PARTIE THEORIQUE
I/ LA CULTURE ET L'INDIVIDU
1/ La culture : un essai de
définition
Il n'existe pas d'homme sans culture. Il est donc
nécessaire d'appréhender le concept de culture, qui reste
cependant complexe. Dans l'avenir d'une illusion
(1927), Freud considère la culture comme ce qui distingue l'homme de
l'animal ; et déjà bien avant, en conclusion de
Totem et Tabou (1913), il rapprochait l'histoire des
différentes cultures de l'évolution de leurs réalisations
artistiques, sociales, morales et religieuses. Effectivement, si l'on se
réfère au dictionnaire, le sens commun donné est :
<< ensemble des structures sociales et des manifestations artistiques,
religieuses, intellectuelles qui définissent un groupe, une
société par rapport à une autre
»2.
En se recentrant sur une conception plus
psychologique, nous constatons que de nombreux auteurs ont cherché
à déterminer les modalités d'inscription de la culture
dans la structuration de la personnalité. Lacan (1966), dans
Ecrits, envisage la culture comme s'inscrivant au
plus profond du sujet, dans la structure même du discours. Il
précise que pour l'enfant, un mot puise sa signification profonde dans
ses rôles immédiats, l'un d'intégration au réel du
quotidien et à la culture adoptée par les parents, et l'autre
vécu d'une réalité intérieure se rattachant
à une culture idéale qui passe dans l'imaginaire. Force est alors
de constater que la culture s'inscrit à de multiples niveaux qui rendent
compte du vécu individuel de celle-ci. Elle est un lien entre la
réalité psychique et l'environnement de l'individu.
Winnicott (1975) a conceptualisé le lieu
où se créer ce lien comme une troisième aire, celle de
<< l'expérience culturelle » : << Si cette aire doit
être considérée comme une part de l'organisation du moi,
c'est là une part du moi qui n'est pas un moi-corps, qui n'est pas
fondée sur le modèle d'un fonctionnement du corps, mais sur les
expériences du corps » 3. Il précise que
l'expérience culturelle prend tout son sens sous le terme freudien de
<< sublimation ». Nous ne connaissons de meilleur exemple de
sublimation que l'art. Freud
2 Le Petit Larousse
Illustré (1992).
3 Winnicott, D.W. (1971).
Jeu et réalité. Paris : Gallimard
(1975). (p140).
note à ce sujet : << l'art accomplit par
un moyen particulier une réconciliation des deux principes (principe de
réalité et principe de plaisir) »4. Ainsi nous
comprenons davantage que Ben Slama (1983) nomme << processus tertiaires
» les fonctions psychiques à l'oeuvre dans la culture, qui
dès lors réconcilieraient les processus primaires et les
processus secondaires.
Or, une dimension du non-moi se joue également
dans ces processus. La culture recouvre un univers de significations
utilisées par les membres d'un groupe ; elles permettent notamment
l'établissement d'un code commun de compréhensions et de
réactions au monde que nous pouvons désigner comme le cadre
culturel, formation relativement immuable dans un espace culturel
donné.
Kaës (1998) précise que << la
culture soutient le processus de la structuration en introduisant le sujet
à l'ordre de la différence, spécialement dans les rapports
décisifs des sexes et des générations, à l'ordre de
la langue et à l'ordre de la nomination, c'est-à-dire au
système de désignation du sujet dans sa place dans une
généalogie, dans sa position sexuée, dans son affiliation
sociale et culturelle »5.
2/ Culture et psychisme
De nos jours, les médias, à l'instar des
enjeux de l'intégration des populations d'origines biculturelles
à la société d'accueil, dévoilent fort bien
l'affrontement des spécialistes de la psychologie interculturelle au
sujet des particularités culturelles propres à chacun et des
principes d'universalité du psychisme humain.
a) L'universalisme
Nombre de cliniciens s'en tiennent à
l'universalité des processus psychiques. Freud (1913) affirme dans
Totem et Tabou l'existence d'une structure psychique
commune à tous les êtres humains quels que soient leur
appartenance et leur cadre culturel. Il induit ainsi que l'inconscient est un
invariant culturel. Cette thèse repose sur le constat que les conditions
psychologiques de la naissance et du développement de tout individu sont
analogues partout, et de ce fait, peu soumises aux facteurs culturels. Freud
reconnaît le rôle primordial et universel de la sexualité
infantile. C'est autour du modèle oedipien (que Freud entend
4 Freud, S. (1911).
Formulation sur les deux principes du cours des événements
psychiques. Psychanalyse à
l'Université, 14, 1979. (p 194).
5 Kaës, R. (1998).
Différence culturelle, souffrance de la langue et travail de
préconscient dans deux dispositifs de groupe. In : R, Kaës et al.
(Ed), Différence culturelle et souffrances de
l'identité (pp. 45-87). Paris : Dunod. (p. 46).
retrouver dans toutes les cultures) et aussi de
l'angoisse de castration et du refoulement (qui découlent de cet oedipe
universel), que l'on voit s'articuler la démarche freudienne. Ainsi
chaque culture se voit soumise pour une certaine part, aux mêmes
principes que ceux qui règlent l'évolution adaptative ou les
aléas morbides d'une individualité, principes qui
obéissent aux lois communes organisant l'imaginaire des
collectivités.
Pour les auteurs s'inscrivant dans ce courant, ces
principes prévalent sur les facteurs culturels dans l'organisation
psychique humaine. Mais cette position universaliste va cependant être
contestée à partir des années 1920-1930.
b) Le culturalisme
A l'inverse, certains auteurs optent pour la
prévalence des particularités culturelles. Ce courant s'appuie
notamment sur les travaux de M. Mead (1963) qui concluent que la culture et
l'éducation d'une société structurent la
personnalité d'une manière indélébile.
Kardinier (1969) développe alors le concept de
« personnalité de base >>, comme « la configuration
psychologique particulière propre aux membres d'une
société donnée >>6. L'approche
culturaliste a mis en évidence que l'on ne peut négliger
l'importance des spécificités culturelles sur le
développement des systèmes de pensée. En effet, des
instances psychiques se trouvant plus en contact avec le social, subissent
nécessairement des influences différentes selon la culture
originaire du sujet, notamment le surmoi dans l'origine duquel Freud souligne
l'empreinte des figures parentales et de la morale ambiante.
Néanmoins, force est de constater que l'on ne
peut réduire la personnalité à un ensemble de traits
attribués au sujet en tant que caractéristiques de sa culture,
dans une vision descriptive et statique.
c) L'approche
complémentariste
Devereux (1970), fondateur de cette approche,
récuse l'isomorphisme simplificateur qui veut réduire le sujet
à sa seule composante culturelle et inversement. « Historiquement,
la culture et l'esprit humain sont des coémergents et se
présupposent réciproquement >>7.Par
conséquent, l'être humain se structure en interaction avec son
système culturel d'appartenance. L'originalité de son oeuvre a
sans doute été d'ouvrir la réflexion sur la
part
6 Kardinier, P. (1969).
L'individu dans la société. Paris :
Gallimard. (p. 336).
7 Devereux, G. (1970).
Essais d'ethnopsychiatrie générale.
Paris : Gallimard. (p. 371).
inconsciente de la culture, qui recouvrerait à
la fois un système standardisé de défenses, un code
symbolique commun et le support des représentations et des
identifications collectives. Il fait ainsi la différence entre deux
types d'inconscients : l'inconscient individuel propre au sujet et à son
historicité, et l'inconscient ethnique que chacun possède en
commun avec les membres de sa culture. Il pose donc l'étroite
interrelation entre individualité et culture.
Nombres d'auteurs le succédant s'inscrivent
dans ce courant ethnopsychanalytique où les conflits inconscients,
désirs de se réaliser, fantasmes archaïques se retrouvent
chez tous, mais empruntent des formes singulières en fonction de la
culture du sujet. En effet, pour Moro et Revah-Levy (1998), « les
cultures, comme les langues, sont plurielles. Elles ne constituent pas des
essences séparées mais des formes d'expression différentes
d'un universel que l'on ne peut décrire, jusqu'à maintenant, que
par approximations >>8.
Nous pouvons donc dire que ces auteurs penchent pour une
conception dynamique entre culture et psychisme, où ces entités
sont en interaction réciproque constante.
3/ Le double contexte culturel
La précédente explication des rapports
entre l'individu et la culture nous permet de nous interroger quant aux
processus mis en jeu pour les sujets évoluant dans un contexte
biculturel.
a) « L'entre-deux » cultures
:
Les jeunes d'origine Maghrébine qui ont grandi
en France sont effectivement en situation de double référence
culturelle. Ils se distinguent en cela par une position que Siboni (1991)
dénomme l'entre-deux et qu'il définit
« comme une forme de coupure-lien entre deux termes...Entre deux cultures
c'est encore plus évident : de telles entités ne viennent pas se
recoller ou s'opposer le long d'un trait, d'une frontière, d'un bord
où deux traces viennent s'aligner pour accomplir le long du trait qui
les sépare. Au contraire, il s'agit d'un vaste espace où
recollement et intégration doivent être souples, mobiles, riches
de jeux différentiels. C'est l'espace d'entre-deux qui s'impose comme
lieu d'accueil des différences qui se rejouent>>. 9
8 Moro, M.R., Revah-Levy, A.
(1998).Soi-même dans l'exil. In : R, Kaës et al. (Ed),
Différence culturelle et souffrances de
l'identité (pp. 107-129). Paris : Dunod. (p.
111).
9 Siboni, D. (1991).
Entre-deux, l'origine en partage. Paris : Seuil.(
pp.10-11).
Nous avons choisi d'adopter la position de cet auteur
sur le lieu où va se jouer la double appartenance culturelle des enfants
de migrants. Cependant, il paraît nécessaire de comprendre comment
chaque modèle culturel intervient dans la structuration du sujet afin
d'entrevoir la complexité des processus psychiques propre à cet
entre-deux.
b) La filiation
Il est inconcevable de nier le rôle parental
dans la transmission de la culture. L'enfant dans sa détresse
originelle, reçoit à travers la relation primordiale avec la
figure maternelle, tout un système de significations qui varie d'une
culture à l'autre. En effet, au cours des premiers mois, la mère
aménage le monde de l'enfant à sa manière ; elle l'ouvrira
progressivement et << à petite dose », de par la fonction
d'object-présentering définit par
Winnicott (1957). << La mère partage avec son petit enfant un
morceau à part du monde, le gardant suffisamment petit pour que l'enfant
ne soit pas dans la confusion, l'agrandissant très progressivement afin
de satisfaire la capacité grandissante de l'enfant à jouir du
monde »10. Or, la mère appréhende le monde selon
des catégories déterminées par un codage culturel. Par
conséquent, les parents vont véhiculer de manière
consciente ou non des significations culturelles. La libidinisation du corps,
l'éducation sexuelle, tout comme les repères identificatoires
sont marqués par les idéaux et les interdits
culturels.
Les recherches portant sur la question de la
bi-culturalité nous apprennent que les jeunes de la deuxième
génération restent imprégnés par la culture
d'origine. Ils portent des marqueurs identitaires appartenant à la
culture de la mère, du père et de l'affectivité. Les liens
émotionnels avec la culture d'origine sont tenaces, et l'appartenance
culturelle de la famille constitue un pôle de structuration important et
qui reste efficient malgré l'acculturation. Néanmoins, nous
admettrons qu'elle ne résume pas l'identité du sujet.
c) L'affiliation
Les enfants d'immigrés se développent
depuis leur petite enfance dans l'environnement Français. Nous savons
que le rôle de socialisation des parents est très vite
relayé, entre autres par différentes institutions. En effet,
quelque soit le statut légal des parents, les enfants vont à
l'école et sont donc élevés dans le cadre du
système d'éducation Français. De Carmoy (1993) nous
affirme que << le code scolaire est chargé symboliquement des
significations culturelles qu'il faut pouvoir manier si l'on veut s'adapter
à la société
10 Winnicott, D.W. (1957). Le
monde à petite dose. In : L'enfant et sa famille.
Paris : Payot (1979). (p.75).
d'accueil »11. Par la lecture et
l'écriture notamment, ils vont donc s'inscrire dans les logiques du
monde français.
C'est sans compter les réseaux relationnels que
ces enfants vont se créer. Nous pouvons par conséquent stipuler
que par les jeux d'échanges et d'identifications aux pairs, ils vont
intégrer des modèles culturels français. De plus,
Vinsonneau et Camilleri (1987) nous indiquent que ceux-ci « exercent un
puissant attrait sur les jeunes car ils procèdent d'un groupe
majoritaire en position de pouvoir donc assurés du prestige
intrinsèque ; ils sont sanctionnés positivement de façon
constante, dans la mesure où les comportements qui y obéissent
sont adaptatifs et efficaces »12.
Dès lors, nous remarquons que les valeurs issues
de la culture d'origine et celles de la culture française ne cessent de
se rencontrer dans un enchevêtrement dynamique.
d) Les possibilités
d'aménagement
Il nous semble tout d'abord intéressant de
souligner qu'entre la culture Française et la culture Maghrébine,
la différence des valeurs véhiculées est importante compte
tenu de l'éloignement des modes de vies, des principes religieux etc. En
continuant de nous appuyer sur la notion
d'entre-deux, nous nous sommes donc interrogés
sur le jeu de ces différences entre les deux modèles culturels en
présence dans ce lieu.
- L'intégration des cultures
Différentes recherches sur la
problématique identitaire des enfants de migrants montrent que les
systèmes culturels vont s'interpénétrer pour structurer
l'identité de l'individu. Clanet (1990) conçoit le système
identitaire comme une entité plurielle qui intègre diverses
identifications puisées dans le milieu familial et extra-familial. Il
parle alors d'un « pluralisme cohérent » dans la mesure
où le sujet peut mobiliser des mécanismes de défenses et
d'adaptation pour dépasser les conflits intrapsychiques et
interpersonnels. Pigott (1993) assure, quant à lui, qu'un enfant peut
parfaitement intégrer plusieurs langues sans pour cela qu'il soit
contraint au refoulement d'une partie de lui-même ou que l'on craigne un
clivage. De plus, Fdhil (1999) affirme qu'il est infondé de parler
d'incohérence culturelle dans la mesure où ces enfants de
migrants ont la possibilité d'orienter les relations entre deux
cultures
11 De Carmoy, R. (1993).
Entre intégration et rupture : les adolescentes musulmanes à la
recherche de leur identité. Neuropsychiatrie de l'Enfance,
41, pp. 637-643.
12 Vinsonneau, G. et
Camilleri, C. (1987). Pour une approche en psychologie culturelle :
contribution à l'étude de la dynamique identitaire du jeune
immigré en France. Neuropsychiatrie de
l'Enfance, 35, pp. 475-483.
vers l'interaction : << la contradiction entre
les cultures n'exclue pas, selon nous, la survie communicative, même si
les rapports de force sont inégaux >>13. Son
étude démontre que la situation << d'entre-deux >>
cultures peut représenter un facteur de richesse pour la construction
identitaire du sujet, et que l'identification à un double modèle
culturel permet la construction d'une image de soi valorisée.
L'arrangement de cet espace entre culture d'origine et culture d'accueil
aboutirait dès lors à ce qu'il nomme le << modèle
culturel intégrateur >>.
- Le rôle de l'environnement
Plusieurs auteurs s'accordent donc pour affirmer que
la double appartenance culturelle peut faire émerger un processus
dynamique enrichissant et source de créativité. Cependant, nombre
d'entre eux évoquent le rôle de l'environnement, notamment de
l'environnement familial, dans ce brassage dynamique des cultures. En
s'appuyant sur des travaux psychanalytiques, Bergeret (1993) précise
cette idée : << Au registre manifeste, l'accès à une
universalité de bon aloi serait perçu comme succédant aux
refoulements des données archaïques originales. Mais au registre
latent, pour parvenir à une élaboration transculturelle positive
du retour du refoulé, il apparaît nécessaire, ne serait-ce
que pour être en mesure d'en refouler les représentations les plus
gênantes, de posséder préalablement une idée
solidement ancrée de la valeur de notre culture particulière
d'origine >>14. Il s'agit bien pour ces personnes de
s'inscrire dans le monde d'ici en s'appuyant sur le monde d'origine des
parents. Alors, il est forcément question de l'intrication entre
filiation et affiliation, et il faut concilier leurs transmissions conscientes
et inconscientes. Ceci en sachant que la qualité de la transmission
externe dépend de la qualité de la transmission interne
(parents-enfant). Moro (2004), quant à elle, a effectué une
étude auprès de la population d'enfants de migrants qui
réussissent bien à l'école. Elle met ainsi en
évidence trois facteurs positifs dont bénéficie cette
population. << L'enfant bénéficie d'un milieu suffisamment
sécure et riche en stimulations de toutes sortes ; l'enfant trouve dans
l'environnement des adultes qui lui servent d'initiateurs dans le nouveau monde
; l'enfant est doué de capacité personnelles singulières
et d'une estime de soi importante >>15.
13 Fdhil, A. (1999).
Biculturalisme, scolarité et image de soi. Bulletin de
psychologie, 443, pp. 577-580.
14 Bergeret, J. (1993).
Psychanalyse et universalité culturelle. Revue
Française de Psychanalyse, LVII, 3, pp.
809-839.
15 Moro, M.R. (2004).
Psychothérapie transculturelle de l'enfant et de
l'adolescent. Paris : Dunod (p.93).
Nous pouvons donc affirmer que cet « entre-deux
>> cultures peut se révéler comme un lieu propice à
la vie créative, qui rend compte de la potentialité du sujet
d'inventer de nouvelles formes de vie à partir de ces expériences
culturelles.
Cependant, l'intrication constante des
différents « matériaux >> qui s'y déposent est
complexe. Et, comme nous Moro (2004) l'a précisé, plusieurs
conditions doivent être réunies afin que les sujets issus de
l'immigration puissent bénéficier de cette richesse identitaire.
Schnapper (1991), Dans un travail sociologique sur l'intégration, a
étudié la question de la destinée des enfants de migrants.
Elle discerne alors le phénomène de « sursélection
>> auquel ils sont soumis, et conclut à ce propos : « ceux
qui le surmonte en tirent un bénéfice supplémentaire dans
la logique de l'affirmation de soi et de la recherche de la distinction, mais
le risque d'échec est statistiquement élevé pour ceux qui
n'ont pas les mêmes atouts individuels et sociaux >>16.
Qui plus est, l'actualité nous permet de constater la souffrance de
nombreux jeunes adultes qui se sentent exclus en raison de leurs origines. Cela
nous conduit donc à explorer le pourquoi des failles si souvent
présentes dans cet espace « interculturel >>.
16 Schnapper, D. (1991).
La France de l'intégration. Sociologie de la nation en
1990. Paris : PUF. (p.198).
II/ L'INTEGRATION CONFLICTUELLE DES MODELES
CULTURELS
1/ Les transmissions défectueuses de
l'environnement
a) Les figures de l'étrangetéMoro
(2002), dans son ouvrage, fait part de l'expérience des
consultations
transculturelles d'Avicenne qui nous montrent
l'importance des actes racistes au quotidien, et leurs répercussions sur
la clinique des enfants de migrants.
Pour définir le racisme, il est
intéressant de se référer au sentiment
d'inquiétante étrangeté théorisé par Freud
(1919). On comprend alors que l'individu qui projette sur autrui ses propres
fantasmes archaïques et qui s'en effraie en retour, est prototypique du
phénomène de racisme. << Il se trouve que cet
étrangement inquiétant est l'entrée de l'antique terre
natale du petit d'homme, du lieu dans lequel il a séjourné une
fois et d'abord >>17. Ainsi, l'un peut devenir un ensemble de
projections de ce que l'autre refoule ou dénie de lui-même. On
peut en déduire que le racisme apparaît comme une construction
défensive contre ce moi étranger considérer
négativement. Effectivement, la rencontre avec l'étranger menace
le narcissisme identitaire : reconnaître que l'autre est fait de la
même humanité que soi, partiellement inconnaissable. Le racisme
reviendrait donc au refus narcissique de cette expérience.
Apparaît alors ce que Kaës (1998) nomme les <<
représentations des cultures poubelles >>.
Vinsonneau et Camilleri (1987) proposent eux le terme
d'<< identité prison >> pour définir <<
l'enfermement de l'autre dans une identité transformée en
substance que constituent les stéréotypes négatifs
>>18. Ils mettent en évidence que la
catégorisation des individus selon leurs nationalités
désignent une place occupée dans un rapport asymétrique de
pouvoir, et agit à la fois dans la réalité objective et
dans les subjectivités, au niveau des
représentations.
C'est par ce cheminement que le racisme conduit
à l'assujettissement idéologique de l'autre, et dans des cas
extrêmes, à la négation de son existence. Dans les actes
racistes, c'est l'estime de soi qui est attaquée, et le lien à
l'autre dénié, ce qui mène à la perte de
sécurité de soi. La peur de la différence culturelle qui
est manifestée dans la société d'accueil induit des
représentations dévalorisantes courantes, dont la culture
d'origine des enfants de migrants est
17 Freud, S. (1919).
L'inquiétante étrangeté et autres essais.
Paris : Gallimard. (p. 252).
18 Vinsonneau, G. et
Camilleri, C. (1987). Pour une approche en psychologie culturelle :
contribution à l'étude de la dynamique identitaire du jeune
immigré en France. Neuropsychiatrie de
l'Enfance, 35, pp. 475-483.
l'objet. Mais, la nécessité pour eux de
reconnaître ces deux cultures comme les leurs peut les conduire dans une
impasse : dans la mesure où ils adoptent certains aspects de la culture
du pays d'accueil, ne sont-ils pas entrain de contribuer à leur propre
dévalorisation ?
b) Les fragilités de la
parentalité- La remise en cause du statut parental
La dévalorisation de la culture va de paire
avec la dévalorisation parentale. Il est vrai que les images de la
culture familiale étant stigmatisées, il se produit notamment une
détérioration objective du statut du père au sein de la
famille. En effet, le père est bien souvent un homme identifié
d'abord comme immigré ; il est donc disqualifié par son statut
social, ceci marquant la difficulté d'élaboration d'une image
paternelle rassurante. Nombres d'auteurs ont remarqué que les migrants
qui arrivent en France peuvent se sentir insécurisés par les
coutumes et les moeurs françaises qui constituent une menace pour leur
identité. Par conséquent, les parents se replient parfois sur les
valeurs traditionnelles de leur culture d'origine dans des attitudes
défensives excessives qui figent leurs capacités
évolutives.
Dès lors, plusieurs cas de figures se
présentent, qui nous permettent d'entrevoir les conséquences de
ces processus sur la relation parents-enfants. Les parents, par une sorte de
fidélité symbolique à la culture d'origine, peuvent
rigidifier les règles d'éducation de celle-ci, et par là
accroitre la différence d'avec les modèles éducatifs
français. A l'inverse, les parents se sentant parfois impuissants
eux-mêmes dans la société, traduisent ce sentiment
d'impuissance devant leurs enfants. Comme le souligne Marteaux (2002), ils
peuvent interpréter le discours éducatif français comme
une interdiction pour eux d'éduquer leurs enfants, ce qui mène
à une possible démission de leurs rôles
d'éducateurs.
- L'ambiguïté des roles
Il se surajoute à la dévalorisation du
statut parental ce que Moro et Nathan (1989) qualifient d'« inversion du
portage ». La structure familiale est souvent remaniée autour d'une
modification des rôles, voire de leur inversion quand l'enfant devient le
guide de ses parents, qu'il les porte dans ce nouveau monde. Effectivement,
l'enfant de migrants devient parfois le médiateur des parents par
rapport à la société d'accueil. On peut observer ce type
de relation chez l'enfant-interprète qui assume le rôle de liaison
entre ses parents et les milieux institutionnels, les parents pratiquant peu ou
mal la langue française écrite ou parlée. On imagine
dès lors la blessure narcissique de ceux-ci, dépendants de leurs
enfants.
Bettschart (1987) en déduit que << le
processus d'identification aux parents est totalement mis en cause par la
dévalorisation et l'incapacité de ceux-ci >>19.
Certains de ces enfants peuvent heureusement prendre de la distance en
valorisant certaines capacités de leurs parents.
Mais, dans ce cas de figure, l'enfant doit assumer des
responsabilités quant au fonctionnement familial, voire parfois prendre
le rôle et la fonction de parent. Un processus de parentification
s'établit ainsi, dans lequel la séparation des
générations est abolie dans certains domaines. Ce processus
induit donc une filiation paradoxale dans laquelle l'enfant est non seulement
au dessus de la loi paternelle, mais où il prend le rôle de parent
et ancêtre de ses propres parents.
Moro (2002) rajoute que l'enfant, qui connaît
mieux les logiques de la société d'accueil que ses parents, n'a
pas de guide au sein de la famille pour lui faire découvrir ce monde et
l'investir. Effectivement, la migration entraine une rupture dans le codage
culturel du monde. La figure maternelle se trouve défaillante dans sa
fonction de << présentation de l'objet et du monde
>>20, ne connaissant généralement que peu les
significations culturelles du pays d'accueil. C'est alors l'enfant qui devient
le guide de ses parents pour investir les logiques du monde environnant. De ce
fait, l'enfant issu d'une famille immigrée <<a un statut de
premier, ce qui ne vas pas sans une dose d'angoisse et d'incertitude
>>21.
- Le deuil parental indépasséIl est
évident que l'exil impose au migrant une série de
réaménagements psychiques
qui vont modifier son rapport à la culture
d'origine. Devereux (1972) postule que l'acculturation aboutit à des
transformations qui affectent les modèles culturels originaux. Il
infère alors l'existence d'un phénomène de
résistance à l'acculturation, qu'il explique par le désir
de singularité ethnique et d'autonomie culturelle.
Pigott (1993), quant à lui, définit la
culture comme objet et présente certains cas de figure où le
milieu d'accueil demeure étranger et étrange pour le migrant.
Celui-ci reste alors à distance de ce mauvais objet, en même temps
que le pays d'origine conserve un statut d'objet perdu au deuil interminable.
Or, cette attitude ne restera pas sans effet sur la relation parents-enfant.
Les parents se tournent vers le passé, leurs attaches et leur pays,
empêtrés dans un système d'idéalisation et, non
seulement la transmission de la culture d'origine risque d'être
défectueuse car déconnectée du réel, mais le
fossé entre eux et l'enfant tourné vers l'avenir s'agrandit. Dans
certains cas, l'intégration même de l'enfant est perçue par
les parents comme
19 Bettschart, W. (1987).
Quelques aspects de psychologie et de psychopathologie des enfants des familles
migrantes. Neuropsychiatrie de l'Enfance, 35, pp.
490-497.
20 Winnicott (1957), Cf.
notion d'object-présentering qui a
précédemment été abordée p. 7.
21 Moro, M.R. (2002).
Enfants d'ici venus d'ailleurs. Paris : La
Découverte. (p. 106).
un obstacle au retour possible dans le pays. Les
paroles teintées de nostalgie d'une mère d'origine
Algérienne, qui raconte son exil, nous permettent d'en prendre
clairement conscience : « quand je suis arrivée en France, j'ai eu
ma première grossesse, donc je ne pouvais plus rentrer au pays
>>22. En conséquence, on peut s'interroger, dans cette
situation, sur le poids inconscient que ces pensées vont faire porter
à l'enfant.
En outre, dans un mouvement paradoxal, il arrive que
les parents privent l'enfant de la connaissance du pays d'origine, gardant
cette culture comme un secret de parents. Ainsi, ils parlent peu du pays aux
enfants, et ceux-ci auront d'autant plus de mal à se situer dans la
généalogie.
2/ La contradiction des valeurs
culturelles
Il est nécessaire d'ajouter aux points
précédemment décrits l'éloignement des deux
cultures que le sujet de deuxième génération doit
introjecter. Comme nous l'avons déjà relevé, les valeurs
culturelles Françaises et Maghrébines sont parfois très
différentes ; nous constatons mêmes que certaines d'entre-elles
induises des injonctions contradictoires. Ne pouvant faire un recueil exhaustif
de toutes les valeurs culturelles présentes dans ces modèles
culturels, nous avons choisi d'étayer notre pensée sur les
schémas structurants du féminin et du masculin, qui nous semblent
occuper une place importante dans la vie quotidienne de chacun.
Plusieurs auteurs notent à ce propos qu'au sein
de la culture Maghrébine, la distance entre le monde des hommes et le
monde des femmes est maintenue strictement. La question est
étudiée dans les textes coraniques qui établissent une
certaine séparation dans le couple. Ainsi, dans la sourate de la
génisse, il est dit que « les hommes sont supérieurs aux
femmes et ont autorité sur elles du fait de la prééminence
que Dieu leur a accordé... >>23. La tradition vient
étayer la religion dans la séparation claire de l'univers
féminin et de l'univers masculin. Yahyaoui (1994) précise
qu'« elle institue une séparation dans le réel, mais suspend
l'imaginaire collectif dans des espèces d'univers peuplés de
contraintes, de peurs, et de suspicions réciproques
>>24. On visualise bien comment la différenciation des
sexes est très
22 Benguigui, Y. (1997).
Mémoires d'immigrés, l'héritage
maghrébin. Canal + et Bandits. Interview de Khira
Allam.
23 Le Coran. La génisse.
Sourates n° II, versets 183-187.
24 Yahyaoui, A. (1994). La
captivante étrangeté du féminin. In : A, Yahyaoui (Ed),
Destins de femmes, réalités de l'exil,
(75-87). Grenoble : La pensée Sauvage. (p. 77).
forte, marquée, sans passage d'un univers à
l'autre ; les contes, proverbes et comportements sociaux abondent en ce
sens.
Néanmoins, un fonctionnement social
définit découle de la séparation ainsi posée.
Effectivement, il y a, dans les familles Maghrébines, une
continuité et une cohérence entre le dedans (familial)
assumé par la mère, et le dehors (social, culturel) assumé
par le père. Dans ce fonctionnement, la femme est en quelque sorte
dispensée de s'accommoder du monde socioculturel
périphérique. Vinsonneau et Camilleri (1987) appuient cette
position, et ajoutent que, dans un contexte traditionnel, les femmes acceptent
les privilèges attribués aux hommes en échange de la
soumission de ceux-ci à leurs obligations propres, et souvent
complémentaires à celles des femmes. Or, au sein de la
société Française, la séparation des rôles
sexués n'est pas, ou n'est plus aussi nette ; la logique s'en trouve par
conséquent détruite et la cohérence du système
s'effondre.
Par conséquent, Du fait de la distance qui
sépare les cultures Maghrébine et Française, les individus
issus de l'immigration sont soumis à des logiques contradictoires, qui
dévoilent la complexité de l'être en relation avec un
environnement pluriel. Il alors est intéressant de se demander comment
vont s'aménager ces injonctions contradictoires chez des sujets pour qui
l'environnement familial se base sur les valeurs culturelles
Maghrébines, mais qui évoluent cependant dans le contexte
socioculturel Français.
Pour conclure sur les points
précédemment abordés, nous pouvons assurer que
l'intégration de chacun des modèles culturels en présence
va, sinon être conflictuelle, tout du moins être une épreuve
difficile pour les enfants de migrants.
3/ Le risque transculturel
a) La coupure des liens
Un certain nombre de travaux considèrent que la
situation biculturelle entraine un conflit culturel qui se situe au niveau du
choix des valeurs, en raison de l'incohérence des modèles
culturels en présence. On conçoit dès lors que le maintien
des liens dans cet espace d'entre-deux cultures puisse être
problématique. Et lorsque les liens ne se tissent pas, il n'est d'autre
issue que la séparation de ces modèles de nature
différente. Moro (2002) soutient que la solution défensive
à ce conflit est de cliver ces deux mondes culturels. « Pour
grandir, en effet, l'enfant de migrant doit construire patiemment un
nécessaire clivage entre le monde lié
à la culture familiale -le monde de
l'affectivité -et la monde du dehors, de l'école par exemple
-monde de la rationalité et du pragmatisme
»25.
- Le déni de l'affiliation à la
société d'accueil
L'une des possibilités d'aménagement de
ce clivage s'apparente au rejet du modèle culturel français et
l'idéalisation de la culture d'origine. Le sujet se replie dans
l'identité unique du pays des parents, parfois jusqu'à la
caricaturer à travers les habits, l'importance des interdits etc. Il
impose de cette façon une différence, dans un mécanisme
d'identification mortifère à celui qui semble être en
position de force. A ce sujet, Bergeret (1993) parle d'un
tribalisme régressif, où l'individu qui
ne peut se constituer un imaginaire identificatoire de départ assez
solide, instituera ses différences comme défenses contre ce
manque. Vinsonneau et Camilleri (1987) assimilent ce procédé
à un mécanisme dissociatif. Le sujet revendique son appartenance
au groupe d'origine dont il évacue les contenus culturels, et
dénie l'appartenance à la société d'accueil qui,
pourtant, l'alimente de ses contenus et de ses modèles. Cependant, ce
système s'accompagnerait résolument d'une souffrance. En effet,
les significations culturelles de la société d'accueil doivent
être acquises et acceptées si l'on veut s'adapter au monde
environnant. Mais, dans le même temps, elles deviennent objets d'une
ambivalence puisqu'elles créent une faille au sein de laquelle se loge
un sentiment de trahison envers la communauté d'origine et ses
valeurs.
- Le déni de la filiation
A l'inverse, Moro et Nathan (1989) postulent que
l'objet du processus de déni ne peut être que la filiation, le
sujet se retrouvant par conséquent en quête de ses origines. Ils
ajoutent que ce déni est partagé par la famille. En effet,
l'enfant de migrant peut apparaître comme étranger aux yeux de ses
propres parents puisqu'il maitrise des significations culturelles qui leurs
sont inconnues. Alors, en miroir de ses parents, l'enfant fantasmera
s'être réaliser seul, et tentera par divers moyen de
réécrire son histoire, quitte à nier l'appartenance
à la culture familiale originelle.
25 Moro, M.R. (2002). Enfants d'ici venus
d'ailleurs. Paris : La Découverte. (p.60).
b) la vulnérabilité spécifique
des enfants de migrants
Couchard (1999) assure que les adultes issus de
l'immigration sont rendus plus vulnérables par les discordances et les
ruptures qui existent entre les normes sociales et culturelles prescrites
pendant l'enfance et celles imposées par le pays d'accueil. Nous nous
sommes alors interrogés sur le concept de vulnérabilité
mis en lumière dans cette situation.
- Définition de la vulnérabilitéLa
vulnérabilité psychologique a été l'objet de
nombreuses recherches. Tomkiewicz et
Manciaux (1987) définissent la
vulnérabilité comme un état de moindre résistance
aux nuisances et aux agressions. De nombreux facteurs environnementaux et
internes interviennent dans la genèse de la vulnérabilité.
A. Freud (1978) a montré qu'« on ne peut expliquer la
vulnérabilité par les caractéristiques individuelles de
l'enfant, mais il faut la comprendre en termes plus généraux et
impersonnels. Je considère maintenant que le progrès de l'enfant
le long des lignes de développement vers la maturité
dépend de l'interaction de nombre d'influences extérieures
favorables avec des dons innés favorables et une évolution
favorables des structures internes >>26. On comprend
dès lors que la vulnérabilité est une notion dynamique
puisqu'elle affecte un processus en développement, et joue un rôle
psychique secondaire. Par conséquent, le sujet vulnérable a un
fonctionnement psychique plus fragile, de façon qu'un
événement interne ou externe, bien qu'il puisse être
considéré comme minime, entrainera un dysfonctionnement
important.
- La situation transculturelle source de
vulnérabilitéMoro (1988) propose le concept d'enfant
exposé27 comme une
représentation
efficiente de la vulnérabilité
spécifique aux enfants de migrants. C'est à partir du déni
de la filiation qu'elle le développe : «ce concept qui prend la
forme d'un fantasme partagé par l'enfant et sa famille cristallise
l'étrangeté radicale de ces enfants par rapport à ceux qui
leurs ont donnée la vie >>28. L'affaiblissement de la
mère dans sa fonction
d'object-présentering est à prendre en
compte dans la genèse de cette vulnérabilité. Si l'on se
réfère au postulat déjà
26 Freud, A. (1978).
Avant-propos. In : E.J. Anthony, C. Chiland, C. Koupernik (Eds.),
L'enfant dans sa famille. L'enfant vulnérable.
Paris : P.U.F. (pp. 13-14).
27 Cet appellation s'appuie
sur la mythologie, dans laquelle exposer un enfant signifie l'abandonner dans
un milieu hostile et dangereux, ainsi Persée qui fut enfermé dans
un coffre en bois et jeté aux flots.
28Moro, M.R. (1988).
D'où viennent ces enfants si étranges ? Logiques de l'exposition
dans la psychopathologie des enfants de migrants. Nouvelle Revue
d'Ethnopsychiatrie, 12, 69-84.
émis que la mère a une perception
confuse du monde environnant29, on admet que ce monde qui l'entoure
et qu'elle ne maitrise pas soit source pour elle d'incertitudes. Et ne pouvant
initier elle-même l'enfant au monde extérieur, elle aura par
conséquent la conviction d'exposer son enfant aux dangers de cet
environnement qui peut apparaître comme hostile. Elle transmettra
potentiellement à l'enfant cette perception labile du cadre externe,
génératrice d'angoisse et d'insécurité. Ainsi, la
vulnérabilité spécifique à l'enfant de migrants
apparaît de telle sorte que « si des événements
internes ou externes viennent déstabiliser son mode d'être, alors
l'angoisse le submerge, avec toutes ses traductions. Car, dans ces moments, ni
ses parents, ni le groupe culturel ne peuvent l'aider à anticiper et
à colmater l'angoisse »30.
Mais le clivage de la structuration culturelle propre
à cette population (qu'il soit accompagné du déni de la
filiation ou de l'intégration du modèle culturel de la
société d'accueil) suffit à expliquer leur
vulnérabilité. En effet, si l'on établit l'homologie entre
la structuration psychique et la structuration culturelle, ces deux
structuration étant liées l'une à l'autre, alors l'une
étant fragile car non homogène, et l'autre sera forcément
plus précaire. Ces mécanismes de clivage sont donc
déterminants de cette vulnérabilité spécifique.
Grandir en situation transculturelle est un facteur potentiel de risque pour la
structuration psychique.
A ce stade de notre exposé, nous savons que la
rencontre des deux modèles culturels qu'intègrent les enfants de
migrants donne lieu à un processus dynamique. Nous avons tout d'abord
observé que ce processus pouvait se révéler facteur d'une
richesse identitaire pour ces personnes. Toutefois, comme Moro (2004) le
souligne, il est nécessaire que le sujet ait
bénéficié, entre autres conditions, d'un environnement
suffisamment sécure. Or, nous venons de remarquer que le
développement de la personnalité dans un double contexte culturel
est jalonné de tribulations. Dès lors, ce processus dynamique est
susceptible de s'inverser et se révèle source de
vulnérabilité psychologique. On peut donc avancer que la
situation d'entredeux cultures expose le sujet à un risque conflictuel
accru, que l'on peut expliquer par les failles des transmissions familiales et
extra-familiales. On peut notamment déduire que cette population va
être soumise à des désirs contradictoires émanant de
ces failles, qui vont favoriser l'émergence d'une fragilité
psychique.
29 Cf. p. 11
30 Moro, M.R. (2002).
Enfants d'ici venus d'ailleurs. Paris : La
Découverte. (p.103).
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