III. 2 #177; Liberté et Facticité :
« situation de l'Etre ».
En considérant l'homme comme un être conscient et
par conséquent angoissant ; en proie à l'angoisse, exposé
à la tragédie existentielle, Sartre ne veut cependant pas limiter
le champ existentiel de l'homme à ces faits empiriques voire
pragmatiques qui ont motivé ses analyses de la facticité ou de la
contingence humaine.
L'homme est facticité, c'est-à-dire qu'il se
découvre ~tre là, lancé dans l'existence, être de
fait, une existence qu'il n'a pas lui-même voulue, mais à laquelle
il doit donner sens. Personne ne s'est choisie, personne ne s'est voulue.
Cependant on peut se choisir, se vouloir ; ce qui n'emprche que la
facticité soit avant tout pour l'homme une source d'angoisse, puisque
par ce caractère, l'homme se découvre contingent voire gratuit,
injustifié dès le départ, son existence n'a pas de sens.
C'est l'homme qui doit lui en donner un. Qu'est-ce donc la transcendance ?
Il s'agit de montrer ici que malgré son
caractère injustifié, l'homme n'est pas prisonnier de ce qu'il
est ; bien qu'il le soit sans pour autant l'avoir voulu. Par sa conscience, il
se dépasse gr~ce à la néantisation, cette capacité
de l'homme à s'assimiler ou à nier sa situation actuelle ou
présente pour vivre soit un événement postérieur ou
encore imaginer un meilleur avenir comme nous l'avions vu avec la mauvaise foi.
Au sens oil, par la conscience, nous nous exhilons du monde, de
nous-mêmes ; nous faisons face au monde, nous prenons conscience du
monde, par conséquent nous prenons la distance des autres.
L'homme est toujours au-dessus de soi, de sa
réalité ; jamais prisonnier de ce qu'il est : il se sent toujours
autre chose que ce qu'il est, hors d'atteinte, hors de sa
portée. D'où cette conception de l'existence dont Sartre parle
dans sa conférence du lundi 29 octobre 1945 "L'existentialisme est
un humanisme" en affirmant que « L'existence est transcendance ;
autrement dit, elle est un constant dépassement de ce qui est et de tout
ce que l'on est en tant qu'elle est avant tout un projet d'être vers un
possible que l'on n'est pas encore »76. C'est pourquoi,
l'exigence, dans L'être et le néant, de la liberté
comme l'unique voie par laquelle l'homme parvient toujours à plus que ce
qu'il est. Et c'est pour cette raison que Sartre critique l'humanisme de la
valeur.
76 J.P. SARTRE, L'existentialisme est un
humanisme, Paris, Gallimard, 1998, p. 76.
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Après la problématique de la contingence qui
fixe toute la recherche philosophique sartrienne, l'un des thèmes les
plus dominants de son existentialisme est la liberté. En effet,
l'existentialisme sartrien est une philosophie de la liberté. Il ne
s'agit plus d'une liberté proprement humaine posée comme
conséquence de la mort de Dieu. Mais il sera désormais question
d'une liberté ''absolue''. Si pour l'existentialisme sartrien
« il n'existe pas de nature humaine puisqu'il n'y a pas de Dieu pour
la concevoir »77, il existe cependant un postulat
incontournable qui justifie l'existence de l'homme exprimée dans cette
sentence : « la liberté est l'essence de l'homme ».
Cet à priori ne détermine pas une nature figée de l'homme,
mais au contraire il vient confirmer l'homme dans sa responsabilité, car
la liberté est ce par quoi il se réalise en tant qu'homme. Pour
notre auteur en effet, « on ne naît pas homme, on le devient
a» et c'est ce devenir qui fonde l'humanisme sartrien.
La liberté est peut 1tre en définitive la seule
détermination de l'humanité, l'ultime détermination de cet
itre particulier dans ce monde. On n'est pas homme sans liberté, ce
n'est pas une question d'opinion, « l'homme est condamné
à etre libre »78, pour se référer
à Bouffon, nous irons plus loin que Sartre en affirmant : « La
liberté c'est l'homme ». Chez Sartre, la liberté est la
transcendance du pour-soi, c'est-à-dire l'homme en tant qu'il est l'tre
de la conscience ; elle est ce par quoi l'homme se détermine, se choisit
et s'affirme par apport à toute altérité, autrui et le
monde. C'est donc son pouvoir de néantisation ou de négation face
jà la contingence et l'absurdité de l'existence. Dans ce sens,
Sartre écrira : « La liberté est liberté de
choisir, mais non la liberté de ne pas choisir. Ne pas choisir en effet,
c'est choisir de ne pas choisir »79. Ce qui signifie pour
le philosophe français que malgré la contingence et la
résistance de certaines situations face à la liberté,
« être libre ne signifie nullement obtenir ce qu'on a voulu,
mais se déterminer à vouloir -- au sens large de choisir
-- par soi-même. Autrement dit, le succès n'importe
aucunement à la liberté »80.
La liberté est toujours un projet qui engage notre
responsabilité. Il n'y a pas de déterminisme, l'homme
opère des choix. La facticité ou la contingence de la
liberté par rapport à la "situation de l'etre" à
savoir les conséquences imprévues de l'existence, la condition
historique n'est en rien un obstacle à la liberté. La
liberté échappe à tout conditionnement. A ce sujet Sartre
affirme : « Il n'y a de liberté qu'en situation et il n'y a de
situation que par la liberté. La liberté humaine rencontre
partout des résistances et des
77 Ibid., p. 29.
78 Ibid., p. 39.
79 J.P. SARTRE, L'etre et le néant,
essai d'ontologie phénoménologique, Paris, Gallimard,
1943, p. 541.
80 Ibid., p. 537.
obstacles qu'elle n'a pas crées ; mais ces derniers
n'ont de sens que dans et par le libre choix qu'est la liberté
humaine »81.
La liberté chez Sartre est absolue et infinie, comme la
volonté humaine chez Descartes est infinie82. L'homme est cet
~tre qui sait s'assumer, juger et décider ; de ce fait, tout ce qui lui
arrive lui est extérieur en raison même de la transcendance de sa
liberté. En somme, pour Sartre, la liberté est l'ultime
degré du salut de l'homme tout en étant ce qui, en fin de compte,
détermine l'homme.
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