Chapitre I - La genèse des migrations
Soninkés.
Faire une étude des migrations Soninkés
nécessite de recourir à leur histoire. Déjà, il
faut préciser que les Soninkés sont majoritairement
répartis à cheval sur le Mali, le Sénégal et la
Mauritanie dans ce qu'o n appelle << la zone des trois frontières
» ou << le bassin du fleuve Sénégal ». Cette
région est caractérisée par une
homogénéité ethnique et culturelle, ce qui est très
rare en Afrique au Sud du Sahara. On rencontre trois ethnies principales : les
Soninkés, les Peuhls et les Mandingues. Mais ce sont les Soninkés
qui sont les plus nombreux. C'est l'une des régions les plus pauvres du
monde et les habitants vivent principalement grâce à l'agriculture
mais surtout des revenus des émigrés.
Compte tenu des conditions climatiques difficiles, les
populations ont vu la migration comme une stratégie de défense.
Le processus migratoire chez les Soninkés a concerné au cours du
temps plusieurs espaces.
Ce chapitre sera en effet consacré à
l'étude de ces migrations dans les différents espaces
concernés et les raisons fondamentales qui ont favorisé ces
migrations et qui continuent de le faire.
1 - Une migration très ancienne :
La migration est une pratique installée chez les
Soninkés depuis des siècles Cette tradition remonte à
l'Empire du Ghana (VIIIe - XIe siècle avant J.c). Depuis cette
époque, les Soninkés qui bénéficiaient des faveurs
du roi Kaya Magham Cissé (lui même Soninké) étaient
des commerçants et des voyageurs. Au départ, les voyages avaient
pour but des échanges commerciaux. Au fil du temps, les villes
découvertes lors des voyages servirent de demeures saisonnières
aux commerçants. A l'époque, les chefs de famille
libéraient les jeunes hommes pendant la saison sèche après
les récoltes, les encourageaient à aller chercher un peu d'argent
avant les pluies suivantes, date de retour au champ familial. Dans la mesure
où les migrations saisonnières permettaient aux jeunes d'avoir un
revenu, l'émigration devint un véritable moyen de lutte contre la
pauvreté. Cette migration a commencé à prendre de
l'ampleur au XXe siècle.
2 - Une migration de plus en plus lointaine, en Afrique
:
On remarqu' au début du XXe siècle,
que les migrants Soninkés, et en particulier ceux de la région de
Kayes, commençaient à traverser les frontières du Mali en
direction des pays frontaliers en particulier vers le Sénégal.
Entre 1930 et 1960, la culture de l'arachide au
Sénégal (développée par le colonisateur), a
attiré des migrants maliens. Cette migration en direction du
Sénégal a été favorisée par de la
construction du chemin de fer Dakar- Niamey en 1924. L'implantation d'usines
dans les capitales des pays côtiers de l'Afrique de l'Ouest et Centrale a
fait d'elles de nouveaux pôles d'attraction de migrants Soninkés.
Le Congo Brazzaville et la République Démocratique du Congo
(R.D.C.) sont les pays qui ont accueilli les premiers migrants Soninkés
ce fut ensuite le Gabon, la Zambie, le Rwanda, le Burundi, etc.
La proximité géographique et la circulation des
populations de part et d'autre de la frontière sont des facteurs
stimulants de la migration internationale. L'émigration transnationale
peut-être instable quand la proximité géographique est
synonyme de distance politique. Des événements politiques ont
remis en cause la présence des migrants dans les pays voisins. Par
exemple, la dissolution de la fédération du Mali en 1960 s'est
accompagnée de retour des Maliens résidant au
Sénégal et des Sénégalais résidant au Mali.
L'émigration dans certains pays comme la Côte d'Ivoire devient un
véritable enjeu électoral, donne souvent lieu à des
affrontements meurtriers et
une instabilité politique permanente
L'émigration des ressortissants de la région de
Kayes, en particulier ceux de Diéoura en direction des pays africains, a
tendance à baisser car la majorité de ces pays connaissent des
troubles politiques et une dégradation de leur situation
économique. Cet état de fait ne favorise pas l'intégration
du migrant dans le tissu économique.
Après l'indépendance en 1960, La France est devenue
une destination majeure pour les migrants soninkés de la région
de Kayes.
Nous précisons que l'intérêt de ce travail
n'est pas de faire une histoire des migrations Soninké, véritable
métier d'historien. Mais c'est surtout de montrer la diversité du
processus migratoire dans le temps et dans l'espace.
3- Une migration de plus en plus tournée vers la
France
a- Dans un premier des conditions favorables de part et
d'autre
Les Soninkés ont été mobilisés
dans l'armée française lors de la seconde guerre mondiale. Il
s'agissait des fameux « Tirailleurs Sénégalais ». A la
fin des hostilités, quelques uns sont restés en France et ont
favorisé progressivement l'établissement des premiers
réseaux migratoires.
Après la seconde guerre, la France qui était en
quête de main d'oeuvre, a fait appel aux jeunes africains. Les
Soninkés restaient écrasants dans le contingent malien. La
politique d'immigration française à cette époque
était favorable à l'ouverture des frontières. On
remarquait que les migrants en France retournaient au pays, quelques
années plus tard, avec des économies sans
précédent. Les jeunes garçons de leur entourage ont
commencé à être intéressés quand ils ont
remarqué que ces migrants envoyaient plus d'argent aux chefs de famille.
Hier comme aujourd'hui, l'ouvrier parti en France a un grand privilège,
dans la mesure où il est considéré comme quelqu'un qui a
beaucoup d'argent et qui a la capacité de soutenir de nombreuses
familles dans les moments difficiles.
A partir de 1970, l'aggravation des conditions
économiques notamment avec le durcissement des conditions climatiques,
la croissance démographique et la faible intervention de l'État
pour la réalisation d'équipements d'intérêt public
ont, renforcé la dépendance des communautés
émettrices vis-à-vis des transferts de fonds des
immigrés en France5.
Les dirigeants des pays émetteurs de migrants, dans les
années 1960-1970, considéraient l'émigration comme un fait
nuisible au développement des régions d'origine. Mais plus tard,
ils ont compris que les émigrés pouvaient potentiellement se
révéler comme des acteurs capables de mobiliser des fonds
nécessaires au profit des régions de départ.
Un autre facteur important de la mobilité des habitants
du bassin du fleuve Sénégal tient au fait qu'ils sont dans une
zone presque abandonnée par les États jusqu'à
présent et particulièrement les soninkés du fait de la
minorité des Soninkés dans les pays où ils vivent t «
Au Mali, les Soninkés sont peu nombreux par rapport aux Bambaras, en
Mauritanie par rapport aux Maures, et au Sénégal par rapport aux
Wolofs »6. Ce sentiment d'abandon va jouer un rôle
décisif dans l'engagement des Soninkés à aller chercher
ailleurs les moyens à développer leurs lieux d'origine.
Dans la région de Kayes au Mali, l'agriculture n'est pas
rentable et elle offre peu d'emplois. L'enclavement constitue un frein au
développement de la première région administrative du
Mali. Ce sont les migrants qui apportent la plus grande quantité
d'argent à la région.
Pour répondre à la question, y a-t-il une
corrélation entre migration et pauvreté ?
C'est absolument oui. Les réponses des enquêtes
en France comme au Mali, présentent la migration comme un moyen de
subvenir aux besoins de la famille, du village et aujourd'hui de la commune.
En effet, il faut dire que la raison économique reste
la raison fondamentale dans l'étude des migrations qui font l'objet de
ce mémoire, même si le l'aspect culturel est aussi à
prendre en compte.
b- Depuis 1974, une politique de plus restrictive en
France
Au départ, il n'y a pas eu d'installation
définitive car les conditions d'entrée en France étaient
simples. Les migrants partaient au pays dès qu'ils avaient
travaillé quelques années (deux ou trois ans au maximum) et
pouvaient revenir en France au moment souhaité.
« A partir de 1974 l'immigration économique est
arrêtée et un contrôle rigoureux s'impose
5 Q. Catherine, 1991.
6 Mahamed Timera,1996
désormais aux candidats à l'immigration
»7. A partir de cette date, ceux qui viennent en France restent
jusqu'à l'obtention d'un titre de séjour facilitant les allers et
les retours jusqu'à la retraite. Avant, le jeune garçon devait
chercher une partie des frais de son transport dans un autre pays en demandant
le complément à son frère, cousin, oncle, ami, beau
frère ou neveu vivant déjà en France.
D'après nos enquêtes, 30 des 50 personnes
interrogées en France déclarent avoir obtenu un visa et
être s'envolées directement de Bamako-Senou vers Paris
après 1990, et 20 ont déclaré transiter par d'autres pays.
Par contre, toutes les femmes interrogées en France déclarent
avoir obtenu leur visa à Bamako et sont venues directement à
Paris sans séjourner dans un autre pays, dans les conditions
légales.
A partir de 1990, l'instabilité politique et
économique dans les pays d'accueil (particulièrement en Afrique
centrale) a donné lieu à une autre orientation du voyage. Les
jeunes candidats au départ qui avaient des répondants en France,
ne transitaient pas vers d'autres pays mais remplissaient les formalités
du voyage à Bamako. L'ensemble des frais de transport a
été financé depuis Bamako pour Paris.
Nous avons constaté que les personnes qui transitaient
dans d'autres pays étaient des vieux qui sont arrivés par les
bateaux avant la fermeture des frontières et celles qui étaient
jeunes et arrivées après 1990, sont des personnes qui n'avaient
pas de répondants en France.
La féminisation de la migration internationale est une
réalité favorisée par le regroupement familial du fait de
gel de l'immigration. Mais la majorité des ressortissants de la commune
de Diéoura vivent en France sans leurs femmes. C'est encore une
migration essentiellement masculine. Lorsque nous avons cherché à
connaître les raisons pour lesquelles les migrants vivent sans leur
famille (épouses et enfant) en France, les personnes interrogées
ont avancé deux raisons principales : leur inquiétude quant
à l'avenir de leurs enfants en ce qui concerne leur intégration
en France aussi bien qu'au Mali et de la multiplication des charges familiales
(frais de louer, scolarité ses enfants ) est un autre facteur à
prendre en compte dans cette analyse.
La migration des ressortissants de Diéoura reste
principalement orientée vers la France, mais depuis deux ans, l'Espagne
devient un véritable pôle d'attraction.
7 D.Christophe, 1993;
c - les filières d'immigration clandestines
:
Le processus de fermeture des frontières va de
l'arrêt de la migration officielle en 1974 à l'instauration du
visa d'entrée pour le plus part des pays africains à partir de
19858.
Aujourd'hui, les départs empruntent essentiellement des
filières illégales. Ainsi, politiciens, marabouts,
commerçants, responsables de l'administration, artistes, profitent de
toutes les opportunités pour dénicher un visa aux candidats
près à payer le prix fort. Selon nos enquêtes,
réalisées auprès de quelques candidats au départ,
les frais du voyage de Bamako à Paris serait de l'ordre de 3050 €
ou plus aujourd'hui contre 1000€ en 1990. On assiste donc en une
augmentation considérable des frais du voyage.
L'inégalité est un concept récurrent dans
l'analyse de ces migrations. Les candidats au départ disposent
généralement de titres de voyage et de visa nécessaires
à l'entrée dans le pays d'accueil, et ont fait appel à des
réseaux officieux. La plus grande partie des émigrés
établis après 1974 reste au-delà de la durée que
leur confère le visa de tourisme ou de transit en attendant une
régularisation de leur statut de résidence. On assiste à
une fin des migrations de main d'oeuvre et des migrations tournantes vers la
France depuis l'instauration de la carte de séjour et du visa
d'entrée. On passe d'une émigration de travail à une
émigration d'installation avec tous les problèmes d'insertion
professionnelle et d'intégration.
Si dans les années 1960 - 1970, les migrants
arrivés en France ne connaissaient pas le chômage, il en est plus
le même aujourd'hui. Les jeunes qui quittent le village et viennent
directement en France souffrent beaucoup du chômage. Beaucoup d'entre eux
travaillent au noir9.
Les migrations soninkés ont évolué dans le
temps avec une capacité d'adaptation dans les lieux d'accueil. La crise
d'une destination donne lieu à la découverte d'autres
destinations.
En effets les différents contextes
socio-économiques jouent énormément sur l'orientation et
l'action des migrants.
8 -Voisont D. et al, 1992. 9- Julien C. et Syr D, 1996
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