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L'émigration malienne: configuration, modalités, et effets des migrations des ressortissants de la commune de Diéoura, cercle de Diéma.

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par BOULAYE KEITA
Université Paris 7 DIDEROT - Maà®trise 2004
  

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Chapitre IV : Une migration qui finance des conflits locaux :

La communauté Soninké est l'une des communautés les plus structurées du Mali. Cette communauté est caractérisée par une organisation sociale très rigide, un régime de gérontocratie, c'est-à-dire le pouvoir des anciens. Toute idée opposée à celle des personnes âgées est considérée comme un délit. Ainsi dans le village, le chef du village a un pouvoir absolu. Il est aidé dans l'exercice de ses fonctions par ses conseillers qui sont les notables du village.

Il faut reconnaître que tous les villages Soninkés connaissent des conflits locaux au sein desquels les migrants ont leur part.

1- Organisation sociale en milieu soninké :

Dans le village, l'organisation sociale est composée de trois classes essentielles:

- Le chef de village et ses conseillers (les notables):

Cette classe constitue le sommet de la hiérarchie en milieu soninké. Pour devenir le chef de village, il faut être membre d'une famille fondatrice du village. Toutes les terres appartiennent au

chef du village et à son clan.

- Les hommes libres :

Il s'agit là d'une classe composée de gens qui sont venus après l'installation des premiers habitants. On les considère comme des « étrangers » dans le village même s'ils sont là depuis des siècles. Mais parmi les hommes libres, certains sont plus importants que d'autres. Par exemple, les familles Boumé et Diaby qui sont les imams. Ces familles dirigent les activités religieuses dans la commune de Diéoura mais ne deviennent pas chefs de village. D'autres n'ont presque aucun rôle à jouer dans vie sociale.

- les hommes de castes :

Il s'agit là des forgerons, des griots, des cordonniers et des esclaves. Ils sont chargés de l'organisation des activités dans le village (les cérémonies de mariage, de baptême, les cérémonies funèbres et les manifestations artistiques pendant les fêtes). Dans cette classe, le griot joue le rôle le plus important, dans la mesure où c'est celui qui détient l'histoire du peuple et des familles sans laquelle on ne peut donner une véritable orientation à l'avenir. Car l'histoire du peuple permet de savoir le passé, de comprendre le présent et de préparer l'avenir et de maintenir la hierachie sociale.

Nous avons jugé nécessaire de rappeler l'organisation sociale pour permettre aux lecteurs de savoir comment ces acteurs agissent sur l'espace, notre domaine privilégié en géographie. Sinon c'est un véritable métier de sociologue ou d'anthropologue.

Dans la société chacun doit remplir son rôle pour la stabilité locale.

2- Comment est intervenu le conflit à Diéoura et l'implication des migrants :

La fin des années 1980 constitue le début de l'organisation des migrants pour la réalisation d'infrastructures collectives. Ce fut donc un moment décisif dans le mouvement associatif des migrants en France.

Nous avons rappelé plus haut que ce sont les migrants de la commune de Diéoura en France et au Gabon qui ont financé la construction de la grande mosquée à hauteur de 300.000 FF en 1988. La mosquée a ouvert ses portes en 1990.

La question la plus sensible dans la commune de Diéoura est le conflit qui oppose le chef du village et ses conseillers à quelques personnes se déclarant « Sunnites » depuis 1990 bien

avant la création de la commune. Ce conflit a connu des moments durs pour les deux camps avec l'implication de l'administration dans la gestion de cette crise locale. Le maire, élu contre la volonté des anciens en 1999 a tenté de résoudre cette crise par un coup de force à moins de deux mois des élections communales de 2004 le maire est apparu comme un véritable protecteur des « Sunnites » : Cette attitude lui coûta sa défaite aux élections sans parvenir à une solution de la crise. Les migrants en France se sont tous mobilisés pour un changement du maire.

Deux ans après l'inauguration, un petit nombre de personnes demande à construire une nouvelle mosquée. Ces quelques personnes se déclarent « Sunnites ». Le chef du village de l'époque et ses conseillers acceptèrent la construction de cette mosquée. Ces personnes qui se déclarent « Sunnites » sont toutes des migrants émigrées en France. Elles ont financé la construction de leur mosquée. Les chefs du village à Diéoura et en France ont donné leur accord pour sa construction à une seule condition : que le vendredi, qui est un jour Saint de l'Islam, tous les habitants du village « Sunnites » et « traditionalistes » se retrouvent dans la grande mosquée pour faire la prière. Les deux parties avaient conclu cet accord. Après la fin des travaux, la mosquée « Sunnites » nouvellement inaugurée, commence à attirer d'avantage les gens que la grande mosquée. De plus, dès le premier vendredi de l'ouverture, les « Sunnites » et leurs partisans font leur prière du vendredi dans leur mosquée. Le chef du village et ses conseillers, ont vite avisé le sous-préfet de Lakamané pour prendre des dispositions afin d'éviter des affrontements entre les deux parties. Le sous-préfet à l'époque a ainsi interdit aux « Sunnites » de prier dans leur mosquée jusqu'à nouvel ordre.

L'attitude des « Sunnites » a été considérée comme une grande atteinte à l'autorité du chef du village de Diéoura. Malgré la décision du sous-préfet de fermer à titre provisoire la nouvelle mosquée, les « Sunnites » ont continué à y prier et le vendredi suivant devint une journée décisive dans l'évolution de la crise locale.

Un seul des « sunnites » avait pris la décision de faire la prière du vendredi dans sa mosquée quelles qu'en fussent les conséquences, ce qui a conduit le chef du village à convoquer un conseil extraordinaire avec les notables du village pour étudier la suite qu'il fallait donner à cette action. La décision fut d'évacuer la seule personne de la mosquée et de procéder à sa destruction totale immédiatement. Ainsi prise, la décision a été appliquée dans les minutes qui ont suivi. Sans attendre l'arrivée des forces de sécurité, on arrêta toutes les personnes se déclarant « Sunnites » et on les attacha chez le chef du village.

Ces événements se déroulèrent en avril 1992.

Depuis ce jour, le village de Diéoura se trouve dans une crise très profonde. Les « Sunnites » ont été bannis du village et leurs familles ont été interdites de fréquentation des boutiques, des puits, bref de tous les services sociaux du village.

On s'engagea dans un processus juridique qui ne prit fin qu'en juillet 2004.Les migrants se sont mobilisés depuis la France pour prendre des avocats afin d'assurer la défense du chef du village et des notables. De l'autre côté, on a assisté au même phénomène.

Malgré le changement survenu au Mali le 26 mars 1991 qui a vu la chute du pouvoir dictatorial et corrompu de Moussa Traoré, signalons que la justice malienne reste toujours corrompue. Le dossier a épuisé plusieurs juges et jamais la justice définitive n'a été dite.

Pendant ces dix dernières années, les migrants de la commune de Diéoura se sont surtout engagés dans ce conflit plutôt que de s'intéresser à des actions de développement.

Tous les migrants payaient la cotisation obligatoirement ou ils étaient interdits d'aller au village de Diéoura. Pour la construction de la grande mosquée, chaque migrant avait payé 305 €, puis 530€ pour la construction du centre de santé. Cependant pour ce conflit, chaque migrant en 1994 a payé plus de 1300€.

Au moment où les autres villages se mobilisaient pour favoriser le développement de leur lieu d'origine, les migrants de la commune de Diéoura s'épuisaient dans ce conflit qui a freiné les actions de développement.

Si dans le cercle de Yelimané, on a des réalisations d'un coût supérieur à milliard de francs Cfa, dans la commune de Diéoura aucune réalisation des n'a atteint à présent 70 millions de francs Cfa. Monsieur Camara nous a affirmé, lors de nos entretiens que c'était le chantier principal des ressortissants de son village. En tant que représentant légal du chef du village en France, il a reconnu que ce conflit est l'élément qui a le plus entravé le développement de la commune de Diéoura. Le chef du village de Diéoura et l'ex-maire de la commune tiennent le même discours. De façon beaucoup plus générale, l'ensemble des migrants reconnaissent que ce conflit a été un élément dangereux pour la mobilisation des uns et des autres pour le développement des lieux d'origine.

Pourtant, dans ce conflit, certaines personnes ont adopté une position centriste. Ils ne participaient ni aux cotisations du village ni à celles des « Sunnites ». Il s'agissait des gens dont la famille était installée dans les grandes villes notamment Kita, Kati ou Bamako, donc des gens

qui avaient d'autres cibles au Mali que le village de Diéoura.

Le conflit a pris un caractère politique en 2004, lors des élections municipales comme nous l'avons évoqué plus haut. L'ex-maire s'est porté comme étant le « défenseur des plus faibles » selon ses propres propos, c'est dire les « Sunnites » du village. Il a tenté de résoudre le conflit en faisant intervenir les forces de l'ordre pour arrêter tous les notables du village qui étaient opposés au retour des « Sunnites » dans le village. Ces notables ont été emprisonnés pendant près de deux mois (mars, avril, 2004) sans procès, et le mois qui suivait leur sortie de prison a été consacré à l'organisation des élections. Ce conflit a été le thème principal des discussions pendant la campagne électorale. L'arrestation des notables du village par l'ex-maire a provoqué l'indignation totale au sein de la population de la commune de Diéoura.

Depuis la France, des migrants ont envoyé de l'argent pour financer la campagne d'un nouveau candidat. C'est-à-dire celui des notables. La position adoptée par l'ex-maire dans la résolution de la crise s'est soldée par sa défaite aux élections.

Globalement, les cinq ans passés (1999- 2004) à la tête de la commune de Diéoura ont été caractérisés par une opposition farouche entre le maire et les notables du village. Aucune action de développement n'a été réalisée. Cette position du maire a entraîné une fois de plus la méfiance des migrants vis-à-vis des dirigeants locaux.

Si l'on sait que désormais le territoire doit être géré par le maire et les notables à la fois, il faut donc que les relations entre ces acteurs soient des relations de complémentarité et non de rivalité.

Le pouvoir des notables dans tous les villages est un élément important à prendre en compte. C'est un système que même les hautes autorités politiques du Mali ont en tout cas pris en compte dans l'exercice de leurs fonctions.

Juridiquement, toutes les terres appartiennent à l'État. Mais il faut dire là que c'est un discours théorique. Le village appartient aux familles fondatrices dans les faits. C'est un point de vue qu'a surtout encouragé l'ancien Président du Mali Alpha Omar Konaré (1992 - 2002). Ce n'est pas par hasard qu'il a nommé Monsieur Karamoko Niaré comme gouverneur du district de Bamako en 1994. Les Niaré sont ceux qui ont fondé la ville de Bamako avec les Touré.

En effet, les fondateurs du village ont plus de privilèges que les autres habitants. En 2001, par exemple l'État malien y a installé des antennes téléphoniques dans beaucoup de localités. Le téléphone a été installé chez le chef du village de Diéoura. Pourtant le maire était investi depuis

1999 et la mairie de Diéoura n'a pas toujours de téléphone. Tous ces éléments pour montrer le poids des notables dans la gestion du territoire.

L'objectif à atteindre ici n'est pas de narrer ce conflit, mais surtout de voir comment ces différents acteurs agissent pour gérer le territoire. Dans la gestion du territoire, les migrants ont un rôle capital à jouer dans la mesure où ils sont les principaux acteurs économiques du développement grâce à leurs apports.

En l'occurrence, le conflit entre le chef du village et les « Sunnites » a mobilisé les fonds de tous les migrants de la commune de Diéoura. Comme nous l'avons dit, excepté Tassara, tous les autres villages étaient rattachés dans les faits au village de Diéoura, avant même le processus de décentralisation. Des relations existaient déjà donc entre eux. Il s'agit maintenant d'améliorer pour assurer le décollage économique de la commune.

Ce conflit a été en effet l'événement majeur qui a caractérisé le village ou la commune de Diéoura depuis plus de dix ans.

Le conflit aujourd'hui est en cours de règlement; craignant de voir une situation semblable s'installer dans la commune de Yéréré (cercle de Nioro du Sahel), les autorités maliennes se sont engagées tout récemment pour qu'il ait une paix sociale et durable dans la commune. AYéréré, dans le cercle de Nioro du Sahel un conflit de même nature a donné lieu à des affrontements meurtriers en septembre 2003. Il y aurait eu au total dix morts dont neuf étaient « Sunnites » et un représentant du chef du village.

En tout cas à Diéoura, aujourd'hui on parle d'une réconciliation, même si elle est fragile. Le chef du village et ses conseillers ont accepté le retour des « Sunnites » au village de Diéoura et la construction de leur mosquée après l'intervention de Monsieur Mamadou dit Madibarou Diaby, ( un homme politique au Mali. Son parti est la 2e force politique dans la commune de Diéoura et aussi Soninké) et de Sadio Gassama actuel Ministre de l'intérieur du Mali, (Soninké lui aussi et originaire de la région).Ces deux hommes se sont adressés au chefs du village de Diéoura, non du haut de leurs fonctions politiques mais plutôt comme parents aux deux côtés.

Depuis le déclenchement de la crise, il n'y a jamais eu une telle médiation qui peut être considérée comme la vraie solution : l'établissement de la paix sociale dans le village de Diéoura. Toutes les démarches et négociations au Mali ont été suivies avec un grand intérêt en France par la majorité des migrants de la commune.

On peut donc probablement s'attendre maintenant une rémobilisation des migrants pour l

réalisation de nombreux projets dans la commune de Diéoura.

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein