Christologie contemporaine: le défi du pluralisme religieux( Télécharger le fichier original )par Clément TCHUISSEU NGONGANG Grand séminaire Notre Dame de l'Espérance de Bertoua - Baccalauréat canonique en théologie 2011 |
3- La question doctrinaleL'intérêt que le pluralisme religieux a suscité dans les débats théologiques a généré deux types d'approches. La première qui s'inscrit dans l'histoire des religions est dite phénoménologique, dans un regard global de leur mutuel contact, fécondée par un idéal planétaire de cohabitation pacifique tel que nous l'avons évoqué dans un des paragraphes précédents. La seconde approche est critériologique, du fait qu'elle se penche sur la question du pluralisme religieux à partir du pôle de la vérité professée ou du point de vue doctrinal. Lorsqu' en l'an 2000, La CDF publie la Déclaration Dominus Iesus, son accueil est mitigé au sein même des théologiens catholiques55(*) ; les théologiens d'autres confessions eux aussi exprimèrent leur peur de voir dans les années à venir le dialogue oblitéré. Pour notre part, l'objectif de ce document magistériel, loin de clore le débat, vise en définir les préalables pour y participer de façon authentique. Nous pouvons lire à ce sujet : « De la pratique et de la théorisation du dialogue entre la foi chrétienne et les autres traditions religieuses, naissent de nouvelles questions ; il faut les affronter en parcourant de nouvelles pistes d'investigation, en avançant des propositions et en suggérant des comportements, qui doivent être soumis à un discernement attentif. La présente Déclaration intervient dans cette recherche pour rappeler aux Evêques, aux théologiens et aux fidèles catholiques certains contenus doctrinaux essentiels, qui puissent aider la réflexion théologique à découvrir peu à peu des solutions conformes aux données de la foi et aptes à répondre aux défis de la culture contemporaine. »56(*) Et plus loin dans le même numéro l'auteur indique le but heuristique de la déclaration : « On veut y traiter organiquement la problématique de l'unité et de l'universalité salvifique du mystère de Jésus-Christ et de l'Eglise, ni offrir des solutions à des questions théologiques librement disputées. On veut plutôt exposer une nouvelles fois la doctrine de la foi catholique sur ce point, en indiquant en même temps certains problèmes fondamentaux qui restent ouverts à d'ultérieurs approfondissements, et réfuter quelques opinions erronées ou ambigües. » La mise à nu de ces problèmes fondamentaux faisant parfois suite à des compromis doctrinaux douteux par les acteurs du dialogue - même du côté catholique - dont les propositions théologiques ne sont pas sans compromission sur les acquis basiques de la foi, permet de reconnaître comme dangereux « le relativisme de la vérité », le « subjectivisme exaspéré », « l'éclectisme », « la tendance à interpréter l'Ecriture en dehors de la tradition du Magistère », le « faux concept de la tolérance », « la mentalité indifférentiste ». Cela dit, les développements christologiques constituant le point de mire de notre travail, nous examinerons indépendamment de leur orthodoxie les grands acquis théologiques à l'intérieur de la problématique du pluralisme religieux, quitte à signaler au besoin leur démarcation ou non de la doctrine de l'Eglise. Pour autant que la confession de Jésus, Fils de Dieu et unique médiateur ait une valeur dogmatique, sinon plus, il n'est pas inutile de souligner que l'énoncé dogmatique compte parmi les facteurs du malaise christologique contemporain57(*). N'était peut-être la formulation langagière du dogme, que la désaffection de l'homme contemporain face à certaines vérités de foi, restant sauf le contenu, et maintes polémiques au sujet même du pluralisme religieuse s'en trouveraient fortement atténués. C'est dans le même sens que Ratzinger en glosant sur la Trinité, émet cette affirmation importante : « Le dogme comme réglementation du langage. [...] Il ne faut donc pas aller jusqu'à considérer ces formules comme les seules possibles, jusqu'à déduire que c'est là l'unique manière d'exprimer la réalité : ce serait méconnaître le caractère négatif du langage théologique, son caractère approximatif. »58(*) Une telle perspective conduit, à coup sûr, à saisir la chance inouïe du pluralisme religieux pour scruter au mieux, approfondir sans peur de réajuster, les propositions dogmatiques tenues parfois à tort pour apodictiques. La christologie contemporaine, hantée par la question de savoir « comment tenir ensemble, en une tension féconde, l'intégrité de l'identité chrétienne et l'ouverture dialogale aux autres traditions dans le respect des différences ? ou encore comment tenir ensemble l'unicité du salut en Jésus-Christ et la pluralité des religions reconnues dans leur valeur propres ? »59(*), considère comme révolu l'exclusivisme et s'articule autour de deux grands paradigmes : l'inclusivisme et le pluralisme. Cette façon de classifier, plutôt générique, s'exprime autrement chez d'autres auteurs : « Le Christ contre les religions » (l'exclusivisme) traduisant « la thèse traditionnelle de la théologie chrétienne, selon laquelle le Christ est le médiateur unique et exclusif du salut et l'Eglise, l'institution unique et exclusive du salut. »60(*) , « le Christ au dessus des religions » pour un théocentrisme avec une christologie normative et « le Christ avec les religions » pour un théocentrisme avec une christologie non normative. Somme toute, au terme de ce chapitre , il convient de rappeler que nous avons voulu nous pencher sur le pluralisme religieux et sur les questions qu'il pose à la théologie depuis des siècles et plus encore en nos jours. Nous semblons à présent plus lucide pour entamer la présentation analytique dans les chapitres suivants - d'allure encore plus spéculative - et présenter l'enrichissement théologique issu de discours christologiques comme réponse au défi qu'un tel phénomène lance à la recherche. * 55 Cf. BAUM Gregory, Etonnante Eglise. L'émergence du catholicisme solidaire, Bellarmin, Montréal, 2006, pp. 172-187. * 56 CDF, Déclaration Dominus Iesus, sur l'unicité et l'universalité salvifique de Jésus Christ et de l'Eglise, Edition du Cerf, Pari, 2000, n° 3. * 57 Cf. DONDEYNE Albert, « Le malaise christologique contemporain » dans DONDEYNE Albert (et alii), Jésus Christ, Fils de Dieu, Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 1981, p. 31. * 58 RATZINGER Joseph, La foi chrétienne hier et aujourd'hui, Cerf, Paris, 2005, p. 114. * 59 FAMEREE Joseph., « Pluralité des religions et unicité du salut » dans Revue Théologique de Louvain, n°35, octobre-décembre 2004, p. 512. * 60 GIBELLINI Rosino, Panorama de la théologie au XXe siècle, Cerf, Paris, 1994, p. 591. |
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