Impact du cadre réglementaire et institutionnel camerounais sur l'activité des établissements de crédits: cas du Crédit Foncier du Cameroun (CFC)( Télécharger le fichier original )par Jean Marie NGOMBA MVOGO Université Yaoundé II SOA - Diplôme d'Etudes Supérieures Spécialisées en Banques et Finance 2009 |
SECTION IICADRE INSTITUTIONNEL DES ETABLISSMENTS DE CREDIT : DES EFFETS SUR LE CREDIT BANCAIRE
La crise des subprimes27(*) qu'a récemment connu le marché du crédit immobilier américain est venue confirmer les effets pervers d'une analyse ainsi qu'une gestion pour le moins approximative des différents risques bancaires d'une part, et de la gravité des conséquences qui en découlent d'autre part. C'est que, les établissements financiers spécialisés dans la distribution des crédits immobiliers à risque, c'est-à-dire destinés aux agents économiques à faibles revenus ont connu des difficultés suite à l'incapacité de la plupart de ces agents à rembourser leurs emprunts en raison notamment de la remontée des taux d'intérêt et de la baisse des prix des maisons sur le marché immobilier. D'une manière générale, cette récente crise des prêts immobiliers aux Etats-unis et, qui a entraîné sinon la cessation d'activité des organismes bancaires et financiers spécialisés (prêteurs spécialisés), du moins d'importantes pertes financières28(*) pose d'une part le problème de l'efficacité de la réglementation attachée à de telles activités et d'autre part celui du cadre institutionnel qui accompagne la prévention et la gestion des risques inhérents à cette activité. Pour ce dernier cas, il se peut que ce cadre soit aujourd'hui une variable déterminante dans la mise en oeuvre d'une politique de prêt au sein d'un établissement de crédit, car contribuant désormais à l'éradication des asymétries d'informations entre prêteurs et emprunteurs. En effet, depuis les travaux pionniers d'Akerloff (1973) et d'Arrow (1963), les asymétries d'informations sont désormais reconnues comme entraves majeures à l'efficacité du marché du crédit, fut-il immobilier. Aussi dans l'optique de développer le marché du crédit, les pouvoirs publics à travers la mise en place par exemple de structures publiques(dispositifs institutionnels) constituant tout ou partie du cadre institutionnel peuvent influer sur le fonctionnement du marché du crédit et partant la prise de risque. Pour bien mettre en relief ces effets potentiels du cadre institutionnel sur la prise de risque bancaire ou simplement le crédit bancaire, il semble pertinent de recourir aux publications scientifiques en la matière. Cependant, seuls les aspects relatifs à l'information et à l'Etat de droit seront retenus. A) CADRE INSTITUTIONNEL : L'APPROCHE PAR L'ETAT DE DROIT 1-La question du droit dans le marché du crédit
Les travaux de Laporta et al. (1997, 1998,2000) ont mis en évidence l'impact de la qualité de l'environnement institutionnel dans son approche juridique sur la nature et l'efficience des marchés de capitaux et sur les performances des systèmes financiers. Ces travaux s'attardent sur le lien entre protection des droits des apporteurs de fonds (protection des investisseurs contre l'expropriation par les insiders (exclusivement), la nature et l'efficience des marchés de capitaux d'une part, et les performances du système financier dans son ensemble d'autre part. Il ressort de ces travaux que les droits qui régissent les relations entre les apporteurs de fonds (principal) et managers (agent) sont garantis par l'environnement institutionnel et juridique d'un pays. Cet environnement peut être un déterminant important de l'efficacité des mécanismes de gouvernance dans l'entreprise. En effet, les théoriciens de la contingence soulignent l'action volontariste des firmes face aux caractéristiques de leur environnement. Pour Burns et Stalker (1961), principaux tenants de cette théorie, il correspond à chaque type d'environnement un mode d'organisation adapté. Ces auteurs aboutissent à la conclusion que dans un environnement instable et turbulent, les structures dites « organiques », c'est-à-dire peu formalisées seraient plus adaptées, tandis que celles fortement formalisées « mécaniques » seraient plus efficaces dans un environnement stable. De la même façon, Lawrence et Lorsch (1967), ont également montré qu'il n'existe pas de bonne structure organisation, mais que certaines sont plus adaptées que d'autres dans certains environnements. Ainsi, pour eux, plus l'environnement est complexe, plus les entreprises se doivent de diversifier leurs activités. Transposé à notre étude, il reviendrait à dire à l'analyse d'un tel point de vue que dans un environnement complexe ou risqué, les établissements de crédit se verraient contraints de diversifier leurs activités. Autrement dit, le désintérêt général pour le crédit bancaire observé au sein des intermédiaires bancaires des économies des pays en développement notamment ceux des pays de la CEMAC, aux profits de ce que Bekolo-Ebe (in Touna Mama, La restructuration bancaire en zone Franc face aux défis de la mondialisation, 1998), qualifie de « [...] comportements de rentiers qui expliquent ici le paradoxe d'une forte liquidité bancaire dans les économies liquides où la volume des crédits croient lentement, voire, dans certains pays décroît régulièrement. », peut avoir pour origine principale la complexité de l'environnement institutionnel dans nos économies. Les travaux ci-dessous présentent de façon globale l'importance de l'environnement légal dans le fonctionnement des organisations bancaires et financières. Toutefois, la question de savoir quelles structures institutionnelles et juridiques au sens du « design institutionnel » sont appropriées dans l'encadrement des activités de crédit reste pendante. Autrement dit, quelles sont les règles du jeu à mettre en place ? Une première réponse, relevant de l'ordre juridique est donnée par Jost (2004 :20), lorsqu'il écrit que : « Du fait de l'évolution de la société, le droit est forcé d'évoluer afin de pouvoir continuer à réguler ». Cette affirmation montre que la conjoncture (environnement) juridique joue un rôle non négligeable dans certaines situations particulières de l'activité bancaire. Galesne(2004 :8), prenant le droit bancaire Français comme exemple soutient que : « [...] le caractère probable / improbable de la révision de la loi de 1985 sur les faillites a sans aucun doute influencé le comportement bancaire en matière d'octroi de crédit : jusqu'en 1992 période au cours de laquelle était improbable une telle modification, cet élément jouait probablement de manière restrictive sur l'offre de crédits bancaires aux entreprises, compte tenu du dépérissement constaté des garanties réelles, et du faible taux de récupération des créances bancaires en cas de dépôt de bilan de l'entreprise ; à l'inverse, à partir de cette date, la modification des textes apparaît de plus en plus probable, cette éventualité a dû jouer dans l'autre sens, l'établissement bancaire ayant alors en effet intérêt à soutenir ses clients en difficulté, fut-ce provisoirement, puisque ce soutien, même provisoire, devait lui permettre de bénéficier, en cas de dépôt de bilan, d'un texte nouveau lui assurant un maintien espéré du rang de ses créances privilégiées, et en conséquence un meilleur recouvrement de ses créances sur l'entreprise ».
La problématique de ce travail aborde l'impact du cadre réglementaire et institutionnel sur l'activité des banques. Au même titre que l'impact de la réglementation sur la prise de risque a été souligné29(*) ; il est ici question, en priorité, de mettre en exergue l'impact du cadre institutionnel, c'est-à-dire les institutions légales dans l'activité de crédit des établissements de crédit. Dans cette optique, il convient de noter dès le départ que le poste débiteur est un des postes les plus importants du bilan d'une banque. Dans l'hypothèse d'une défaillance d'un gros débiteur de la banque, l'effet pervers dû au nombre assez élevé de créances sur ses débiteurs justifie la mise en place de certaines mesures prudentielles, mais également répressives(Jost, 2004). Autrement dit, une des solutions de réguler les activités de crédits passe par la mise en oeuvre d'un système judiciaire répressif et donc contraignants pour les emprunteurs défaillants. Pour les tenants de la théorie des contrats explicites, Allen (1983), Stiglitz et Weiss (1983) les dispositions des contrats explicites doivent être contenues dans un acte juridique légal donnant droit, entre autres, aux poursuites judiciaires à l'encontre de l'emprunteur défaillant. La problématique sur le rôle des institutions sur l'activité de crédit par exemple serait alors plus intéressante du point de vue de la crédibilité même de ces institutions censées incarner le droit. Concernant la notion de crédibilité d'un système judiciaire, les travaux de Laporta et al. (1997), constituent un champ d'analyse de référence. En effet, ces auteurs parlant des législations concernant les droits de protection des potentiels créanciers et/ ou investisseurs trouvent dans leur modèle que le système du « civil law » inspiré du modèle judiciaire français garantirait moins les droits de propriété des agents économiques en comparaison par exemple avec le système de « common law » d'origine angloxasone. Ces auteurs soutiennent alors dans leur développement que la nature ainsi que l'efficacité des systèmes financiers à travers le monde est tributaire des différences qui existeraient dans les mécanismes de protection des investisseurs (créanciers) contre l'expropriation des « insiders ». Ce constat découlerait simplement du fait que la viabilité d'un système financier peut être vue comme le reflet de la bonne qualité des lois et de leur caractère contraignant. Concluant leur analyse, ces auteurs affirment que les pays où l'Etat de droit est une réalité c'est-à-dire le « common law » est en vigueur, le financement de l'économie est très développé tant pour la finance intermédié (établissements de crédit) que pour la finance direct (marché financier). D'une manière générale, il se dégage une corrélation entre les règles du jeu mises en place au sens du « design institutionnel » et l'activité des établissements bancaires. C'est pourquoi dans le souci de mettre en évidence ces règles institutionnelles, Morand (1999) écrit que : « L'Etat dispose d'une panoplie de moyens lui permettant d'orienter les comportements sans édicter des normes. Pour l'auteur en effet, la persuasion, la répression, l'information, la diffusion des connaissances constituent des ressources essentielles de gouvernance étatique (...) » 2- Système judiciaire comme garant des droits des créanciers L'apport des institutions notamment judiciaires dans le fonctionnement du marché du crédit a davantage été vu comme un moyen de contrainte efficace pour les mauvais débiteurs. Cette opinion a été largement scrutée dans la littérature bancaire par des auteurs comme Jappelli (2001), Levine (1998), Stiglitz et Weiss (1983). En effet, Jappelli et al (2001), dans leur modèle étudient l'impact du système judiciaire dans la politique d'offre de crédit des différentes provinces italiennes. L'hypothèse étant que le système judiciaire influence l'offre de crédit dans les banques de ce pays ; ces auteurs montrent que l'amélioration de l'efficience du système judiciaire est un facteur de réduction du rationnement de crédit et favorise une croissance du volume de crédit distribué. En d'autres termes, leur modèle met en relief une corrélation forte entre la protection des droits des créanciers (établissements de crédit) et l'encours des crédits distribués aux investisseurs. Levine (1998) abonde dans le même sens dans le cadre de ses travaux sur les facteurs contribuant au développement de l'intermédiation bancaire. Elle trouve que l'efficience du système judiciaire accroît la part du crédit distribuée par les banques commerciales dans l'économie. En particulier selon Hart (1995), cette efficience se trouverait dans le droit absolu reconnu aux créanciers de saisir et d'exécuter l'hypothèque et/ou la garantie offerte par le débiteur en cas du non respect par ce dernier de son engagement.
Dans une perspective de relation à long terme, Stiglitz et Weiss (1983) envisagent la possibilité pour une banque d'offrir des contrats explicites à deux périodes. Examinant les conditions sous lesquelles il est souhaitable d'utiliser un contrat contingent et celles sous laquelle un contrat contingent entraîne la dénonciation de la relation, les auteurs aboutissent à la conclusion selon laquelle, dans l'hypothèse d'incapacité de l'emprunteur à effectuer son remboursement à la fin de la première période, il peut être rationné par le banquier à la deuxième période ; celui-ci peut par exemple, lui infliger un taux d'intérêt élevé. La solution préconisée par Allen (1983) est bien plus sévère, car il propose l'exclusion de l'emprunteur du marché des crédits en cas de défaillance. De façon générale, les études empiriques ont établi un lien étroit entre la qualité de l'environnement légal et le développement financier (Laporta, Lopez-de-Silanes, Shleifer et Vishny 1998, Levine1999). Il est clairement établi dans ces études que les déterminants majeurs du développement financier sont la qualité de la loi et l'efficacité de son application. La qualité de la loi détermine le droit des créanciers sur la sécurisation des prêts et la possibilité de saisir les biens des emprunteurs défaillants. Pour donc encourager l'offre de prêts bancaires, ces dispositions légales doivent être clairement définies et mises en application. Aussi, la mise en application des ces dispositions requière l'existence des institutions fortes. Ainsi par exemple, un système judiciaire qui veille scrupuleusement au respect de la loi sur les droits du créancier améliorerait l'environnement des affaires à travers une faible corruption, une bonne définition des droits de propriété ainsi qu'un faible risque d'expropriation ou de dénonciation abusive des contrats. De cette analyse, il est à penser et à juste titre que dans les pays en développement caractérisés notamment par la faiblesse de leur environnement légal, les établissements de crédit ne soient encouragés à octroyer des prêts. En d'autres termes, l'environnement légal risqué pousse les banques à rationner les crédits alors qu'elles sont surliquides (Kpodar, 2003). Dans un tel contexte, la question du comment faire pour améliorer l'offre de crédit à l'économie s'avère cruciale pour les autorités publiques des ces pays. Pour donc améliorer le financement intermédié des entreprises, la mise en place d'un cadre légal des délais de paiements ainsi que l'institution d'un système d'escompte de créances ont été préconisés dans la littérature économique. Ces derniers ont d'ailleurs fait leurs preuves dans les pays développés (Pitiot, 2004). Ainsi, dans les pays en développement, ils pourraient être des moyens de contenir les risques d'accumulation d'impayés existants entre les établissements de crédit et leurs débiteurs.
Dans la même lignée, des auteurs ont examiné en profondeur la contribution de l'Etat dans le processus de mise en oeuvre d'un financement intermédié efficace dans les pays développés. Dans cette perspective Ferrary(1999 :10) déclare que : « L'Etat peut mettre en place des dispositifs institutionnels et juridiques de protection des investisseurs » car ajoute t-il : « Ces dispositifs permettent aux banques, d'une part, d'exiger des informations pour réduire l'asymétrie entre l'emprunteur et le prêteur, et d'autre part, de prendre des garantis(hypothèques, cautions, gages, nantissements) sur l'emprunteur et ses proches pour se prémunir des risques de défaillance ». Par ailleurs note t-il : « Les pouvoirs publics peuvent participer directement à la protection des prêteurs en punissant pénalement les emprunteurs défaillants ». Manove et al.,(2001) admettant de prime abord le principe du rôle significatif que joue l'Etat(mu en institutions) dans le développement de l'intermédiation financière examinent l'effet des institutions sur le comportement de l'emprunteur après que le crédit lui ait été accordé. Ces auteurs, en réaffirmant le rôle et même l'importance des institutions dans un tel processus, confirment dans leur modèle que le droit reconnu aux prêteurs de réaliser les garanties est essentiel pour prévenir les comportements opportunistes de certains débiteurs. Si, en guise de conclusion, l'on peut penser que la faiblesse de l'intermédiation financière dans les pays en développement peut avoir comme facteur explicatif majeur l'Etat de droit à travers ses mécanismes de protection des transactions économiques Pitiot (2004) précise toutefois que : « Le discrédit touchant les mécanismes de protection des transactions économiques peut être justifié. Certes les défaillances juridiques et institutionnelles peuvent perdurer, mais la plupart du temps, les problèmes ne peuvent être résolus en créant des institutions nouvelles, mais il s'agit d'activer efficacement celles qui existent en coordonnant au mieux leurs actions afin de les crédibiliser tout en diffusant l'information pertinente ». Les travaux théoriques précités dans cette section démontrent que l'environnement institutionnel dans son aspect juridique occupe une place importante dans le développement d'un système financier. Cependant, pour davantage développer l'activité de crédit, le système bancaire ne s'en accommoderait pas moins d'autres institutions à l'instar de celles dont la vocation est de lui faciliter l'accès à l'information. En effet, l'information a été reconnue au même titre que le capital comme facteur de production pour tout établissement de crédit (Dionne, 2004). Les travaux théoriques d'un auteur comme Stiglitz (1991), montrent en effet le rôle de l'information dans le jeu des acteurs économiques. De même, Marrek (1992) après avoir défini l'information, notamment économique comme : « [...] l'ensemble des données relatives aux agents et aux grandeurs de l'économie accessibles sans discrimination à tous ceux qui le souhaitent et acceptent de payer le prix », cherche à examiner le fonctionnement des différents marchés et partant celui du crédit d'une économie lorsqu'il existe une réelle possibilité d'échanger l'information, d'une part et l'apport sur l'activité dudit marché lorsqu'il existent des dispositifs publics ou privés spécialisés dans la production et la diffusion de cette information économique d'autre part. Cet auteur trouve que le marché du crédit fonctionne d'une manière optimale30(*) en l'absence d'asymétries d'informations et une contribution significative des dispositifs publics ou privés au fonctionnement optimal dudit marché. La partie suivante se propose d'exposer le concept d'asymétrie d'information (1) et de mettre en exergue l'apport du cadre institutionnel dans la recherche des moyens permettant de juguler ces asymétries (2) 1-La notion d'asymétrie d'information L'information est un facteur de production dans l'industrie bancaire et financière. De ce fait, les établissements de crédit sont tributaires aussi bien du coût que de la qualité de cette information (Goldlewski, 2004). Or, la qualité de cette information reste sujette à caution, car ces établissements pour la plupart des cas sont confrontés au problème d'asymétrie d'information davantage due à l'opacité informationnelle des emprunteurs. En ce sens, la théorie de l'intermédiation bancaire doit beaucoup à l'économie de l'information31(*) car en effet les asymétries d'informations permettent de comprendre l'émergence des intermédiaires bancaires. D'une manière générale, les asymétries d'information sont deux types : l'aléa moral et la sélection adverse. 1.1- L'alea moral Initialement démontré par Arrow (1963) dans un article portant sur le secteur d'assurance des soins médicaux, l' « aléa moral » est défini par Marshall (1976 :880) comme : « toute mauvaise allocation de ressource qui résulte de l'assurance de risque par des contrats normaux ». Simplement, l'aléa moral désigne une situation dans laquelle de futurs paiements liés à un contrat peuvent être influencés par des actions d'un agent, actions qui sont postérieures à la signature du contrat et qui ne sont pas toujours directement observables par l'autre agent. Ainsi, Arrow (1963) avait remarqué que le volume de soins médicaux était fonction du nombre de personnes en possession d'une assurance-maladie. Autrement dit, une personne qui aurait souscrit un contrat d'assurance aurait plus facilement tendance à consulter son médecin, étant donné l'absence de coûts d'une telle action après la signature du contrat. 1.2-La sélection adverse Formalisée quelques années plus tard par Akerlof (1970), la notion de sélection adverse désigne une situation dans laquelle les acheteurs d'un bien ne peuvent observer que la qualité moyenne des biens. Les vendeurs de biens de bonnes qualité se sentent insuffisamment récompensés par un prix moyen et se retirent du marché. Ne restent sur le marché que les biens de mauvaise qualité qu'Akerlof appelle les « lemons ». Il fournit entre autres l'exemple du marché des voitures d'occasion et explique ainsi la grande différence de prix entre les voitures neuves et les voitures d'occasions. 1.3-Interpretation et incidence de l'aléa moral et de sélection adverse 1.3.1-Interprétation générale des notions En réalité, les deux notions d'aléa moral et de sélection adverses sont des notions voisines. En effet, elles partent toutes les deux d'une situation caractérisée par une asymétrie d'information et la présence sur un marché de biens ou d'agents dont la qualité n'est pas homogène, voire indéterminable. La différence entre les deux notions est de nature temporelle. Alors que la sélection adverse part d'une situation avant la signature d'un contrat, l'aléa moral intervient après la signature d'un tel contrat. Dans le cas de la sélection adverse, il s'agit de faire le choix entre des biens ou des agents qui vont rester les mêmes après la signature du contrat, mais qui ne révèleront leur vraie identité qu'après la signature dudit contrat. Une situation d'aléa moral est quant à elle caractérisée par le fait que les agents peuvent changer de comportement après la signature du contrat. 1.3.2-Aléa moral, sélection adverse : implications sur le marché du crédit Transposée sur le marché du crédit, les deux notions posent pour la banque un problème. En effet, ces deux notions démontrent selon Fouda Owoundi (2005 :8) que : « [...] les asymétries d'information font naître chez l'emprunteur des incitations à dissimuler le véritable niveau de son risque au prêteur ». Dans cette logique, la sélection adverse est alors le corollaire de l'opacité des emprunteurs sur le risque et la rentabilité de leurs investissements potentiels. Cette asymétrie d'information conduit à une allocation du crédit inefficace et qui débouchent notamment à des phénomènes de rationnement du crédit. En effet, on pourrait concevoir qu'en présence du risque d'insolvabilité, la banque répondra par une juste tarification de ce risque sous la forme d'une prime de risque. Mais ceci a pour effet pervers d'accroître les taux d'intérêt et d'inciter certaines firmes à sortir du marché du crédit. La banque ne pourrait alors continuer à exiger ou fixer des taux d'intérêt supérieurs car seuls les plus mauvais emprunteurs seraient toujours candidats au prêt. Pour diminuer son risque, la banque préfère limiter le montant des crédits octroyés. Ce problème de sélection adverse peut être réduit si la banque exige des emprunteurs qu'ils lui donnent des collatéraux32(*) pour garantir le prêt. Car ces dernières offrent l'avantage de procurer une protection qui se matérialisera plus tard en cas de défaillance éventuelle, tout en maintenant quasiment stable les taux d'intérêt. Dans les modèles de Wette cité par Wamba et Tchamanbé (2002), Besanko et Thakor (1985), Chan et Kanatas (1985) ainsi que Stiglitz et Weiss (1985) le rôle de la garantie dans la décision d'octroi du crédit est examiné. Les auteurs basent leur argumentation sur les deux pouvoirs qu'aurait la garantie, à savoir un pouvoir dissuasif, qui limite l'aléa moral, et un pouvoir autosélectif, qui réduit la sélection contraire. En effet, ces auteurs considèrent la garantie et le taux d'intérêt comme un coût dans la mesure où, à un risque plus élevé, correspondrait une garantie et/ou un taux d'intérêt plus élevé. Concernant le pouvoir dissuasif, l'exigence des garanties élevées par le prêteur obligerait l'emprunteur à ne pas détourner le crédit obtenu vers des utilisations autres que le projet initial. Pour ce qui est du pouvoir autosélectif, les garanties et les taux d'intérêt élevés exigés par le prêteur amènent les seuls emprunteurs risqués à solliciter des crédits, car les emprunteurs moins risqués se retirent purement et simplement du marché. Autrement dit, l'idée défendue par ces auteurs est que la garantie peut être considérée comme une alternative à l'augmentation des taux d'intérêt. Cependant, cet effet sur les taux peut être biaisé dans certaines économies notamment celles des pays en développement. En effet, dans ces économies, particuliers et petites entreprises peuvent difficilement fournir des collatéraux adéquats à la banque ; la sélection adverse s'opère donc sur la base des taux d'intérêt élevés ce qui incitent les bons clients à se retirer du marché du crédit. Pour les grandes entreprises, elles proposent souvent des actifs financiers ou immobiliers mais cela peut s'avérer problématique dans les marchés en construction de ces économies, car ces marchés connaissent une variabilité importante du prix des actifs et cela fait courir un risque important aux prêteurs. (Sami et Delorme, 2003) De même, l'aléa moral dans ce contexte est l'action cachée ou simplement du comportement de l'emprunteur après l'obtention du prêt ; ce comportement est d'ailleurs directement relié au résultat du crédit. En effet ce résultat dépendra soit de la réalisation effective du projet pour lequel les fonds ont été levés ; soit de l'attitude éventuellement opportuniste que pourrait adopter l'emprunteur. 2-Cadre institutionnel comme moyen de lutte contre les asymétries d'informations dans l'industrie bancaire Pour résoudre le problème d'asymétries sur le marché du crédit, Akerlof (1970) et Arrow (1963), ont proposé aux établissements de crédit des solutions dont les plus citées sont connues sous les noms de « signalisation » et de « screening »33(*) qu'on considère comme modèle à signaux financiers34(*). L'idée générale est que c'est l'emprunteur qui signale la qualité de son projet au créancier à travers un certain nombre de variables de comportement. Pour les modèles à mécanismes incitatifs, c'est plutôt le créancier qui introduit dans les contrats de prêts des éléments qui incitent l'emprunteur à révéler sa qualité. Au rang de ces éléments figurent par exemple les taux d'intérêt, les garanties et la relation-clientèle. Il ressort de ces solutions que les prêteurs doivent produire les données donc ils ont besoin sur leurs emprunteurs (Padilla et Pagano, 2000). Goldweski (2004) pense, pour sa part, qu'une solution non moins efficace serait l'exploitation de l'information « hard », c'est-à-dire exogène aux établissements de crédit par le biais des dispositifs publics. Les travaux issus de ce courant de pensée, et s'intéressant en particulier à la relation information « hard » et prise de risque par les banquiers et autres financiers mettent bien en avant l'importance du traitement de l'information mais aussi des mécanismes de collecte de cette information. L'idée étant ici que l'échange d'information entre prêteurs sur la qualité des emprunteurs peut également être véhiculé par des institutions publiques et donc sous le contrôle des pouvoirs publics. D'un point de vue théorique, le développement des dispositifs institutionnels d'échange d'information (information hard) permet d'améliorer l'octroi des crédits bancaires et leur monitoring (Pagano et Jappelli, 1993)35(*). Alors que cette recherche d'information est longue et coûteuse à l'échelle individuelle, un mécanisme global d'échange d'information entre prêteurs se traduit par des économies d'échelles. Cette relation qui a retenu l'attention de bon nombre d'auteurs économiques a été vérifiée en particulier, dans les régions où l'activité d'intermédiation est encore en construction. Sami et Delorme (2003) recherchent l'effet concret qui peut découler de l'existence de tels dispositifs d'échange d'information au sein des établissements de crédit des économies en développement. Pour ces auteurs, l'historique de crédit d'un individu étant considéré comme un indicateur central de sa solvabilité, la mise en place d'un système d'échange de l'information entre prêteurs et /ou pour prêteurs se présente comme un enjeu pour améliorer l'évaluation du risque de défaut des emprunteurs dans ces économies. En outre, la part croissante des créances douteuses dans les actifs bancaires, plaide en faveur du développement de mécanismes institutionnels d'échange d'information en tant que mécanisme disciplinant pour le marché du crédit. Ces auteurs recommandent, pour la diffusion des données et dont l'information, la mise en oeuvre des dispositifs d'échange volontaire d'information qu'ils appellent « bureaux de crédit36(*) », ou des dispositifs d'échange d'information imposé par la régulation bancaire appelés « registres publics37(*) ». Concluant leur analyse, Sami et Delorme (2003 :5) en explorent de nouvelles horizons lorsqu'ils soutiennent que : « La création et le développement de ces registres publics de crédit permettraient aux autorités officielles d'obtenir des données à des fins de supervision prudentielle38(*) ». Demirguc-kunt et Maksimovic (1999), de leur coté analysent l'effet du caractère crédibilité des institutions sur les caractéristiques de prêts servis aux emprunteurs par les intermédiaires financiers. Le modèle présenté révèle une corrélation entre les caractéristiques des prêts, en particulier les échéances, et la qualité du cadre institutionnel. En effet, les résultats de leur travail attestent que lorsque le cadre institutionnel est « inefficient 39(*)» ou un facteur d'aggravation de coût notamment de transactions, les intermédiaires financiers ont tendance à davantage privilégier les emplois à échéance courte aux au détriments de ceux à échéance longue40(*). Diamond et Rajan cités par ces auteurs précisent que cette tendance s'expliquerait du fait qu'il soit davantage difficile pour les emprunteurs de crédits à échéance courte d'adopter des comportements opportunistes sous peine de voir leur réputation en pâtir. Epiloguant maintenant sur la nature des institutions susceptibles de contribuer au développement des activités bancaires et donc au crédit bancaire, Demirguc-kunt et Maksimovic (1999) voient en l'existence d'un marché financier développé un moyen efficace de diversification des activités dans l'industrie bancaire. Aussi, pensent-ils que de son efficacité découlerait une plus grande détention par les banques d'actifs (crédits) à long terme destinés aux financements des investissements en particulier sociaux. En outre, cette présence affecte favorablement la diffusion de l'information sur le marché du crédit, information utile aux potentiels investisseurs. S'inscrivant dans la même logique de recherche de voies et moyens permettant de juguler les asymétries d'informations entre prêteurs et emprunteurs pour espérer développer le crédit bancaire, Ferrary (1999) s'appesantit sur les actions possibles que peuvent entreprendre les pouvoirs publics. Pour l'auteur, aux moyens des dispositifs institutionnels, les pouvoirs publics peuvent participer, « à la socialisation de l'information par la création d'un fichier national de mauvais payeurs et d'une base de notation de la solvabilité des entreprises ». Pour Bekolo-Ebe (2006 :73) le rôle de l'Etat dans une telle situation est crucial. A ce propos justement, il note que : « [...] le rôle de l'Etat devient indispensable en tant que centre de collecte ou de production d'informations. Il peut le faire directement ou le confier à des organismes spécialisés » tels que les registres publics de crédit. Ces différents travaux revisités confirment le rôle important du cadre institutionnel dans l'émergence d'un marché du crédit efficace. En effet, les travaux aboutissent implicitement ou explicitement à la conclusion que : lorsque les établissements de crédit considèrent le cadre institutionnel comme un moyen de protection crédible face aux agents économiques opportunistes d'une part et comme instrument de collecte d'information sur leur potentielle clientèle d'autre part, la distribution du crédit bancaire est d'améliorée dans l'économie. Autrement dit, un cadre institutionnel de qualité accroît l'offre de crédits dans l'industrie bancaire. Espérer promouvoir le financement intérmédié dans une économie, en appelle donc à des ajustements et/ou des reformes au plan institutionnel dans les pays en développement en général et au Cameroun en particulier. La référence au cadre institutionnel concernant l'activité bancaire peut donner lieu à plusieurs explications ; cependant, la notre a épousé une seule logique qui selon Boyer (2002) peut être résumée dans: « [...] le contrôle des comportements opportunistes au sein d'une relation principal-agent...)».
* 27 Le « subprimemortgage » ou tout simplement « mortgage » ou crédit immobilier à risque consiste à accorder des prêts aux ménages les moins solvables (revenus insuffisants ou instables, défauts de paiement antérieurs...) à des taux les plus élevés et variables avec une garantie, pour le prêteur, la maison financée par le crédit. * 28 Pour faire face à ces importantes pertes financiers, les Banques centrales américaine (FED) et européenne (BCE) ont dues, dans leur zone d'émission respective, injecter 155.8 milliards d'euros en 2 jours et 62 milliards de dollars par jour (Source COBAC : document interne de travail, 2007) * 29 Voir Section I du travail * 30 Le fonctionnement d'un marché du crédit peut être dit optimal lorsque pour un niveau de risque donné l'offre de crédits sur ce marché est la plus élevée * 31 Les rapprochements entre l'économie de l'information et la théorie l'intermédiation bancaire sont mieux développés dans l'ouvrage de Mouilleseaux (1997). * 32 On entend par collatéral ou garantie tout mécanisme permettant de protéger un créancier contre une perte pécuniaire. Ainsi les hypothèques, les nantissements, les cautionnements sont des sûretés attachés à une créance. Il sert donc à limiter le coût de la défaillance. * 33 Par signalisation on entend le fait qu'un agent émet des signes pour indiquer sa qualité ou la qualité de ses biens à un autre agent. Selon Stiglitz (1973 :355), le sreening désigne l'identification : « de la qualité d'un bien parmi un grand nombre de biens de qualité différente ». * 34 Des auteurs comme Azariadis (1975), Bull (1983) et Grossman et Hart (1981) notent que l'apport personnel en capital, la structure financière et les versements de dividendes sont pour les établissements de crédit des signaux financiers crédibles pour évaluer la réputation des emprunteurs. 35 Dans le modèle de sélection adverse proposé par Pagano et Jappelli (1993), le partage de l'information améliore la sélection des emprunteurs et permet une meilleure estimation de leurs risques de défaut. * 36 En Asie, la création des bureaux de crédit est une réponse aux problèmes des banques et vise notamment à corriger les inefficiences des politiques de prêts dans ces établissements. En guise d'exemple, Les Philippines ont créé en 1982 un bureau de crédit pour améliorer la prise et la gestion du risque dans secteur bancaire. * 37 Sami et Delorme indiquent que tous les pays d'Amérique latine disposent d'un registre public de crédit. Ainsi, le Chili a une agence publique de renseignement depuis 1977 ; le Pérou dépuis1983 et le Venezuela depuis 1975. Les autres registres publics ont été créés dans les années 1990, notamment après la mise en évidence des difficultés récurrentes des systèmes bancaires. * 38 En outre, ce moyen alternatif de collecte de données pourrait contribuer à éviter toute manipulation des informations ou toute transmission de fausses informations. Car en effet, la qualité de l'information conditionne l'efficacité de la supervision prudentielle. * 39 Dans le sens cette étude inefficience désigne une situation dans laquelle les intermédiaire financières ne considèrent pas la qualité de l'Etat de droit (système judiciaire) comme un recours crédible pour l'arbitrage et la résolution des différents les opposants aux débiteurs, d'une part, et qui ne dispose pas de structures offrant une certaine lisibilité (information, garanties ...) sur le risque de l'emprunteur. * 40 Cet aspect des chose est préjudiciable pour les pays en développement qui engagés de lourds projets d'investissements à caractère social et qui nécessitent des financements assortis d'échéances de remboursements relativement long en ce qui concerne leurs engagements envers le système bancaire et financier. |
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