F. Discussion :
Pour entamer la discussion du modèle marocain et sa
comparaison avec d'autres modèles du monde, nous avons choisi de partir
de cet extrait d'un témoignage porté sur ce modèle :
« Depuis bientôt une décennie, la gouvernance de l'eau
potable au Maroc laisse voir des initiatives et des évolutions
originales. Ces dernières constituent un véritable modèle
au sens où il est spécifique, continu et graduel, mais aussi
où il montre une capitalisation endogène des choix et des
expériences successives. Ni produit directement dérivé des
mots d'ordre internationaux, ni dispositif figé et inefficient, la
distribution de l'eau potable dans les villes marocaines allie
créativité institutionnelle et efficacité technique
».58
La multiplicité des acteurs et le poids de la tutelle
et des attributions des services centraux sur les opérateurs producteurs
et distributeurs de l'eau (le secrétariat d'Etat chargé de l'eau
sur l'ONEP et les ABH, et le ministère de l'intérieur, à
travers la DGCL et la DEA, sur les communes et les régies autonomes)
peut être interprété de différentes manières.
On peut y voir une "créativité institutionnelle", mais on peut y
voir aussi un facteur de gêne et d'handicape pour le secteur de l'eau
(c'est aussi le diagnostique de beaucoup d'études et de rapports,
administratifs entre autres).
Mais nous ne prétendons pas, dans ce travail,
contredire le constat des auteurs cités qui ont beaucoup
travaillé sur la problématique de la gouvernance du secteur de
l'eau potable au Maroc et plus particulièrement, comme tout les
chercheurs Français, sur l'expérience de la gestion
déléguée au Maroc. Ces auteurs ont été d'un
apport considérable dans le diagnostique et l'évaluation de cette
expérience, mais s'il y a une remarque à faire, elle serait que
ces travaux
58 "Le modèle marocain de gouvernance de l'eau
potable. L'Initiative Nationale pour le Développement Humain (INDH) dans
la construction progressive du marché de l'eau". Claude de Miras,
Julien Le Tellier et Aahd Benmansour.
partent, le plus souvent, de l'idée que les services
urbains dans les villes des pays en développement trouveront les
remèdes des maux dont ils souffrent dans la délégation ou
la concession aux compagnies privées, et que les grands besoins en
investissement dans ces secteurs ainsi que les défis à relever en
termes d'accès à ces services rendent ce choix
inévitable.
Ces travaux partagent aussi l'idée que les institutions
financières internationales et les bailleurs de fonds de manière
générale sont les principaux "acteurs initiateurs" des
réformes que connaissent les services publics des pays en
développement, dont le service de l'eau potable. Ce qui n'est pas
totalement infondé, surtout depuis la crise financière qu'a connu
la plupart de ces services dans les années 1980-1989 suite aux
politiques d'ajustement structurel dictées par ces mêmes
institutions, et suite à l'impacte sur les budgets des Etats et des
opérateurs de l'investissements public massif dans les infrastructures
des services de base afin de permettre l'accès au service du plus grand
nombre. Orientations qui avaient étés "conseillées" par
les mêmes institutions.
Si la décennie de l'eau59 est une
illustration de l'effort que peut fournir le secteur public en termes de
réalisations, elle est en revanche une preuve que les politiques, quand
elles ne sont pas articulées aux réalités des pays et
l'émanation et l'expression des besoins et des moyens réels de la
population et des opérateurs du service, le résultat n'est pas
toujours brillant. En effet la fin de la décennie de l'eau a
été marquée par une situation financière critique
de ces opérateurs pour ne pas dire une situation de faillite, ce qui
semble-t-il, les a préparé à de nouvelles orientations
internationales. Ceci ne tarda pas, puisque le début des années
1990 va connaître l'émergence de principes tels que la
dérégulation ou déréglementation
du secteur public, la PSP (Participation su Secteur Privé) et la PPP
(Partenariat Public-Privé).
Encadré 1:
En 1994 dans un colloque international organisé
à Casablanca60, Mr F. Ettori, alors Chef de
Division"Industrie et Energie" à la Banque Mondiale déclarait: "
Dans les Pays en Voie de Développement, les investissements dans les
infrastructures sont estimés à 200 Milliards de $ par an dont 15
Milliards privés. Les résultats obtenus ne sont pas à la
hauteur de cet effort d'investissement. Les maux dont souffrent
généralement les services publics (le plus souvent
gérés par l'Etat) sont avant tout: une grave insuffisance de
l'entretien, une inefficacité, un gaspillage des ressources et des
investissements inadaptés à la demande (trop, pas assez,....).
Pour répondre aux besoins, il faudra non seulement
continuer d'investir de façon plus sélective, mais aussi et
surtout accroître l'efficacité des investissements et la
qualité des services rendus.....Plusieurs modes de
propriétés et de gestion des infrastructures sont à
considérer. Si l'on écarte le mode encore le plus répandu
dans les PVD: Etat propriétaire et gestionnaire qui ne répond
plus aux besoins et attentes, il y a deux modes à retenir:
1-Etat propriétaire, exploitation sous traitée au
secteur privé par location ou mieux
59 1980-1989: décennie décrétée
par l'ONU "décennie de l'eau".
60 Colloque international sur "la
déréglementation et le financement des infrastructures"
organisé par l'association des anciens Elèves de l'école
Polytechnique à Casablanca en Octobre 1994.
par concession;
2-Propriété et exploitation confiée au
secteur privé, par privatisation des infrastructures existantes ou
déréglementation et ouverture à l'investissement
privé."
|
Nous trouvons que l'analyse du dispositif institutionnel et
technique marocain relatif au secteur de l'eau est assez compliquée,
tant les acteurs sont divers et leurs logiques souvent sectorielles. Non
seulement deux modes de gestion (Régie et Délégation) du
service urbain de l'eau potable coexistent dans un cadre institutionnel et
juridique empreint d'ambiguïté et d'opacité, mais le niveau
de centralisation est encore assez fort pour permettre une réelle
localisation de la définition et de la gestion de ces services,
indépendamment du mode de gestion choisi.
Globalement nous pouvons relevé quelques
caractéristiques de cet aspect organisationnel : Multiplicité des
acteurs et fragmentation du cadre consultatif, institutionnel et
opérationnel amplifiés par une instabilité des structures
administratives (de nouvelles appellations et organigrammes et des
réorganisations à l'occasion des changements
ministériels). Cette segmentation du cadre institutionnel engendre des
difficultés pour une planification stratégique du secteur comme
pour assurer l'efficacité et la cohérence des programmes
opérationnels.
Le secteur souffre, de l'avis même des responsables
institutionnels que nous avons rencontré dans le cadre de ce
mémoire, d'un bicéphalisme des opérateurs publics,
à savoir les régies et l'opérateur national : l'ONEP. Ce
bicéphalisme se manifeste sur deux plans :
· Le plan spatial, les services d'eau dans les petites
villes et centre ruraux étants gérés soit par une
régie, soit par l'ONEP, situation qui parfois engendre des
intérêts contradictoires61.
· Ce bicéphalisme se manifeste aussi sur le plan
de la filière de production et d'exploitation du service. Et nous sommes
en droit de poser la question si un seul opérateur prenant en charge
tout le processus, de la production à la distribution de l'eau, ne le
ferait pas avec un moindre coût marginal.
La figure 13 représente l'organisation
institutionnelle et les niveaux d'intégration entre les
différents intervenants dans le secteur de l'eau. Si on peut relever la
multiplicité de ces intervenants et, souvent, le faible niveau
d'intégration entre les acteurs, on doit cependant rappeler qu'il s'agit
de gérer une ressource et un secteur dont la principale
caractéristique est la transversalité.
61 Un cas nous a été rapporté par le
responsable su service de l'eau de la RADEES (Régie Autonome de
Distribution d'Eau et d'Electricité de Safi) et qui concerne la reprise
par l'ONEP en 1993 de la responsabilité de la gestion du service de
l'eau potable dans la petite ville de Youssoufia de la province de Safi .Avant,
La RADEES était en charge de ce service et avait pour cela investi en
installations et équipements, dont un château d'eau, mais l'ONEP
ne voulant pas rendre les sommes investies par la RADEES, ceci a crée
une situation de conflits d'intérêts, situation terminée
à l'avantage de l'ONEP.
Figure 19: l'intégration des acteurs dans
l'organisation du secteur de l'eau au Maroc
NIVEAU
D'INTEGRATION DES ACTEURS
National
(production et distribution)
ABH
(Gestion intégrée des ressources)
Régies autonomes et éventuellement
sociétés délégataires.
(Exploitation du service de distribution)
ONEP
Ministères, secrétariats d'Etat au niveau national,
directions et commissions au niveau régional et local. (Orientation
et régulation du service)
Régional
Local
Communes et Associations (Responsabilité légale
du model de gestion et intérêt du consommateur)
LES ACTEURS
Instances
représentatives
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Instances administratives
|
Etablissements publics et exploitants
privés
|
|
La gestion du service de l'eau concerne différents
domaines d'intervention publique et selon plusieurs approches et logiques. Les
envergures et les échelles de ces interventions varient, et vont de la
mobilisation au traitement avant rejet, passant par la production et la
distribution. Cette multiplicité est fatalement source de blocages car
elle engendre des approches sectorielles faiblement intégrées
dans une vision stratégique de la gestion du secteur de l'eau.
L'idéal serait un fonctionnement de ce dispositif dans
une intégration complète de toutes ses composantes selon une
vision stratégique et une approche privilégiant la coordination
et la concertation, le but étant la réalisation d'objectifs
précis et identifiés d'un commun accord.
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