B. Les modes de gestion du service de l'eau potable au
Maroc :
1. Poids des opérateurs dans le secteur de la
distribution de l'eau :
L'organisation effective des services publics au Maroc prend
des formes différentes :
- Le premier mode de gestion possible est la régie :
la commune exerce elle même l'exploitation du service en fournissant le
personnel et les moyens. La régie peut être directe ou autonome
(à travers un opérateur public).
- La délégation constitue le second mode de
gestion, les moyens du service sont alors, pour tout ou partie, fournis par un
opérateur privé qui, en échange, gagne le droit
d'exploiter le service (et sa clientèle captive) pendant une certaine
durée.
Les opérateurs privés au Maroc sont au nombre de
trois : LYDEC : Casablanca (1997), REDAL : Rabat - Salé (1999) et
AMENDIS: Tanger - Tétouan (2002).
Par nombre d'abonnés, les poids respectifs des
opérateurs de la distribution de l'eau potable en 2006 sont comme suit
(voir figure 15):
- 38% par les concessionnaires;
- 33% par des régies municipales;
- 28% par l'Office National d'Eau Potable.
Figure 15: Structure de la distribution en clients
raccordés (2006)
Source :"Régies de distribution et gestions
déléguées au Maroc, perspectives et modes de financement
des investissements". DRSC. (Mexico 2006 4th. World Water Forum).
2. La gestion en régie :
Sont instituées par le décret n° 2-64-394 du
29 septembre 1964 relatif aux régies communales. Il existe deux formes
de régies :
a) La régie directe :
Les petits centres urbains gèrent couramment leurs
services d'eau et d'assainissement en régie directe, les communes
exercent alors elles mêmes l'exploitation et la gestion du service.
b) Les régies autonomes municipales :
Sont des établissements publics communaux à
caractère commercial et industriel et dotés de la
personnalité morale et de l'autonomie financière, sous tutelle du
Ministère de l'Intérieur.
La Régie Autonome est créée par
délibération du Conseil Communal ou du Syndicat de Communes pour
assurer la gestion de certains services publics locaux à
l'intérieur du périmètre des Communes concernées,
la régie autonome est gérée par trois organes:
- le Conseil d'Administration dont les
2/3 des membres sont des élus locaux, et qui
délibère sur toutes les questions
intéressant le fonctionnement de la Régie,
- le Comité de Direction qui
est une structure technique qui émane du Conseil
d'Administration et qui prépare les décisions pour
le Conseil d'Administration,
- le Directeur, nommé dans le
cadre des emplois supérieurs, il est responsable de la
gestion quotidienne de la Régie.
Actuellement, il existe treize (13) régies autonomes de
distribution dont :
· 7 régies assurant la distribution
d'électricité, d'eau potable et la gestion du service
d'assainissement liquide, il s'agit des régies RADEEF de Fès,
RADEEMA de Marrakech, RADEEM de Méknès, RAK de Kénitra,
RADEEJ d'El Jadida, RADEES de Safi et RADEEL de Larache.
· 5 régies assurent la distribution d'eau potable
et la gestion du service d'assainissement liquide, il s'agit des régies
RAMSA d'Agadir, RADEEO d'Oujda, RADEET de Beni Mellal, RADEEC de Settat et
RADEEN de Nador.
· Une régie assure la distribution d'eau potable,
il s'agit de la régie RADEETA de Taza. (selon la direction des
régies et services concédés (DRSC), la procédure
pour le transfert du service d'assainissement liquide à la RADEETA est
en cours).
3. La gestion déléguée :
a) Contexte d'urbanisation croissante et besoin
croissants en services de base:
A partir des années 1990, la capacité des
Régies Autonomes à satisfaire la demande croissante des usagers
est devenue l'objet de débat et de prise de position, souvent
contradictoires, concernant les choix cruciaux auxquels sont confrontés
les pouvoirs publics dans un contexte d'intégration croissante à
l'économie mondiale. Faut-il maintenir le principe d'interventionnisme
ou au contraire se désengager par le biais de la privatisation de la
gestion de certaines activités à caractère commercial et
industriel ?
le Maroc, confronté à une croissance
accélérée de la population urbaine qui est passée
de 8,7 millions d'habitants en 1982 à 13,4 millions d'habitants en 1994
a vu augmenter le nombre des villes et des centres qui est passé de 250
à 370 au cours de la même période. Cette évolution a
généré notamment un accroissement important des besoins en
infrastructure, en équipements collectifs et en services publics urbains
et induit dans la quasi-totalité des villes un décalage entre la
courbe de l'offre des services municipaux et celles de la demande sociale.
Les secteurs, notamment de la distribution de l'eau et de
l'électricité, du transport urbain et plus encore des
réseaux d'assainissement, de gestion (collecte, transfert, stockage et
traitement) des déchets urbains, sont l'objet de déficits de plus
en plus importants, ils ont pour conséquences la
détérioration de certaines prestations des services publics, des
difficultés sur le plan financier, la vétusté de certains
réseaux urbains, la rareté des investissements, autant
d'obstacles que la gestion public a du mal à surmonter.
b) Privatisation des services :
La situation des services urbains dans les années 1990 a
généré un besoin en solutions alternatives, de nature
à résorber les déficits et à doter les villes des
infrastructures et des
équipements correspondants à la demande sociale
et aux exigences de l'environnement de l'entreprise, et notamment dans les
grandes métropoles, qui accueillent l'essentiel de la population
urbaine. L'opportunité est alors apparue de se tourner vers de nouvelles
formes de gestion des services, et de garantir des prestations conformes aux
standards internationaux et surtout, de mobiliser des potentiels de financement
externes, à la hauteur des niveaux, sans cesse croissants, de la demande
en services urbains. Selon H. Nouha, un responsable de la DRSC44:
« Les lourds investissements qu'il faudra réaliser au cours des
prochaines années, particulièrement dans le domaine de
l'assainissement liquide, en vue de mettre les villes à l'abri des
inondations, de réhabiliter les réseaux vétustes et
d'accompagner, sans rupture, l'extension rapide des trames Urbaines, de
créer des systèmes d'épuration répondant aux normes
universelles de l'environnement et de préserver l'hygiène et la
santé des populations urbaines, ont conduit à rechercher des
partenaires internationaux, capables de mobiliser ces potentiels de capitaux et
d'assurer une gestion experte et au moindre coût pour la
collectivité.». Et d'ajouté, dans une communication
réalisée en 2002 à l'occasion d'une rencontre
internationale sur l'eau : « Outre cet avantage, l'association de
sociétés privées à la gestion des services publics
urbains permettra aux Communes concernées de libérer les
ressources de plus en plus rares affectées dans certains cas à
ces secteurs hautement capitalistiques et de les diriger plus avantageusement
vers les investissements sociaux dont les villes ont grandement
besoin.»
Nous nous arrêterons, pour commenter ce point de vue,
sur l'estimation du coût réel que devra concéder la
collectivité en délégant la gestion du service de l'eau
à une société privée. Nous pensons que
malgré les améliorations qui sans conteste seront
apportées à la gestion du service, le coût ne sera pas du
tout "moindre", car les prix du service seront automatiquement
réévalués pour tenir compte de la marge de
bénéfice de l'opérateur privé. Les
considérations politiques et sociales ne pèseront en tous cas pas
aussi lourd que la priorité du gain financier, et se sont les
consommateurs qui finalement payeront la différence.
Toujours est-il que c'est dans ce contexte que la gestion des
services d'eau, d'électricité et d'assainissement liquide, a
été déléguée à des entreprises
privées à Casablanca en août 1997, à
Rabat-Salé en janvier 1999, et à Tanger-Tétouan en janvier
2002. Et à Marrakech, le processus de mise à la gestion
déléguée du service de l'eau potable est lancé.
c) Histoire de la gestion
déléguée au Maroc :
En matière de délégation, le Maroc
dispose d'une longue tradition héritée du système de
"Concession à la Française", pour l'exploitation des services
publics industriels et commerciaux du pays. Les premières concessions
ont été délivrées au début du
20ème siècle. Le protectorat a, en effet, connu la
réalisation de nombreuses infrastructures, notamment dans les
réseaux ferroviaires, l'adduction et la distribution de l'eau et
l'électricité, ainsi que l'infrastructure portuaire. Ces
concessions étaient généralement détenues par des
capitaux étrangers, en particuliers français.
Après l'accession du Royaume à
l'indépendance, ces concessions ont été perçues
comme incompatibles avec le rétablissement de la souveraineté
nationale. Elles ont alors été massivement rachetées par
le gouvernement marocain, pour être transformées en monopoles
publics. Ainsi, au niveau de la distribution de l'eau, le Maroc, dans un
objectif affirmé de
44 "Gestion de la demande en eau, partenariats
publiques-privés, cas du Maroc, la distribution de l'eau potable".
Hassan Nouha, chef de la division administrative et financière à
la Direction des Régies et Services Concédés au
Ministère de l'Intérieur, responsable du service central de
contrôle des gestions déléguées.
"marocaniser" les institutions, a mit fin au contrat de
concession de la société marocaine de distribution (SMD), filiale
de la Lyonnaise des eaux qui avait obtenu le monopole de la gestion de ce
service local dès 1915 et qui avait renouvelé ce contrat en 1931
pour une durée de 40 ans, ce contrat ne devant s'achever qu'en 1971.
À Casablanca, les élus locaux ont mis fin
à la concession en 1961, pour la remplacer par une Régie
autonome, la RAD. Trois années plus tard, est adopté le
décret sur les Régies. Rabat, procédera en 1965 aux
mêmes changements en confiant la gestion du service de l'eau potable
à une Régie autonome, la RED.
d) Définition et termes des contrats :
La nouvelle Charte Communale met à la disposition des
communes un large éventail de modes de gestion et de possibilités
de coopération et de partenariats avec le secteur privé, pouvant
répondre à la nouvelle dynamique du secteur de l'eau. Une
organisation intégrant le secteur privé, permet en effet, la
combinaison d'une propriété publique des éléments
d'actifs et d'une exploitation par le secteur privé.
En décembre 2005 a été adoptée la
loi n° 54.05 sur la gestion déléguée des services
publics. Ce texte comporte les aspects relatifs à la définition
du contrat de gestion déléguée, les principes du service
public, l'équilibre économique du contrat de gestion
déléguée ainsi que les modes et procédures de
passation des contrats de gestion déléguée, en retenant
les principes d'appel à concurrence et de transparence des
opérations. Elle fixe les droits et obligations du
délégant et du délégataire.
La loi sur la gestion déléguée n°
54.05 définit la gestion déléguée comme
étant « un contrat par lequel une personne morale de droit public,
appelée le "délégant", délègue pour une
durée limitée la gestion d'un service public de nature
économique dont elle a la responsabilité, à une personne
morale de droit public ou privé, appelée le
"délégataire", en lui reconnaissant le droit de prélever
la rémunération auprès des bénéficiaires ou
réaliser des bénéfices sur la dite gestion».
On se réfère habituellement à la gestion
par délégation de service public, comme mode de partenariat
public-privé (PPP). Dans le cadre de la délégation de
service public, la commune, en tant qu'autorité délégante,
conserve les prérogatives de puissance publique: contrôle,
organisation et propriété des infrastructures. Elle
délègue à un opérateur la responsabilité de
l'exécution du service d'eau potable dans le cadre d'un contrat d'une
durée déterminée en contrepartie d'une
rémunération.
L'Autorité Délégante dispose à
l'égard du Délégataire d'un pouvoir général
de contrôle économique, financier et technique et de gestion des
services délégués inhérents aux engagements
respectifs découlant du contrat.
En matière d'alimentation en eau potable, Le
délégataire est tenu d'assurer la régularité et la
sécurité de l'approvisionnement et de garantir la qualité
bactériologique de l'eau. Il est tenu d'atteindre des objectifs
techniques notamment en matière de rendements des réseaux, de
taux de desserte, de capacité de stockage de l'eau et, en principe, de
procéder au raccordement au réseau, des abonnés à
revenus modestes.
Les améliorations de rendements des réseaux
permettent de réaliser d'importantes économies d'eau potable.
Ainsi, les rendements des réseaux d'eau potable45 doivent,
selon les termes contractuels, évoluer comme suit ((Source : DRSC,
Ministère de l'intérieur):
- Pour Casablanca: de 70% au départ à 77 % la 10e
année et 80 % à partir de la 15e année;
- Pour Rabat: de 79 % au départ à 83 % à la
10e année et 85,5 % à partir de la 20e année;
- Pour Tanger: de 67 % au départ à 80 % à la
10e année et 85 % à la 20e année;
- Pour Tétouan: 58,2 % au départ à 80 %
à la 10e année et 85 % à partir de la 15e année.
Parmi les autres objectifs prévus, on peut citer la
réhabilitation du réseau de distribution; la réalisation
de branchements sociaux, au profit des ménages à revenus modestes
et le raccordement au réseau de tous les quartiers urbanisés
desservis par des bornes fontaines.
Les procédures adoptées pour le choix du
Délégataire et l'établissement du contrat
diffèrent, cependant, d'une ville à l'autre. Ainsi pour
Casablanca et Rabat-Salé la procédure adoptée c'est la
négociation directe sur la base d'une offre d'un groupement
d'entreprises. Pour le cas de Tanger-Tétouan c'est le recours à
un appel d'offres ouvert avec participation de plusieurs groupements.
|