1. Les associations coutumières et le rapport
à l'eau :
L'association coutumière ou jemaa (mot arabe
signifiant assemblée coutumière) est une institution collective
qui a donné lieu à des pratiques et à des us
appliquées et admis par une sorte de consensus social, constitué
de règles et de lois représentant le garant de la sauvegarde de
l'eau, du réseau d'irrigation et par conséquent de
l'équilibre social du groupe ethnique. Ce système ne permettant
à l'autorité d'intervenir que de manière exceptionnelle et
quand l'équilibre du groupe est en péril.
Le réseau d'irrigation est l'affaire de la
communauté toute entière, construit et entretenu par elle, il est
ainsi propriété collective. Des rapports solides sont
établis entre le réseau et le groupe ethnique à tel point
que certaines seguias portent les noms des individus, des familles ou tribus
qui les avaient construis. Cela montre qu'aussi bien l'organisation que la
gestion sont du ressort de l'association coutumière qui reste parmi les
formes d'organisation paysanne la plus ancienne au Maroc, et que toutes les
règles et lois élaborés par ces communautés aient
traversé les siècles et restent toujours valables de nos jours,
et d'importants réseaux de seguias et
30 BEATRICE ALLAIN-EL MANSOURI. « L'eau et la ville au
Maroc, Rabat-Salé et sa périphérie ».Ed. L'Harmattan,
2001.
31 MOHAMMED BENJELLOUL, "participation en irrigation dans la
petite et moyenne hydraulique", institut allemand de développement
(IAD). Bonne, octobre 2001.
khettaras (drains souterrains utilisés comme sources
d'eau) existent et fonctionnent toujours. Comme est le cas du
périmètre Amezmiz dans la région de Marrakech au sud du
Maroc.
La répartition de la source d'eau est lignagère
et correspond à une appropriation collective de l'eau par un certain
nombre de lignages ayants participé à la construction du
réseau, à son entretien et à la répartition de
l'eau de l'irrigation. Les droits acquis étant proportionnels au travail
fourni. Mais au fil du temps ces droits peuvent évoluer et changer selon
les interférences, influences et conflits politiques ou tribaux, ces
droits lignagers peuvent alors être divisés et les parts
deviennent propriétés privées (mélkisées) et
subissent soit des successions soit des mutations au profit de nouveaux
arrivants.
2. Une organisation à l'épreuve du temps :
Pour faire respecter les règles de gestion et la
conservation du réseau d'irrigation et les droits d'eau, les usagers
délèguent ces taches à la jemaa qui est
généralement organisée selon le modèle suivant
32:
· Le conseil des sages :
considéré comme l'instance principale d'arbitrage de
délibération et de prise de décision. Il est
constitué des représentants des ayants droit d'eau appelés
Nouabs ; ils sont choisis pour une période limitée et jouissent
d'un haut degré de crédibilité et de respect, ils
maîtrisent les droits de chaque individu et de chaque groupe ethnique
à l'intérieur du périmètre, ajouté à
cela ils déterminent le cycle des irrigations en fonction des saisons
(période d'hiver ou période d'étiage), ils règlent
les litiges entre les usagers , ils mobilisent les usagers pour l'entretient
des ouvrages hydrauliques. Ils décident des cotisations et
désignent et contrôlent les aiguadiers (Amazal).
· L'aiguadier : ce dernier joue un
rôle très important à l'intérieur d'un
périmètre ; il détient le registre des droits d'eau de
chaque ayant droit. Parmi ses taches principales, veiller à
l'application du tour d'eau, au bon fonctionnement des ouvrages de
répartition, alerter le conseil communautaire lorsque le réseau
nécessite des entretiens, veille aux règles de répartition
de l'eau qui sont l'émanation de la cohésion des groupes
sociaux.
Le conseil se réunit suite à une sollicitation
urgente, à un événement important : sécheresse,
dégâts dans le réseau, désignation d'un aiguadier,
début de campagne, révision des droits d'eau, etc. ces
réunions se tiennent en général à la mosquée
ou sur le périmètre à coté da la prise d'eau
principale. Ce qui montre que le lieu a son importance dans la tenue de
réunions ayant pour but des prises de décisions. C'est pour cela
que les lieux cités sont des espaces neutres.
Les sanctions ne sont en général pas
transcrites, mais elles sont connues par tous et concernent essentiellement le
vol d'eau, la dégradation du réseau d'irrigation ou l'absence
lors des travaux collectifs (Tuiza).
Pour leur financement ces formes d'organisation
traditionnelles diffèrent sur cet aspect des associations modernes,
à savoir qu'aucun budget ou cotisation n'est défini à
l'avance, il y a la plupart du temps une participation en nature ou force de
travail de chaque ayant droit, quand à la monétarisation des
associations des irrigants elle ne commence à paraître qu'avec la
mise en place des AUEA (Les associations d'usagers des eaux agricoles) suite
à la promulgation de la loi 02.84 de 1990.
32 MOHAMMED BENJELLOUL, Ibid
La gestion communautaire de l'eau d'irrigation a fait ses
preuves pendant plusieurs siècles, les communautés d'irrigants
sont couramment qualifiées de « sociétés hydrauliques
» qui ont forgé tout au long de l'histoire un certain degré
de technicité en matière de gestion et de distribution de l'eau
d'irrigation.
Enfin, de cette incursion dans l'histoire de la gestion de l'eau
au Maroc nous retiendrons les points suivants :
- L'appropriation original de l'eau d'irrigation sur les
périmètres traditionnels était lignagère
(collective) et puis avec le temps elle a pu connaître certaines
modifications en devenant ainsi privée (individualisée).
- La répartition de l'eau dépend de l'effort
fournis lors de la création de la séguia et de son entretien.
- L'organisation de l'irrigation était la première
forme d'organisation collective.
- Les droits d'eau privatifs sont établis par les
bénéficiaires soit par la coutume orale qui est la plus courante
soit par les actes écrits.
- Les droits d'eau ne jouent, bien sûr que quand l'eau est
rare et donc conflictuelle.
Nous pouvons donc conclure que le système social au
Maroc d'avant le protectorat était lié au milieu naturel, et que
la gestion de l'eau était intimement liée aux composantes
lignagères des communautés irriguantes, dont l'organisation
dépendait en grande partie de leur rapport avec l'eau.
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