3.2.2.2. Financement de la protection sociale, droits des
prestations, distribution des ressources et dynamique des systèmes
d'assurances sociales
Les arguments en termes de financement de la protection sociale,
de droits des prestations et de distribution des ressources sont d'abord
présentés, avant de parler ensuite de la dynamique des
systèmes d'assurances sociales.
· financement de la protection sociale, droits
des prestations et distribution des ressources
La critique du modèle assurantiel ne se limite pas
à la remise en cause du principe d'équivalence. La
spécificité du financement par cotisation est également
contestée. Les assurances sociales couvrent désormais la quasi-
totalité de la population et, par conséquent les
particularités du financement par cotisations attachées au
« mythe de la communauté du risque » sont
désormais devenues surannées, les prestations à vocation
rédistributive, en nature ou sous conditions de ressources,
revêtent une importance croissante ; les frontières entre les
différents modes de redistribution s'effacent.
Pour l'essentiel ces arguments font donc valoir que les
cotisations soient devenues un prélèvement obligatoire
assimilable à des quasi-impôts, mais sans pour autant
revêtir les qualités des prélèvements fiscaux. Si la
protection sociale est un bien collectif, un financement par l'impôt est
source de distorsions majeures quant à l'allocation des ressources.
Les critiques adressées au mode de financement par
cotisation, en considération de ses effets sur l'emploi, font appel
à deux types d'arguments (Dupuis, 1995).
- Les cotisations sociales sont, en premier lieu, rendues
responsables d'un coût de la main d'oeuvre trop élevé. Des
études comparatives (A.Euzeby et C.Euzeby, 1983-1995) ont cependant
montré de manière convergente, que, au niveau
macroéconomique, la structure du financement de la protection sociale
reste sans effet sur le coût de la main d'oeuvre ; en particulier
parce que l'arbitrage entre les cotisations sociales et l'impôt direct
conduit les salariés des pays où les premières sont plus
faibles à percevoir les salaires directs plus élevés,
soumis à un prélèvement fiscal plus important. Par
ailleurs, les évolutions relatives des coûts salariaux unitaires
rendent très imparfaitement compte de la compétitivité des
différentes économies nationales, en raison notamment du
rôle déterminant qu'y jouent les facteurs « hors
prix », comme le montrent les nouvelles théories du commerce
international.
Dans une version alternative de ce premier type d'argument,
c'est cependant le coût relatif du travail par rapport au capital ou,
à tout le moins, l'absence de neutralité des cotisations sociales
eu égard au choix des combinaisons productives, qui est mise en avant.
C'est dans cette perspective qu'a été formulé le projet
sur l'ensemble de la valeur ajoutée, et que peuvent également
s'inscrire les diverses propositions visant à étendre le
prélèvement à l'ensemble des revenus.
- L'analyse du coût du travail par niveau de
qualification et de rémunération conduit, en second lieu,
à rendre les cotisations responsables d'un coin socio-fiscal marginal
excessif pour les salariés peu qualifiés, en raison du poids des
cotisations sociales sur les bas salaires. S'il existe une incertitude sur
l'élasticité de la demande travail à son coût au
niveau macroéconomique, ce qui se comprend assez bien, cette
élasticité apparaît toutefois d'autant plus significative,
au niveau désagrégé et à long terme, que l'on a
affaire aux branches industrielles ou aux services à la personne, et, en
tout état de cause, aux salariés peu qualifiés. Or, si le
coin socio-fiscal moyen bien avec la hiérarchie salariale, le coin
socio-fiscal marginal apparaît élevé pour les
salariés peu qualifiés dans de nombreux pays européens.
cette proposition ne peut certes pas être établie
indépendamment du fonctionnement des marchés nationaux de
l'emploi. Elle est cependant particulièrement mise en avant en France,
en raison des difficultés aiguës d'insertion des jeunes sur le
marché du travail et d'un phénomène apparemment
prononcé d'éviction des salariés peu qualifiés par
les salariés qualifiés.
Dans tous les cas, le choix d'une assiette plus neutre,
eu égard au coût relatif des facteurs, mais aussi plus large
s'impose indépendamment de la nature des prestations à financer
et/ou de tout droit à contre-prestation. L'adoption de dispositifs
permettant, d'une manière ou d'une autre, de subventionner les
salariés les moins qualifiés apparaît également
désirable dans le contexte européen.
En outre, l'idée qu'il serait souhaitable de
rendre les systèmes d'assurances sociales plus neutres au regard de
l'offre de travail, en liant plus strictement les prestations à l'effort
contributif préalable, mérite un examen critique. Les
propositions qui visent à rendre plus flexibles les conditions de
cessation d'activité, grâce à des abattements et des
majorations inspirées du calcul actuariel à l'image des
réformes introduites dans cet esprit, bien que sur diverses formes, aux
Etats-Unis, en Allemagne ou en Italie en fournissent un bon exemple. Leurs
fondements théoriques apparaissent fragiles et peu pertinents
empiriquement, et ces propositions retiennent une conception trop restrictive
de la fonction d'assurance exercée par les systèmes de protection
sociale.
Ces propositions s'inspirent directement des
modèles « revenu-loisir », conforme aux
hypothèses de la théorie du cycle de vie. A ce modèle, qui
éprouve quelques difficultés à rendre compte de
l'abaissement massif de l'âge de cessation d'activité depuis vingt
ans, on peut opposer un cadre théorique, plus institutionnaliste,
faisant valoir le concept de « revenu relatif de
substitution ». Dans les systèmes publics qui ont pour
finalité de garantir un certain niveau de pension, un salarié en
fin de carrière n'a pas pour objectif de maximiser son revenu sur le
cycle de vie : au moment où il interrompt son activité, il
souhaite plus simplement que son revenu relatif -attendu comme rapport de la
prestation de remplacement de salaire au salaire d'activité - baisse le
moins possible. Ce qui pèse sur la décision concernant
l'âge de cessation d'activité n'est donc pas la comparaison entre
l'abattement réellement mis en oeuvre et l'abattement, mais plus
simplement les droits à prestation déjà acquis. En
matière de politique de maîtrise des dépenses, il
conviendrait plutôt, dans cette perspective, de s'intéresser aux
processus déterminant la demande de travail des salariés
âgés et aux facteurs institutionnels, qui, de toute
évidence, prédominent dans ce contexte, comme en attestent les
comparaisons internationales (Schmähl, 1989). La référence
au modèle actuariel, en concentrant l'attention sur le risque viager,
conduit de surcroît à négliger la fonction d'assurance
contre le risque d'exclusion anticipée du marché du travail pour
les salariés âgés que remplit le couple formé par
les systèmes de préretraites et de retraite (Blanchet, 1994).
Dans le même ordre d'idée, le renforcement
de la contributivité des systèmes d'assurance-vieillesse ne
pourrait se faire qu'au détriment de leur fonction de correction des
aléas.
· La dynamique des systèmes d'assurances
sociales
La critique d'une conception trop étroite de la
fonction d'assurance que remplissent les systèmes de protection sociale,
et du mode de financement qui y est associé, est également
formulée en termes de dynamique des systèmes d'assurances
sociales
C'est d'abord la sensibilité conjoncturelle du
mode de financement par les cotisations qui peut être mise en cause.
L'ampleur de l'effet de stabilisateur conjoncturel d'un système de
protection sociale est liée à
« l'élasticité-recettes » et au degré
de redistribution verticale dont il fait preuve. En raison de leur assiette et
de leur barème, les systèmes financés par cotisation
présente de ce point de vue un double désavantage : leurs
recettes épousent plus largement le cycle conjoncturel et les
détenteurs des plus hauts revenus, à la plus forte propension
marginale à épargner, sont peu ou pas soumis au
prélèvement.
De surcroît, le système assurantiel peut
être rendu responsable, en période de récession, d'un cycle
pervers de profitabilité car une large partie du financement repose sur
les entreprises, alors même que, pour les risques chômage et
cessation (anticipée) d'activité liée à
l'âge, la masse des prestations à verser s'accroît
(Malinvaud, 1985). Un élargissement de l'assiette permettrait, en
diversifiant les sources de financement, de réduire l'impact à
court-moyen terme des fluctuations de celle-ci sur les recettes.
Une réforme de l'assiette permettrait en outre de
rompre avec le principe d'équivalence inter temporelle et avec les
contraintes qui lui sont liées. Il deviendrait ainsi possible d'opter
pour un mode de financement où serait mieux prise en compte la
capacité contributive réelle de l'ensemble des agents
économiques, à laquelle pourrait répondre, du
côté des prestations, une plus grande souplesse quant
l'affectation des ressources prélevées. Cette modification de
l'assiette est à mettre en relation avec les avantages liés
à un prélèvement à assiette large, auxquels sont en
effet traditionnellement associés des effets moins négatifs sur
le choix de la combinaison productive, la création de richesse, ainsi
qu'une plus grande tolérance au prélèvement.
A cette critique, de nombreux auteurs ajoutent enfin le
constat des effets d'exclusion croissant auxquels conduisent, dans la
période contemporaine, les politiques menées conformément
au modèle d'assurance du revenu salarial ; en premier lieu en
matière d'assurance chômage. Plus encore, ce sont les mutations
démographiques, sociales et économiques contemporaines
(l'effritement et l'éclatement du salariat) qui appellent une profonde
réforme du droit des prestations, accompagnés d'une fiscalisation
progressive du financement.
En résumé, dans cette optique, les
assurances sociales ne peuvent pas ou plus être catonnées à
la seule fonction de garantie du revenu salarial (ou de la capacité
à en obtenir un) dans le cadre d'une communauté de risque
fermée, en application du principe d'équivalence. Seuls des
mécanismes de redistribution, étendus et financés à
l'échelle de la collectivité nationale toute entière,
permettrait de prendre en charge de manière efficiente et
équitable une gamme diversifiée de risques sociaux.
CONCLUSION
En définitive, un certain nombre de débats sur
les réformes des systèmes de protection sociale, tant en
matière de financement que de droit de prestations, peuvent être
réexaminés au regard de ces arguments théoriques, qui
fondent l'opposition entre les deux modèles (Lechevalier, 1996).
Au terme de ce chapitre, il n'en apparaît pas
moins que ce sont des réformes marquant une inflexion en direction du
modèle de transferts sociaux par l'impôt qui s'avèrent
désormais bien souvent nécessaire. La poursuite de la
substitution de la contribution généralisée aux
cotisations en France, la diversification de la qualification des
activités sociales ouvrant droit à prestations, un mode de
revalorisation de prestations qui sans abandonner la référence
aux salaires, prendrait en compte la variation de l'ensemble des ensembles des
prélèvements sociaux, en fournissent de bons exemples.
Une conception renouvelée et enrichie de la
fonction d'assurance que prennent en charge les systèmes d'assurance
sociale conduit, en tout état de cause, à ne pas exclure la
poursuite, en leur sein, d'objectifs explicitement redistributifs.
Pour ce qui est du système de protection sociale
au Cameroun, des réformes doivent également être
envisagées. C'est ce qui fera l'objet du chapitre suivant.
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