Reflexion sur la justice transitionnelle( Télécharger le fichier original )par N'taho Désitée Florine Victoire Roxann ODOUKPE Ucao/UUA - DEA 2009 |
B/ Les juridictions traditionnellesAu lendemain d'un conflit armé meurtrier, le sentiment largement partagé est que « la justice ne convainc pas150(*) ». Cette situation d'impuissance de la justice étatique a été prise en compte dans certains pays, notamment africains, qui recourent à des solutions alternatives. En effet, le système judiciaire classique n'a pas toujours été à la hauteur du contentieux né des violations graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire. Il est à la fois décimé du fait de la guerre et n'offre plus de garantie aussi bien pour les détenus que pour les victimes qui doivent attendre un délai irraisonnable avant d'être fixés sur leur sort. L'après génocide au Rwanda par exemple a révélé que les institutions chargées de respecter la loi, de rendre et d'appliquer les décisions de justice avaient cessé de fonctionner, que les bâtiments des tribunaux étaient saccagés, et que le pays ne comptait plus qu'une vingtaine de magistrats pour juger plus de cent vingt mille personnes arrêtées et détenues, dans des conditions inacceptables, pour crime de génocide, alors que la capacité des prisons avant les événements n'était que d'environ dix huit mille places. A raison de mille verdicts par an, il faudra alors plus d'un siècle à la justice classique pour vider les prisons et les cachots.151(*) Pour faire face à ce défi, le Rwanda va adopter en parallèle un système de justice participative qui s'inspire d'un processus traditionnel de résolution des conflits : les juridictions « gacaca152(*)». En son chapitre V consacré au pouvoir judiciaire, la constitution rwandaise de 2003 établit la distinction entre juridictions ordinaires et juridictions spécialisées. Les juridictions « gacaca » et militaires représentent les deux types de juridiction qui relèvent de cette dernière qualification153(*). L'insertion des gacaca dans le système judiciaire permet de percevoir la différence entre la forme traditionnelle des « gacaca », à savoir une assemblée communautaire investie d'une mission d'arbitrage et au fonctionnement librement fixé au niveau local, et le système actuel, véritable juridiction pénale à vocation rétributive dont le fonctionnement et le régime des sanctions sont fixés par une loi organique154(*). Il est important de rappeler qu'à l'origine, les gacaca permettaient de régler des différents de voisinage ou familiaux sur les collines. Elles étaient très éloignées des pratiques judiciaires modernes155(*). Il s'agissait d'une assemblée villageoise présidée par des anciens où chacun pouvait demander la parole. De nos jours, l'idée fondatrice du système de justice gacaca a été commandée par la surpopulation carcérale observée au Rwanda, au lendemain des massacres et des génocides de 1994. Un tel contexte a clairement mis en évidence l'impuissance des tribunaux ordinaires face à l'immense besoin de justice, dans un Rwanda traumatisé par les évènements d'octobre 1990 à juillet 1994. En dehors du Rwanda, les chefferies traditionnelles ont joué un rôle important en Sierra Léone. Elles ont été perçues par les populations comme un lien de stabilité identitaire qui a subsisté malgré les difficultés. Elles étaient investies dans la gouvernance, la justice, l'administration et se présentent par ordre hiérarchique. On distingue successivement le paramount chief, le chiefdom speaker, la section chief, le town chief dans les villes ou villages, le quater head dans les villes de taille moyenne, le tribal chief et le familly head. Les chefs traditionnels disposent d'un accès privilégié à l'espace symbolique auquel il est fait référence dans les cérémonies traditionnelles de réconciliation. Le paramount chief est une institution en charge de nombreuses responsabilités qui rendent incontournables sa participation au processus de justice et de réconciliation.156(*) En raison de leur caractère essentiellement traditionnel, la majorité des lois communautaires appliquées ne sont pas écrite et les possibilités de recours en appel sont limitées. Au Burundi, le « bushingantahe » a été investi pour jouer le même rôle que les « gacaca » au Rwanda et les chefferies traditionnelles en Sierra Léone. C'est un mécanisme juridique d'assise locale qui a longtemps protégé l'harmonie dans la prévention et la gestion des conflits.157(*) Contrairement au Rwanda et à la Sierra Léone où les juridictions traditionnelles ont servi la cause de la justice, la réactualisation du bushingantahe est en butte à des obstacles liés à la désignation de ses animateurs. Au Cameroun, les chefs bamiléké, quant à eux, pour entretenir des relations de bons voisinages et prévenir les conflits, ont coutume de procéder à des échanges de présents qui revêtent toujours une dimension fastueuse. L'envoi d'ivoire et de peaux de panthère étaient pour les chefs tributaires, signe d'allégeance158(*). Celui qui recevait était tenu, selon la coutume, d'en faire autant. Il se créa ainsi une logique de dons et de contre-dons qui généra une atmosphère de confiance, voire d'amitié apte à favoriser une déflation des tensions intercommunautaires. Bien qu'ils s'inscrivent dans le cadre de la justice rétributive, les mécanismes coutumiers se placent dans une certaine mesure dans la perspective de la réconciliation. Le caractère participatif, l'impunité qu'ils empêchent et la vérité qu'ils permettent de rétablir concourent à cet objectif. En définitive, la justice traditionnelle est généralement définie comme étant l'ensemble des mesures d'une part, judiciaires et/ou d'autre part, extrajudiciaires ou spécifiques imaginées par une société ou un pays, en vue de résoudre les questions de graves violations de droits humains commises à un moment déterminé de l'histoire, dans le but d'aboutir à une véritable réconciliation nationale. Chapitre II : LES MECANISMES SPECIFIQUES Rechercher la vérité sur les faits de violations participe de l'oeuvre de justice sans laquelle nul ne peut espérer une paix durable au sein de la société. La justice est à la fois l'alliée et l'auxiliaire de la paix qui dépend-elle-même des déterminants historiques de la société. Ainsi, à défaut de faire l'objet d'un regard univoque, ces déterminants ne doivent être édulcorés, au risque de réveiller les tensions qui ne peuvent s'apaiser que sous l'effet d'une vérité qui libère comme une lumière qui éclaire vers l'avenir. Si la justice restauratrice fait partie du processus de justice transitionnelle, c'est parce qu'elle ne dénie pas aux victimes leur droit à la justice. Mieux, elle propose une alternative qui garantit la reconnaissance du crime par le criminel et par l'Etat à travers la recherche de la vérité sur les violations et les réparations versées aux victimes De ce fait, le cadre de réalisation des mécanismes de justice restauratrice est articulé d'une part autour des commissions vérité et des réformes institutionnelles (Section1) et d'autre part, autour des mécanismes de réparation (Section2). * 150 Avocats Sans Frontières, Justice pour tous au Rwanda, rapport semestriel, Bruxelles, 1999, p38. * 151-«Rapport de synthèse de monitoring et de recherche sur la gacaca, phase pilote janvier 2002-décembre 2004 », décembre 2004, (www.penalreform.org) * 152 Prononcer Gatchatcha * 153- Article 143 de la Constitution de la République du Rwanda du 4 juin 2003, adoptée par référendum du 26 mai 2003, telle amendée par la Révision n°1 du 02/12/2003 de la Constitution de la République du 4 juin 2004, Journal Officiel, n° spécial du 02/12/2003, in Avocats sans frontières, « Vade mecum : les crimes de génocide et les crimes contre l'humanité devant les juridictions ordinaires au Rwanda », Kigali et Bruxelles, 2004, p.8 * 154-Loi organique n°16/2004 du 19 /06 /2004 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions gacaca chargées des poursuites et du jugement des infractions consécutives du crime de génocide et d'autres crimes contre l'humanité commis entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994, in Avocats sans frontières, op cit p.259 * 155 www.wikipédia.org (consulté le 27juin 2009). * 156-Jean Emile Vincent NKIRANUYE, « La justice transitionnelle en Sierra Léone : entre stratégies judiciaires et nécessités politiques » in Quelle contribution de l'Afrique de l'Ouest à la tradition universelle des droits de l'homme ? Denis MAGENEST et Théodore HOLO (Direction), Abidjan, Edition du CERAP, 2006, p.312 * 157-Christine DESLAURIER, « Le bushingantahe peut-il réconcilier le Burundi », in « Justice et réconciliation : ambiguïté et impensés » Politique africaine, Paris, Khartala, n° 92- décembre 2003, p. 76 * 158 Thierno Bah, « Les mécanismes traditionnels de prévention et de résolution des conflits en Afrique noire » in Les fondement endogènes d'une culture de la paix en Afrique, Fréderico Mayor, Edouard Matoko, UNESCO, 1999, p8. |
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