Chapitre III : Facteurs explicatifs des
divergences au sein des filiales des entreprises multinationales en
matière de RSE.
L'objectif de notre travail de recherche était
d'identifier les facteurs qui pouvaient conduire les multinationales à
changer de comportement en matière de RSE en fonction du lieu où
elles se trouvaient. Le champ de RSE choisi est celui de l'engagement en faveur
de l'environnement, et plus particulièrement les actions en vue du
traitement des déchets issus des biens et services mis à la
consommation.
Le cadre d'analyse porte sur la France et la Côte
d'Ivoire. Compte tenu des résultats satisfaisants obtenus en France et
des nombreuses initiatives prises par Total France, le modèle
français constitue notre modèle de référence dans
une approche d'analyse comparative.
Pour exploiter au mieux les données recueillies et
mener à bien notre analyse comparative, six critères de
comparaison ont été déterminés. A chacun de ces
critères, un ensemble de variables a été associé.
Ainsi, les critères et les variables qui nous ont paru les plus
importants pour identifier les raisons pour lesquelles les multinationales
changent leurs pratiques en matière de RSE selon le pays où elles
sont installées sont les suivantes :
- Le cadre réglementaire :
o L'importance de la réglementation des textes
légaux et leur degré d'application,
o Le degré de précision du Code de
l'Environnement.
- Le cadre institutionnel :
o Le degré de cohésion des
différents acteurs et des politiques environnementales intervenant dans
la filière.
Le niveau de stabilité des institutions,
- Le cadre normatif :
o La qualité du système de normes mis en
place,
Le dispositif de sensibilisation à l'environnement et
à l'écocitoyenneté,
- Le cadre économique :
o La valeur économique ou non-économique
associée aux déchets,
Le type de système économique mis en place pour
le financement des déchets,
o Le système de traitement des déchets,
- Degré d'implication du secteur privé dans le
processus de gestion des déchets :
o Le niveau de contraintes légales et d'engagement des
acteurs privés au processus de traitement des déchets,
- Degré d'implication des citoyens dans le processus de
gestion des déchets :
o La participation des citoyens aux gestes de tri,
o Le système d'information environnementale.
C'est à la lumière de ces critères que
nous identifierons les facteurs qui seront proposés comme
système d'explication au comportement organisationnel des
multinationales et des divergences qui en découlent.
Section I : Facteurs explicatifs relatifs au Cadre
réglementaire.
Tableau 1 : Facteurs explicatifs relatifs au cadre
réglementaire de la gestion des déchets en France et en
Côte d'Ivoire
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France
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Côte d'Ivoire
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Ø Les Textes légaux fondateurs
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- la gestion des déchets a donné lieu à
une intense activité législative et réglementaire. Les
premiers textes datent de 1669, Ordonnance de
Jean-Baptiste
Colbert6(*) portant
règlementation des coupes et de la vente des produits forestiers.
- Il existe une définition claire et exhaustive des
déchets avec un niveau de précision élevée.
- Les textes de loi font obligation aux entreprises de
gérer les déchets qu'elles génèrent. Le
décret n° 92-377 du 01/04/1992 sur les déchets
ménagers prévoit que : « Les producteurs sont
responsables de l'élimination des déchets qu'ils
génèrent ».
- Les textes de loi précisent les modes et les
filières d'éliminations des déchets. Le décret
n° 94-609 du 13/07/1994 n'autorise comme seules voies
d'élimination des déchets ménagers : la valorisation,
le recyclage ou toute autre action visant à obtenir des matériaux
réutilisables ou de l'énergie.
- La valorisation est un procédé obligatoire
imposé aux entreprises. La Directive 94/62/CE du 20/12/94 relative aux
emballages et déchets d'emballages préconise d'atteindre :
un taux global de valorisation pour tous les matériaux de 50 à
65% et un taux global de recyclage entre 25 et 45%. Par conséquent
depuis 2002, les installations d'élimination des déchets par
stockage ne sont autorisées à accueillir que des déchets
ultimes.
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- La Côte d'Ivoire, comme la plupart des pays en
développement, a pendant longtemps conservé l'appareil
législatif en matière d'environnement qu'elle a
hérité de la colonisation (Gnangui, 2009).
- Cette faible capacité de légiférer de
la Côte d'Ivoire dans le domaine de l'environnement est la
résultante même du peu d'importance que les pays Africains
accordaient à la protection de l'environnement (Kamto, 1996).
Les premiers rapports nationaux sur l'environnement n'ont
été élaborés pour la première fois
qu'à la veille du Sommet de Rio, sous la préconisation de la
CNUED et le PNUD qui ont apporté un concours financier et un appui
technique et non négligeables aux Etats Africains pour la confection de
ces rapports (Kamto, 1996).
- Mais depuis le début des années 1990 et
surtout après la conférence de Rio, la prise de conscience par
les gouvernants de la nécessité de la protection de
l'environnement a été nette : Plan national d'action pour
l'environnement (PNAE) en 1994, Code l'Environnement en 1996, Code de l'Eau en
1998, etc.
La législation ne traite pas explicitement de normes
en matière d'élimination des déchets, encore moins de la
responsabilité des producteurs ou détenteurs des déchets.
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- Le Code de l'environnement
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- Le Code de l'Environnement en France se veut exhaustif et
comporte 6 Livres comprenant 714 Articles contenus sur environ 967 pages
(version numérique). Ceci garantit un caractère précis, et
compréhensible pas tous.
- Existence d'une Nomenclature des déchets permettant
aux entreprises de savoir dans quelles filières elles se situent, tout
en sachant les dispositions réglementaires et techniques prévues
pour le traitement des déchets découlant de leurs
activités7(*). Au
niveau de la Communauté Européenne, il existe un Catalogue
Européen des déchets (CED) soumis à un examen
périodique de l'Union Européenne et qui vient en renforcement aux
législations nationales.
- Le principe de responsabilité élargie du
producteur est clairement mentionné. L'article L. 541-2 fait obligation
au producteur ou au détenteur de déchets d'en assurer ou d'en
faire assurer l'élimination dans des conditions satisfaisantes pour
l'environnement. Cette obligation est à l'origine du principe «
pollueur-payeur » de la responsabilité du producteur ou du
détenteur de déchets qui doit pouvoir justifier de la destination
finale de ses déchets.
- Limitation de la mise en centre de stockage de
déchet : L'article L. 541-24 précise «qu'à
compter du 1er juillet 2002, les installations d'élimination des
déchets par stockage ne seront autorisées à accueillir que
des déchets ultimes».
- Renforcement du droit d'information du public : Article
L. 124-1 : «Toute personne a le droit d'être informée sur les
effets préjudiciables pour la santé de l'homme et l'environnement
du ramassage, du transport, du traitement, du stockage et du dépôt
des déchets ainsi que des mesures prises pour prévenir ou
compenser ces effets».
- L'article précise, par ailleurs, les modalités
de création et de fonctionnement des commissions locales d'information
et de surveillance (CLIS), pouvant être mises en place à
l'initiative de l'État ou de la commune qui accueille un site
d'élimination de déchets.
- L'arrêté du 2 février 1998 relatif aux
installations classées pour la protection de l'environnement instaure
l'étude déchets, qui vient compléter l'étude
d'impact. Cette étude, obligatoire pour toute nouvelle demande
d'autorisation, peut sous certaines conditions, être imposée
à des industries déjà existantes.
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- La Côte d'Ivoire va disposer pour la première
fois d'un Code de l'environnement par l'adoption en 1996, de la loi n°
96-766 du 3 octobre 1996.
- La principale conséquence est que la production
industrielle développée jusqu'à récemment sans
mesures de protection de l'environnement, est la principale (environ 70%)
source de pollution des milieux aquatiques. Les eaux lagunaires au niveau
d'Abidjan, où sont concentrées l'essentiel des industries, sont
particulièrement affectées par la pollution d'origine
industrielle et humaine8(*).
- Le Code de l'Environnement en Côte d'Ivoire se veut
très synthétique, comporte 6 Titres comportant 113 articles
contenus sur environ 27 pages (version numérique). Cette absence de
détails ne facilite pas la lisibilité et ne fournit pas de
façon détaillée des informations aux opérateurs.
- Il n'est fait mention d'une nomenclature
détaillée des déchets. Il est fait mention des
déchets ménagers et des déchets dangereux.
- Cette absence de classification standardisée des
déchets dont les opérateurs économiques où les
collectivités locales peuvent se servir pour la gestion des
déchets à collecter, à traiter et à éliminer
rend difficile l'application uniforme des textes.
- Il n'est pas fait obligation aux producteurs, importateurs
et distributeurs de produits générateurs de déchets de
pourvoir ou de contribuer à l'élimination des déchets qui
en proviennent.
- Le Code Ivoirien ne définit de façon
précise les filières de traitement, de valorisation ou de
recyclage des déchets.
- Ce n'est qu'en 1996 que l'étude d'impact
environnemental est pour la première fois juridiquement reconnue par le
législateur qui, conformément à l'article 39, soumet tous
les projets, programmes, ou plans susceptibles d'avoir des conséquences
sur l'environnement à une étude d'impact préalable.
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Source : L'auteur
Au regard des développements qui
précèdent, force est d'admettre que le droit de l'environnement
en Côte d'Ivoire, comme celui de la plupart des pays Africains en
général, est resté pendant longtemps figé voire
inadapté à la situation socio-économique du pays, depuis
1992 (Conférence de Rio sur l'environnement et le développement).
Le législateur tente de rattraper le retard accusé dans le
domaine de l'environnement. Ainsi depuis 10 ans, l'arsenal juridique en
matière de protection de l'environnement ne cesse d'être
renforcé. Si le progrès enregistré par le droit de
l'environnement en Côte d'Ivoire paraît satisfaisant, il faut dire
qu'il se pose par ailleurs, le problème de l'effectivité de son
application. Or l'efficacité du droit de l'environnement ou du droit
tout simplement, résulte dans son application effective. En Côte
d'Ivoire, comme dans la plupart des pays en développement, pour des
raisons socioéconomiques et politiques l'application du droit est
très difficile (Gnangui, 2009).
La dégradation de l'environnement, déjà
peu maîtrisée avant la crise dans certains domaines, s'accentue.
Les obstacles identifiés mettent en évidence un déficit de
gouvernance environnementale, à savoir : (1) la
méconnaissance de la réglementation résultant d'une faible
implication des populations dans la préparation de ces textes, (2) d'un
déficit de vulgarisation et des compétences juridiques
limitées des entités de différents échelons
chargées de les faire appliquer (Rapport Communauté
Européenne-République de Côte d'Ivoire, 2008).
Ainsi le dispositif réglementaire actuel ne facilite
par une gestion de l'environnement en général, et des
déchets urbains en particulier. Les textes de lois et les décrets
n'incitent, ni ne contraignent les opérateurs économiques
à s'impliquer de façon directe aux processus d'élimination
des déchets.
Pour avoir le droit de s'implanter en Côte d'Ivoire dans
une zone donnée et d'y prélever les ressources nécessaires
à leurs activités (licence to operate), le dispositif
juridique n'exige pas aux entreprises qu'elles s'impliquent dans la gestion des
déchets, ni ne définit de façon claire les dispositifs de
traitement ou de valorisation. Or, les théories sociologiques
néo-institutionnelles assurent que les conditions de l'environnement ne
peuvent être séparées des représentations qu'en ont
les acteurs ; elles intègrent les valeurs dominantes du contexte
sociétal dans lequel s'exercent les activités de l'entreprise.
Par conséquent, Total Côte d'Ivoire, n'étant nullement
interpellée par le dispositif légal et réglementaire,
n'est pas prédisposée en aucun moment à s'engager dans des
actions de traitement de ses déchets d'emballages car elle n'y tire
aucune légitimité, ni ne répond à aucune exigence
obligatoire au déploiement de ses activités.
* 6 Chronologie du droit de
l'environnement en France.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Chronologie_du_droit_de_l'environnement_en_France,
visité le 22 avril 2010
* 7 Classification des
déchets, Document réalisé le 1er juillet 2008 par
l'Assemblée des Chambres Françaises de Commerce et d'Industrie,
Pôle Environnement et Développement Durable/
* 8 Agenda 21 Côte
d'Ivoire : Aspects économiques du développement durable en
côte d'ivoire.
http://www.un.org/esa/agenda21/natlinfo/countr/cotedi/eco.htm, visité le
22 avril 2010
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