Développement durable comme stratégie de
rupture
La plupart des entreprises cherchent à adopter un style
de management qui pose le moins de difficultés en conduisant
l'organisation selon un mode qui exclut au maximum la surprise.
L'hypothèse implicite serait alors la suivante : pour connaître le
succès, les organisations doivent opérer dans des états de
stabilité. Les politiques de lobbying visant à protéger
les intérêts sectoriels procèdent de cette volonté
d'exclure ce qui pourrait transformer les règles du jeu. Si cette
hypothèse vaut comme principe de management, comment expliquer que les
entreprises les plus rentables évoluent fréquemment dans les
secteurs turbulents ? Le stratège ne saurait refuser la turbulence. Il
doit l'intégrer dans des décisions stratégiques.
L'Ecosensible opportuniste adopte une politique de
développement durable qui crée l'instabilité car elle
bouleverse les pratiques enracinées dans l'organisation. Le but d'une
stratégie n'est donc pas de maintenir la linéarité mais de
s'y opposer pour trouver des portes d'avancées nouvelles. Le rôle
du manager a donc changé. S'il gère la continuité, il doit
s'imposer également la rupture pour construire son secteur et
affaiblir ses concurrents.
Une rupture est une mutation de l'univers dans lequel
évolue une entreprise, accompagnée d'une reformulation du jeu
concurrentiel. Soit l'entreprise provoque cette rupture, soit elle subit cette
rupture affligée par ses concurrents ou un autre acteur de son
environnement. La rupture se rapproche de la destruction créatrice car
elle implique une transformation radicale des pratiques de management et
résulte d'un mode de pensée et d'analyse en rupture avec le
modèle dominant (le paradigme).
Le développement durable est donc susceptible de
provoquer des ruptures sectorielles majeures et ceux qui les initient peuvent
en tirer des avantages conséquents sur leurs concurrents
immédiats.
Il existe quatre niveaux de rupture : le
niveau intrafirme, le niveau intrafilière, le niveau intrasecteur et le
niveau intersecteur.
- Le niveau Intrafirme concerne l'organisation dans ses
frontières.
Le niveau intrafilière se réfère
à des ruptures qui touchent les firmes entretenant des relations de
fournisseur à client, des matières premières au produit
final (supply chain).
Le niveau intrasecteur se rapporte aux innovations ayant un
impact sur les firmes concurrentes.
- Enfin le niveau intersecteur renvoie à des
innovations qui affectent les firmes évoluant dans des secteurs
distincts.
Le niveau intrafirme a une portée responsable
relativement faible car les innovations ne s'opèrent que sur la
chaîne de valeur de l'entreprise. Une rupture responsable
véritablement innovante pourrait consister en une coopération
entre les firmes relevant d'une même filière (des fournisseurs aux
clients), situant ainsi la rupture dans les interconnexions entre les
chaînes de création de valeur de firmes entretenant des relations
de marché.
En effet, les réussites comportent des risques si
l'entreprise ne contrôle pas l'ensemble des acteurs de la filière
de la chaîne de création de valeur. Une firme peut voir la valeur
créée par son action atténuée par le comportement
non responsable d'un de ses partenaires situés en amont ou en aval de sa
chaîne.
Si la coopération intrafilière est
nécessaire, on peut imaginer des coopérations intrasecteur (entre
firmes concurrentes), voire intersecteur.
La figure 4 vient appuyer ce raisonnement. Elle montre que
l'industrie dans son ensemble produit des déchets car elle ne fonctionne
pas en cycle fermé. Dès lors, une action collective (entre
plusieurs firmes) peut s'avérer plus bénéfique au niveau
écologique qu'une action individuelle (une seule firme).
Les entreprises à titre individuel, en se
lançant dans le développement durable peuvent réussir
à réduire le gaspillage de ressources. Cependant, les produits
que les entreprises génèrent contiennent de grandes
quantités de substances toxiques qu'aucune entreprise ne peut seule
éliminer.
Les écologistes ont préconisé des
« pools de matériaux », sur la base d'une
collaboration active et systématique d'entreprises à travers des
chaînes de valeur complexes, afin d'identifier et d'éliminer les
sources de gaspillage et de pollution (Senge, 2003, cité dans Grandval
et Soparnot, 2008). La perspective est alors interindustrielle et non plus
intra-industrielle dans une seule perspective de filière. La
démarche vise à réduire les externalités
négatives d'une industrie grâce à d'autres industries qui
peuvent remanufacturer, recycler, composter les déchets et rejets de
cette industrie.
Figure 4 : Pourquoi l'industrie produit des
déchets.
Source: Grandval et Soparnot, 2008
La figure 5 nous donne un aperçu de ce à quoi
conduit une telle approche globale. L'industrie du plastique commence à
adopter une telle attitude dans les pays développés. L'innovation
stratégique peut donc prendre la forme d'une action responsable.
L'option d'une rupture suite à une politique de développement
durable est celle qu'adoptent les Ecosensibles.
Cette revue de la littérature nous a conduit à
prendre conscience que le développement durable peut constituer pour une
entreprise un véritable enjeu de positionnement stratégique dans
un marché concurrentiel où les règles de jeu, bien
qu'établies, peuvent être changées par un acteur de
filière.
Ainsi au niveau des firmes, deux comportements sont
observables en matière de politique de développement durable :
l'Ecosensible et l'Ecodéfensif. Comme il a été
démontré, l'Ecosensible crée la rupture dans son secteur
d'activités par une politique volontariste. Son objectif est de
bouleverser les règles du jeu dans le secteur et de confiner les
concurrents dans un rôle de suiveur en reconfigurant constamment les
normes.
Figure 5 :Organisation d'un système industriel
cyclique qui imite la nature.
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