III/ LES SIGNES CLINIQUES
1/ L'angoisse
Il n'est d'expression plus direct d'un conflit interne
que l'angoisse. De plus, Róheim (1943) assure que les systèmes de
défense contre l'angoisse sont << l'étoffe même dont
la culture est faite »31. Ainsi, nous sommes amenés
à nous interroger quant aux modalités de défense contre
l'angoisse des sujets dont la structuration culturelle peut s'avérer,
à première vue, relativement précaire. Le point,
dernièrement soulevé, qu'est la vulnérabilité
spécifique aux sujets issus de l'immigration, illustre
spécialement bien cette pensée. En effet, si on admet que la
vulnérabilité est une moindre résistance aux excitations
internes et externes qui sont ressenties comme excessives et faisant effraction
(ce qui donne alors à la situation son aspect traumatique), on peut
postuler que l'angoisse fera logiquement suite à celles-ci.
a) Définition de l'angoisse
L'angoisse est avant tout le retentissement physique
d'un affect ; elle s'éprouve davantage que de pouvoir se verbaliser,
dans une dialectique entre le corps et le psychisme. Freud (1926) affirme que
l'affect d'angoisse est << angoisse devant quelque chose. Il s'y attache
un caractère d'indétermination et d'absence d'objet ; dans
l'usage correct de la langue son nom lui-même change lorsqu'elle a
trouvé un objet, il est remplacé par celui de peur
»32. Cette première qualification permet notamment de la
différencier jusque dans ses accès paroxystiques, de
l'anxiété et de l'effroi. En effet, l'effroi
(Schreck chez Freud) correspond à
l'état de terreur qui envahit le sujet lorsqu'il se trouve face un
danger auquel il n'était pas préparé. Ici, la dimension de
surprise est donc essentielle. L'anxiété, bien qu'elle puisse
être issue de l'inconscient, fixe l'affect sur un objet redouté.
L'angoisse quant à elle, a pour caractéristique
générale de ne répondre à aucune cause objective.
De plus, l'accès d'angoisse lie impressions psychologiques et
manifestations physiologiques qui, même si elles peuvent êtres
présentes dans les deux autres états cités, ont alors ici
une allure beaucoup plus explosive. On peut ainsi résumer l'angoisse par
ces trois traits pathognomoniques : << d'abord la survenance
inopinée, inexpliquée et brutale, ensuite le cortège
physiopsychologique
31 Róheim, G.
Origine et fonction de la culture. Paris : Gallimard
(1972). (p.127).
32 Freud, S. (1926).
Inhibition, symptôme et angoisse. Paris : P.U.F (2005).
(p.77).
d'oppression, d'écrasement, de mort
menaçante, enfin l'impression de paralysie qui parait condamner le
patient, ne serait-ce qu'une minute durant, à l'immobilité
angoissée »33.
b) La théorie freudienne de
l'angoisse
Freud a proposé deux grandes lignes
théoriques de l'angoisse qui peuvent, à première vue,
apparaître contradictoires. Néanmoins, nombre d'auteurs remarquent
qu'elles ne se renient pas, mais permettent de penser toute la
complexité de l'angoisse.
- La première conception freudienne
Dans cette première théorie, l'angoisse
renvoie aux modalités économiques de l'appareil psychique, dans
le sens où son apparition provient de la non satisfaction de la pulsion.
C'est également dans cette conception que Freud fait la distinction
entre angoisse devant un danger réel (Realangst)
et angoisse
névrotique.
L'angoisse devant un danger
réel dépend des pulsions d'autoconservation, et se
rapproche de l'effroi ; elle est liée à celui-ci en ce sens
qu'elle est motivée par l'effroi objectivement repérable
répondant à la situation de danger inattendu. L'objet est le
danger survenu, mais il va naitre de cette situation un état
émotionnel d'angoisse qui fait abstraction de l'objet. L'angoisse
réelle pourrait ainsi être qualifié de
compréhensible et Le Gall (1976) précise qu'elle est susceptible
d'écarter l'effroi du trauma, consistant ainsi une réaction
défensive. A l'inverse, Freud, dans Au-delà du
principe de plaisir (1920), parle de l'angoisse
névrotique, comme un accès libre et spontané,
sans lien appréciable. La menace vient, ici, d'ailleurs. On peut alors
rapprocher ce type d'angoisse de l'angoisse infantile. L'enfant est dans
l'incapacité d'apprécier la situation dangereuse, il ne
connaît pratiquement pas l'angoisse devant un danger
réel. Par contre, Giudicelli (1983) définit
l'angoisse infantile par la réaction de l'enfant « à la
séparation d'avec la mère par une angoisse que rien ne vient
combler ; la libido ayant pour vecteur l'objet maternel et lui seul
»34. La libido se trouve donc inemployée, sans objet sur
laquelle se porter, et c'est en cela que l'angoisse de l'enfant
préfigure l'angoisse névrotique de
l'adulte. Il existe toutefois une différence majeure entre les deux.
Chez l'adulte, il ne s'agit plus d'une libido inemployée, mais d'une
libido détachée de la représentation. On sait que la
pulsion comporte, au niveau psychique, le double aspect de l'affect et de la
représentation ; et lorsque les deux ne peuvent rester liés, cela
provoque un conflit psychique. La représentation qui se trouve
inacceptable est refoulée, tandis que la tension accumulée
ne
33 Le Gall, A. (1976).
L'anxiété et l'angoisse. Paris : P.U.F
(1985). (p.28).
34 Giudicelli, S. (1983). Le
concept d'angoisse. L'Evolution Psychiatrique, 48,
pp. 655-673.
trouve d'autre issue et se décharge dans le moi
sous forme d'angoisse. Ici, c'est donc le refoulement qui est à
l'origine de l'angoisse, donnant naissance à une angoisse flottante,
prête à s'attacher à n'importe quelle représentation
pouvant lui servir de prétexte.
Freud note cependant que le processus
névrotique ne se limite pas à ça, et qu'il existe bien des
travestissements de cette décharge. Ainsi le travail du refoulement
aboutit à des productions symboliques qui lient l'angoisse à une
représentation plus stable qui devient lieu du danger ; il s'agit
là d'un mécanisme de défense qui permet une certaine
maitrise de cette angoisse par l'évitement de la situation angoissante,
dont l'expression prototypique est bien sur la phobie.
- La deuxième conception freudienne
C'est dans Inhibition, symptôme et
angoisse (1926) que Freud insiste sur la fonction de l'angoisse,
faisant du moi la véritable instance maitresse de l'angoisse. Il
définit alors le
signal d'angoisse comme une réaction du
moi face au danger, qui utilise une petite quantitéd'angoisse
dans le but de déclencher les opérations de défenses. On
observe donc un premier revirement dans la théorisation de
l'angoisse, où celle-ci n'est plus issue du refoulement,
mais provoque le refoulement. La source de l'angoisse, quant à elle,
peut être externe ou interne (du ça ou du surmoi).
Une deuxième modification établit que
l'angoisse suscitée n'est pas nouvelle, mais liée à la
représentation ancienne d'une situation de danger qui fut inconnu
à l'époque. Pour être plus clair, le danger qui menace fait
écho à un danger déjà éprouvé, et le
moi libère l'angoisse liée à celui-ci dans des proportions
juste suffisantes pour susciter le refoulement de la motion dangereuse.
Cependant, le danger inconnu n'étant pas le même selon les
étapes du développement psychosexuel, l'angoisse prend une
signification différente. Giudicelli (1983) précise ainsi que le
signal d'angoisse apparait « devant toute perte
imminente d'objet qui serait reviviscence, et de l'angoisse de
séparation d'avec la mère dans l'Anté-OEdipe, et de
l'angoisse de castration dans l'oedipe »35.
Or, il arrive que les capacités
défensives du moi échouent à prévenir le danger.
Freud reprend alors certains aspects fondamentaux de sa première
théorie pour définir l'angoisse
automatique qui, involontaire, surgit quand s'instaure une
situation de danger analogue à la représentation ancienne, mais
contre laquelle le moi ne peut lutter. Une manifestation du ça envahit
ainsi le moi qui, débordé, ne peut que subir cette angoisse.
Brusset (1976) explique que l'angoisse consiste alors en « une
décharge du fait de la transformation brusque et
35 Ibid.
violente de la libido qui pénètre par
effraction avant que l'élaboration ai pu jouer à son niveau
»36.
A l'issue de ces lignées théoriques, on
peut affirmer que la psyché humaine dispose de plusieurs
possibilités, ce qui pousse certains auteurs à écarter le
point de vue dichotomique des théories freudiennes de l'angoisse, au
profit d'une vision unifiée d'une théorie des
angoisses.
c) Les contemporains de Freud
- La stabilité structurelle
Malgré la particularité de l'angoisse
d'apparaître sans objet, plusieurs auteurs s'accordent à
décrire les formes d'expression de l'angoisse comme
prédéfinies par la structure de personnalité du sujet.
L'angoisse doit alors être référée de manière
claire et précise à ces structures fondamentales qui articulent
le développement et le fonctionnement psychique, et dont Bergeret (1972)
souligne la stabilité et l'immuabilité. En effet, il assure que
<< la stabilité des structures vraies implique également du
même coup une impossibilité foncière de passer de la
structure névrotique à la structure psychotique (ou inversement)
à partir du moment où un moi spécifique est
organisé dans un sens ou dans l'autre »37.
Cet auteur propose ainsi une correspondance stable
entre type d'angoisse et structure psychopathologique. Dans la structure
névrotique, le moi est immuablement organisé autour du
génital et de l'oedipe où l'angoisse névrotique proprement
dite est l'angoisse de castration. C'est une angoisse
de faute, centrée sur un passé érotisé. Dans la
structure psychotique, la problématique est plus archaïque et les
limites du moi demeurent << fragiles ». L'angoisse est une
angoisse de morcellement ; elle apparaît
sinistre, de désespoir, de repli et de mort. L'organisation limite
occupe une position intermédiaire entre la structure névrotique
et la structure psychotique ; Bergeret (1972) nous dit qu'elle est non
réellement structurée au sens figé du terme, dans le sens
où elle se présente comme une organisation plus fragile pouvant
évoluer et se rapprocher d'une structure névrotique ou
psychotique. Le moi a dépassé le danger de morcellement, mais n'a
pas pu cependant accéder à une relation d'objet génitale.
La relation d'objet demeure donc centrée sur une dépendance
à l'autre, où l'angoisse est une angoisse de perte
d'objet. C'est une angoisse de << manque à être
», où la moindre perte d'objet affectif est vécue
dramatiquement.
36 Brusset, B. (1976).
L'angoisse chez l'enfant. Perspective psychiatrique,
56, n°18, pp. 118-127.
37 Bergeret, J. (1972).
Psychologie pathologique théorique et
clinique. Paris : Masson (2004). (p. 152).
Dans une perspective strictement structurelle, il s'agit
donc d'analyser et de qualifier l'angoisse en référence à
ces trois grandes organisations psychopathologiques.
- L'unicité du sujet
Chabert (1983) s'appuie sur les théories de
Widlöcher pour affirmer que l'on peut contester cette position si <<
on considère qu'au sein d'une même organisation psychopathologique
plusieurs registres de problématique peuvent se côtoyer et
mobiliser des mécanismes de défense diversifiés
»38 . Elle précise qu'il se dégage des rencontres
cliniques un fonctionnement psychique qui n'illustre pas toujours la position
drastique de Bergeret quant aux caractéristiques propres à chaque
structure.
En outre, Widlöcher (1984) considère
qu'une approche psychanalytique de la psychopathologie devrait utiliser au
mieux les apports spécifiques de la situation thérapeutique. Il
souligne en cela que la psychanalyse exploite la sémiologie originale
donnée par le sujet. Ainsi, elle ne renvoie pas à une
classification des maladies, mais s'efforce d'articuler les signes entres eux
afin d'en dégager les modalités économiques, dynamiques et
topiques, tout en dégageant le caractère d'unicité propre
à chaque personne. Dès lors, même si la structure
névrotique s'organise autour de l'oedipe et de l'angoisse de castration,
on admet qu'elle puisse mettre en scène des problématiques
hétérogènes dont il ressortira d'autres formes
d'expression de l'angoisse.
d) L'approche cognitiviste
Force est de constater que le terme d'angoisse n'est
pas pratique courante dans le modèle théorique cognitiviste. A
l'inverse des positions précédemment observées, cette
approche se différencie clairement des modèles psychanalytiques
du psychisme humain. L'inconscient a ici un rôle nettement secondaire ;
comme l'explique Cottraux (2001), les théories cognitivistes
réfutent l'existence d'un << inconscient-réservoir »
où stagnent des pulsions refoulées...ils décrivent un
inconscient fait de schémas qui traitent l'information provenant du
milieu extérieur »39. Et c'est sans doute pour cette
raison que l'angoisse et l'anxiété sont deux termes
interchangeables et confondus.
Le symptôme apparait par un traitement
erroné et pathologique de l'information qui découle des
situations ambiguës. Il s'installe alors comme une habitude acquise par
conditionnement.
38 Chabert, C. (1983).
Le Rorschach en clinique adulte. Interprétation
psychanalytique. Paris : Dunod (1997). (p. 207).
39 Cottraux, J. (2001).
Les thérapies cognitives. Comment agir sur nos
pensées. Paris : Retz.
Ainsi, ce modèle théorique explique
l'anxiété par la présence de schémas de danger dont
l'origine peut être à la fois biologique et psychosociale. Les
individus anxieux focalisent leur perception de l'environnement et de leurs
sensations physiques en fonctions de processus cognitifs dominés par la
recherche systématique de possibles dangers. Ces schémas sont
stockés dans la mémoire à long terme. Les distorsions
cognitives aboutissent à un traitement erroné de l'information
qui provoque une exagération du danger. L'anxiété est
ainsi reliée à des situations déclanchantes et aux
représentations mentales qui appréhendent ces situations. Pour
être plus claire, une expérience antérieure de perte de
contrôle sur l'environnement provoque de mauvaises croyances qui tendent
à généraliser la peur de perte de contrôle à
toutes les situations ultérieures se rapprochant de la première.
L'anxiété a donc pour but de prévenir cet
hypothétique retour des événements en évitant ces
situations. Elle constitue cependant une réponse émotionnelle
considérée comme inappropriée.
A la différence du modèle
théorique psychanalytique, les cognitivistes postulent que
l'anxiété est reliée à un événement
situé dans la mémoire de l'individu, que nous qualifions de
« traumatique >> et qui ne peut avoir eu lieu que dans la
réalité extérieure, alors que la psychanalyse prend compte
du caractère angoissant de certains fantasmes et certaines
expériences inconscientes, ainsi que du caractère pulsionnel de
l'angoisse.
2/ Les mécanismes de
défense
Il est difficile d'évoquer l'angoisse sans
mentionner les mécanismes de défense du moi qui sont liés
à celle-ci, qu'ils en soient la source dans la première
théorie freudienne de l'angoisse, ou le résultat dans la
deuxième théorie freudienne.
a) La théorie psychanalytique
Les mécanismes de défense sont un
concept psychanalytique qui décrit principalement les défenses
inconscientes du moi face aux conflits intrapsychiques. Selon A. Freud (1936),
la défense est principalement dirigée contre les pulsions, les
représentations et les affects qui y sont liés : « Le moi
n'est pas seulement en conflit avec les rejetons du ça qui essayent de
l'envahir...il se défend avec la même énergie contre les
affects liés à ces pulsions instinctuelles... Tous ces affects...
se voient soumis à toutes sortes de mesures qu'adopte le moi pour les
maitriser >>40.
40 Freud, A. (1936).
Le moi et les mécanismes de défense.
Paris : PUF (1996). p. 32.
De plus, dans la théorie freudienne, les
mécanismes de défense rendent comptent de la formation des
symptômes ; tout symptôme est considéré comme le
produit d'un conflit défensif, et constitue un compromis entre la
pulsion et la défense. S. Freud, à ce sujet, a postulé un
lien intime entre des défenses particulières et des affections
psychopathologiques déterminées. Ainsi, selon l'organisation
psychopathologique du sujet, le système défensif prendra des
formes cliniques spécifiques. Les mécanismes de défense se
rattachent donc aux stades du développement psychosexuel tels que le
sujet les aborde. On peut dès lors les placer sur un continuum allant
des opérations défensives les plus archaïques
utilisées par le nourrisson aux opérations défensives plus
élaborées mises en place lors de l'abord de la
génitalité. Néanmoins, il ne s'agit pas ici de distinguer
les opérations défensives en entité adaptées ou
inadaptées selon leur niveau d'élaboration. Tout d'abord, la
classification des mécanismes de défense ne fait pas l'objet d'un
consensus : « nous avons tant de peine à classer et à
grouper les mécanismes de défense pour en faire une
présentation théorique >>41. En outre, un sujet
peut avoir recours à tout un éventail d'opérations
défensives différentes qu'il articule entre elles. On peut aussi
signaler qu'un mécanisme de défense d'un niveau archaïque
peut se révéler utile dans une situation
extrême.
Bergeret (1972) affirme qu'« un sujet n'est
jamais malade parce qu'il a des défenses, mais parce que les
défenses qu'il utilise habituellement s'avèrent comme soit
inefficaces, soit trop rigides, soit mal adaptées aux
réalités internes et externes, soit trop exclusivement d'un
même type et que le fonctionnement mental se voit ainsi entravé
dans sa souplesse, son harmonie, son adaptation
>>42.
b) La classification des mécanismes de
défense selon le DSM IV
Le DSM IV (Diagnostic and Statistical
Manual of Mental Disorders) est un manuel athéorique qui
établit les critères diagnostics des différents troubles
psychiatriques tels qu'ils sont reconnus dans la psychiatrie internationale.
Selon ce manuel, « les mécanismes de défense sont des
processus psychologiques automatiques qui protègent l'individu de
l'anxiété ou de la prise de conscience des dangers ou des
facteurs de stress internes et externes >>43. A l'inverse de
la théorie psychanalytique, ce manuel propose une échelle de
fonctionnement défensif qui classe hiérarchiquement les
mécanismes de défense en sept niveaux allants des plus
adaptés aux moins adaptés.
41 Id. p. 58.
42 Bergeret, J. (1972).
Psychologie pathologique théorique et
clinique. Paris : Masson (2004). (p. 104-105).
43 Diagnostic and Statistical
Manual of Mental Disorders (1994). p. 751.
Ainsi, les deux premiers niveaux regroupent les
mécanismes de défense qui sont classés comme
adaptés. Le niveau adaptatif élevé
assure une adaptation optimale aux facteurs de stress. On y
retrouve l'humour, la sublimation, l'anticipation, la répression,
l'altruisme, l'auto-observation, l'affiliation ou la capacité de recours
à autrui, et l'affirmation de soi par l'expression des sentiments. Le
niveau des inhibitions mentales et des formations de
compromis regroupe les défenses que l'on associe souvent
à l'organisation névrotique de la personnalité. Elles ont
pour objectif de maintenir hors de la conscience des idées, affects
souvenirs, désirs ou craintes potentiellement menaçant. Ce niveau
comprend le refoulement, le déplacement, la formation
réactionnelle, l'annulation, l'isolation, la dissociation et
l'intellectualisation.
Les cinq niveaux suivant comprennent les
mécanismes de défense qualifiés d'« immatures »
ou inadaptés. Chabrol et Callahan (2004) précisent que «
chez l'adulte, leur usage prédominant est mal adaptatif et
habituellement lié à un trouble de la personnalité
»44. Le niveau de distorsion mineure de
l'image regroupent les défenses caractéristiques des
personnalités limites et narcissiques qui visent la régulation de
l'estime de soi. Il s'agit de la dépréciation,
l'idéalisation, et l'omnipotence. Ce sont des opérations
dérivées du clivage de l'objet ou du moi. Le niveau
du désaveu concerne les défenses qui empêchent
la prise de conscience de facteurs de stress, d'affects ou d'idées
inacceptables. Ce sont les opérations de déni, de projection et
de rationalisation. Le niveau de distorsion majeure de
l'image comprend le clivage du moi ou de l'objet, l'identification
projective, et la rêverie autistique. Le niveau de
l'agir met en jeu un système de défense qui passe
par l'action ou le retrait comme réponse au conflit. Il regroupe le
passage à l'acte, le retrait apathique, la plainte associant demande
d'aide et son rejet, et l'agression passive. Enfin, le niveau de
la dysrégulation défensive décrit les
mécanismes de défense caractéristiques des psychoses, qui
se caractérisent par une rupture avec la réalité
objective. Ce sont alors des défenses contre une désorganisation
plus importante, et contre une angoisse d'anéantissement. On retrouve la
projection délirante, et le déni psychotique et la distorsion
psychotique.
On retrouve donc dans cette classification une
description des principaux mécanismes de défense, qui se
rattachent à un mode d'organisation de la personnalité selon les
trois grandes organisations névrotiques, limites, et
psychotiques.
44 Chabrol, H., Callahan, S.
(2004). Mécanismes de défense et coping.
Paris : Dunod. p. 33.
3/ La représentation de
soi
Nous avons également remarqué que le
conflit vécu par ces jeunes en situation d'entre-deux cultures se situe
principalement entre les aspirations internes et les attentes qu'ils
perçoivent de l'environnement, qui ne cessent de se contrarier. Or, S'il
est une notion psychologique qui prend en compte cette dynamique, c'est bien la
notion de << représentation de soi ». En effet, longtemps
abordée à travers << l'image » en termes descriptifs,
la représentation de soi semble apparaître comme
l'émergence d'un processus complexe soumis à des variations
internes et externes. C'est un concept qui englobe l'identité et les
relations à l'environnement.
a) Perspective interactionniste et
structurale
Dans cette perspective, la personnalité de
l'individu est le résultat de l'interaction entre un univers
intérieur et un monde extérieur. Ainsi, Clanet (1990) souligne
que la personnalité doit être appréhendée à
deux niveaux. Au niveau synchronique où elle
est fonction des interactions de l'individu et de ses milieux socioculturels ;
au niveau diachronique, où elle est fonction
des interactions relatives au passé qui a modelé certaines
structures, et de certaines exigences du présent auxquelles ces
structures réagissent. L'environnement social et culturel, lorsqu'il est
intériorisé, constitue donc le contenu même de la vie
psychique.
G.H. Mead (1963), qui a été l'un des
principaux auteurs qui ont influencé la perspective interactionniste,
conçoit la construction de l'identité entre le << je »
constituant la partie créatrice, et le << moi » davantage
centré sur les rôles ; cette distinction permet d'éclairer
l'influence de la société sur l'individu, mais aussi le pouvoir
que celui-ci a d'agir sur le monde qui l'entoure. Selon lui, le << soi
» est un processus dynamique qui émerge d'une interaction entre ces
deux pôles ; le << je » représenterait le << soi
» en tant que sujet, et le << moi » représenterait le
<< soi » en tant qu'objet. La représentation de soi se situe
alors au niveau intra-individuel, mais dépend en même temps des
rapports à autrui, et donc du niveau inter-individuel, dans le sens
où celui-ci influence la façon dont le sujet construit son
identité. L'identité est ici envisagée comme une structure
de la représentation de soi qui se construit, comme le souligne
Zavalloni (1986), par une perpétuelle négociation entre le
<< vouloir être » et le << devoir être » dans
une dialectique entre l'intégration au groupe et les aspirations
personnelles. La représentation de soi apparaît donc plus
dépendante de l'environnement que dans d'autres approches.
b) Perspective cognitiviste
La conception cognitive postule que l'individu
sélectionne toute information dans son histoire propre, mais aussi dans
l'environnement en tant qu'il fait l'objet d'un encodage, puis les traitent
pour construire des représentations internes de celles-ci. Il organise
alors les informations qui le concernent en une représentation de soi
qui va guider son comportement. Ainsi, dans cette perspective, la
représentation de soi peut être considérée comme une
cellule de traitement de l'information qui interprète et organise les
événements et les expériences. Or, comme tout
système de traitement de l'information, celui-ci peut produire des
informations erronées qui viendront biaiser la représentation de
soi. Elle peut à tout instant faire l'objet d'une évaluation
engendrant une image de soi positive ou négative.
Mais la représentation de soi se
présente aussi comme un processus dynamique pouvant prendre des allures
de cercles vertueux ou vicieux. Ainsi, rétrospectivement, une
représentation de soi positive ou négative a des impacts sur le
traitement des informations venant de l'extérieur. Costalat-Founeau
(1994) affirme qu'il est évident que des informations incongruentes par
rapport à l'idée que l'on se fait de soi vont entrainer des
désordres affectifs qui agiront sur la représentation de soi. Une
des façons pour l'individu de réguler les affects est alors de ne
choisir que les informations positives qui le concernent. A l'inverse, une
représentation de soi négative amène l'individu à
ne sélectionner arbitrairement que les informations qui la
confirme.
Cette approche met donc l'accent sur la
manière dont l'individu ordonne et traite toutes les informations le
concernant pour construire activement sa représentation de soi et la
réguler. L'environnement social est ici simplement
considéré comme source d'information dont l'individu dispose ; il
ne prend donc pas réellement un rôle actif dans la
représentation de soi.
c) Perspective psychanalytique
Dans cette perspective, la représentation de
soi accorde une place à l'environnement, mais plutôt dans la
façon dont il est perçu par le sujet que dans son action
présente sur la personnalité du sujet. Rausch De Traubenberg et
Sanglade (1984) Définissent la représentation de soi comme une
notion inconsciente qui inclut « tout autant l'image du corps que les
relations qui gravitent autour de cette image, relations suscitées par
cette image et qui la structure en retour »45. Il s'agit donc
ici du sujet, tel qu'il se vit dans son corps et dans son univers relationnel.
La notion de représentation de soi se réfère à
l'identité en tant que
45 Rausch De Traubenberg, N.
Sanglade, A. (1984). Représentation de soi et relation d'objet au
Rorschach. Grille de représentation de soi. Revue de
Psychologie Appliquée, vol. 34, 1, pp. 41-57.
capacité à reconnaître ses propres
limites et à se concevoir comme unité en correspondance avec
l'environnement et pourtant différent, mais également à la
manière d'être au monde, c'est-à-dire à la
capacité d'ouverture et d'intégration au monde qui va
découler de cette identité.
Freud a maintes fois souligné le rôle
primordial de l'environnement dans la construction de la personnalité.
Pour lui, construire une identité dépend d'un moi envisagé
dans une structure historique et sociale. C'est notamment à travers les
processus d'identification, dans le sens où il existe une recherche de
satisfaction qui oriente l'individu vers l'investissement libidinal des objets
externes (et en particulier des objets d'amour), que le sujet se constitue un
réseau de liens affectifs. La représentation de soi sera par
conséquent fonction des conditions du développement libidinal, de
la stabilité et de la souplesse des identifications, mais aussi
témoin du type de relation d'objet du sujet.
Boizou, Chabert et Rausch De Traubenberg (1979)
soulignent qu'elle va alors « de la simple ébauche du schéma
corporel », dans ses aspects les plus régressifs, « à
la réalisation de son unité vers la projection d'une image du
corps sexué en situation dans le monde, face à l'autre, qui ouvre
l'accès à l'identification et à la maturité
»46. On peut ainsi comprendre la représentation de soi
en référence au développement psychosexuel de l'individu
dans le modèle psychopathologique.
d) Représentation de soi et image de
soi
Nous avons remarqué que nombre d'auteurs ayant
travaillé sur la représentation de soi y associent le concept
d'image de soi. Nous avons nous-mêmes été amené
à en faire usage dans notre recherche. Comme nous l'avons exposé
précédemment, la représentation de soi est une notion
inconsciente. A l'inverse, selon le dictionnaire de psychologie47,
l'image de soi correspond à la représentation et à
l'évaluation que l'individu se fait de lui-même. Rouvière
(1994) précise que « l'image de soi concerne la
représentation que le sujet se fait de ses capacités et de ses
potentialités dans les différents domaines de sa vie personnelle
et sociale et de ses possibilités à venir »48.
Ainsi, il nous semble pertinent de définir l'image de soi comme
l'équivalent de la représentation de soi au niveau
conscient.
46 Boizou, M.F. Chabert, C.
Rausch De Traubenberg, N. (1979). Représentation de soi.
Identité, Identification au Rorschach chez l'enfant et l'adulte.
Bulletin de psychologie, 339, 271-277.
47 Doron, R. Parot, F.
(1991). Dictionnaire de Psychologie. Paris : P.U.F
(2006).
48 Rouvière, H.
(1994). L'estime de soi, l'image de soi et les stratégies
de coping aux risques de la maladie, du cancer et du Sida.
Thèse de doctorat dirigée par P. TAP.
Université Toulouse II. p. 174.
PROBLEMATIQUE
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, les
phénomènes migratoires ont pris une ampleur considérable,
donnant naissance actuellement à une grande diversité culturelle
en France. Après l'intérêt relatif à
l'intégration des populations migrantes elles-mêmes, nous sommes
aujourd'hui à une époque où il est question de
l'intégration des enfants d'immigrés. En effet, il est facile de
constater que les enjeux de cette situation sont au coeur de polémiques
véhiculées par les médias, que ce soit à travers le
port du foulard islamique à l'école, le malaise des banlieues ou
autres débats d'actualité.
Ces événements ont fait émerger
chez les spécialistes des questionnements quant à la
structuration culturelle et psychique de cette population qui a grandi dans ce
double contexte culturel. Certains auteurs affirment que la position
d'entre-deux cultures favorise l'établissement d'une «
personnalité multiculturelle », qui retire de la pluralité
des modèles culturels une richesse intérieure et des potentiels
créateurs accrus. A l'inverse, d'autres auteurs admettent que
l'intégration des deux modèles culturels demeure
problématique, et constitue la source d'une structuration psychique
précaire.
On sait maintenant que chaque modèle culturel
prend une part active dans la structuration de la personnalité.
Néanmoins, à la lumière du fonctionnement sociétal
actuel en France, nous postulons que réunir les conditions favorables
à l'émergence d'une construction de la personnalité
multiculturelle source de bénéfices parait difficile. Dès
lors, la situation d'entredeux cultures ne provoquerait-elle pas une certaine
fragilité de la structuration psychique?
En regard de ces éléments, nous allons
tenter de repérer certains signes d'une vulnérabilité
psychique chez les participants à notre étude. Nous utiliserons
dans ce but le test de Rorschach.
H01 se centrera sur l'expression d'un conflit
psychique latent, à travers les manifestations de
l'angoisse.
H02 aura pour objectif d'analyser les
mécanismes de défense face au conflit, leur coût pour
l'économie psychique et leur efficacité.
Plus précisément en rapport aux conflits
d'appartenance entre les cultures, H03 étudiera les
modalités d'investissement de la représentation de
soi.
En vue de l'affiliation culturelle spécifique
à cette population, H01 s'attachera à l'analyse
normative des réponses au Rorschach, en comparaison avec les normes
actuelles établies pour la population Française
adulte.
Ensuite, nous apprécierons si ces
hypothèses sont vérifiées. Puis nous pourrons discuter des
résultats. Nous évoquerons notamment les problèmes
méthodologiques se rapportant à l'utilisation des tests
projectifs pour des cultures différentes de la culture occidentale. Nous
comparerons également nos résultats à ceux d'une
étude similaire sur certains points. Enfin, nous débattrons de
l'intérêt de nos résultats pour la pratique clinique, et de
la possibilité de les généraliser à une population
plus grande.
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