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Reflexion sur la justice transitionnelle

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par N'taho Désitée Florine Victoire Roxann ODOUKPE
Ucao/UUA - DEA 2009
  

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Section 1 : Les commissions vérités et les réformes institutionnelles

Ces 30 dernières années, des progrès spectaculaires ont été réalisés dans de nombreuses parties du monde pour d'une part, tenter de mettre un terme aux dictatures, aux structures violentes et aux guerres internes, et d'autre part pour mettre en oeuvre les principes de la démocratie, du respect des droits de l'homme et de la prééminence du droit159(*). Même si toute transformation a des caractéristiques propres, les plus grandes difficultés communes aux nouvelles sociétés consistent à composer avec un passé douloureux, à examiner celui-ci et à prendre des sanctions à l'égard des personnages publiques de l'ancien régime, ou encore, à reconstruire l'unité de la nation au lendemain d'une guerre civile.

Il est de plus en plus courant, dans le cas de pays qui sortent d'une guerre civile ou d'un régime autoritaire, de créer une commission de vérité et réconciliation (CVR) appelée à siéger pendant la période post-transitionnelle immédiate. Ces CVR sont devenues presque une panacée dans les situations pour lesquelles la reconnaissance des crimes est primordiale avant le processus de réconciliation. D'un autre côté, les réformes institutionnelles, destinées à prévenir la reproduction des violences, constituent un élément important de la justice transitionnelle. En plus de créer des institutions plus éthiques et plus efficaces, la justice transitionnelle cherche à accroître la confiance dans les institutions publiques, à renforcer l'Etat de droit, à faire disparaître les structures ou les conditions qui ont prévalu à la répression, et à établir les responsabilités de ceux qui n'ont pas été poursuivis en justice. Dans cette optiques sont mises en place des commissions vérité (Paragr.1) et des réformes institutionnelles (Paragr.2) aboutissent à la réconciliation nationale ?

Paragr.1 Les commissions vérité

La notion de commission de vérité est très souvent associée à tort à celle de réconciliation et d'amnistie, suivant le modèle le plus connu de la Commission Vérité et Réconciliation d'Afrique du Sud. Cette commission est pourtant une seule des trente et quelques commissions de vérité qui ont existé à travers le monde depuis 1983 et est la seule commission au monde à avoir adopté une procédure de vérité pour amnistie.

En outre, plus de la moitié des commissions de vérité qui ont vu le jour n'ont pas eu le terme de réconciliation dans leur titre ou leur mandat. Il y a eu par exemple des commissions sur les disparus en Argentine, en Ouganda et au Sri Lanka, des commissions de vérité et de justice en Haïti et en Equateur ou encore une commission d'enquête pour l'évaluation de l'histoire et les conséquences de la dictature en Allemagne160(*)

Bien qu'elles diffèrent d'un pays à un autre(B), les commissions ont en commun des caractères généraux(A).

A/ Les Caractères généraux des commissions vérité

« Les commissions vérité sont un organe officiel et temporaire mis en place pour enquêter sur une période passée d'atteintes aux droits de l'homme et au droit humanitaire. Après avoir recueilli les déclarations de victimes, de témoins et d'autres personnes, une commission vérité publie un rapport final qui est généralement rendu public et qui devient la reconnaissance officielle de ce qui avait souvent été auparavant nié ou mal compris161(*) ».

Ce sont donc des organes temporaires, extrajudiciaires et qui bénéficient d'une indépendance de jure. Elles sont moins destinées à rendre la justice qu'à contribuer à l'établissement de la vérité en décryptant le  "pourquoi" et le "comment" en est-on arrivé là. Elles peuvent faciliter ultérieurement l'oeuvre de justice, mais tel n'est pas leur but principal. Il s'agit plus de faire un rapport pour la mémoire que pour la justice.

Autrement, pour qu'un organe soit appelé commission de vérité, il doit répondre à des caractéristiques très spécifiques qui sont entre autres : être un organe d'enquête approuvé de manière officielle par l'Etat, être autorisé pour une période déterminée, généralement entre un an et demi et deux ans et demi, jouir d'une certaine autonomie par rapport à l'Etat, se concentrer sur les évènements du passé et enquêter sur les atteintes les plus graves aux droits de l'homme ainsi que les plus graves violations du droit international humanitaire, le cas échéant. Cet organe doit en sus enquêter sur des modèles d'abus ou sur des exactions particulières qui ont été commis au cours d'une certaine période et pas uniquement sur un événement particulier, donner la priorité aux besoins des victimes et aux torts qu'elles ont souffert, être établi pour opérer surtout sur le territoire de l'Etat qui l'a approuvé et enfin, finir généralement son travail par la remise d'un rapport final qui contient des conclusions et des recommandations162(*).

Ainsi, les commissions vérité se concentrent sur le passé, sur les violations des droits de l'homme. Dans une condition optimale, elles établissent la vérité sur la nature et l'ampleur des atteintes aux droits de l'homme commises dans le passé. Elles encouragent l'établissement des responsabilités pour les auteurs de crimes en recueillant et en conservant les preuves, en identifiant publiquement les responsables. Les commissions vérité fournissent aussi une tribune publique aux victimes afin qu'elles puissent raconter leurs histoires personnelles directement devant la nation afin de garantir un futur meilleur. Ces actions visent à cultiver la réconciliation et la tolérance au niveau individuel, national et servir de protection contre les récits des événements passés163(*).

Les commissions vérité sont orientées vers les victimes. Elles sont un processus extrajudiciaire qui, selon les contextes, complète ou se substitue à des poursuites pénales.

En ce qui concerne la réconciliation, la Commission ne la réalise pas et ne la décrète pas non plus. Elle se charge simplement de la promouvoir. Les termes « vérité » et « réconciliation » n'ont donc pas la même portée.

La commission de vérité est le mécanisme de justice transitionnelle le plus reconnu et le plus étroitement associé à la justice transitionnelle en théorie comme en pratique. En effet, sur le plan historique, la commission vérité a été inventée pour pallier à l'impossibilité des poursuites pénales massives. Dès lors, elle est perçue comme une alternative définitive aux juridictions pénales compétentes. Ainsi, la justice classique abandonne quelques espaces. Elle prend les couleurs politiques de la transition. Elle bouscule considérablement les fondements de la justice pénale ordinaire. Vu leur succès, ces commissions ont fait l'objet d'une pratique générale au plan international. Elles sont devenues l'une des options classiques dans la palette des alternatives judiciaires de transition. Elles sont comme un moyen terme entre les approches extrêmes en matière de responsabilité pour les atrocités passées et les autres violations des droits de l'homme.

Bien que l'étendue de ce document ne permette pas l'étude de cas, certains exemples de commissions de vérité méritent d'être mentionnés.

B/ Des exemples de commissions vérité en Afrique

- En Sierra Léone, la commission sierra léonaise faisait partie de l'accord de Lomé de 1999, signé entre le gouvernement et les rebelles du Front révolutionnaire uni (RUF), qui a mis fin a près d'une décennie de guerre civile164(*).

Le mandat de la commission était de produire un rapport historique et impartial sur les atteintes aux droits de l'homme et au droit humanitaire en relation avec la guerre civile, depuis le début du conflit en 1991 jusqu'aux accords de Lomé ; de traiter la question de l'impunité; de répondre aux besoins des victimes ; de promouvoir le rétablissement des personnes traumatisées et la réconciliation; de prévenir la reproduction des violences et des exactions165(*).

- En RDC, la commission a été instituée par l'Accord global et inclusif, comme l'une des institutions d'appui à la démocratie. Selon les termes de la loi n° 04/018/ du 30 juillet 2004 qui régit son fonctionnement et son organisation, elle a pour mission de rétablir la vérité et de promouvoir la paix, la justice, la réparation, le pardon et la réconciliation, en vue de consolider l'unité nationale de la période du 30 juin 1960 jusqu'à la fin de la transition.166(*). Toutefois, cette commission fut très critiquée tant nationalement que par la communauté internationale, du fait, entre autres, d'un manque de diversité dans la composition des membres et/ou parce que leur mise en place s'est faite sans consultation de la société civile167(*).

Au Ghana, la commission nationale de réconciliation du Ghana (Ghana National Reconciliation Commission, NRC) est créée en 2002, avec pour mandat de dresser un compte-rendu complet et juste de violation des droits de l'homme survenue au Ghana depuis l'indépendance du pays. Le mandat de la commission consistait à recueillir les témoignages des victimes et des auteurs de crimes, organiser des audiences publiques et enquêter sur les conditions qui ont permis, ou conduit, à des violations de droits de l'homme pendant la période couverte par le mandat de la NRC. A l'issue de ses travaux, la commission devait présenter des propositions suggérant d'accorder des réparations appropriées aux victimes, en plus de recommander une réforme institutionnelle devant prémunir le pays contre l'éventuelle répétition de violation de ce type168(*).

- La Commission vérité et réconciliation du Libéria (CVR) est née de l'Accord global de paix signé à Accra, au Ghana, en août 2003 après plus d'une décennie d'une guerre civile. Cet accord et le départ en exil de l'ancien président, Charles Taylor, a finalement mis fin à 14 ans de conflit. Après deux années d'un gouvernement de transition, les élections présidentielles de novembre 2005 ont consacré la victoire d'une économiste, ancienne fonctionnaire de la Banque mondiale, Ellen Johnson-Sirleaf, qui a inauguré la CVR lors d'une cérémonie publique organisée à Monrovia en février 2006. La commission a achevé fin 2006 sa phase de collecte des déclarations et a débuté ses audiences publiques en janvier 2008.

La CVR pour le Libéria existe légalement depuis juin 2005. Elle est chargée d'enquêter sur les atteintes graves aux droits de l'homme et au droit international humanitaire, ainsi que sur d'autres abus incluant les crimes économiques, sur une période allant de janvier 1979 au 14 octobre 2003169(*).

La CVR a en outre le pouvoir de « recommander l'amnistie selon les termes et les conditions établies par elle sur requête d'individus qui auraient fait toute la lumière sur leurs méfaits et exprimé des remords sur leurs actes et/ou omissions [...] sachant que l'amnistie ou la disculpation ne s'appliquera pas aux atteintes au droit international humanitaire ni aux crimes contre l'humanité, en conformité avec les standards juridiques internationaux170(*)».

La Commission vérité et réconciliation d'Afrique du Sud (CVR) a été le fruit des négociations entre le parti au pouvoir majoritairement blanc, le Parti national, et le Congrès National Africain171(*) (ANC) qui ont mis fin à quatre décennies d'apartheid en 1994, avec l'élection de Nelson Mandela à la présidence de l'Afrique du Sud.

La CVR a été établie en 1995 par la loi sur la Promotion de l'unité nationale et de la réconciliation. Elle était chargée d'établir une description aussi complète que possible des atteintes graves aux droits de l'homme commises de tous les côtés entre 1960 et 1994. Elle avait le pouvoir d'amnistier les auteurs désireux de confesser et de décrire en détail leurs crimes, à condition que ces individus démontrent qu'ils avaient commis ces crimes pour des motifs politiques et non personnels. La loi demandait aussi à la CVR de compiler le résultat de ces recherches dans un rapport et de faire des recommandations pour prévenir de futures atteintes aux droits de l'homme.

L'offre d'amnistie contre la vérité fut l'aspect le plus controversé du mandat de la CVR et l'impunité reste une inquiétude en Afrique du Sud, à cause du faible nombre de poursuites de personnes impliquées dans ces crimes durant la dernière décennie.

La commission était présidée par l'archevêque Desmond Tutu et co-présidée par le fondateur du CIJT Alex Boraine. Les audiences se sont ouvertes en 1996 et en octobre 1998, la commission a publié et présenté un rapport en cinq volumes, qui comprenait des recommandations sur les mesures de réparations à offrir aux victimes172(*).

Son rapport final a été publié en 2003 et à la fin de cette année-là, le gouvernement a dispensé une compensation financière modeste aux victimes identifiées par la CVR.

- Le Nigéria possède aussi ses propres antécédents en matière de justice transitionnelle. Il y eut une commission sur les droits de l'homme, instaurée sous le régime du chef militaire Sani Abacha. Puis, en 1999, sous le président Obassanjo, on a eu la Human Rights Violation Investigations Commission, communément appelée le Panel Oputa. Cette commission a suscité un immense intérêt auprès des citoyens qui s'explique par la diffusion quotidienne et en directe des audiences publiques à la télévision nigériane. Cependant, à son grand désarroi, la commission n'a pas été en mesure d'interroger trois des anciens chefs d'Etat, dont deux avaient obtenu une injonction judiciaire leur évitant d'avoir à respecter la citation à comparaître.

En outre, le rapport de la commission, soumis au président en 2002, n'a jamais été officiellement publié. Or en 2005, après avoir insisté pendant 2 ans et demi pour que le rapport soit enfin rendu public, plusieurs organisations de la société civile ont décidé de façon indépendante de rendre son contenu accessible.

- Au Burundi, la Commission nationale pour la vérité et la réconciliation (CNVR) a été instituée par l'Accord d'Arusha pour qualifier les crimes, établir les responsabilités et identifier les coupables et les victimes. La loi n°1/018 du 27 décembre 2004 portant mission, composition, organisation et fonctionnement a été promulguée à cet effet. L'action de la CNVR devra couvrir la période du 1er juillet 1962 au 28 août 2000.

Par ailleurs, il existe un nombre d'enquêtes officielles ou semi officielles portant sur les violations des droits de l'homme commises dans le passé et qui possèdent les mêmes caractéristiques que les commissions mais se distinguent par le fait qu'elles sont plus limitées dans leur portée et leur autorité. Ces enquêtes peuvent être commanditées par les organisations internationales, à l'échelle régionale ou intercontinentale. On peut citer à juste titre le Rapport Degni Ségui sur le génocide rwandais173(*).

Paragr.2 : les réformes institutionnelles

Les conflits ont des conséquences souvent désastreuses sur les institutions étatiques qui s'écroulent. Les régimes dictatoriaux utilisent généralement, quant à eux, les institutions du pays et particulièrement celles du système de sécurité, pour commettre des abus. Il en ressort qu'à la sortie d'une guerre ou d'une période de tyrannie, un pays doit généralement envisager de réformer ses institutions afin de garantir la non répétition des abus. L'éventail des réformes institutionnelles envisageables est très large et s'adapte au contexte spécifique du pays. Parmi les réformes les plus courantes, on trouve la révocation des services publics de personnes ayant commis des abus, la création de nouvelles institutions pour protéger les droits de l'homme, la mise en place de formations en droits de l'homme, ou l'introduction d'amendements juridiques et constitutionnels pour améliorer la manière de gouverner et mieux protéger les droits de l'homme. Dans cette partie, on se concentrera sur deux procédures propres à la réforme du système de sécurité174(*): le recensement et l'identification (A), et le vetting (B).

A/ Le recensement et l'identification

La confusion règne le plus souvent dans un pays après une période de violations généralisées de droits de l'homme. Confusion quant à la composition des organes de sécurité du pays, confusion quant aux mandats respectifs des différentes agences de sécurité du pays, confusion quant au souhait des citoyens de voir la sécurité et la justice prévaloir dans le pays mais sans possibilité de faire confiance aux agences étatiques en charge de ce devoir. Dans un tel contexte d'incertitude, il est urgent d'établir des frontières institutionnelles pour aider l'Etat à asseoir son autorité sur le personnel du système de sécurité et identifier les membres du système de sécurité.

La procédure du recensement et de l'identification va ainsi permettre d'identifier les membres de chaque institution, étape fondamentale pour le rétablissement de l'état de droit et d'une bonne gouvernance dans le pays en transition. Toute nouvelle recrue ou tout limogeage devront en effet dorénavant respecter une procédure d'embauche et de licenciement. Le recensement et l'identification vont également permettre de mettre en place un registre de salaire, élément de lutte contre la corruption. Une telle procédure doit de préférence avoir lieu au cours de la transition, pour faciliter les réformes ultérieures.

L'expérience a montré que la planification du recensement et de l'identification peut prendre quelques mois et sa mise en oeuvre jusqu'à un an selon la taille de l'institution visée. La procédure donne lieu à la délivrance d'une carte de membre de l'institution.

Le processus de recensement et de l'identification favorise la quantité plutôt que la qualité. Il ne permet pas en effet d'évaluer les compétences ou l'intégrité nécessaire d'une personne pour faire partie de l'institution étatique concernée. Il sera par conséquent utile de compléter subséquemment le recensement et l'identification par une procédure de vetting.

B/ Le vetting

Dans le langage courant, le terme « vetting » fait référence à l'examen minutieux, sur la base de différentes sources d'informations, du passé d'un individu pour savoir si la personne est apte à occuper une fonction publique. Le terme n'a pas trouvé de traduction satisfaisante dans la langue française175(*). Le vetting cible les individus membres d'une institution, mais c'est en fait l'institution même qui est visée.

Le vetting diffère de la lustration en ce que cette dernière fait référence aux lois et aux politiques, principalement d'Europe de l'est et d'Europe centrale, qui impliquaient le rejet et la disqualification à grande échelle, non pas sur la base de l'examen de dossiers individuels, mais sur l'appartenance à un parti, les opinions politiques ou l'association avec des services secrets jusqu'ici tyranniques. La lustration met en exergue la responsabilité collective et non la culpabilité individuelle et viole ainsi des règles fondamentales de justice en matière de procédure telle que la présomption d'innocence.

Un programme de vetting classique consiste en trois étapes principales : l'enregistrement, l'évaluation et la certification.

L'enregistrement au programme, qui peut être obligatoire, a pour but d'identifier les individus qui travaillent dans l'institution et qui doivent par conséquent être sujets à la réforme du personnel.

L'évaluation des employés, sur la base d'informations fournies dans les formulaires d'enregistrement et obtenues par le biais de sources crédibles et indépendantes, va permettre de déterminer s'ils satisfont aux critères nécessaires à leur fonction.

La certification ou non des employés considérés aptes ou non, selon les cas, à travailler dans l'institution publique en question représente la décision finale du processus, requérant parfois une période d'essai dans la fonction.

L'expérience a mis en exergue quelques leçons pour mener à bien un processus de vetting:

- Comme tout autre mécanisme de justice transitionnelle, le succès du vetting dépendra en grande partie de la volonté réelle et de l'autorité effective de l'organe qui le met en place, ainsi que des ressources qui y seront allouées.

- Le mécanisme de vetting doit se conformer aux principes fondamentaux d'une procédure équitable pour assurer sa légitimité. Les personnes que le processus de vetting vise à renvoyer devraient notamment être informées des charges qui pèsent contre elles, avoir le droit de les contester devant l'organe de vetting, avoir le droit de faire appel d'une décision défavorable auprès d'une instance impartiale et être informées de leurs droits dans un délai raisonnable.

-A l'image des commissaires d'une commission de vérité, les personnes qui gèrent l'organe de vetting représentent le visage public du processus et leur intégrité et leur autorité politique jouent par conséquent un rôle crucial. Leur sélection doit se faire en toute transparence, en incluant au moins une part de consultation publique ou de consultation entre institutions.

- De même, le succès du vetting sera d'autant plus probable qu'il sera intégré dans le droit interne du pays. Par exemple, l'organe en charge du vetting des juges et procureurs en Bosnie-Herzégovine est devenu à l'issue de la période de vetting l'équivalent du conseil supérieur de la magistrature.

- Il est nécessaire de prêter une attention particulière au risque que les individus révoqués d'un emploi du secteur public, et en particulier de l'armée, la police et les services secrets de renseignements, peuvent représenter lorsqu'ils se tournent vers des activités criminelles après leur révocation. Le défi sera de préparer ces personnes à leur nouvelle vie, par le biais par exemple de programmes d'apprentissage, sans paraître les récompenser pour les abus commis dans le passé.

Le vetting a pour but de retirer des institutions publiques les personnes qui ne sont pas aptes à exercer leurs fonctions. Autrement, c'est un programme d'assainissement des institutions qui vise à assurer l'intégrité des serviteurs de l'institution. Le vetting ne remplace pas et n'exclut pas des poursuites pénales à l'encontre des individus qui ont fait l'objet de limogeage.

Au total, les réformes institutionnelles sont un des mécanismes de la justice transitionnelle, une restructuration profonde des institutions publiques, indispensable pour protéger les citoyens et établir l'Etat de droit. Elles contribuent à la réalisation de l'objectif essentiel d'une politique véritable et légitime en matière de justice de transition : la prévention des violations futures des droits de l'homme. Parmi les principaux aspects des réformes institutionnelles menées dans les pays en transition figurent les processus d'assainissement visant à exclure des institutions publiques les personnes dont l'intégrité est sujette à caution. Les multiples lacunes des institutions publiques dans les pays sortant d'un conflit ou ayant connu auparavant un régime autoritaire exigent toutefois une conception globale des réformes institutionnelles.

Ainsi, la pratique des Commissions vérité et les réformes ont permis de conclure que l'une des principales recommandations des travaux est la mise en oeuvre des programmes de réparations.

Section 2 : Les mesures de réparations

Les violations des droits fondamentaux tels que le droit à la vie et à l'intégrité ne sont pas réparables. La perte de ces droits et leurs conséquences ne peuvent s'effacer. L'état antérieur dans ces cas-là ne peut être rétabli et les marques de ces violations imprègnent de façon indélébile tant les individus que la société, dont le fonctionnement même est remis en cause.

Toutefois, et paradoxalement, partir du postulat selon lequel la réparation est impossible permet de définir des mesures de réparation adaptées parce qu'elles visent à restituer des droits confisqués et parce qu'elles tiennent compte des

victimes dans leur intégralité et des violations dans leur complexité. C'est aussi ce postulat qui fait que la réparation ne peut se limiter au simple dédommagement financier.

Ainsi, de par son sens étymologique ainsi que selon une jurisprudence très ancienne, la réparation consiste à rétablir l'état existant avant la violation, à effacer autant que possible toutes les conséquences de l'acte illicite et à rétablir l'état qui aurait vraisemblablement existé si le dit acte n'avait pas été commis. Les réparations constituent une dimension cruciale de la justice transitionnelle, et la seule à spécifiquement prendre en compte la reconnaissance des droits des victimes et des souffrances endurées. Les Etats peuvent tenter de réparer certaines souffrances subies par les victimes en dispensant des réparations aux personnes affectées, qui peuvent être les victimes elles-mêmes, leurs familles ou leur communauté.

Dès lors, l'institution des mécanismes de réparation est une marque de solidarité envers les victimes de violations. Les mécanismes dans leur ensemble présentent des caractères généraux (Paragr.1), même si ils diffèrent d'un pays à l'autre (Paragr.2).

Paragr.1 : Caractères généraux des mécanismes

Les mécanismes de réparations et les autres mécanismes de justice transitionnelle, comme les poursuites judiciaires, les commissions vérité et les réformes institutionnelles, peuvent se renforcer mutuellement. Il existe un consensus en droit international pour affirmer que tous les Etats ont le devoir de dispenser des réparations ou toutes autres formes de compensations aux victimes d'atteintes graves aux droits de l'homme.

Dans son acception internationale, le concept de réparation se réfère à toutes les mesures qui peuvent être prises pour réparer les souffrances endurées par les victimes et leurs familles.

Elles peuvent donc prendre différentes formes (B) et se répartir en deux catégories (A).

A/ Les mesures symboliques et matérielles

La réparation fait partie intégrante des conditions préalables à tout processus de réconciliation. Elle est redoutée aussi bien par les autorités que par les bailleurs de fonds, compte tenu du nombre de victimes, de l'ampleur et de la durée de leur souffrance. Cette crainte repose en fait sur une mauvaise compréhension de la notion de réparation, souvent maladroitement identifiée à l'indemnisation. Pourtant, la restitution des victimes dans leurs droits (le droit à la propriété notamment) et les mesures symboliques sont également des mesures de réparation176(*).

Il existe un large éventail de mesures symboliques de réparation qui pourraient également être examinées, à la fois pour les victimes en tant qu'individus (lettres personnelles d'excuses de la part des gouvernements successeurs, enterrement convenable des victimes tuées) et pour les victimes dans leur ensemble (reconnaissance officielle de l'oppression passée, espaces publics et noms de rues dédiés aux victimes ainsi que la construction de mémoriaux).

Les réparations symboliques peuvent prendre aussi la forme d'excuses officielles (telle que des excuses offertes par les ex-belligérants), de l'ouverture d'un espace public (comme un musée, un parc ou un mémorial) ou de la création d'une journée de commémoration nationale.

S'agissant de la commémoration, les victimes ont, entre autres, tendance à demander qu'un travail de mémoire soit fait.

A un premier niveau, cela consiste à honorer les morts et les victimes. Toutefois, les mémoriaux peuvent aussi contribuer à la réalisation d'autres objectifs de justice transitionnelle comme la recherche de la vérité, la prévention des violences futures, l'ouverture d'un dialogue et d'une discussion autour du passé, la constitution d'archives bien documentées, donner la parole et des réparations aux victimes.

Les mémoriaux dédiés aux atrocités et aux atteintes aux droits de l'homme sont d'abord des lieux de deuil, et dans certains cas, de consolation pour les victimes et les rescapés. Mais ceux qui les conçoivent veulent aussi s'adresser à un public plus large, et sensibiliser les populations en proclamant que «plus jamais ça» n'arrivera. Les commémorations ne se font toutefois pas sans controverses. Les victimes et les défenseurs des droits de l'homme sont souvent outrés par les efforts des gouvernements - y compris les plus démocratiques - à créer une «histoire officielle», en produisant un récit étatique des événements du passé.

Quant aux réparations matérielles, elles peuvent se présenter sous forme de versements d'argent ou de facilités financières, mais aussi d'accès préférentiel à des services de santé, d'éducation et de logement. Cependant, cette catégorie de réparation présente tout de même des difficultés morales, légales et politiques plus ou moins grandes, en particulier lorsqu'il s'agit de programmes d'indemnisation gouvernementaux recouvrant un large éventail de mesures.

En effet, il existe un nombre important de considérations et de difficultés relatives à la conception de tels programmes. Premièrement, le groupe de victimes ou de bénéficiaires sont définis. Si le groupe est trop large, le montant de l'indemnisation financière par personne peut devenir trop petit ; par contre, si le groupe est trop restreint, beaucoup de victimes dans le besoin risquent d'être exclues. Une seconde difficulté est de décider si les réparations matérielles doivent se présenter sous la forme d'accès à un ensemble de services (avantages médicaux, éducation, logement), de versements de sommes d'argent en espèces ou d'une combinaison des deux.

Favoriser l'accès à certains services publics peut être plus avantageux financièrement pour l'Etat mais limite le caractère réparateur de l'indemnisation. En outre, la qualité des services dépend de la manière dont l'Etat s'investit et administre les services pour la population de manière générale. Au contraire, verser des sommes en espèces peut satisfaire des besoins réels mais si les montants tombent en dessous d'un certain seuil, ils n'auront pas une grande incidence sur la vie des victimes177(*). Par conséquent, de manière générale, il serait idéal d'organiser l'indemnisation sous forme d'une combinaison d'accès à des services publics et de versement de sommes en espèces.

Quid des réparations individuelles et collectives ?

B/ Les réparations individuelle et collective

En règle générale, des réparations sont accordées à une partie lésée pour compenser le préjudice causé par un acte illégitime. L'objectif est de rétablir, autant que possible, la situation qui aurait existé si l'acte illégitime n'avait pas été commis. Pour les victimes, le droit à réparation constitue une partie importante du processus de guérison. Obtenir réparation peut donner le sentiment d'être plus puissant et permettre aux victimes de transformer leurs sentiments de douleur, d'isolement ou de stigmatisation en un sentiment de satisfaction. La réparation est ainsi décrite comme ayant « pour objectif de soulager les souffrances et de rendre justice aux victimes en supprimant ou en réparant dans la mesure du possible les conséquences de l'acte illégitime 178(*)». En d'autres termes, la réparation consiste à remédier à des faits passés et à arrêter des règles pour l'avenir. Son but est de promouvoir la justice en remédiant aux violations179(*). Elle apparait alors comme un impératif de justice.

Le droit international envisage ainsi la problématique de la réparation dans le cadre plus global d'une politique de justice liée à la reconstruction individuelle et collective. Les mesures individuelles concernent les cas spécifiques des victimes mais très souvent elles doivent être complétées par des mesures collectives de réparation.

L'élaboration des principes Van Boven/Bassiouni, même s'ils ne sont pas encore formellement adoptés, influencent déjà largement la jurisprudence et la pratique internationales. Par conséquent, il est désormais reconnu que cette catégorie de réparation s'entend de la restitution, l'indemnisation, la réadaptation, la satisfaction et les garanties de non-renouvellement.

En effet, la restitution doit, dans la mesure du possible, rétablir la victime dans la situation originale qui prévalait avant que les violations flagrantes du droit international des droits de l'homme ou les violations graves du droit international humanitaire ne se soient produites. Autrement, la restitution implique non seulement la restitution des biens volés mais aussi des droits qui ont été confisqués. Elle comprend donc, notamment, la restauration de la liberté, la restauration des droits confisqués, du statut social, de la vie de famille, de la citoyenneté, le droit au retour dans son lieu de résidence ainsi que la restitution de l'emploi.

La Cour interaméricaine, particulièrement en pointe sur cette question, va même jusqu'à demander à l'Etat la restitution dans la profession, le versement de salaires équivalents à ceux qui auraient été normalement perçus, l'annulation des antécédents pénaux ainsi que la réinscription rétroactive aux cotisations à une caisse de retraite.

De même, le Comité des droits de l'Homme requiert l'adoption de réparations et d'une protection qui permettent le retour dans le pays.

L'indemnisation des dommages estimables financièrement couvre notamment les préjudices subis suite aux violations commises. A ce titre, il doit être remboursé aux victimes les frais médicaux et les frais liés à leur suivi psychologique. L'indemnisation doit aussi tenir compte de l'appauvrissement de la victime engendré directement ou indirectement par les violations (ressources consacrées à la recherche de la vérité, impossibilité de suivre une formation, impossibilité d'exercer un métier).

La réadaptation concerne la prise en charge médicale et psychologique ainsi que l'accès à des services juridiques et sociaux. Il s'agit là d'octroyer aux victimes une assistance médicale, psychologique, juridique et sociale. Concrètement, cette assistance se manifestera, par exemple, par la gratuité des frais scolaires pour les enfants des victimes, par la création d'un dispensaire de soins gratuits destinés aux victimes ou encore par la création de centres de réhabilitation des victimes.

Cette autre forme de réparation qu'est la satisfaction, couvre notamment la divulgation de la vérité, la poursuite et sanction des responsables ce qui implique l'abrogation des lois d'amnistie, ainsi que l'adoption de mesures symboliques. Parmi ces dernières, nous pouvons citer la présentation d'excuses officielles, l'organisation de manifestations commémoratives, la création d'un centre au nom des victimes, la transformation de centres de détention en lieu d'hommage. Des mesures de rétablissement de l'honneur peuvent également être entreprises par l'Etat. Au niveau des réformes allant dans ce sens, Il peut être décidé d'intégrer dans le programme scolaire un chapitre dédié aux violations commises dans le passé.

- Les garanties de non-renouvellement ou non répétition sont des mesures et des réformes que les autorités doivent entreprendre afin de garantir à la société que les violations commises dans le passé ne se reproduiront plus. L'Etat doit également veiller au respect de l'indépendance des différentes juridictions ainsi qu'au non empiètement des juridictions militaires sur le champ d'action normalement réservé à des cours civiles. Ce dernier point nous renvoie d'ailleurs à l'importance de s'assurer de l'indépendance des institutions judiciaires, que ce soit par rapport au pouvoir exécutif ou militaire.

L'organisation de formations adéquates à l'attention des acteurs agissant aux différents niveaux des institutions de l'Etat, mais aussi de la société de manière générale, est également un élément essentiel à l'enracinement de la démocratie et de la culture des droits de l'Homme dans la société.

En somme, on constate que la réparation doit viser la restauration d'une règle de droit transgressée par l'arbitraire des violations, restaurant ainsi la confiance des victimes.

Paragr.2  Des mécanismes institués

Le but des mécanismes de réparation est de promouvoir la justice en remédiant aux violations flagrantes du droit international des droits de l'homme ou aux violations graves du droit international humanitaire. Le droit international a stipulé assez clairement qu'il existe un devoir de réparation. Mais si la question des réparations pose fondamentalement la problématique de la situation des victimes dans le cadre de la justice transitionnelle, c'est en raison de la consécration juridique du droit à réparation (A) qui précise les prérogatives des victimes (B).

A/ L'affirmation du droit à réparation

La réparation sert de lien entre le passé et l'avenir180(*). Elle a été décrite comme ayant « pour objectif de soulager les souffrances et de rendre justice aux victimes en supprimant ou en réparant dans la mesure du possible les conséquences de l'acte illégitime 181(*)». Il est important de veiller à ce que les tortionnaires et tous les autres auteurs de violations des droits de l'homme paient pour leurs crimes, mais il ne faut pas oublier leurs victimes. Souvent, les épreuves qu'elles ont endurées les ont traumatisées, ont bouleversé leur vie et les privent de toute perspective d'avenir. Pour que justice soit faite, les victimes doivent obtenir réparation. En effet, le droit à un recours et à réparation est un droit fondamental. Il est protégé par de nombreux instruments internationaux, dont la Convention européenne des Droits de l'Homme182(*). Les dispositions de nombreux autres instruments internationaux ont prévu le droit à un recours pour les victimes de violations du droit international des droits de l'homme183(*).

Le droit à réparation impose d'établir en effet « des principes applicables aux formes de réparation, telles que la restitution, l'indemnisation ou la réhabilitation, à accorder aux victimes ou à leurs ayants droit»184(*), enjoint l'Assemblée des Etats parties de créer un fonds au profit des victimes de crimes relevant de la compétence de la Cour, et au profit de leur famille, et charge la Cour de «protéger la sécurité, le bien-être physique et psychologique, la dignité et le respect de la vie privée des victimes185(*)» et d'autoriser la participation des victimes à tous les «stades de la procédure qu'elle estime appropriés186(*)».

Spécifiquement, il existe d'autres références. En effet, le statut du TPIR en son article 23, paragraphe 3 stipule dans le cadre des peines que le tribunal peut imposer : «  outre l'emprisonnement du condamné, la Chambre de première instance peut ordonner la restitution à leurs propriétaires légitimes de tous les biens et ressources acquis par des moyens illicites, y compris par la contrainte ». Cette disposition est reprise en détail dans l'article 105 du Règlement de procédure et de preuve du TPIR.

Par ailleurs, certaines dispositions des conventions régionales prévoient le droit à un recours pour les victimes de violations du droit international des droits de l'homme. On peut citer en particulier les dispositions des articles7 et 21 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples qui prescrivent comme obligations de l'Etat de veiller non seulement à prévenir les violations des droits de l'homme mais à réprimer les coupables et surtout à réparer les victimes de ces violations, que ce soit du fait de ses agents ou des tiers. L'article 25 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme et l'article 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales reprennent ce principe en prévoyant l'obligation de l'Etat de garantir une réparation juste, proportionnelle et équitable aux victimes des violations des droits de l'Homme187(*).

Mais c'est en 2000 que va émerger l'idée d'une codification globale des questions de réparations. L'ex- Commission des droits de l'homme de l'Onu a mis la question à l'étude. Elle a abouti à la présentation d'un Rapport final, sur "les principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations du droit international relatif aux droits de l'homme et au droit international humanitaire".188(*)

L'étude sera reprise dans un autre Rapport intitulé  « Ensemble revisité de principes fondamentaux et de directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes des droits de l'homme et du droit international humanitaire 189(*) ». Ce rapport sera adopté par la Commission des droits de l'homme dans sa résolution 2005/35 du 19 avril 2005 et par le Conseil économique et social dans sa résolution 2005/30 du 25 juillet 2005, résolution dans laquelle il a recommandé à l'Assemblée Générale d'adopter les « Principes fondamentaux et directives ». C'est ce qui est fait le 16 décembre 2005 par la Résolution 60/147. Cette Résolution a l'avantage de fusionner tous les éléments éparpillés dans les textes internationaux qui l'ont précédée. Elle participe à l'édification d'un ordre juridique international pour la sauvegarde des intérêts des victimes réaffirmant les principes juridiques internationaux de responsabilité, de justice et de primauté du droit.

B/ Les prérogatives des victimes

La Résolution précitée définit les victimes comme les personnes qui ont subi un préjudice, notamment une atteinte à l'intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, du fait de violations graves des droits de l'homme ou des violations graves du droit international humanitaire. Par extension et conformément au droit interne, on entend aussi par victimes les membres de la famille proche ou les personnes à charge de la victime directe. On a également les personnes qui ont subi un préjudice lorsqu'elles sont venues en aide à des victimes qui se trouvaient dans une situation critique.

Par ailleurs, une personne est considérée comme victime indépendamment du fait que l'auteur de la violation soit ou non identifié, arrêté, poursuivi, ou condamné et quels que soient les liens de parenté entre l'auteur et la victime.

La réalisation du droit des victimes est de la responsabilité des Etats. Ils doivent tenir compte des « Principes fondamentaux et directives », en promouvoir le respect les porter à l'attention des responsables de l'application des lois et les membres des forces militaires et de sécurité, des organes législatifs, des organes judiciaires, des victimes et de leurs représentants, des défenseurs des droits de l'homme et des avocats, des médias et du grand public. Ce devoir de vulgarisation devra précéder la longue chaîne des obligations étatiques à l'égard des victimes.

Au nombre de ces obligations, il y a d'abord le traitement qui doit être réservé aux victimes. Celles-ci doivent être traitées avec humanité. Des mesures appropriées doivent être prises pour assurer leur sécurité, leur bien-être physique et psychologique et la protection de leur vie privée, de même que ceux de leur famille. Pour ce faire, chaque Etat devrait veiller à ce que sa législation interne, dans la mesure du possible, permette aux victimes de violences ou de traumatismes de bénéficier d'une sollicitude et de soins particuliers, afin de leur éviter de nouveaux traumatismes au cours des procédures judiciaires et administratives destinées à assurer justice et réparation. Néanmoins, les victimes doivent être habilitées à rechercher et à obtenir des informations sur les causes qui ont conduit à leur victimisation, et avoir le droit d'apprendre la vérité sur les violations.

Ensuite, les victimes doivent avoir accès à la justice dans des conditions d'égalité(accès à un recours judiciaire utile, conformément au droit international, accès aux organes administratifs ainsi qu'aux mécanismes, modalités et procédures régis par la législation interne qui doit prendre en compte les obligations découlant du droit international qui visent à garantir le droit d'accès à la justice et à un procès équitable et impartial).

Enfin, il doit leur être fournie une assistance en mettant à leur disposition tous les moyens juridiques, diplomatiques et consulaires appropriés pour exercer leurs droits de recours, présenter des demandes de réparation et recevoir une réparation adéquate, effective, et rapide du préjudice subi.

CONCLUSION GENERALE

Après des violations massives des droits de l'Homme, qu'il s'agisse de génocide, de crimes de guerres ou de crimes contre l'humanité, la demande de justice se fait dans un contexte extrêmement difficile: le nombre d'atrocités et de victimes, l'ancienneté des faits, qui rend plus difficile la collecte des données et des preuves, constituent un travail presque insurmontable pour tout système judiciaire, en général, fragilisés par la crise.

Devant les limites de la justice ordinaire, la créativité des pays anglo-saxons a fait naître et se développer dans les années 90 la justice transitionnelle.

Ce concept est riche en ce qu'il permet de repenser de manière fondamentale la notion de justice dans nos sociétés, de questionner ses contours et de pulvériser nos certitudes.

Mais les défis assignés à la justice transitionnelle sont colossaux. Parvenir à éviter l'écueil d'une spirale de la vengeance en rendant possible la cohabitation entre ex-victimes et ex-bourreaux, passe par la recherche de la vérité et de la justice afin de réintégrer la victime dans sa dignité, de lui proposer des réparations, tout en trouvant des modes de punition alternatifs ou judiciaires pour les responsables afin de bannir l'impunité.

Ce simple énoncé ouvre le champ des difficultés que la justice transitionnelle se propose de résoudre. La justice transitionnelle ne doit en aucun cas être considérée comme un prêt à penser transposable d'une situation à l'autre. Elle revêt de multiples formes et les différentes expériences nous enseignent qu'il n'y a pas d'idéal type en la matière.

Comme nous l'avons fait remarquer dans notre étude, le processus de justice transitionnelle dans une société post conflictuelle est gouverné essentiellement par le principe de justice. Justice pénale pour les victimes et contre les criminels, justice réparatrice pour l'ensemble de la société, dont la cohérence et les interactions doivent être rétablies.

En effet, la justice transitionnelle permet de mettre en place un certain nombre de mécanismes répressifs et préventifs dans le domaine du droit et de la sécurité de l'Etat et des personnes. La répression, les réparations et la réconciliation sont les maîtres mots de cette entreprise. La consolidation de ces acquis et leur pérennité appellent un certain nombre de réformes dans les appareils de l'Etat.

La bonne gouvernance politique et économique fonde le développement des pays en transition, apportant ainsi une alternative à la violence comme moyen d'expression, de conquête politique et d'accumulation de richesses. L'implication des acteurs locaux dans l'adoption et la mise en place des politiques de développement, l'assainissement des comptes publics et la lutte contre la corruption concourent à cet équilibre étatique.

De même, s'il est vrai que la justice internationale joue souvent un rôle irremplaçable et complémentaire, la lutte contre l'impunité, la prévention des crimes internationaux les plus graves et la garantie durable du respect de l'Etat de droit et des droits de l'Homme ne relève pas de sa compétence exclusive.

Les Etats en transition se sont inspirés de plusieurs modèles de justice transitionnelle pour mettre en place des tribunaux ad hoc, mixtes et des CVR qui font souvent preuve d'originalité, tant dans leurs conceptions que dans leurs mandats. Les CVR prennent généralement en compte les différentes modalités de gestion des conflits des peuples. Ce fut le cas notamment en Sierra Léone avec les rituels traditionnels de réhabilitation, de purification et d'hommage aux morts et les procédés plus classiques d'audition et d'enquête qui ont débouché sur un rapport fixant les principaux enjeux de la consolidation de la paix. Il en est de même, en Afrique du Sud de la CVR créée en 1995 et dont l'objectif vise avant tout à guérir la société comme le note son président, Monseigneur Desmond Tutu :« le crime a porté atteinte à la relation et c'est cette blessure qui doit être guérie190(*)».

La mise en place de CVR permet ainsi d'assurer un droit à la vérité par le recours à des tribunaux traditionnels ou à des rites purificateurs permettant de confondre les responsables et de réhabiliter les victimes dans leur humanité. Comme on peut le constater, les mécanismes à la disposition de la justice transitionnelle ne passent donc pas seulement par des poursuites judiciaires devant les tribunaux.

De plus, ces processus revêtent la plus haute importance pour la reconstruction, pour l'unification et la paix.

Etant donné que les femmes figurent parmi les premières victimes des conflits armés, la justice transitionnelle est particulièrement indispensable pour elles. Mais il ne s'agit pas uniquement de satisfaire leur besoin de justice car beaucoup de femmes, soucieuses de l'avenir de leurs enfants, contribuent grandement au processus de cicatrisation et de réconciliation. Leur présence et leur action au sein des ONG de défense de droits humains, ces ONG ont contribué à la qualification explicite du viol en crime de guerre.

Les institutions de justice transitionnelle ont permis de poser les jalons des sociétés futures puisque des avancés considérables ont été obtenues dans la confiance des populations vis-à-vis de leurs institutions publiques, dans la reconstruction du tissu social et le rétablissement de la démocratie. Malgré tout, les Etats, en particulier les Etats africains, restent encore fragiles à cause des contraintes politiques, économiques, culturels et sécuritaires. Dans la sous région d'Afrique de l'Ouest, la Côte d'Ivoire et le Libéria sont, chacun à sa manière, entrain de renouer avec la stabilité pendant que la Guinée montre des signes de faiblesse. Plus loin dans la région des Grands lacs, le Burundi, le Sud Soudan, la RDC et l'Uganda semblent sortir progressivement du cycle de la violence.

Tout au long de cette étude, nous avons essayé de présenter des mécanismes de justice transitionnelle, c'est-à-dire les principaux procédés à mettre en oeuvre pour assurer une sortie de crise fiable et durable. Cependant, environ 45% des pays qui sortent d'une crise plus ou moins grave retombent dans les travers de la violence moins de cinq ans après la fin du conflit191(*). Les causes de cette rechute sont plus à rechercher dans la période d'avant le conflit que celle d'après.

Les clés de la compréhension et de la gestion des problèmes posés par une situation post-conflictuelle résident donc dans une analyse de la situation de stabilité qui a précédé le déclenchement de la guerre. Comprendre que les Etats en guerre aujourd'hui ont été fragiles avant le conflit et le seront après, détecter dans les sociétés en reconstruction post-conflictuelle des signes de fragilité permettront d'anticiper et de réduire les risques de transformation d'une crise éventuelle en une guerre effective.

Dès lors, convaincue que sans la vérité, la justice n'existe pas et que sans justice, l'impunité appelle la vengeance, le concept de justice transitionnelle, même imparfait, est la clé pour assurer une paix durable en empêchant le passé de ressurgir violemment.

Toutefois, cette étude a vocation à être poursuivie pour les questions relatives à la justice transitionnelle qu'elle n'a pu aborder ou approfondir, notamment en ce qui concerne la réinsertion des enfants soldats. Ensuite, du fait qu'elle a consacré certaines analyses des situations en cours, notre étude est soumise à l'évolution de la situation dans ces différents pays. Que ce soit au niveau de la situation politico institutionnelle ou de la création de nouvelles institutions nationales de gestion.

Enfin, ce travail est susceptible d'être complété par une analyse plus exhaustive des indicateurs de la fragilité de l'Etat et de la recherche des solutions à mettre en oeuvre pour endiguer l'évolution vers la violence.

BIBLIOGRAPHIE

* 159 D'une manière générale, on peut qualifier cette tendance de passage de la violence et de la répression à la démocratie.

* 160 Mark Freeman, op.cit, p. 9.

* 161 Priscilla B. Hayner, «Truth Commissions», the Encyclopaedia of Genocide and Crimes against Humanity, Macmillan Reference USA, 2004, vol. 3, pp. 1045-1047.

* 162 HCDH, Les instruments de l'Etat de droit dans les sociétés sortant d'un conflit : les commissions de vérité, New York et Genève, 2006, pp. 17-26.

* 163- Marc FREEMAN, op cit

* 164 L'article 16 de cet accord stipule: «pour établir un compte rendu impartial et historique des atteintes et des violations des droits de l'homme et du Droit international humanitaire en relation avec le conflit armé en Sierra Léone, depuis le début de la guerre civile en 1991 jusqu'à la signature de l'Accord de paix de Lomé, pour répondre à l'impunité et aux besoins des victimes, pour guérir les blessures de guerre, promouvoir la réconciliation et prévenir la répétition des violations et activités»

* 165 The Truth and Reconciliation Act 2000, Part III, 1.

* 166- « Rapport sur la justice transitionnelle dans le monde francophone : état des lieux », Division politique IV du département fédéral des affaires de la Confédération Suisse.

* 167 Franck Petit, « Informer sur la justice transitionnelle : Un manuel pour journalistes », BBC World Service Trust, mars 2008, p.40.

* 168 Paul James-Allen, Conférence sur la justice transitionnelle en Côte d'Ivoire, du 27 au 29 août 2008, Programme de ICTJ pour le Libéria.

* 169 La commission peut toutefois enquêter également sur des violences antérieures à 1979, à condition qu'elle soit saisie d'une requête spéciale d'individus ou d'organisations.

* 170 An Act to Establish the Truth and Reconciliation Commission (TRC) of Liberia, Article VII, g.

* 171 Le Congrès National Africain (ou ANC pour African National Congress en anglais) est un parti politique d' Afrique du Sud membre de l' Internationale socialiste. Créé en 1912, à Bloemfontein pour défendre les intérêts de la majorité noire contre la domination blanche, il fut déclaré hors-la-loi par le Parti National pendant l' apartheid en 1960. Il est relégalisé en 1990 alors que l'apartheid est aboli en juin 1991.

* 172 « Rapport sur la justice transitionnelle dans le monde francophone... » ; op. cit, p.34.

* 173«Interrogations, observations et conclusions tirées des rapports de René Dégni-Ségui », Génération Espoir, Genève 2, mars 1995, p.11.

* 174 Le système de sécurité est entendu ici de manière large, englobant la police, l'armée, les services de renseignement, les services de contrôle des frontières, les mécanismes de supervision des organes de sécurité et les organes judiciaires

* 175 Le mot «vetting» n'a pas encore de traduction généralement acceptée en français. On trouve notamment, entres autres traductions, dans les divers documents officiels de l'ONU, le terme d'«assainissement », qui est toutefois connoté et lié à la morale. Il s'applique plutôt à l'environnement et ne désigne pas le processus auquel est soumis chaque individu. La notion d' «épuration » est elle aussi inadaptée, car elle s'apparente aux processus de lustration, terme anglophone tiré du latin lustratio, qui désigne les processus qui se sont déroulés après la chute du bloc soviétique et qui écartaient les individus de l'institution sur une base plus ou moins arbitraire d'appartenance à une organisation, et non pas sur la base de leurs propres agissements. L'expression d' « examen d'intégrité » reflète, quant à elle, assez bien la notion de vetting. Enfin le terme « criblage » semble le plus adéquat et a déjà été utilisé en ce sens à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Malheureusement, il demeure peu connu et son usage impose à ce titre une explication quasi systémique.

* 176 Basic Principles and Guidelines on the right to remedy and reparation for victims of gross violations of international human rights law and serious violations of international humanitarian law, adoptés par l'Assemblée Générale des Nations Unies le 16 décembre 2005, Résolution A/RES/60/147.

* 177 Mark Freeman, op.cit. p. 12.

* 178 Questions fréquemment posées, Conseil International de Réhabilitation pour les Victimes de Torture (IRCT), mai 2007, p.2.

* 179 C. Bassiouni, Nations unies, E/CN.4/2000/62. Ils sont rapporteurs auprès des Nations unies sur la question de la réparation.

* 180 Yvan Conoir et Gérard Verna, Faire la paix: concepts et pratiques de la consolidation de la paix, Les presses de l'Université de Laval (PUL), 2005, p.76.

* 181 Conseil International de Réhabilitation pour les Victimes de Torture (IRCT), La réparation, www.irct.org.

* 182 Article 13 - Droit à un recours effectif : « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles »

* 183 Il s'agit en particulier des dispositions de l'article 8 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, de l'article 2 (3, a et c ) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de l'article 6 de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, de l'article 14 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et de l'article 39 de la Convention relative aux droits de l'enfant ; ainsi que de violations du droit international humanitaire, en particulier les dispositions de l'article 3 de la Convention de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre du 18 octobre 1907 (Convention IV), de l'article 91 du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I) du 8 juin 1977, et des articles 68 et 75 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

* 184 Article 75(1) du Statut de Rome de la CPI portant sur la réparation en faveur des victimes.

* 185 Ibid., Article 68(1) relatif à la protection et à la participation au procès des victimes et des témoins.

* 186 Ibid. article 68(3) relatif également à la protection et la participation au procès des victimes et des témoins.

* 187 C'est ce qui ressort du paragraphe 16 des Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et réparation des victimes de violations flagrantes du droit international relatif aux droits de l'homme et de violations graves du droit international humanitaire qui stipule en substance : « les Etats devraient s'efforcer de créer des programmes nationaux de réparation et autre assistance aux victimes lorsque la partie responsable du préjudice subi n'est pas en mesure ou n'accepte pas de s'acquitter de ses obligations ».

* 188- Voir Rapport final du Rapporteur spécial Chérif BASSIOUNI, (E/CN.4/2000/62 du 18 janvier 2000)

* 189- Voir Rapport de Théo VAN BOVEN et de Chérif BASSIOUNI, adopté le 13 /04 /2005 par le Conseil économique et social

* 190 Desmond Tutu, « Pour une justice réparatrice », Project Syndicate, 2006, in www.project-syndicate.org, (consulté te 5 novembre 2009)

* 191 Chiffre d'une enquête de Paul COLLIER cité par Jean-Marc CHATAIGNER et Hervé MAGRO dans Les Etats et Sociétés Fragiles, Karthala, Paris, 2007, p.

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