3.1.1.2. Formes institutionnelles et financement
Les deux paradigmes conduisent à des formes
institutionnelles et à des modes de financement contrastés, que
l'on peut expliciter succinctement à partir de la théorie
traditionnelle des finances publiques.
La qualification de la couverture du risque en termes
de bien collectif, dont les effets externes peuvent s'étendre à
l'échelle de la collectivité toute entière, requiert une
organisation publique à gestion centralisée. Puisque le mode de
financement implique le respect du principe de non affectation, c'est une
gestion unitaire des différents risques qui s'impose.
En revanche, la caractérisation de la protection
en termes de bien tutélaire individualisable (profitant à des
groupes particuliers et identifiables) nécessite un processus de
décision décentralisé. La gestion de chacun des risques
doit être organisée en fonction du principe de la
communauté de risque fermée. La séparation des risques est
une condition essentielle de l'utilisation du principe d'équivalence.
L'interdépendance de fait entre les différents risques doit alors
s'accompagner de mécanismes de compensation financière,
élaborés sur la base de critères économiques qui ne
doivent pas contrevenir au principe d'équivalence globale propre
à la gestion de chacun d'entre eux.
La configuration institutionnelle des deux
modèles, non plus horizontalement, mais verticalement,
c'est-à-dire du point de vue de l'articulation entre les
différents niveaux de protection, peut être comprise à
partir de leur mode de gestion de
l'hétérogénéité de la population
assurée (sa partition entre des « hauts » et
des « bas » risques). Les systèmes publics
conformes au modèle assurantiel donnent lieu à une classification
partielle des assurés, ce qui les oppose aux systèmes de
transferts sociaux par l'impôt qui n'en opèrent, par construction,
aucune. Cette segmentation prend la forme de régimes
réservés à des entreprises, à des branches
d'activité ou à des catégories de population
spécifiques. Elle entraîne pour l'essentiel une
catégorisation des assurés selon le secteur d'activité, la
catégorie socioprofessionnelle et le revenu. La constitution par ce
biais de classes de risques, plus ou moins homogènes, conduit à
modifier la proportion des risques, selon qu'ils sont élevés ou
faibles, et à rapprocher une majorité d'assurés de
l'équivalence actuarielle. Elle favorise en conséquence
l'existence d'un taux de couverture publique élevé. Les
opportunités d'assurance complémentaire s'amenuisent ainsi
logiquement. Alors que les systèmes à prestations universelles
appellent un complément par le haut sous formes d'une protection
complémentaire, les systèmes assurantiels réclament,
réciproquement, la mise en place d'une couverture par le bas, pour ceux
qui, soumis au principe d'exclusion, n'ont pas acquis un droit suffisant
à prestations.
Si l'on s'intéresse plus spécifiquement
au financement, le critère de décision essentiel est celui de
l'existence de groupes de personnes clairement identifiable, qui retirent un
bénéfice de la prestation collective et dont peuvent être
exclus d'autres groupes ou individus. De surcroît, c'est la perspective
de la redistribution comme assurance qui conduit à privilégier le
financement par l'impôt, alors que la logique de la distribution des
charges et des avantages à proportion des revenus salariaux requiert un
financement par cotisations.
Le modèle de transferts sociaux par l'impôt
conduit à garantir à l'ensemble de la population résidente
l'offre de sécurité sociale produite par l'État et
à réparer les critères d'attribution des prestations des
critères de financement, conformément au principe de transferts
unilatéraux (en espèces, en nature ou en service). Alors que les
impôts concernent fondamentalement tous les résidents, qu'ils sont
un système de prélèvement unilatéral, dont le
caractère original tient à ce que le prélèvement
est effectué à titre définitif et n'a pas à
être compensé par une prestation étatique
spécifique, les cotisations sont des prélèvements donnant
droit à contrepartie. Ne sont donc bénéficiaires, dans le
cadre du modèle assurantiel, que les personnes qui sont assujetties au
prélèvement. En outre la fonction d'épargne que
remplissent les systèmes assurantiels conduit à lier la
durée de bénéfice des prestations à la durée
préalable de cotisation.
Les deux modèles se différencient enfin
par le mode d'indexation des prestations. Le mode de revalorisation des
salaires de référence et des prestations, qui court sur plusieurs
décennies, a des effets majeurs sur l'orientation et la dynamique des
systèmes de pensions (vieillesse ou invalidité). En cette
matière, comme en d'autres, la réunification du système
d'assurances sociales allemand fait clairement apparaître les enjeux. On
sait qu'à long terme, l'un des avantages les moins contestables des
systèmes publics par répartition est de permettre la garantie du
pouvoir d'achat des droits acquis et des pensions servies. Il reste que le mode
d'indexation varie selon que l'objectif assigné au système de
pension est, soit de garantir le pouvoir d'achat des droits acquis au moment de
la liquidation des pensions, soit de permettre au retraité d'obtenir et
de conserver une certaine position dans la hiérarchie de l'ensemble des
revenus.
Dans le premier cas, c'est une logique de couverture
des besoins, définis au moment où se réalise
l'évènement ouvrant droit à prestations, qui
prévaut, et cela enfin d'atteindre, ceteris paribus, un rythme
d'évolution des dépenses défini en référence
à la hausse des prix, comme dans le cadre des procédures usuelles
d'élaboration du budget de l'État. Pour peu qu'il soit
couplé à une clause de participation régulière aux
fruits de la croissance, ce mode d'indexation a pour singularité de
permettre des arbitrages intergénérationnels qui ne sont pas
soumis au seul rythme de croissance des salaires.
Si, comme dans le second cas, l'objectif est le
respect du principe d'équivalence relative, du point de vue transversal
et du point de vue longitudinal, l'indexation sur les salaires s'impose. Il
s'agit de garantir aux prestataires une certaine position dans l'échelle
des revenus, exprimée en termes de salaire moyen des assurés
sociaux, qui est alors l'unité de mesure des droits à
prestations. Cette équivalence relative ne peut être maintenue
à travers le temps que si les droits à pensions et les retraites
sont revalorisés uniformément en fonction de la croissance du
salaire moyen (éventuellement net).
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