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La vulnérabilité psychologique des jeunes femmes en situation de double contexte culturel

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par Camille PATRY
Université de Toulouse le Mirail - Master 1 psychologie 2009
  

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III/ LES SIGNES CLINIQUES

1/ L'angoisse

Il n'est d'expression plus direct d'un conflit interne que l'angoisse. De plus, Róheim (1943) assure que les systèmes de défense contre l'angoisse sont << l'étoffe même dont la culture est faite »31. Ainsi, nous sommes amenés à nous interroger quant aux modalités de défense contre l'angoisse des sujets dont la structuration culturelle peut s'avérer, à première vue, relativement précaire. Le point, dernièrement soulevé, qu'est la vulnérabilité spécifique aux sujets issus de l'immigration, illustre spécialement bien cette pensée. En effet, si on admet que la vulnérabilité est une moindre résistance aux excitations internes et externes qui sont ressenties comme excessives et faisant effraction (ce qui donne alors à la situation son aspect traumatique), on peut postuler que l'angoisse fera logiquement suite à celles-ci.

a) Définition de l'angoisse

L'angoisse est avant tout le retentissement physique d'un affect ; elle s'éprouve davantage que de pouvoir se verbaliser, dans une dialectique entre le corps et le psychisme. Freud (1926) affirme que l'affect d'angoisse est << angoisse devant quelque chose. Il s'y attache un caractère d'indétermination et d'absence d'objet ; dans l'usage correct de la langue son nom lui-même change lorsqu'elle a trouvé un objet, il est remplacé par celui de peur »32. Cette première qualification permet notamment de la différencier jusque dans ses accès paroxystiques, de l'anxiété et de l'effroi. En effet, l'effroi (Schreck chez Freud) correspond à l'état de terreur qui envahit le sujet lorsqu'il se trouve face un danger auquel il n'était pas préparé. Ici, la dimension de surprise est donc essentielle. L'anxiété, bien qu'elle puisse être issue de l'inconscient, fixe l'affect sur un objet redouté. L'angoisse quant à elle, a pour caractéristique générale de ne répondre à aucune cause objective. De plus, l'accès d'angoisse lie impressions psychologiques et manifestations physiologiques qui, même si elles peuvent êtres présentes dans les deux autres états cités, ont alors ici une allure beaucoup plus explosive. On peut ainsi résumer l'angoisse par ces trois traits pathognomoniques : << d'abord la survenance inopinée, inexpliquée et brutale, ensuite le cortège physiopsychologique

31 Róheim, G. Origine et fonction de la culture. Paris : Gallimard (1972). (p.127).

32 Freud, S. (1926). Inhibition, symptôme et angoisse. Paris : P.U.F (2005). (p.77).

d'oppression, d'écrasement, de mort menaçante, enfin l'impression de paralysie qui parait condamner le patient, ne serait-ce qu'une minute durant, à l'immobilité angoissée »33.

b) La théorie freudienne de l'angoisse

Freud a proposé deux grandes lignes théoriques de l'angoisse qui peuvent, à première vue, apparaître contradictoires. Néanmoins, nombre d'auteurs remarquent qu'elles ne se renient pas, mais permettent de penser toute la complexité de l'angoisse.

- La première conception freudienne

Dans cette première théorie, l'angoisse renvoie aux modalités économiques de l'appareil psychique, dans le sens où son apparition provient de la non satisfaction de la pulsion. C'est également dans cette conception que Freud fait la distinction entre angoisse devant un danger réel (Realangst) et angoisse névrotique.

L'angoisse devant un danger réel dépend des pulsions d'autoconservation, et se rapproche de l'effroi ; elle est liée à celui-ci en ce sens qu'elle est motivée par l'effroi objectivement repérable répondant à la situation de danger inattendu. L'objet est le danger survenu, mais il va naitre de cette situation un état émotionnel d'angoisse qui fait abstraction de l'objet. L'angoisse réelle pourrait ainsi être qualifié de compréhensible et Le Gall (1976) précise qu'elle est susceptible d'écarter l'effroi du trauma, consistant ainsi une réaction défensive. A l'inverse, Freud, dans Au-delà du principe de plaisir (1920), parle de l'angoisse névrotique, comme un accès libre et spontané, sans lien appréciable. La menace vient, ici, d'ailleurs. On peut alors rapprocher ce type d'angoisse de l'angoisse infantile. L'enfant est dans l'incapacité d'apprécier la situation dangereuse, il ne connaît pratiquement pas l'angoisse devant un danger réel. Par contre, Giudicelli (1983) définit l'angoisse infantile par la réaction de l'enfant « à la séparation d'avec la mère par une angoisse que rien ne vient combler ; la libido ayant pour vecteur l'objet maternel et lui seul »34. La libido se trouve donc inemployée, sans objet sur laquelle se porter, et c'est en cela que l'angoisse de l'enfant préfigure l'angoisse névrotique de l'adulte. Il existe toutefois une différence majeure entre les deux. Chez l'adulte, il ne s'agit plus d'une libido inemployée, mais d'une libido détachée de la représentation. On sait que la pulsion comporte, au niveau psychique, le double aspect de l'affect et de la représentation ; et lorsque les deux ne peuvent rester liés, cela provoque un conflit psychique. La représentation qui se trouve inacceptable est refoulée, tandis que la tension accumulée ne

33 Le Gall, A. (1976). L'anxiété et l'angoisse. Paris : P.U.F (1985). (p.28).

34 Giudicelli, S. (1983). Le concept d'angoisse. L'Evolution Psychiatrique, 48, pp. 655-673.

trouve d'autre issue et se décharge dans le moi sous forme d'angoisse. Ici, c'est donc le refoulement qui est à l'origine de l'angoisse, donnant naissance à une angoisse flottante, prête à s'attacher à n'importe quelle représentation pouvant lui servir de prétexte.

Freud note cependant que le processus névrotique ne se limite pas à ça, et qu'il existe bien des travestissements de cette décharge. Ainsi le travail du refoulement aboutit à des productions symboliques qui lient l'angoisse à une représentation plus stable qui devient lieu du danger ; il s'agit là d'un mécanisme de défense qui permet une certaine maitrise de cette angoisse par l'évitement de la situation angoissante, dont l'expression prototypique est bien sur la phobie.

- La deuxième conception freudienne

C'est dans Inhibition, symptôme et angoisse (1926) que Freud insiste sur la fonction de l'angoisse, faisant du moi la véritable instance maitresse de l'angoisse. Il définit alors le

signal d'angoisse comme une réaction du moi face au danger, qui utilise une petite quantitéd'angoisse dans le but de déclencher les opérations de défenses. On observe donc un premier
revirement dans la théorisation de l'angoisse, où celle-ci n'est plus issue du refoulement, mais
provoque le refoulement. La source de l'angoisse, quant à elle, peut être externe ou interne
(du ça ou du surmoi).

Une deuxième modification établit que l'angoisse suscitée n'est pas nouvelle, mais liée à la représentation ancienne d'une situation de danger qui fut inconnu à l'époque. Pour être plus clair, le danger qui menace fait écho à un danger déjà éprouvé, et le moi libère l'angoisse liée à celui-ci dans des proportions juste suffisantes pour susciter le refoulement de la motion dangereuse. Cependant, le danger inconnu n'étant pas le même selon les étapes du développement psychosexuel, l'angoisse prend une signification différente. Giudicelli (1983) précise ainsi que le signal d'angoisse apparait « devant toute perte imminente d'objet qui serait reviviscence, et de l'angoisse de séparation d'avec la mère dans l'Anté-OEdipe, et de l'angoisse de castration dans l'oedipe »35.

Or, il arrive que les capacités défensives du moi échouent à prévenir le danger. Freud reprend alors certains aspects fondamentaux de sa première théorie pour définir l'angoisse automatique qui, involontaire, surgit quand s'instaure une situation de danger analogue à la représentation ancienne, mais contre laquelle le moi ne peut lutter. Une manifestation du ça envahit ainsi le moi qui, débordé, ne peut que subir cette angoisse. Brusset (1976) explique que l'angoisse consiste alors en « une décharge du fait de la transformation brusque et

35 Ibid.

violente de la libido qui pénètre par effraction avant que l'élaboration ai pu jouer à son niveau »36.

A l'issue de ces lignées théoriques, on peut affirmer que la psyché humaine dispose de plusieurs possibilités, ce qui pousse certains auteurs à écarter le point de vue dichotomique des théories freudiennes de l'angoisse, au profit d'une vision unifiée d'une théorie des angoisses.

c) Les contemporains de Freud

- La stabilité structurelle

Malgré la particularité de l'angoisse d'apparaître sans objet, plusieurs auteurs s'accordent à décrire les formes d'expression de l'angoisse comme prédéfinies par la structure de personnalité du sujet. L'angoisse doit alors être référée de manière claire et précise à ces structures fondamentales qui articulent le développement et le fonctionnement psychique, et dont Bergeret (1972) souligne la stabilité et l'immuabilité. En effet, il assure que << la stabilité des structures vraies implique également du même coup une impossibilité foncière de passer de la structure névrotique à la structure psychotique (ou inversement) à partir du moment où un moi spécifique est organisé dans un sens ou dans l'autre »37.

Cet auteur propose ainsi une correspondance stable entre type d'angoisse et structure psychopathologique. Dans la structure névrotique, le moi est immuablement organisé autour du génital et de l'oedipe où l'angoisse névrotique proprement dite est l'angoisse de castration. C'est une angoisse de faute, centrée sur un passé érotisé. Dans la structure psychotique, la problématique est plus archaïque et les limites du moi demeurent << fragiles ». L'angoisse est une angoisse de morcellement ; elle apparaît sinistre, de désespoir, de repli et de mort. L'organisation limite occupe une position intermédiaire entre la structure névrotique et la structure psychotique ; Bergeret (1972) nous dit qu'elle est non réellement structurée au sens figé du terme, dans le sens où elle se présente comme une organisation plus fragile pouvant évoluer et se rapprocher d'une structure névrotique ou psychotique. Le moi a dépassé le danger de morcellement, mais n'a pas pu cependant accéder à une relation d'objet génitale. La relation d'objet demeure donc centrée sur une dépendance à l'autre, où l'angoisse est une angoisse de perte d'objet. C'est une angoisse de << manque à être », où la moindre perte d'objet affectif est vécue dramatiquement.

36 Brusset, B. (1976). L'angoisse chez l'enfant. Perspective psychiatrique, 56, n°18, pp. 118-127.

37 Bergeret, J. (1972). Psychologie pathologique théorique et clinique. Paris : Masson (2004). (p. 152).

Dans une perspective strictement structurelle, il s'agit donc d'analyser et de qualifier l'angoisse en référence à ces trois grandes organisations psychopathologiques.

- L'unicité du sujet

Chabert (1983) s'appuie sur les théories de Widlöcher pour affirmer que l'on peut contester cette position si << on considère qu'au sein d'une même organisation psychopathologique plusieurs registres de problématique peuvent se côtoyer et mobiliser des mécanismes de défense diversifiés »38 . Elle précise qu'il se dégage des rencontres cliniques un fonctionnement psychique qui n'illustre pas toujours la position drastique de Bergeret quant aux caractéristiques propres à chaque structure.

En outre, Widlöcher (1984) considère qu'une approche psychanalytique de la psychopathologie devrait utiliser au mieux les apports spécifiques de la situation thérapeutique. Il souligne en cela que la psychanalyse exploite la sémiologie originale donnée par le sujet. Ainsi, elle ne renvoie pas à une classification des maladies, mais s'efforce d'articuler les signes entres eux afin d'en dégager les modalités économiques, dynamiques et topiques, tout en dégageant le caractère d'unicité propre à chaque personne. Dès lors, même si la structure névrotique s'organise autour de l'oedipe et de l'angoisse de castration, on admet qu'elle puisse mettre en scène des problématiques hétérogènes dont il ressortira d'autres formes d'expression de l'angoisse.

d) L'approche cognitiviste

Force est de constater que le terme d'angoisse n'est pas pratique courante dans le modèle théorique cognitiviste. A l'inverse des positions précédemment observées, cette approche se différencie clairement des modèles psychanalytiques du psychisme humain. L'inconscient a ici un rôle nettement secondaire ; comme l'explique Cottraux (2001), les théories cognitivistes réfutent l'existence d'un << inconscient-réservoir » où stagnent des pulsions refoulées...ils décrivent un inconscient fait de schémas qui traitent l'information provenant du milieu extérieur »39. Et c'est sans doute pour cette raison que l'angoisse et l'anxiété sont deux termes interchangeables et confondus.

Le symptôme apparait par un traitement erroné et pathologique de l'information qui découle
des situations ambiguës. Il s'installe alors comme une habitude acquise par conditionnement.

38 Chabert, C. (1983). Le Rorschach en clinique adulte. Interprétation psychanalytique. Paris : Dunod (1997). (p. 207).

39 Cottraux, J. (2001). Les thérapies cognitives. Comment agir sur nos pensées. Paris : Retz.

Ainsi, ce modèle théorique explique l'anxiété par la présence de schémas de danger dont l'origine peut être à la fois biologique et psychosociale. Les individus anxieux focalisent leur perception de l'environnement et de leurs sensations physiques en fonctions de processus cognitifs dominés par la recherche systématique de possibles dangers. Ces schémas sont stockés dans la mémoire à long terme. Les distorsions cognitives aboutissent à un traitement erroné de l'information qui provoque une exagération du danger. L'anxiété est ainsi reliée à des situations déclanchantes et aux représentations mentales qui appréhendent ces situations. Pour être plus claire, une expérience antérieure de perte de contrôle sur l'environnement provoque de mauvaises croyances qui tendent à généraliser la peur de perte de contrôle à toutes les situations ultérieures se rapprochant de la première. L'anxiété a donc pour but de prévenir cet hypothétique retour des événements en évitant ces situations. Elle constitue cependant une réponse émotionnelle considérée comme inappropriée.

A la différence du modèle théorique psychanalytique, les cognitivistes postulent que l'anxiété est reliée à un événement situé dans la mémoire de l'individu, que nous qualifions de « traumatique >> et qui ne peut avoir eu lieu que dans la réalité extérieure, alors que la psychanalyse prend compte du caractère angoissant de certains fantasmes et certaines expériences inconscientes, ainsi que du caractère pulsionnel de l'angoisse.

2/ Les mécanismes de défense

Il est difficile d'évoquer l'angoisse sans mentionner les mécanismes de défense du moi qui sont liés à celle-ci, qu'ils en soient la source dans la première théorie freudienne de l'angoisse, ou le résultat dans la deuxième théorie freudienne.

a) La théorie psychanalytique

Les mécanismes de défense sont un concept psychanalytique qui décrit principalement les défenses inconscientes du moi face aux conflits intrapsychiques. Selon A. Freud (1936), la défense est principalement dirigée contre les pulsions, les représentations et les affects qui y sont liés : « Le moi n'est pas seulement en conflit avec les rejetons du ça qui essayent de l'envahir...il se défend avec la même énergie contre les affects liés à ces pulsions instinctuelles... Tous ces affects... se voient soumis à toutes sortes de mesures qu'adopte le moi pour les maitriser >>40.

40 Freud, A. (1936). Le moi et les mécanismes de défense. Paris : PUF (1996). p. 32.

De plus, dans la théorie freudienne, les mécanismes de défense rendent comptent de la formation des symptômes ; tout symptôme est considéré comme le produit d'un conflit défensif, et constitue un compromis entre la pulsion et la défense. S. Freud, à ce sujet, a postulé un lien intime entre des défenses particulières et des affections psychopathologiques déterminées. Ainsi, selon l'organisation psychopathologique du sujet, le système défensif prendra des formes cliniques spécifiques. Les mécanismes de défense se rattachent donc aux stades du développement psychosexuel tels que le sujet les aborde. On peut dès lors les placer sur un continuum allant des opérations défensives les plus archaïques utilisées par le nourrisson aux opérations défensives plus élaborées mises en place lors de l'abord de la génitalité. Néanmoins, il ne s'agit pas ici de distinguer les opérations défensives en entité adaptées ou inadaptées selon leur niveau d'élaboration. Tout d'abord, la classification des mécanismes de défense ne fait pas l'objet d'un consensus : « nous avons tant de peine à classer et à grouper les mécanismes de défense pour en faire une présentation théorique >>41. En outre, un sujet peut avoir recours à tout un éventail d'opérations défensives différentes qu'il articule entre elles. On peut aussi signaler qu'un mécanisme de défense d'un niveau archaïque peut se révéler utile dans une situation extrême.

Bergeret (1972) affirme qu'« un sujet n'est jamais malade parce qu'il a des défenses, mais parce que les défenses qu'il utilise habituellement s'avèrent comme soit inefficaces, soit trop rigides, soit mal adaptées aux réalités internes et externes, soit trop exclusivement d'un même type et que le fonctionnement mental se voit ainsi entravé dans sa souplesse, son harmonie, son adaptation >>42.

b) La classification des mécanismes de défense selon le DSM IV

Le DSM IV (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) est un manuel athéorique qui établit les critères diagnostics des différents troubles psychiatriques tels qu'ils sont reconnus dans la psychiatrie internationale. Selon ce manuel, « les mécanismes de défense sont des processus psychologiques automatiques qui protègent l'individu de l'anxiété ou de la prise de conscience des dangers ou des facteurs de stress internes et externes >>43. A l'inverse de la théorie psychanalytique, ce manuel propose une échelle de fonctionnement défensif qui classe hiérarchiquement les mécanismes de défense en sept niveaux allants des plus adaptés aux moins adaptés.

41 Id. p. 58.

42 Bergeret, J. (1972). Psychologie pathologique théorique et clinique. Paris : Masson (2004). (p. 104-105).

43 Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (1994). p. 751.

Ainsi, les deux premiers niveaux regroupent les mécanismes de défense qui sont classés comme adaptés. Le niveau adaptatif élevé assure une adaptation optimale aux facteurs de stress. On y retrouve l'humour, la sublimation, l'anticipation, la répression, l'altruisme, l'auto-observation, l'affiliation ou la capacité de recours à autrui, et l'affirmation de soi par l'expression des sentiments. Le niveau des inhibitions mentales et des formations de compromis regroupe les défenses que l'on associe souvent à l'organisation névrotique de la personnalité. Elles ont pour objectif de maintenir hors de la conscience des idées, affects souvenirs, désirs ou craintes potentiellement menaçant. Ce niveau comprend le refoulement, le déplacement, la formation réactionnelle, l'annulation, l'isolation, la dissociation et l'intellectualisation.

Les cinq niveaux suivant comprennent les mécanismes de défense qualifiés d'« immatures » ou inadaptés. Chabrol et Callahan (2004) précisent que « chez l'adulte, leur usage prédominant est mal adaptatif et habituellement lié à un trouble de la personnalité »44. Le niveau de distorsion mineure de l'image regroupent les défenses caractéristiques des personnalités limites et narcissiques qui visent la régulation de l'estime de soi. Il s'agit de la dépréciation, l'idéalisation, et l'omnipotence. Ce sont des opérations dérivées du clivage de l'objet ou du moi. Le niveau du désaveu concerne les défenses qui empêchent la prise de conscience de facteurs de stress, d'affects ou d'idées inacceptables. Ce sont les opérations de déni, de projection et de rationalisation. Le niveau de distorsion majeure de l'image comprend le clivage du moi ou de l'objet, l'identification projective, et la rêverie autistique. Le niveau de l'agir met en jeu un système de défense qui passe par l'action ou le retrait comme réponse au conflit. Il regroupe le passage à l'acte, le retrait apathique, la plainte associant demande d'aide et son rejet, et l'agression passive. Enfin, le niveau de la dysrégulation défensive décrit les mécanismes de défense caractéristiques des psychoses, qui se caractérisent par une rupture avec la réalité objective. Ce sont alors des défenses contre une désorganisation plus importante, et contre une angoisse d'anéantissement. On retrouve la projection délirante, et le déni psychotique et la distorsion psychotique.

On retrouve donc dans cette classification une description des principaux mécanismes de défense, qui se rattachent à un mode d'organisation de la personnalité selon les trois grandes organisations névrotiques, limites, et psychotiques.

44 Chabrol, H., Callahan, S. (2004). Mécanismes de défense et coping. Paris : Dunod. p. 33.

3/ La représentation de soi

Nous avons également remarqué que le conflit vécu par ces jeunes en situation d'entre-deux cultures se situe principalement entre les aspirations internes et les attentes qu'ils perçoivent de l'environnement, qui ne cessent de se contrarier. Or, S'il est une notion psychologique qui prend en compte cette dynamique, c'est bien la notion de << représentation de soi ». En effet, longtemps abordée à travers << l'image » en termes descriptifs, la représentation de soi semble apparaître comme l'émergence d'un processus complexe soumis à des variations internes et externes. C'est un concept qui englobe l'identité et les relations à l'environnement.

a) Perspective interactionniste et structurale

Dans cette perspective, la personnalité de l'individu est le résultat de l'interaction entre un univers intérieur et un monde extérieur. Ainsi, Clanet (1990) souligne que la personnalité doit être appréhendée à deux niveaux. Au niveau synchronique où elle est fonction des interactions de l'individu et de ses milieux socioculturels ; au niveau diachronique, où elle est fonction des interactions relatives au passé qui a modelé certaines structures, et de certaines exigences du présent auxquelles ces structures réagissent. L'environnement social et culturel, lorsqu'il est intériorisé, constitue donc le contenu même de la vie psychique.

G.H. Mead (1963), qui a été l'un des principaux auteurs qui ont influencé la perspective interactionniste, conçoit la construction de l'identité entre le << je » constituant la partie créatrice, et le << moi » davantage centré sur les rôles ; cette distinction permet d'éclairer l'influence de la société sur l'individu, mais aussi le pouvoir que celui-ci a d'agir sur le monde qui l'entoure. Selon lui, le << soi » est un processus dynamique qui émerge d'une interaction entre ces deux pôles ; le << je » représenterait le << soi » en tant que sujet, et le << moi » représenterait le << soi » en tant qu'objet. La représentation de soi se situe alors au niveau intra-individuel, mais dépend en même temps des rapports à autrui, et donc du niveau inter-individuel, dans le sens où celui-ci influence la façon dont le sujet construit son identité. L'identité est ici envisagée comme une structure de la représentation de soi qui se construit, comme le souligne Zavalloni (1986), par une perpétuelle négociation entre le << vouloir être » et le << devoir être » dans une dialectique entre l'intégration au groupe et les aspirations personnelles. La représentation de soi apparaît donc plus dépendante de l'environnement que dans d'autres approches.

b) Perspective cognitiviste

La conception cognitive postule que l'individu sélectionne toute information dans son histoire propre, mais aussi dans l'environnement en tant qu'il fait l'objet d'un encodage, puis les traitent pour construire des représentations internes de celles-ci. Il organise alors les informations qui le concernent en une représentation de soi qui va guider son comportement. Ainsi, dans cette perspective, la représentation de soi peut être considérée comme une cellule de traitement de l'information qui interprète et organise les événements et les expériences. Or, comme tout système de traitement de l'information, celui-ci peut produire des informations erronées qui viendront biaiser la représentation de soi. Elle peut à tout instant faire l'objet d'une évaluation engendrant une image de soi positive ou négative.

Mais la représentation de soi se présente aussi comme un processus dynamique pouvant prendre des allures de cercles vertueux ou vicieux. Ainsi, rétrospectivement, une représentation de soi positive ou négative a des impacts sur le traitement des informations venant de l'extérieur. Costalat-Founeau (1994) affirme qu'il est évident que des informations incongruentes par rapport à l'idée que l'on se fait de soi vont entrainer des désordres affectifs qui agiront sur la représentation de soi. Une des façons pour l'individu de réguler les affects est alors de ne choisir que les informations positives qui le concernent. A l'inverse, une représentation de soi négative amène l'individu à ne sélectionner arbitrairement que les informations qui la confirme.

Cette approche met donc l'accent sur la manière dont l'individu ordonne et traite toutes les informations le concernant pour construire activement sa représentation de soi et la réguler. L'environnement social est ici simplement considéré comme source d'information dont l'individu dispose ; il ne prend donc pas réellement un rôle actif dans la représentation de soi.

c) Perspective psychanalytique

Dans cette perspective, la représentation de soi accorde une place à l'environnement, mais plutôt dans la façon dont il est perçu par le sujet que dans son action présente sur la personnalité du sujet. Rausch De Traubenberg et Sanglade (1984) Définissent la représentation de soi comme une notion inconsciente qui inclut « tout autant l'image du corps que les relations qui gravitent autour de cette image, relations suscitées par cette image et qui la structure en retour »45. Il s'agit donc ici du sujet, tel qu'il se vit dans son corps et dans son univers relationnel. La notion de représentation de soi se réfère à l'identité en tant que

45 Rausch De Traubenberg, N. Sanglade, A. (1984). Représentation de soi et relation d'objet au Rorschach. Grille de représentation de soi. Revue de Psychologie Appliquée, vol. 34, 1, pp. 41-57.

capacité à reconnaître ses propres limites et à se concevoir comme unité en correspondance avec l'environnement et pourtant différent, mais également à la manière d'être au monde, c'est-à-dire à la capacité d'ouverture et d'intégration au monde qui va découler de cette identité.

Freud a maintes fois souligné le rôle primordial de l'environnement dans la construction de la personnalité. Pour lui, construire une identité dépend d'un moi envisagé dans une structure historique et sociale. C'est notamment à travers les processus d'identification, dans le sens où il existe une recherche de satisfaction qui oriente l'individu vers l'investissement libidinal des objets externes (et en particulier des objets d'amour), que le sujet se constitue un réseau de liens affectifs. La représentation de soi sera par conséquent fonction des conditions du développement libidinal, de la stabilité et de la souplesse des identifications, mais aussi témoin du type de relation d'objet du sujet.

Boizou, Chabert et Rausch De Traubenberg (1979) soulignent qu'elle va alors « de la simple ébauche du schéma corporel », dans ses aspects les plus régressifs, « à la réalisation de son unité vers la projection d'une image du corps sexué en situation dans le monde, face à l'autre, qui ouvre l'accès à l'identification et à la maturité »46. On peut ainsi comprendre la représentation de soi en référence au développement psychosexuel de l'individu dans le modèle psychopathologique.

d) Représentation de soi et image de soi

Nous avons remarqué que nombre d'auteurs ayant travaillé sur la représentation de soi y associent le concept d'image de soi. Nous avons nous-mêmes été amené à en faire usage dans notre recherche. Comme nous l'avons exposé précédemment, la représentation de soi est une notion inconsciente. A l'inverse, selon le dictionnaire de psychologie47, l'image de soi correspond à la représentation et à l'évaluation que l'individu se fait de lui-même. Rouvière (1994) précise que « l'image de soi concerne la représentation que le sujet se fait de ses capacités et de ses potentialités dans les différents domaines de sa vie personnelle et sociale et de ses possibilités à venir »48. Ainsi, il nous semble pertinent de définir l'image de soi comme l'équivalent de la représentation de soi au niveau conscient.

46 Boizou, M.F. Chabert, C. Rausch De Traubenberg, N. (1979). Représentation de soi. Identité, Identification au Rorschach chez l'enfant et l'adulte. Bulletin de psychologie, 339, 271-277.

47 Doron, R. Parot, F. (1991). Dictionnaire de Psychologie. Paris : P.U.F (2006).

48 Rouvière, H. (1994). L'estime de soi, l'image de soi et les stratégies de coping aux risques de la maladie, du cancer et du Sida. Thèse de doctorat dirigée par P. TAP. Université Toulouse II. p. 174.

PROBLEMATIQUE

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les phénomènes migratoires ont pris une ampleur considérable, donnant naissance actuellement à une grande diversité culturelle en France. Après l'intérêt relatif à l'intégration des populations migrantes elles-mêmes, nous sommes aujourd'hui à une époque où il est question de l'intégration des enfants d'immigrés. En effet, il est facile de constater que les enjeux de cette situation sont au coeur de polémiques véhiculées par les médias, que ce soit à travers le port du foulard islamique à l'école, le malaise des banlieues ou autres débats d'actualité.

Ces événements ont fait émerger chez les spécialistes des questionnements quant à la structuration culturelle et psychique de cette population qui a grandi dans ce double contexte culturel. Certains auteurs affirment que la position d'entre-deux cultures favorise l'établissement d'une « personnalité multiculturelle », qui retire de la pluralité des modèles culturels une richesse intérieure et des potentiels créateurs accrus. A l'inverse, d'autres auteurs admettent que l'intégration des deux modèles culturels demeure problématique, et constitue la source d'une structuration psychique précaire.

On sait maintenant que chaque modèle culturel prend une part active dans la structuration de la personnalité. Néanmoins, à la lumière du fonctionnement sociétal actuel en France, nous postulons que réunir les conditions favorables à l'émergence d'une construction de la personnalité multiculturelle source de bénéfices parait difficile. Dès lors, la situation d'entredeux cultures ne provoquerait-elle pas une certaine fragilité de la structuration psychique?

En regard de ces éléments, nous allons tenter de repérer certains signes d'une vulnérabilité psychique chez les participants à notre étude. Nous utiliserons dans ce but le test de Rorschach.

H01 se centrera sur l'expression d'un conflit psychique latent, à travers les manifestations de l'angoisse.

H02 aura pour objectif d'analyser les mécanismes de défense face au conflit, leur coût pour l'économie psychique et leur efficacité.

Plus précisément en rapport aux conflits d'appartenance entre les cultures, H03 étudiera les modalités d'investissement de la représentation de soi.

En vue de l'affiliation culturelle spécifique à cette population, H01 s'attachera à l'analyse normative des réponses au Rorschach, en comparaison avec les normes actuelles établies pour la population Française adulte.

Ensuite, nous apprécierons si ces hypothèses sont vérifiées. Puis nous pourrons discuter des résultats. Nous évoquerons notamment les problèmes méthodologiques se rapportant à l'utilisation des tests projectifs pour des cultures différentes de la culture occidentale. Nous comparerons également nos résultats à ceux d'une étude similaire sur certains points. Enfin, nous débattrons de l'intérêt de nos résultats pour la pratique clinique, et de la possibilité de les généraliser à une population plus grande.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius