Enjeux énergétiques et logiques sécuritaires: une analyse du déploiement américain dans le golfe de Guinée( Télécharger le fichier original )par Gen-serbé SINIKI Université Catholique d'Afrique Centrale - Master en Gouvernance et Politiques Publiques 2010 |
Paragraphe 2. De la captation à la répartition de la rente pétrolière : unelogique de changement La diversité des enjeux qui structurent les champs politique et social interpellent les Etats pétroliers du golfe de Guinée à repenser la gestion des revenus nationaux. Il en va certainement de leur sécurité nationale. Claude-Ernest Kiamba ne disait pas autre chose lorsqu'il souligne que si la gestion des revenus nationaux est un facteur de désintégration de l'Etat, la penser autrement devient un moyen de ré-intégration de l'Etat en Afrique158. Dans de nombreux Etats, c'est un processus déjà engagé. Il s'agit de mettre en oeuvre une gestion intégrée et concertée (Etat, société civile et population locale) des ressources nationales. A. La problématique de la gouvernance pétrolière en Afrique: l'opportunité d'une émergence Le défi de la gestion de la rente pétrolière pour le développement et la sécurité demande de passer d'une logique de production pure à une logique de répartition. Il s'agit de passer d'une situation déséquilibrée voire opaque à deux acteurs (États, compagnies 156 Luc SINDJOUN, La politique d'affection en Afrique noire, Boston, GRAF, 1998, 230p. 157 Lire pour une analyse plus exhaustive, Luc SINDJOUN, l'Etat ailleurs, entre noyau dur et case vide, Paris, Economica, Collection la vie du droit en Afrique, 2004, 340p. 158Claude-Ernest KIAMBA, cours d'Analyse des conflits, licence de Sciences juridiques et Politiques, Université Catholique d'Afrique Centrale, 2007-2008. pétrolières) et inéquitable, car coupée de la population, à une situation avec un État plus fort (moins endetté), des exploitants moins puissants (plus de concurrence, contrat de partage de production) et une participation effective accrue de la société civile. Et, pour cause, Etanislas Ngodi note que le désordre politique trouve son fondement dans le banditisme politique. La culture de violence et l'insécurité socio-économique sont des conditions mises en place pour la consolidation et la conservation du pouvoir. Le sous- développement des pays producteurs du pétrole n'est plus a démontrer en Afrique. En effet, dans la gestion de la rente pétrolière, de nombreux pays africains sont dépourvus d'institutions politiques capables de faire contre- poids, de lutter contre l'autocratie des régimes politiques, l'inefficacité des services publics et la mise a l'écart de la société civile dans les tractations politiques159. De ce fait, de nouveaux outils doivent être intégrés par les Etats. Il s'agit spécifiquement du paradigme de la bonne gouvernance. Philippe Moreau Defarges écrit qu'en contexte de gouvernance, « (~) la décision, au lieu d'être la propriété et le pouvoir de quelqu'un (individu ou groupe), doit résulter d'une négociation permanente entre les acteurs sociaux, constitués en partenaires d'un vaste jeu, le terrain de jeu pouvant être une entreprise, un État, une organisation, un problème à résoudre »160. Comme tel, il s'agit d'intégrer aussi bien la société civile que le secteur privé dans ce processus de gouvernance pétrolière. De nombreuses initiatives sont prises pour aider les Etats à intégrer les outils de gouvernance dans la gestion de leurs revenus pétroliers. Selon Christine Rosellini, à la suite d'un premier rapport de Global Witness sur l'Angola en 1999, une coalition britannique en faveur de la publication des paiements dénommée Publish What You Pay (PWYP), a été constituée en juin 2002 autour des ONG comme CAFOD, Oxfam, Save the Children, Open Society Institute et Transparency International. La coalition compte plus de 200 membres à travers le monde. Par ailleurs, sous la pression des ONG, Tony Blair alors Premier Ministre du Royaume Uni a lancé en 159 Etanislas NGODI, « Gestion des ressources pétrolières et développement en Afrique », disponible sur http://codesria.org/Links/conferences/general_assembly11/papers/etanislas_ngodi.pdf, consulté le 29 janvier 2010, 00h. 160 Philippe Moreau DEFARGES, La gouvernance, Paris, P.U.F. 2008, p. 5.
Contrats secrets, Hyperspécialisation de l'économie dans le pétrole, Faiblesse du secteur privé hors pétrole, Disparition des activités agricoles Bénéfices captés par les élites (redistribution clientéliste),Risque d'instabilité politique, Hostilité à l'égard des compagnies pétrolières, appauvrissement de la population, dégradation des indicateurs sociaux, instabilité sociale, risque de guerre civile, augmentation de la répression politique, développement du secteur informel Secteur prive Population septembre 2002 à la suite du Sommet Mondial sur le Développement Durable à Johannesburg, l'Initiative sur la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE)161. Tableau 8 : Les mécanismes de passage à une répartition de la rente pétrolière
facteurs de changement/pressions
Source : Christine ROSELLINI, in Afrique contemporaine, Printemps 2004 161 Cette initiative cherche à pousser la communauté internationale vers la transparence pétrolière. L'ITIE soutient concrètement l'effort international en faveur de la transparence. L'ITIE a développé un modèle de publication pour s'assurer que les versements des compagnies extractives sont bien encaissés. B. La gouvernance pétrolière au concret : l'action des Etats du golfe de Guinée en la matière On peut estimer que les Etats sont plus que jamais appelés à changer leurs stratégies de gestion des ressources. Plusieurs mesures ont été initiées dans ce sens. On peut à partir des pratiques en cours dégager quatre cas de figure162. Dans un premier cas, on a les Etats qui ont réformé leur mode de gestion du surplus pétrolier. Il s'agit, notamment, du Congo et du Nigéria dont les excédents dans les revenus pétroliers sont versés aux banques centrales. Deuxièmement, on a les Etats qui intègrent la transparence dans la gestion quotidienne des revenus pétroliers. C'est le cas du Tchad qui a mis sur pied un college de contrôle et de surveillance des recettes pétrolières. Avec la contribution de la Banque mondiale, le Tchad entendait tirer les leçons du passé en faisant le choix de la législation, afin que les recettes pétrolières aillent pour partie à la lutte contre la pauvreté et la bonne gouvernance. En plus, 10% des revenus devrait être épargnés pour les générations futures163. Mais cette dernière mesure n'a pu faire long feu parce que lorsque l'intégrité territoriale fut menacée en 2006 par les rebelles dans l'Est du pays, le « réalisme » a poussé le gouvernement à réorienté ces fonds vers notamment le domaine de la défense. A São Tomé, l'utilisation des ressources se fait avec l'aide de la Banque mondiale. Le Nigeria, quant à lui, procède à la publication des revenus pétroliers de l'État sur une base mensuelle. Troisièmement, il est des Etats qui ouvrent le secteur du pétrole à la concurrence. Autrement dit, l'État participe davantage aux consortiums (le Tchad et le Cameroun participent ainsi aux côtés des compagnies multinationales à l'exploitation du pétrole tchadien). La situation de monopole d'une entreprise étrangère (Elf au Congo, Gabon, Cameroun ; firmes américaines en Angola) commence à être rare et les partenaires se diversifient (Nigeria). Les relations entre les compagnies pétrolières et l'État ont commencé à changer au Congo avec le passage du régime de concession aux contrats de partage de production164. Enfin, on assiste dans certains Etats à la promotion des liens entre les compagnies pétrolières et le reste de l'économie. 162 Christine ROSELLINI, << la répartition de la rente pétrolière en Afrique centrale : enjeux et perspectives », in Afrique contemporaine, n°216, 2005, p. 125 à 138. 163 Sur les fondements et les modalités de gestion des 10% pour les générations futures, lire notamment Benoît MASSUYEAU et Delphine DORBEAU-FALCHIER, << Gouvernance pétrolière au Tchad : la loi de gestion des revenus pétroliers », in Afrique contemporaine, 2005/4 (n°216). 164 Idem, p. 27 et suiv. |
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