Paragraphe 2. Les initiatives sous-régionales ou
comment la sécurisation
convoque la « gouvernance collective
»
Pour faire face aux enjeux sous-régionaux et afin de
répondre toujours à leurs logiques sécuritaires, les Etats
du golfe de Guinée optent aussi pour une sécurisation
collective.
A. La question de la coopération
sous-régionale et les limites de la CGG
La création d'une entité régionale
rassemblant les pays producteurs est un atout pour consolider leur poids sur la
scene internationale. Cette coopération apparaît d'autant plus
importante qu'elle permet aux différents pays riverains de créer
des mécanismes nécessaires pour mieux profiter des énormes
rentes de la vente du pétrole et d'établir des projets de
développement favorisés par l'affluence massive de capitaux
étrangers. Elle pourrait, en outre, permettre aux producteurs de
négocier l'octroi de nouvelles concessions contre une réduction,
voire une annulation de leurs dettes extérieures. De plus,
l'augmentation récente du prix du baril pousse les Africains à
renforcer leur coopération régionale pour profiter de la manne
pétrolière et revitaliser l'Association des producteurs de
pétrole africains.
La problématique d'un regroupement des Etats du golfe
de Guinée ne date pas d'aujourd'hui. Selon de Albert Didier
Ogoulat174, à quelques exceptions près, tous les Etats
du golfe de Guinée ont oeuvré, dès 1972 à
Yaoundé, au Cameroun, à la mise au point de la vision africaine
du droit de la mer. Ayant signé l'acte final de la Convention de Montego
Bay, ils ont, depuis 1983, presque tous ratifié ladite Convention
entrée en vigueur en novembre 1994. Au plan sous-régional, ces
Etats sont tous membres, au moins depuis 1975, de l'OMAOC (Organisation
Maritime pour l'Afrique de l'Ouest et du Centre) qui se préoccupe de
l'harmonisation des politiques maritimes pour les pays de la range maritime
atlantique centreorientale.
Entre temps, les enjeux énergétiques ont
considérablement évolué. De ce fait, les pays riverains du
golfe de Guinée se sont déjà dotés d'un instrument
plus spécialisé de coopération, la commission du golfe de
Guinée dont le rôle consiste à étudier les voies et
moyens susceptibles de préserver la paix, la sécurité et
la stabilité dans cet espace, d'instaurer un climat de confiance et de
compréhension, de coordonner et d'intensifier leur coopération et
de prévenir d'éventuels conflits. Il s'agit pour eux de
défendre leurs intérêts communs, de surmonter les conflits
éventuels sur la délimitation des eaux territoriales et de
préserver la paix. « Des progrès ont été
réalisés dans le cadre de ce nouveau mécanisme mis
à contribution pour
174 Albert Didier OGOULAT, op. cit, p.10.
la résolution de conflits frontaliers entre le Congo
et l'Angola ou Saõ Tomé et Principe contre le
Nigeria»175.
Des difficultés subsistent, en ce moment, sur
l'effectivité des programmes de cette commission. Plusieurs obstacles se
posent: les différends frontaliers entre Etats, les conflits internes,
le leadership sous-régional, la jeunesse relative de l'institution.
Depuis sa création, la commission n'a pas véritablement fait
fonctionner ses institutions. Le but du sommet de Luanda du 25 novembre 2008
était de rendre opérationnel ces institutions, à travers
les textes statutaires et la mise en place d'un nouveau secrétariat
exécutif, chargé d'harmoniser l'action de la commission avec les
autres organisations sous-régionales, notamment en matière de
sécurité176. Il n'en demeure pas moins que l'existence
d'autres organisations sous-régionales dans le même espace
géographique peut concourir à confondre les politiques de
sécurisation. A défaut, chaque organisation c'est à dire
CEEAC et la CEDEAO travaille dans l'espace relevant de sa compétence.
B. Les mécanismes et instruments
sous-régionaux de sécurisation : la CEEAC et la
CEDEAO au service de la CGG
La CGG, n'ayant pas de mécanismes spécifiques,
se base pour le moment sur les instruments et mécanismes de la
CEDEAO177 et de la CEEAC. La CEEAC a un rôle institutionnel
dans la sécurisation du golfe de Guinée. Sa feuille de route sur
les questions de paix et sécurité révèle
qu'elle « doit renforcer sa capacité de mener des actions
multidimensionnelles de préservation et de sécurisation du Golfe
de Guinée aux fins de l'exploitation pacifique et durable de ses
ressources, en collaboration avec d'autres acteurs de la sous-région
»178.
La CEEAC a créé, en 1999, un Conseil de paix et
de sécurité de l'Afrique centrale (COPAX) qui a pour mandat de
prévenir et résoudre les conflits et de mener les actions
nécessaires à la consolidation de la paix et de la
sécurité. Le COPAX est l'organe de concertation politique et
sécuritaire des États membres. De même que le Protocole du
CPS, le Protocole relatif au COPAX marque une mutation normative à
l'échelle de la région en
175 Etanislas NGODI et Mathias-Eric OWONA NGUINI « Le
pétrole off-shore comme ressource stratégique en Afrique centrale
: une richesse au coeur des tensions frontalières et des appétits
», in Enjeux, n°26, Mars 2006, p.12.
176 Il s'agit du deuxième sommet de Chefs d'Etat
après 2001.
177 Le seul Etat de l'Afrique de l'Ouest qui appartient
à la Commission du golfe de Guinée est le Nigéria.
Fondamentalement les mécanismes de la CEDEAO ne visent pas
expressément la sécurisation de la région. Mais puisque le
golfe de Guinée dépasse le cadre des Etats reconnus comme membres
de la commission, les mécanismes de la CEDEAO lui profitent par
défaut.
178 CEEAC, Feuille de route« paix et
sécurité » de la CEEAC, Pour discussion au
séminaire Afrique Centrale, PIR 10ème FED, Bruxelles, du 30
septembre au1er octobre 2009, p.12.
intégrant comme principes la protection des droits et
libertés fondamentales et de la légalité institutionnelle
dans chaque Etat. Le COPAX est compétent pour traiter aussi bien des
conflits interétatiques que des conflits internes. Il est appuyé
par une structure de préparation des décisions, la Commission de
défense et de sécurité (CDS)179.
Par ailleurs, notons que le Protocole du COPAX prévoit
la mise en place d'un Mécanisme d'alerte rapide de l'Afrique centrale
(MARAC) chargé d'informer et d'alerter les instances
décisionnelles aux fins de la prévention des crises, ainsi que
l'établissement d'une Force multinationale de l'Afrique centrale (FOMAC)
capable d'appuyer l'action politique et diplomatique de la Communauté
par des déploiements de terrain. Le MARAC fait partie intégrante
du Système Continental d'Alerte Précoce (SCAP) avec lequel il
doit être capable d'interagir de manière dynamique. La FOMAC
s'inscrit dans le cadre de la Force Africaine en Attente (FAA). Ainsi, la
première brigade régionale est-elle l'un des cinq piliers de la
FAA tels que conçus par les Feuilles de route successives de l'UA (2005,
2008)180. Ses objectifs de capacité qualitatifs et
quantitatifs, procédures, doctrines, etc. sont définis dans le
cadre des travaux effectués au niveau continental afin de lui permettre
d'être pleinement interopérable avec les brigades mises en place
par les autres CER.
S'agissant de la CEDEAO, les initiatives en matière de
sécurité commune sont plus anciennes. En effet, trois ans
après la création de l'organisation à l'initiative du
Nigéria et du Togo, a été signé un Protocole de
non-agression, lors du Sommet de Lagos en août 1978, qui prescrit aux
États membres de « s'abstenir de menace et d'usage de force ou
d'agression »181 les uns envers les autres et
prévoyant que « toute dispute qui ne peut être
réglée de manière pacifique entre les États membres
sera soumise à un comité de la Communauté
»182. Ensuite, un Protocole concernant l'Aide
Mutuelle à la Défense (PAMD) a été signé par
treize des seize Etats membres de la Communauté à Freetown en
Sierra Leone le 29 mai 1981 et entré en vigueur cinq ans plus tard. Le
PAMD engage les Etats membres de la CEDEAO par un traité collectif de
défense qui accepte qu'une menace armée ou une agression contre
l'un des Etats constitue une menace ou agression contre la Communauté et
s'engage à donner une aide et une assistance mutuelle pour la
défense. Le Protocole prévoit une réaction collective dans
le cas
179 Idem, p.4.
180 Ibidem.
181 CEDEAO, Protocole de non-agression de la CEDEAO,
août 1978, p.3.
182 Ibidem.
où un Etat membre est victime d'un conflit armé
intérieur. Dans ce cadre sont aussi créées les Forces
Armées Alliées de la Communauté (FAAC).
Le 10 décembre 1999 a été adopté
un Protocole relatif au Mécanisme de Prévention, de Gestion, de
Règlement des conflits, de Maintien de la paix et de la
sécurité dans la sousrégion. En mai 2000, à
Monrovia a été lancé le Conseil de Sécurité
et de Médiation du Mécanisme, qui peut autoriser toute forme
d'intervention, y compris la décision de déployer des missions
politiques et militaires, informer les Nations unies et l'Union africaine de
ses décisions, fournir et réviser les mandats et nommer les
commandants des forces. Le Conseil supervise les activités de plusieurs
organismes. La Commission pour la Défense et la Sécurité
qui a pour activités d'examiner toutes les questions techniques et
administratives et d'estimer les besoins logistiques pour les opérations
de maintien de la paix. Le Conseil des Sages, nommé par le
Secrétaire exécutif pour promouvoir une diplomatie de
prévention dans la région. Le Centre d'Observation et de
Contrôle d'Alerte Précoce qui est le coeur du Mécanisme
d'Alerte Précoce de la CEDEAO avec quatre zones d'observation et de
contrôle dans la sous-région. Enfin, on a l'ECOMOG183
qui est le groupe de contrôle de la CEDEAO.
A mettre les mécanismes de la CEEAC aux
côtés de ceux de la CEDEAO, on se retrouve devant des nombreux
mécanismes dont les rôles se confondent. On dira comme Chantal
Belomo que « sur le plan pratique, la pléthore d'institutions
de défense énonce l'aporie de leur cohérence
»184. Elle souligne d'ailleurs que la paix et la
sécurité que tentent de construire les mécanismes
régionaux et sous-régionaux souffrent de la faiblesse du
régionalisme et du multilatéralisme. Cette faiblesse est due
à la construction autoritaire, hégémonique des
systèmes étatiques, au repli, aux égoïsmes nationaux
et au refus de l'émergence des hommes charismatiques sur le plan
régional. Ce d'autant plus que la construction d'une ou de plusieurs
puissance(s) continentales pourrait opérer un « checks and balances
» et obstruerait à cet effet les ambitions de projection des
grandes puissances, ce qui par ailleurs est aux antipodes de leur politique de
domination185.
La solution viendrait peut être des mesures nouvelles.
Pour prévenir les conflits liés aux ressources naturelles en
Afrique centrale, Joseph Vincent Ntuda Ebode recommande par exemple la
détermination et la délimitation des frontières non encore
précisées. Ensuite, souligne-t-il qu'il serait intéressant
de mettre en oeuvre une évaluation aussi précise
183 L'ECOMOG s'est illustré dans des nombreux conflits en
Afrique de l'Ouest (Libéria, Sierra-Leone, GuinéeBissau,
Côte-d'Ivoire).
184 Pélagie Chantal BELOMO ESSONO, op. cit.,
P.218.
185 Ibidem.
que possible des superficies et des quantités de
ressources naturelles en jeu dans les zones transfrontalières. Aussi,
conviendra-t-il de ne pas oublier l'examen des leçons
d'expériences positives, en Afrique centrale et au-delà, de
gestion commune transfrontalières des ressources naturelles et
l'implication de tous les acteurs locaux qui ont un intérêt
premier à une exploitation économiquement et
écologiquement équilibrée des ressources naturelles des
régions qu'ils habitent186. Une telle solution peut
être étendue au golfe de Guinée.
C. La coopération sécuritaire
internationale comme solution aux apories des initiatives
sous régionales : l'entrée en jeu des
Etats-Unis
Les Etats du golfe de Guinée peuvent miser sur les
coopérations qu'ils développent avec des partenaires, les grandes
puissances notamment. Cette option permet aux Etats de la région de
bénéficier des moyens colossaux dont disposent les grandes
puissances. A part la France présente historiquement dans cette zone,
les Etats-Unis proposent une aide dans ce sens. Ainsi, des sources officielles
américaines, le Commandement pour l'Afrique est un état majeur
avec la responsabilité de coordonner et de gérer des programmes
qui permettra aux gouvernements africains et aux organisations
régionaux, tels que l'African Standby Force, d'avoir des plus grandes
capacités sécuritaires et de pouvoir répondre en
période du besoin. Le Commandement pour l'Afrique continuera les
activités de coopération de sécurité
déjà en cours, et pourra mieux coordonner l'appui
américain avec le département de la défense et avec
d'autres agences gouvernementales américaines pour rendre ces
activités plus efficaces.
D'autres puissances, hormis les Etats-Unis oeuvrent pour la
coopération bilatérale avec chaque Etat de la région en
matière de sécurité et de défense. La France est
certainement une des plus anciennes dans le domaine. Cette coopération
suit l'histoire politique contemporaine des Etats francophones du golfe de
Guinée, de l'Afrique en général. Mais cette option, si
elle est avantageuse pour les parties, pose aussi des gros problèmes
dans le contexte actuel où les Etats africains devraient chercher par
tous les moyens à affirmer leur indépendance même dans le
domaine sécuritaire. En occupant les eaux internationales au large de
l'Afrique, des pays comme le Royaume-Uni et la France ont élargi leur
territoire national et ils manifestent quotidiennement leur puissance et leur
capacité de dominer l'Afrique. Quelle sera la marge de pouvoir des
armées africaines si elles doivent être financées et
équipées par des étrangers.
186 CEEAC, Rapport de la réunion des experts,
Conférence sur les problèmes de sécurité
transfrontalière en Afrique centrale, 4-5 septembre 2007,
Yaoundé, Cameroun.
* * *
Les enjeux propres aux Etats, pris isolement, ou à la
sous région, prise comme bloc géographique, ou encore liant les
deux à la fois, poussent les entités étatiques à
développer des initiatives de sécurisation. La
sécurisation leur permet, non seulement, de se construire mais aussi de
la dimension de la gouvernance de la rentre pétrolière. La
sécurisation apparait comme un enjeu de paix dans la sous-région.
Mais la mise en oeuvre de cette sécurisation dépasse le cadre
d'un seul Etat, ce qui pousse les uns et les autres vers des regroupements
sous-régionaux. Ces regroupements, même si elles ont des
instruments en matière de sécurisation, présentent
quelques limites dues à certaines rivalités et
l'opérationnalité des moyens déployés. Comme telle,
la coopération avec les grandes puissances devient une alternative. Sauf
que cette option se présente comme de un moyen de domination par ces
puissances étrangères.
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