3.2.2. Les arguments en faveur du modèle de
transferts sociaux par l'impôt
L'argumentation en faveur du précédent
modèle assurantiel repose d'abord sur une conception de l'assurance
discutable à maints égards. La spécificité et
l'efficacité d'un mode financement par cotisations est, en outre,
contestable. C'est, enfin, en considération de la dynamique
conjoncturelle et structurelle des assurances sociales que le mode assurantiel
classique est mis en cause. A travers ces critiques se dessine une orientation
souhaitable des systèmes de protection sociale en direction du
modèle de transferts sociaux par l'impôt.
3.2.2.1. La logique assurantielle du modèle
Le renforcement de la logique assurantielle passe, dans
l'optique du modèle précédent, par recours plus strict au
« principe d'équivalence ». Ce principe, quoique
modifié dans le cadre des assurances sociales, se réfère
à l'équivalence actuarielle mise en oeuvre par les compagnies
d'assurances privées. C'est justement la pertinence de l'idée
d'équivalence actuarielle et de la conception de l'assurance qui s'en
déduit, qui peut être mise en cause.
L'égalité entre prime nette et
l'espérance mathématique du dommage est contingent à un
certain nombre de conventions en ce qui concerne la gamme des risques pris en
compte, l'horizon temporel de l'évaluation, ou le choix du taux
d'actualisation (Blanchet, 1996). Elle se heurte également à des
coûts de transaction et de l'information liés à la
tarification des contrats. En outre, la structure du marché assurantiel
contrevient à l'hypothèse selon laquelle le principe
d'équivalence serait mis en oeuvre sur le marché. En raison des
rendements d'échelle croissants qui y sont à l'oeuvre, les
marchés d'assurance ont une structure plutôt oligopolistique, et
cette situation de concurrence imparfaite offre aux compagnies la
possibilité d'utiliser ces marges de manoeuvre en matière de
fixation des prix (Cresta, 1984).
Plus fondamentalement encore, se sont les
asymétries d'information qui rendent largement caduque la
séparation entre les problèmes d'allocation et de redistribution.
En présence de phénomènes de sélection adverse, si
les compagnies d'assurances poursuivent une stratégie concurrentielle
(à la Nash-Cournot), l'équilibre de marché peut ne pas
exister et, s'il existe, il n'est pas optimal. Les effets externes
négatifs, des hauts risques sur les bas risques, qui en
résultent, peuvent conduire ces derniers à souhaiter
subventionner les premiers afin de pouvoir acheter une couverture plus
étendue. Plus précisément, dans un contexte
d'asymétrie d'information, une tarification des polices entraînant
une subvention des bas risques vers les hauts risques peut permettre
d'améliorer le bien-être du pool de risque par rapport à
une situation où prévaudrait une tarification s'appuyant sur
l'équivalence actuarielle.
Le principe d'équivalence n'a ainsi de
portée que dans le cadre d'un hypothétique univers à
information parfait. Dans le monde réel, les arguments
d'efficacité conduisent, au contraire, à préconiser des
redistributions entre catégories d'assurés, ce qui est la
caractéristique propre des systèmes publics. En dehors des
considérations d'ordre financier, la justification d'une liaison entre
les cotisations et les prestations et d'un financement par cotisation s'en
trouve considérablement amoindrie.
Des considérations semblables peuvent être
mises en avant s'agissant des transferts intergénérationnels en
général, les systèmes par répartition en
particulier. La mise en oeuvre d'un strict principe d'équivalence
équivaudrait à réclamer de chaque cohorte qu'elle atteigne
un taux d'autofinancement des prestations de 100%. Sans même
évoquer les nombreuses difficultés techniques ou les
problèmes d'équité d'une telle stratégie
soulèverait, l'idée d'assurance n'a de sens, sur le plan
intergénérationnel, que s'il y a bien des transferts non nuls
(des bilans actualisés rapportant les prestations aux cotisations
différents de un) entre les différentes cohortes successives.
C'est d'ailleurs bien cette mutualisation des risques qui rend les
systèmes par répartition efficients en présence de chocs
démographiques (Smith, 1982) ou de chocs de productivités.
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