets au pays serait un atout.
b - Les organisations non gouvernementales (ONG)
:
Les organisations de solidarité internationale qui
interviennent en lien direct avec les associations des migrants sont peu
nombreuses. La principale difficulté réside dans la
nécessité d'articuler montage de projet, formation et recherche
de financement à cheval sur ce double espace qui est celui des
immigrés : actifs en France comme au Mali.
Dans la commune de Diéoura, deux ONG interviennent. Il
s'agit du GRDR (Groupe de Recherche et de Réalisations pour le
développement rural dans le Tiers Monde), et l'Agence KARED (Agence du
Kaarta pour la recherche et le Développement). Le GRDR oeuvre dans la
région de Kayes depuis plus de dix ans. Mais dans la commune de
Diéoura, c'est le KARED qui intervient depuis trois ans seulement.
L'Agence KARED est une O.N.G malienne créée en 1998 par les
membres maliens de la cellule d'appui du GRDR. L'agence KARED
bénéficie depuis 1998 d'un accord cadre de coopération
avec le gouvernement malien. Son siège est à
Nioro du Sahel avec une antenne à Diéma et un
bureau de liaison à Bamako. L'agence KARED travaille avec les
émigrés pour la réalisation d'équipements
d'intérêt commun. L'Agence KARED a réalisé dans la
commune de Diéoura quatre puits à grand diamètre dont un
à Diéoura, un à Niankan, un Noumokolo et un à
Madina. Actuellement un projet de projet de construction de barrage à
retenue d'eau est en cour pour le village de Niankan. Le financement pour la
construction du barrage est obtenu et les travaux démarreront en octobre
prochain. L'Agence KARED participe au financement de ces réalisations
à hauteur de 70%, les ressortissants de 15% et les villageois de 15%. La
participation des villageois est la fourniture de la main d'oeuvre pendant les
travaux de construction.
Les O.N.G cherchent des financements auprès du
ministère de la coopération ou auprès de la commission
européenne. Les fonds des associations de migrants viennent en
général des cotisations des ressortissants.
Au Mali, les ONG qui interviennent dans la région de
Kayes sont rares. Il faut mentionner notamment l'AMADE (Association Malienne
pour le Développement) proposant des prestations en particulier dans le
domaine de l'eau, et le Secours Catholique auprès des associations
d'émigrés. Ces deux ONG ne sont pas connues dans la commune de
Diéoura.
En définitive, disons que dans le cercle Diéma,
la commune de Diéoura est très en retard en matière de
coopération avec les organisations non gouvernementales comparativement
à d'autres communes.
c- Les collectivités territoriales :
Si on compte environ 100 collectivités
françaises en relation de partenariat avec des collectivités
maliennes (jumelages formalisés où actions des
coopérations décentralisées), on ne dénombre qu'une
dizaine des villes françaises qui sont jumelées dans le
région de Kayes et en liaison avec les associations des immigrés.
Ces jumelages concernent essentiellement les cercles (départements) de
Yelimané, de Diéma et de Nioro du Sahel, située dans la
partie Nord-Est de la région, la plus éloignée du fleuve
Sénégal. Ces jumelages sont très inégalement
répartis dans les cercles. Ce sont seulement les villes comme
Diéma qui bénéficient le plus de ces
coopérations.
Par ailleurs, Conseils Régionaux (Région
Île de France et Nord - Pas de Callais) (département des Hauts de
Seine) ont engagé des programmes de coopération ou des actions
ponctuelles, ou sont en passe de le faire en direction de la région de
Kayes.
En effet le point important est de savoir que ces jumelages
ont été mis en route grâce aux relations entre certains
responsables d'associations de migrants et des élus locaux ou des
militants tiers-mondistes. L'association joue donc un rôle de mise en
relation entre les deux espaces, elle est constituée en médiateur
privilégié par le comité de jumelage naissant. A propos de
ces relations D. Christophe affirme : « Les partenariats mis en oeuvre
apparaissent complexes puisqu'ils associent des villes, des ONG, des
immigrés, des villageois, et bien souvent l'administration locale.
L'association de migrants se retrouve parfois en difficulté car peu
armée pour comprendre les stratégies de chacun de ces acteurs et
pour définir la sienne >>13.
En effet, retenons que la mobilisation des immigrés
autour d'actions de coopération internationale démontre
également une dynamique d'intégration. En créant leur
association de développement en France, les immigrés se
débarrassent des préjugés négatifs qu'ils avaient
sur leurs origines. Et après avoir réalisé un ou deux
projets dans leur village, les immigrés acquièrent une certaine
assurance. Fiers de leur solidarité et de leurs origines, ils deviennent
des interlocuteurs viables auprès d'autres acteurs du
développement public et privé. Il y a là un
véritable facteur d'intégration et la pratique d'une double
citoyenneté : ici et là-bas.14 Dans ces relations
Nord-sud, il faut dire que les migrants sont considérés comme des
coopérants ou ambassadeurs des zones de départ.
Retenons tout simplement que les relations entre les migrants
de la commune de Diéoura et les partenaires du développement en
France sont modestes à cause du manque d'interlocuteurs de
privilègés de part et d'autre. Cependant on peut garder l'espoir
pour un avenir meilleur car depuis la création de l'Association pour le
Développement de la Commune de Diéoura, certaines relations avec
les partenaires sont engagées.
13 - D. Christophe, 1995, « les migrants partenaires de la
coopération internationale: le cas des Maliens de France >>.
14 - J. Condé, P. S. Diagne, 1996.
Chapitre II : limites et perspectives de l'action des
migrants des la communes de Diéoura
1- Limites
a-Le déficit organisationnel du mouvement
associatif :
Selon l'Écho du Mali de novembre-décembre 2002,
il existerait davantage d'associations maliennes que le Haut Conseil des
Maliens de France et le Consulat Général du Mali à Paris
en ont leurs listes. Cet état de fait n'est pas une particularité
des ressortissants de la commune de Diéoura. Pour que ces associations
soient connues et puissent vraiment jouer leur rôle, le Haut Conseil des
Maliens de France et les autorités consulaires doivent travailler main
dans la main et faire circuler l'information auprès des Maliens de
France, partout où ils se trouvent. Celle-ci est capitale pour que les
responsables d'associations connaissent les procédures au niveau des
préfectures et des partenaires.
L'action des migrants est limitée par la co-existence
de plusieurs associations. Dans la commune de Diéoura, les associations
de villages doivent s'unir pour que vive véritablement l'Association de
Développement pour la Commune de Diéoura (ADCD) et que cette
dernière puisse travailler effectivement à l'échelle
communale. Les autorités communales doivent étudier les
priorités village par village afin de mobiliser l'ensemble des
migrants.
L'implication des femmes et des jeunes dans le
développement de la commune serait un atout important car bon nombre
d'associations du Nord ont des programmes en leur direction.
b- Des investissements concentrés sur quelques
secteurs et très peu générateurs d'emplois
Les projets individuels réalisés par les
migrants dans le pays d'origine sont concentrés surtout sur
l'acquisition de cheptel, l'achat de parcelles en ville et la construction de
maisons dans les villages d'origines. Ces activités, bien
qu'étant utiles et nécessaires pour les migrants et leur famille,
sont très peu génératrices d'emplois. La création
de petites et moyennes entreprises est très rare et le plus souvent il
s'agit d'entreprises de transport.
En définitive, nous retenons que la valorisation du
capital est généralement improductive. Ainsi, pour que leur
participation soit plus bénéfique à la
société et à l'économie locale, les
migrants doivent davantage investir dans les secteurs
productifs et porteurs d'emplois. Outre l'urgence d'une réorientation
des investissements vers des activités productives, il demeure
impératif de mettre un terme aux affrontements que suscitent souvent les
projets collectifs.
c-Les projets collectifs, sources de conflits
Les migrants et leurs associations n'oeuvrent pas tout seuls,
mais en relation avec les villageois, pour définir à la fois les
besoins urgents et les modalités de leur satisfaction. Ce rapport de
proximité facilite l'adhésion et la participation de tous aux
différents projets à réaliser. Cependant, il va de soi que
le dialogue permanent avec les villageois peut buter parfois sur des
obstacles.
S. Bredeloup, (1994) a montré que les associations de
migrants sahéliens constituent autant des « lieux de confrontations
et de conflits de pouvoir que des espaces d'initiatives et d'innovations
». Ces conflits opposent généralement les cadets et les
aînés, les partisans et les opposants à la primauté
de la hiérarchie sociale traditionnelle et par conséquent entre
ceux qui acceptent et ceux qui réfutent une gestion paternaliste de
l'association et de ses ressources financières.
Au-delà de ces affrontements internes, les projets
collectifs ont souvent engendré deux types de conflits. Le premier type
oppose les migrants et leur village à l'Etat. En effet, il existe
souvent un problème d'adéquation entre les besoins des villageois
et la politique de l'Etat, notamment dans le domaine de l'éducation et
de la santé. Disposer d'infrastructures éducatives ou sanitaires
n'est pas synonyme de leur utilisation effective par les
bénéficiaires. Ainsi, par exemple, les villageois peuvent
attendre parfois deux ans ou plus sans avoir un infirmier pour leur dispensaire
ou un enseignant pour l'école.
Le second type de conflit peut être qualifié de
politique car il s'agit d'une revendication implicite de contrôle des
actions de développement. Les migrants ont acquis, à travers leur
pouvoir de contribution financière au développement, une
légitimité auprès des villageois et un droit de regard et
de décision sur tout ce qui se fait ou va se faire au village, ce qui
les place en concurrence plus ou moins directe avec les autorités
publiques locales et les chefs de village. La lutte pour le contrôle des
actions du développement risque de compromettre le dynamisme de
développement local déjà bien enclenché.
Les concurrences entre villages, les rivalités pour le
leadership entre les responsables
d'associations de migrants rendent la coordination des actions
difficile au sein de la commune.
En effet, tous ces conflits sont révélateurs du
déficit voire de l'absence de sérieuses concertations entre les
responsables d'associations, la municipalité, l'Etat et les
Organisations de Solidarité Internationales. Cette carence de dialogue
conduit souvent à des investissements économiquement inefficaces
car ne s'inscrivant dans aucune approche globale de développement local.
L'action des associations de migrants apparaît alors limitée dans
de nombreux domaines alors que certaines des difficultés qu'elles
rencontrent relèvent essentiellement d'une décision politique, en
France et au Mali, qui implique les autorités politiques.
2- Perspectives
Pour un réel développement des nouvelles
communes, on doit surtout s'attacher à la consolidation de la
démocratie nouvellement instaurée par un véritable
dialogue entre tous les acteurs concernés
Le processus de décentralisation en cours au Mali, doit
permettre la participation des populations aux décisions concernant leur
commune.
On remarque que la mobilisation des migrants dépend
avant tout d'une certaine stabilité politique et sociale d'où la
nécessité de mettre un terme aux conflits inutiles. Au cours de
nos enquêtes, de nombreux migrants nous ont fait savoir qu'ils ne peuvent
plus continuer à financer des conflits inutiles.
Des campagnes de sensibilisation et d'information doivent
être fréquentes au niveau des populations locales et des
associations des migrants en France.
Les migrants doivent davantage s'investir dans des projets de
développement économique, capables de créer des emplois
dans les lieux d'origine. Mais il faut dire que les infrastructures
adéquates pour l'épanouissement de ces projets manquent. Par
exemple, les terres sont suffisamment fertiles pour développer la
culture des légumes et des fruits dans la commune de Diéoura,
mais celle-ci est totalement enclavée. Et les investissements doivent
prendre en compte les problème d'approvisionnement, de transport et de
commercialisation.
Cependant, l'espoir renaît si l'on sait que depuis le
début de l'année 2003, la nouvelle route nationale reliant Bamako
à Kayes passe par l'un des gros villages de la commune : Tassara. Nous
espérons que le programme actuel du gouvernement malien donnant la
priorité au
désenclavement et à la sécurité
alimentaire donnera espoir aux ressortissants de la commune de Diéoura
qui hésitent à investir dans l'agriculture.
La construction des routes doit cependant s'accompagner de la
promotion d'entreprises génératrices d'emplois et de revenus.
Pour réussir de telles actions, il faudra surtout impliquer les cadres
issus des localités concernées.
Les migrants et leurs réalisations n'ont pas eu
suffisamment de reconnaissance de la part des autorités publiques, les
autorités communales issues de la décentralisation doivent
renforcer et légitimer ce qui est déjà entrepris en
accompagnant pleinement les migrants pour asseoir les conditions d'un
développement durable15 .
L'avancée du désert va, de plus en plus,
accroître l'instabilité des ruraux, donc ce sujet doit être
au centre du codéveloppement et de la lutte contre la
désertification.
L'éducation des enfants dans les zones
d'émigration doit être une priorité des autorités
locales car le développement de tout pays dépend de son
système d'éducation. Pour la réussite des actions des
migrants, un élément capital est à souligner, celui de
leur intégration en France. L'intégration passe d'abord par la
maîtrise de la langue française, et on voit donc là une
nécessité pour la majorité des migrants de prendre des
cours d'alphabétisation.
En ce qui les relations entre les acteurs qui interviennent dans
les lieux d'origine et les migrants, Boucquier les analyses comme suit :
L'ensemble des partenaires au Nord qui sont sollicités
par les collectivités locales et les associations des migrants, ont des
ambitions et des postures institutionnelles variées. Ils ne cherchent
pas forcément à satisfaire les mêmes objectifs. Une
synergie ou un rapprochement entre les deux est à promouvoir :
- Ils ne s'impliquent pas toujours dans le même secteur
d'activité, leurs centres d'intérêt ou les domaines des
compétences qu'ils veulent mettre à profit pour leurs partenaires
du Sud n'étant pas les mêmes .
- Parfois, ils ne privilégient pas les mêmes axes
de développement que ceux pourtant identifiés comme prioritaires
par les acteurs locaux. Certains secteurs sont choisis par les partenaires au
nord en fonction de leur caractère << démonstratif
>>, surtout lorsque ces acteurs doivent rendre compte auprès d'un
public spécifique, des démarches de coopération qu'ils ont
entreprises.
(C'est le cas des O.N.G. françaises par rapport à
leurs << admissions >> pour ce qui est de la
15 - Bocquier et al, 1999.
coopération décentralisée).
- Ils ont souvent une perception différente du
processus du développement local. Celui-ci suppose que les acteurs du
Nord acceptent de financer des « fonds de développements locaux
» dont le principe est justement de ne pas savoir à quels projets
leurs contributions seront affectées (ce principe n'est pas toujours
accepté).
En effet, ces divergences d'intérêts expliquent
en partie pourquoi les collaborations entre les associations de migrants et
collectivités locales en France sont loin d'être
systématiques. Ces collaborations seraient pourtant porteuses et
aideraient certainement les associations villageoises de migrants à
trouver une raison supplémentaire de s'impliquer dans le champ du
développement communal.
Au niveau des Etats, au Mali en l'occurrence, la
décentralisation en cours peut ouvrir un cadre d'action dynamisant et
donner sens à l'action des migrants des associations de
développement.
En ce qui concerne la France, la prise en compte des associations
devrait certainement se traduire par une plus grande légitimité
donnée à leurs actions.
Donc il revient aux Etats concernés de prendre les
mesures appropriées pour appuyer les associations des ressortissants
pour permettre aux zones d'émigration de décoller sur le plan
socio-économique. Les dynamiques qui seraient introduites auraient des
répercussions sur le reste du Mali et même de la sous
région.
A notre avis, l'application de ces propositions apportera un
appui utile aux efforts déjà entrepris dans le domaine du
développement par les associations de migrants dans les régions
d'origine.
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