Section 2. Les dimensions militaires de
sécurisation et leur mise en oeuvre par les
Etats du golfe de Guinée
Si la sécurité nationale est foncièrement
une question d'Etat, la complexification des relations internationales pousse
celui-ci à prendre en compte aussi bien les dynamiques de dedans que les
dynamiques de dehors. L'Etat s'insère désormais dans une nouvelle
logique sécuritaire, celle de la sécurité avec les
autres.
Paragraphe 1. Les initiatives nationales de
sécurisation
Chaque Etat du golfe de Guinée développe des
logiques très poussées pour sa sécurité. Chaque
Etat essaie de (ré) construire une image de ses forces de
sécurité et de défense suivant une catégorie bien
précise.
A. La reconsideration de la sécurité
nationale des Etats dans le golfe de Guinée
Chaque Etat développe une doctrine militaire par
rapport à son environnement interne et externe. En effet, depuis les
indépendances, la plupart des Etats africains insistent sur la dimension
de l'intégrité de leurs frontières par leurs
armées. Mais, il faut noter que la trajectoire historico-politique de
chaque Etat conditionne l'importance qu'il accorde à son armée.
Il peut s'agir pour l'Etat de noter les types de menaces avérées
ou non auxquelles il fait face. Du coté des enjeux internes, on peut
avoir les rebellions, le banditisme urbain ou encore les violences
intercommunautaires. Du côté externe, on peut avoir les conflits
liés au territoire, la criminalité transfrontalière,
etc.
Dans une perspective comparative, Joseph Vitalis fournit une
analyse de la manière dont l'armée est pensée à
travers ses fonctions. D'abord, s'agissant de ía fonction de
confinement, les armées africaines oeuvrent pour la maîtrise
des pertes de substance, humaine et matérielle (pillage de l'Angola, du
Congo-Zaïre, de la Sierra Leone), le contrôle de l'entrée
d'éléments déstabilisants, seul moyen de briser la
solidarité transnationale des crises (Sahel/Sahara, Tchad/Darfour,
République centrafricaine/Sud-Soudan, arc de crise du golfe de
Guinée). Ensuite, on a l'acquisition du renseignement qui est
donc la deuxième mission de la force publique : donner au pouvoir
central les moyens de savoir et de comprendre. Puis, la
mission de contrôle des populations, la plus visible des
tâches de police, consiste à faire échec aux facteurs et
fauteurs d'insécurité, délinquants et criminels, au plus
tôt et au niveau de contrainte le plus faible. Aussi, note-il que les
armées peuvent certes agir hors du territoire national mais, en Afrique,
le caractère transnational des menaces appelle à une coordination
bi
et multilatérale des forces publiques de pays voisins,
par des opérations de maintien de la paix ou la création de
forces sous-régionales, plutôt que par l'action offensive ou
défensive de moyens de combat165.
Nous devons comprendre que les doctrines sont très
souvent mises à mal par les réalités quotidiennes soit par
les comportements au sein même des Etats-majors, soit par les logiques
internes et externes aux Etats qui sans cesse menacent leur
souveraineté. Souvent aussi, on voit des confusions entre armées,
police et gendarmerie surtout dans les Etats comme le Tchad où le visage
social des forces de sécurité s'est considérablement
dé/socialisé, déshumanisé voire même
décivilisé.
Mais, en gros, ce qui structure la pensée
sécuritaire en Afrique aujourd'hui peut être résumé
en quelque points : démocratisation du secteur de la
sécurité et de la défense, adaptation des forces
armées au nouvel environnement de la sécurité et aux
nouvelles missions d'interposition sur le théâtre
d'opération sous-régionale, une restructuration conjoncturelle au
service de la sécurité du régime et non de la
sécurité de l'Etat, la formation et l'entrainement des forces de
police166.
B. L'impact des reformes du secteur de la
sécurité sur la gouvernance des Etats
C'est souvent fort de constats décevants du rôle
des corps de sécurité que les Etats africains se lancent dans
l'optique d'une réforme du secteur. Plusieurs réformes sont
envisagées. Les enjeux ont considérablement changé et les
Etats optent pour des corps bien formés à même de
répondre aux conflits internes et externes. Les premières
reformes permettent d'abord de répondre aux logiques sécuritaires
internes, ensuite, il s'agit d'avoir des forces de défense et de
sécurité aptes à coïncider avec les crises des
sous-régions. À cela s'ajoute l'existence des dispositifs
régionaux de gestion de crises qui reposent sur une logique aussi bien
diplomatique que militaire. Il s'git de républicaniser les
armées. Axel Augé dit, justement, que « l'armée
n'est pas un isolat social. L'armée et les forces de
sécurité sont dans la société tout comme la
société est dans l'armée
»167.
165 Joseph VITALIS, << La réforme du secteur de
sécurité en Afrique : Contrôle démocratique de la
force publique et adaptation aux réalités du continent »,
in Afrique contemporaine - Printemps 2004.
166 Axel AUGÉ, << Les réformes du secteur
de la sécurité et de la défense en Afrique sub-saharienne
: vers une institutionnalisation de la gouvernance du secteur
sécuritaire », in Afrique contemporaine - Printemps 2004,
p.125.
167 Ibidem.
Il s'agit en un mot de rendre les armées plus
performantes. Pour de nombreux Etats, notamment, pétroliers du golfe de
Guinée, il faut augmenter les dépenses dans le
secteur168. L'exemple du Tchad est d'une grande importance dans
cette analyse. Alors que le Fonds Monétaire International reproche
à l'Etat tchadien de maintenir ses dépenses militaires à
un niveau trop élevé, alors même que ses recettes
pétrolières sont en baisse, ce qui crée un déficit
budgétaire représentant 20 % du Produit Intérieur Brut, le
président Idriss DEBY ITNO justifie.
De 2005 à 2009 nous avons effectivement
consacré à notre armée presque autant de ressources
qu'à notre développement. Nous n'avions, hélas, pas le
choix. Avant le conflit avec le Soudan, l'armée tchadienne ne comptait
pas plus de 25 000 hommes, contre plus de 8 0000 aujourd'hui, auxquels
s'ajoutent les multiples équipements qu'il nous a fallu acquérir.
Si nous n'avions pas consenti a cet effort exceptionnel, on ne parlerait plus
du Tchad aujourd'hui. Mais si nos amis du FMI et de la Banque mondiale
étaient objectifs, ils reconnaîtraient que, depuis 2003, ce que
nous avons dépensé pour la santé, l'éducation et
les infrastructures est dix fois, cent fois supérieur a nos
dépenses militaires169.
Les Etats en augmentant les dépenses prétendent
aussi professionnaliser leurs armées et à les socialiser. C'est
dans cette optique que les propos du Président tchadien permettent de
comprendre en substance que l'armée, entre 2005 et 2009, a crée
55 000 emplois.170 Le constat est que l'augmentation des
dépenses dans le domaine de la sécurité et de la
défense, notamment, n'est pas synonyme de performance de l'armée
ou de la police. Encore faut-il prendre en compte les sous-secteurs dans
lesquels on investit. Une étude consacrée à
168 Les dépenses militaires sont une évaluation
des sommes attribuées que les gouvernements attribuent à des fins
militaires. Ces dépenses permettent d'évaluer la priorité
donnée aux moyens militaires d'assurer la sécurité, selon
la façon qu'a chaque gouvernement d'évaluer la
sécurité nationale, ou d'atteindre d'autres types d'objectifs
nationaux définis dans les doctrines de sécurité
nationale.
169 << Les vérités d'Idriss Deby Itno »,
interview du 27/04/2010, Jeune Afrique, disponible sur le site de jeune
Afrique.
170 Soit presque deux fois l'effectif du reste de la fonction
publique nationale. Ces reformes ont produit un << effet pervers »;
l'armée tchadienne semble être une troupe
incontrôlée, omniprésente dans les villes et les quartiers,
notamment a N'Djamena, et dont on ne distingue plus clairement ni les grades ni
les corps. Elle semble se construire par empilements successifs de rebelles
ralliés au gré des stratégies changeantes de leurs chefs,
sans aucune planification de l'état-major, ni intégration
véritable du commandement et des hommes. International Crisis
Group, << Tchad : un nouveau cadre de résolution du conflit
», Rapport Afrique, N°144 - 24, septembre 2008.
l'efficience des dépenses militaires dans 37 Etats
africains dont l'ensemble de ceux du golfe de Guinée conclut que :
les résultats obtenus après estimation des
scores d'efficience des dépenses militaires indiquent qu'en moyenne, les
gouvernements africains sont très peu efficients en ce qui concerne les
services de défense. Toutefois, les résultats indiquent aussi que
les inefficiences observées en Afrique ne sont pas liées au
niveau des dépenses allouées, mais plutôt sont la
résultante de l'allocation sous-optimale des ressources dans les
dépenses publiques171.
Les indicateurs sociaux ne pas positifs non plus. Les Etats
qui allouent des grosses sommes aux dépenses de sécurité
présentent des indicateurs sociaux moins satisfaisants en Afrique.
L'étude dont nous faisons écho souligne aussi qu' à partir
d'une comparaison des indicateurs sociaux dans les pays à des niveaux
différents de revenus, les auteurs concluent que des dépenses
publiques élevées n'améliorent pas significativement le
bien-être social. Le message central de cette partie est qu'augmenter les
allocations budgétaires pour la défense n'est pas le moyen le
plus efficace pour accroître les outputs économiques et sociaux en
Afrique, et qu'une attention plus soutenue doit être accordée
à améliorer l'efficience des dépenses
militaires172. Au contraire, les Etats sont militarisés. Il
se « crée des principautés fondées
essentiellement sur la force des armes et le jeu d'influence des puissances
protectrices ou conquérantes. Le trait politique dominant devient alors
l'instabilité. Car, tout changement d'intérêt ou de
rapports de forces au sein de la coalition des Etats protecteurs
déclenche systématiquement des rebellions
»173. L'enjeu des reformes sécurité devient,
de ce fait, politique. Les Etats engagent des réformes destinées
d'abord au renforcement de la subordination de l'armée aux
autorités politiques civiles puis à la modernisation du secteur
de la sécurité. C'est l'exemple du Bénin. Ceci donne lieu
à des réformes centrées sur la reconstruction du secteur
de la sécurité et de la défense, comme en Côte
d'Ivoire, ou plus récemment au Togo. La régionalisation devient
tout au moins important pour les Etats du golfe de Guinée, au vu de flux
transnationaux.
171 Thérèse Félicitée AZENG,
« Dépenses militaires, gouvernance et efficience économique
: le cas de l'Afrique sub-saharienne », Mémoire de Diplôme
d'Etudes Approfondies (DEA) en Sciences Economiques, Macroéconomie
appliquée, option Finances Publiques, Université de
Yaoundé 2-Soa, 2007, p.42.
172 Ibidem.
173 Wullson MVOMO ELA, op.cit., p. 29.
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