CHAPITRE 3
LA SECURISATION DU GOLFE DE GUINEE AU MIROIR DES
DEFIS INTERNES ET SOUS-REGIONAUX
Les causes des crises africaines sont bien plus
profondément enracinées (..). Prévenir les crises
nécessite de désamorcer, en profondeur, la montée de
l'angoisse sociale ; sortir de la crise exige d'organiser le reflux de cette
angoisse ; construire la paix, c'est interdire son
retour.143
L
a sécurisation du golfe de Guinée apparait
capitale à un moment où les enjeux énergétiques
sont à la base, soit directement ou indirectement, des risques
d'insécurité permanente. Alors que les circonstances
prêtent à la « décomposition des territoires
»144 et à l'accentuation des «
solidarités sans territoire »145,
lesquelles participent du « contournement [même]
des Etats » 146 dans la sous-région, il convient de
comprendre que la sécurisation devient un aspect fondamental de la
construction de la paix. Cette dernière est, d'ailleurs, mise à
mal quotidiennement parce que le fonctionnement des Etats et, surtout, la
répartition de la rente issue des ressources nationales sont des sujets
de défiance.
Dans un tel contexte, la conjoncture sécuritaire est
susceptible d'éclairer sur les ruptures, les repositionnements et les
réinventions sociopolitiques à l'oeuvre dans la dynamique
politique et sociale nationale147, mais aussi
sous-régionale. Ce sont, justement, ces réinventions
sociopolitiques qui structurent l'importance de la sécurisation dans
l'édifice de la paix dans le golfe de Guinée (section 1). Les
moyens sont aussi bien institutionnels, stratégiques
qu'opérationnels. Néanmoins, la mise en oeuvre de cette approche
ne se fait pas sans difficultés (section 2).
143 Joseph Vitalis, << Les crises africaines. Violence,
pouvoir et profit », in Etudes 2003/6, Tome 399, p.595
144 Au sens de Bertrand BADIE, La fin des territoires. Essai
sur le désordre international et sur l'utilité sociale du
respect, Collection << l'espace politique », Fayard, 2003,
p.132.
145 Ibidem.
146 Bertrand BADIE et Marie-Claude SMOUTS, op. cit.,
p.70.
147 Yves-Alexandre CHOUALA, << Conjoncture
sécuritaire, champ étatique et ordre politique au Cameroun :
éléments d'analyse anthropo-politiste d'une crise de
l'encadrement sécuritaire et d'un encadrement sécuritaire de
crise », in Polis, vol. 8, Numéro Spécial, 2001.
Section 1. Sécurisation comme outil de
construction de la paix dans les Etats du golfe de
Guinée
Aujourd'hui, la sécurité ne signifie pas
éliminer la menace immédiate, mais aussi de travailler sur les
sources de l'insécurité148. En effet, la
sécurisation du golfe de Guinée passe par la restructuration de
l'Etat dans le contexte africain qui, d'après Tshiyembe Mwayila, porte
en lui-même les germes de sa propre
insécurité149 et dont une des conséquences les
plus manifestes est la difficile construction effective d'une nation.
Paragraphe 1. La restructuration de l'Etat et la
construction nationale
S'il est admis, à partir des catégories
wébériennes, que l'Etat a le monopole de la violence
légitime, il n'en demeure pas moins que cet Etat-là est
structuré autour d'un certain nombre d'institutions fortes à
même de mettre en oeuvre les outils de sécurité. Il est
donc important de considérer l'Etat comme « totalité »,
pas au sens totalitaire du mot, mais comme un ensemble intégrateur dans
lequel se reconnaissent les citoyens.
A. La reforme de l'Etat comme moyen de renforcer les
institutions et de restaurer la légitimité
sécuritaire
Le processus d'étatisation est fondamentalement un
processus de sécurisation150. En effet, parler de la
réforme de l'Etat, revient à réaffirmer la place de ses
différentes composantes au sens juridique: territoire, gouvernement et
population. L'appareil sécuritaire de l'Etat devient, de ce fait,
très important dans le golfe de Guinée où la
perméabilité des frontières et la dissémination des
territoires mettent quotidiennement à mal l'ordre politique. Parce que
l'Etat est un système, la sécurité devient un instrument
au service de son fonctionnement et de la répartition des pouvoirs en
son sein, préalables à une redistribution des revenus
nationaux151. Dans un tel contexte, la réforme de l'Etat est
importante tant il est vrai que l'insécurité et la
148 Pélagie Chantal BELOMO ESSONO, «L'ordre et la
sécurité publics dans la construction de l'Etat au Cameroun
», Thèse de doctorat en science politique, Institut d'Etudes
Politiques de Bordeaux, Université Montesquieu Bordeaux 4,
février 2007.
149 Tshiyembe MWAYILA, L'Etat post colonial facteur
d'insécurité en Afrique, Dakar, Présence africaine,
1990
150 Yves-Alexandre CHOUALA, (3), op. cit. p. 14.
151 « L'État est en même temps une
structure organisationnelle complexe, une collectivité et un instrument
de politique. En ce sens, l'État est donc d'abord un instrument de
promotion de la sécurité avant d'être le sujet ou le
référent de la sécurité. Il est l'organe qui assure
la médiation entre l'intérêt national, défini de
façon unitaire, et les intérêts des communautés en
son sein. », Thierry BALZACQ, op. cit., p. 34.
délinquance dans le golfe de Guinée relèvent
de « l'ordre de la banalité », au sens que donne
Achille Mbembe à l'expression152.
Il s'agit de réformer le secteur de la
sécurité, non dans son approche primaire, mais dans ses
interactions avec les autres secteurs dont dépend la survie de l'Etat.
Yves Alexandre Chouala, dans ses travaux sur la conjoncture sécuritaire,
le champ étatique et l'ordre politique au Cameroun, souligne,
d'ailleurs, à propos que « si l'Etat voit l'ascension
vertigineuse de sa décrédibilisation et l'érosion de son
prestige social dans le phénomène insécuritaire, c'est
à l'intérieur de celui-ci qu'il doit reconstruire sa noblesse et
sa respectabilité tant nationale qu'internationale. Principal facteur de
désocialisation/décivilisation de l'Etat,
l'insécurité est aussi la ressource cardinale à mobiliser
dans l'optique de la (ré) étatisation
»153. Il convient donc de donner une nouvelle
dimension à l'armée, la rendre républicaine, au service du
développement. C'est peut être ainsi que l'armée
intégrera son rôle dans « la division du travail »
et recevra une nouvelle légitimité.
B. Le problème de la construction de la nation
La construction de la nation prend forme avec
l'étatisation de la société en Afrique. Ce qui pose un
problème étant donné que la dynamique des
communautés ethniques défie aujourd'hui la figure sociale de
l'Etat comme unité154. Le processus d'unification, et
notamment, sous la forme de l'Etat-Nation, définit la communauté
politique. Amitai Etzioni parle de la communauté politique comme une
communauté structurée par trois types d'intégration: le
monopole de l'usage légitime de la violence, etc., l'existence d'un
centre de décision capable de déterminer l'allocation des
ressources et des récompenses au sein de la communauté et, enfin,
l'existence d'un point transcendant d'identification de la majorité des
citoyens155.
152 Achille MBEMBE, De la postcolonie. Essai sur
l'imagination politique dans l'Afrique contemporaine, Paris, Karthala,
2000, 280p.
153 Yves-Alexandre CHOUALA, << Conjoncture
sécuritaire, champ étatique et ordre politique au Cameroun...
>> Idem, p. 15.
154 Ceci est un phénomène qui trouve
déjà ses origines dans la présence même du
colonisateur. << Au lendemain de la pénétration
coloniale, la puissance colonisatrice, a compris très tôt que
l'exploitation paisible et rationnelle des ressources de la nouvelle colonie,
passait nécessairement par la maîtrise des populations
autochtones. Il fallait à tout prix mettre en place des
mécanismes de nature à retourner les structures sociales
existantes contre les populations et s'en servir pour asseoir sa domination.
Cette mutation ne devait s'opérer que par la remise en cause de la
réalité sociale traditionnelle et par l'introduction des
distinctions entre les populations », Xavier Bienvenu KITSIMBOU,
<< la démocratie et les réalités ethniques au Congo
>>, Thèse de doctorat en Science politique, Université de
Nancy 2, 2001, pp.35-36.
155 Amitai ETZIONI, << A paradigm for the study of
political unification >> in World Politics, XV(1), 1962, pp. 45
-74.
La spécificité des sociétés en
Afrique dans leur rapport avec la nation est problématique et doit
être repensée pour une sécurité nationale effective.
Dans un contexte de politique d'affection156,
c'est-à-dire de mobilisation de la ressemblance, l'allégeance
à la nation est supplantée par le communautarisme. Ainsi, la
construction de la nation doit être un processus de légitimation
du rôle social de l'Etat. Il s'agit de mettre sur pied un nationalisme
légitime, c'est-à-dire la croyance en une communauté dont
l'Etat a la charge ou en des intérêts supérieurs dont
celui-ci a le monopole de la définition, en une unité des groupes
sociaux épars dont il assure la représentation, qui permet de
réaliser un consensus autour du pouvoir central157. Dans le
golfe de Guinée, le discours officiel dans la plupart des Etats donne
une forte dimension symbolique à la nation. Ce qui occulte cette
ambition politique, c'est, justement le fait que la construction de la
nation soit de l'ordre du discours et non du concret. Autrement dit, la
réalité, le vécu social des groupes ethniques qui ont
intégré la méfiance des uns par rapport aux autres dans
leur façon de faire et de penser, déconstruit le discours sur
l'unité nationale.
|