INTRODUCTION
Nous vivons actuellement dans une
société française multiculturelle. En effet, l'importance
des phénomènes migratoires est une réalité que tout
un chacun peut appréhender quotidiennement et, selon les historiens,
nous assistons aujourd'hui à l'une des plus grandes migrations connues.
Celle-ci est liée à plusieurs facteurs. Il y a une immigration
dû aux raisons d'ordre économique, qui se manifeste aujourd'hui
principalement par le regroupement familial et la fondation d'une famille dans
le pays d'accueil. D'autres motifs d'immigration sont d'ordre sociopolitique,
liés à la fuite devant les persécutions raciales, le
climat de guerre du pays d'origine, etc. On peut également
évoquer des facteurs idéologiques pour expliquer certains exils,
qui paraissent moins dramatiques ou moins impérieux. Les
idéologies actuelles étant fondées sur la consommation de
biens et sur le principe de jouissance immédiate, certains sont
attirés par la représentation idéale des pays occidentaux
en la matière, où ils espèrent trouver plus d'aisance
économique et sociale que dans leur pays d'origine.
Il n'en reste pas moins que l'exil, qu'il soit
forcé ou choisi, provoque un changement radical, avec une perte des
repères habituels, qui n'est que partiellement compensée par le
regroupement dans la terre d'adoption avec les membres de la même
communauté. La migration impose ainsi un réaménagement
psychique profond. L'adaptation au pays d'accueil oblige l'individu à
modifier son système de défense et le confronte à des
normes différentes et parfois antinomiques de celles de sa culture
d'origine. Si l'on se réfère à la définition de
l'acculturation de Devereux (1972)1, on conçoit que le
migrant intègre plus ou moins les modèles culturels du pays
d'accueil.
Cependant, si l'intégration des populations
migrantes a soulevé de nombreuses questions dont ont
découlé des recherches en sciences humaines, force est de
constater qu'aujourd'hui, nombre de jeunes adultes ne sont plus eux-mêmes
dans cette dynamique de voyage, mais portent l'exil de leurs parents comme une
donnée de leur existence. Il est alors question de l'intégration
de ces enfants de migrants, qui se sont développés dans un
contexte biculturel. Les médias ne cessent de démontrer que cette
question est au coeur des débats actuels de notre société,
et on retrouve sur le devant de la scène les problèmes
liés à l'intégration de ces jeunes.
1 « L'acculturation recouvre l'ensemble des
phénomènes résultants d'un contact continu et direct entre
des groupes d'individus appartenant à différentes cultures, et
aboutissant à des transformations affectant les modèles culturels
originaux de l'un ou des deux groupes ». Devereux, G. (1972).
Ethnopsychanalyse Complémentariste. Paris :
Flammarion (1985) p. 253.
Plusieurs recherches ont, quant à elles,
révélé une absence de résultats significatifs sur
le taux de morbidité des enfants de familles migrantes ;
néanmoins, elles constatent une prévalence des échecs
scolaires et des difficultés d'adaptation sociale, surtout à
l'adolescence.
On peut alors se demander quels sont les
éléments qui entrent en jeu dans l'évolution de la
personnalité dans ce contexte biculturel. Il s'agit notamment pour ces
individus d'aménager les différentes valeurs culturelles dont ils
sont imprégnés, celles de la culture parentale et celles de la
culture du pays d'accueil. A ce sujet, Couchard (1999) affirme que le sujet est
le plus souvent écartelé entre des modèles culturels
contradictoires.
Mais il est également question de la
dialectique, propre à tout individu, entre les besoins du moi et ceux du
lien à l'autre, entre filiation et affiliation. On peut avancer que la
pluralité des références culturelles va compliquer
davantage encore la conciliation de ces différents besoins.
Dès lors, développement de la
personnalité dans un double contexte culturel induiraitil une
fragilité de la structuration psychique ? Notre recherche a pour
objectif de répondre à cette question, en explorant
différents éléments de la dynamique psychique des jeunes
femmes d'origine Maghrébine qui ont grandit en France.
Nous commencerons par faire une présentation
succincte des différentes théories et recherches qui ont trait
à cette problématique.
A l'issue de cette partie théorique, nous
exposerons notre propre recherche, dans laquelle nous utilisons le test de
Rorschach que nous avons administré à six jeunes femmes d'origine
Maghrébine. Nous étudierons les manifestions de l'angoisse
présentes dans les protocoles de celles-ci, et le système
défensif mis en place. Puis nous nous pencherons sur les
modalités d'investissement de la représentation de soi telles
qu'elles transparaissent dans les contenus des productions au Rorschach. Nous
comparerons ensuite les réponses des participantes aux normes
françaises en vigueur pour la population adulte, en vue d'observer une
possible influence des spécificités culturelles de ces jeunes
femmes.
Enfin, les résultats, ainsi que
l'intérêt de la recherche, seront débattus. Il nous
semble cependant intéressant de signaler dès maintenant que
nous sommes tous amenés à rencontrer cette
problématique à un moment donné au cours de notre
carrière. Il s'agit alors d'en tenir
compte afin de penser ces enfants de migrants dans leur
complexité et dans leur singularité, pour nous permettre de mieux
les comprendre, les aider et les soigner.
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