III.1 - La liberté comme condition
première de l'action.
Le postulat de Sartre, rappelons-le, est l'affirmation de la
liberté absolue de l'homme. Le nouvel humanisme qui dérive de ce
postulat tracera le chemin de la véritable libération de l'homme.
L'humanisme ne se réduit plus à ''l'anthropocentrisme"
et à la promotion de l'homme par les sciences et les arts, comme l'ont
édifié la Renaissance, Erasme, Montaigne. Avec Sartre,
l'humanisme devient la libération de l'homme de toutes formes
d'aliénations par l'affirmation de l'absoluité de
sa liberté. C'est, en d'autres termes, donner à
l'homme la possibilité de passer de "l'ignorance'' de
l'rtre-en-soi à "l'age de la raison", de l'rtre-pour-soi,
c'est-à-dire de l'homme responsable qui prend en main le projet de la
réalisation de son existence.
L'approche sartrienne de la liberté humaine ne se pose
pas dans le sens de penser selon les raisonnements déterministes ni du
libre arbitre, ni de la liberté. Il convient avant tout de
dégager des structures contenues dans l'idée mrme de l'action. De
prime abord, il est ici question de l'agir, des champs de l'agir qu'on ne doit
pas confondre avec le hasard, car pour Sartre : « agir, c'est modifier
la figure du monde, c'est disposer des moyens en vue d'une fin
»73, c'est produire un changement. Autrement dit, le fondement
ou le principe de l'action est l'intentionnalité en ce sens que sans
l'intention, on ne saurait pas imaginer un sens, une fin au fait. Sartre
illustre ce propos par l'exemple suivant que : « Le fumeur maladroit
qui fait, par mégarde, exploser un poudrier n'a pas agit [parce que
n'ayant pas d'intention ou de présupposés d'une fin à son
action] ; par contre, l'ouvrier chargé de dynamiter une carrière,
et celui qui obéit aux ordres donnés a agi lorsqu'il a
provoqué l'explosion prévue. Il savait en effet ce quil
faisait ou, si l'on préfère, il réalisait
intentionnellement un projet conscient »74. Ce qui ne
signifie nullement que l'on doit prévoir toutes les conséquences
de son acte, mais au moins l'on sait qu'en faisant ceci nous allons obtenir
l'explosion dans un temps relativement mesuré, mrme sans en avoir dans
l'esprit l'ampleur de toutes les conséquences.
En effet, agir, c'est réaliser ou mettre en oeuvre le
projet de ma pensée au sens où c'est par l'adéquation du
résultat et de l'intention qu'on pourra se rendre suffisant pour pouvoir
parler d'une action ; et donc l'action implique nécessairement comme
condition la
73 J.P. SARTRE, L'etre et le néant,
essai d'ontologie phénoménologique, Paris, Gallimard,
1943, p. 487.
74 Ibid., p. 487.
reconnaissance d'un néant, un "desideratum',
c'est à dire, un manque objectif ou encore une
négatité
Nous venons là d'évoquer la dualité
''conscience'' et ''intention' au sens où de
même que la conscience implique nécessairement un agent
extérieur, l'agir implique inconditionnellement une intention. C'est
dans cette intentionnalité de la conscience que
conditionnera sa pensée. En effet, la conscience n'a
point de dedans : elle n'est rien d'autre que le dehors d'elle-même.
Et c'est cette fuite absolue, ce refus d'être substance qui la
conséquent la caractériser comme
''être-au-monde'' ; et en cela, l'apport principal de
Sartre sera de définir l'être de la conscience comme
liberté en situation. Seule une conscience libre
dans le monde. Elle n'est jamais une liberté abstraite,
indépendante du milieu social physique dans lequel elle s'incarne, mais
elle est liberté concrète et individuelle en face des choses et
les hommes. En ce sens, la liberté ne consiste pas à contredire
la loi, mais à savoir l'interpréter et éventuellement la
dépasser. C'est le rôle d'une conscience more ou adulte. On
mais à savoir que le code a pour but le respect d'autrui.
Etre libre, c'est donc respecter l'autre même en l'absence du code.
L'homme est libre du fait qu'il est conscient des motifs qui
sollicitent son action, ces motifs sont déjà des objets
transcendants pour la conscience, ils sont dehors : « En vain
chercherais-je à m'y raccrocher, j'y échappe par mon essence par
delà les mobiles et motifs de mon acte [...] je suis condamné
à etre libre. L'homme est libre parce qu'il n'est pas soi mais
présence à soi »75. L'être qui est ce
qu'il est ne saura pas être libre. La liberté c'est
précisément le néant qui est au coeur de l'homme et qui
contraint la réalité humaine à se faire au lieu
d'être. Ainsi, pour la réalité humaine, être libre
c'est choisir. La liberté n'est pas un être, elle est l'être
même de l'homme c'est-à-dire son néant d'être,
autrement dit, l'homme n'est point d'abord avant d'être libre ensuite ;
mais il n'y a pas de différence entre l'être de l'homme et son
être libre. Sartre exprime cette idée dans cette formule
apparemment
75 Ibid., p. 495.
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paradoxale : « « Condamné à
être libre ; mais je ne puis jamais cesser d'être libre, même
dans les passions j'affirme ma liberté par le seul fait que
j'existe ».
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