Intégration économico-financière de l'association pour le développement des sourds de Bukavu( Télécharger le fichier original )par Valentin ISSANDA NKOKI Université du CEPROMAD - Licence en Management et Sciences économiques 2008 |
2.2. ETUDE DE LA SURDITELes troubles de l'audition sont généralement des prothèses négligées tant dans notre pays, la République Démocratique du Congo et dans la province du Sud-Kivu que dans la Ville de Bukavu ; ceci en dépit des conséquences bien établies sur le développement psychologique de la personne qui en est frappée et sur son intégration ainsi que l'impact de celle-ci sur la vie socio-économique des ménages sourds de la Ville de Bukavu. Ces conséquences sont d'autant gravissimes que l'identification et la formation n'interviennent presque pas ou avec retard et ce, de façon superficielle, d'une part, et l'ignorance de l'état d'être d'un sourd par son environnement le rend passif dans la société alors que capable de tout faire à part les activités qui font appel à l'intervention de l'ouie. Cette partie du travail a pour objectif la sensibilisation et la conscientisation de ses lecteurs sur l'ampleur du problème et la nécessité d'une prise en charge tant sociale qu'économique, concrète et adaptée des sourds pour leur meilleure intégration et amélioration leurs conditions de vie. 2.2.1. Historique de la surdité et de la langue des signes24(*)Partant de l'histoire ancienne, nous évoquerons successivement la période des précepteurs (XVIIe et XVIIIe siècles), celle de «la création des écoles» (XIXe), pour finir en insistant plus particulièrement sur la fin du XIXe et le début du XXe siècle. En effet, nous examinerons l'évolution des institutions, la mutation des réponses en terme de «service», les propositions de l'Education Nationale en terme d'intégration et la participation des «handicapés» aux débats qui les concernent. Ainsi, nous verrons comment, de façon parallèle et complémentaire à l'évolution des structures, les nominations évoluent, révélant des mécanismes sociaux qui influent considérablement sur les places respectives construites pour les uns ou les autres. Les façons de nommer les sourds (sourds-muets, sourd, handicapé, déficient) et l'altérité (anormaux, invalides, déficients auditifs, handicapés) ne sont pas dénuées de sens. Au point qu'il est possible de se demander si la désignation « handicapé » et le concept d'intégration ne s'articulent pas complémentairement. Plus d'un siècle après Jules Ferry, l'école républicaine se prépare à accueillir les élèves sourds. Cette perspective, depuis longtemps envisagée permet de situer le projet de l'enfant sourd dans une « perspective de scolarisation » longtemps occultée par «les projets de rééducation», eux-mêmes ayant succédé à une période «d'instruction du sourd-muet». Le but de cette partie du travail est de questionner, d'éclairer la situation actuelle par l'analyse historique de l'évolution de la prise en charge des élèves sourds. Il s'agit d'interroger la question d'une citoyenneté possible pour ces élèves à travers les textes les plus récents. Le cadre actuel de la scolarité des jeunes sourds s'organise à partir d'une volonté «d'intégration des élèves handicapés», dans le milieu scolaire ordinaire. Aussi, nous aurons à nous interroger sur ces concepts d'intégration et de handicapé, à les resituer dans l'histoire de l'éducation des jeunes sourds et enfin à mesurer les conséquences de cette «représentation», de cette «organisation sociale» sur la construction du sujet sourd en tant que personne, en tant que «citoyen». Nous essaierons de proposer une rétrospective de l'histoire de l'éducation des jeunes sourds en France, une histoire pour une fois non construite sur l'habituelle question des méthodes afin de repérer des éléments éclairant la place faite à cette éducation par notre société et partant de là, la place faite aux sourds. C'est une proposition délicate tant les projets de scolarisation sont précisément liés à la place accordée à «la langue», «aux langues» du sujet sourd, sans jamais d'ailleurs lui accorder vraiment la parole sur cette question, essentiellement débattue et monopolisée par les professionnels. Partant de l'histoire ancienne, nous évoquerons successivement la période des précepteurs (XVIIe et XVIIIe siècles), celle de «la création des écoles» (XIXe), pour finir en insistant plus particulièrement sur la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Enfin, nous examinerons quelques textes et discours de la période actuelle dans lesquels nous examinerons l'évolution des institutions, la mutation des réponses en terme de «service», les propositions de l'Education Nationale en terme d'intégration et la participation des «handicapés» aux débats qui les concernent. Ainsi, nous verrons comment, de façon parallèle et complémentaire à l'évolution des structures, les nominations évoluent, révélant des mécanismes sociaux qui influent considérablement sur les places respectives construites pour les uns ou les autres. Les façons de nommer les sourds (sourds-muets, sourd, handicapé, déficient) et l'altérité (anormaux, invalides, déficients auditifs, handicapés) ne sont pas dénuées de sens. Au point qu'il est possible de se demander si la désignation « handicapé » et le concept d'intégration ne s'articulent pas complémentairement. De cette longue période qui va de l'antiquité au XVIIe siècle, le code Justinien (531 ap. J.C.) propose une classification des muets et des sourds en considération de leurs aptitudes à parler et à écrire. Les définitions et les catégories s'appuient sur la cause naturelle ou accidentelle de la surdité : le sourd-muet de naissance, le sourd-muet devenu tel depuis la naissance, le sourd non muet de surdité naturelle, le sourd non muet de surdité accidentelle et enfin le muet non sourd. Ce code annule toute existence juridique aux sourds-muets de naissance. Cependant, les sourds tardifs qui ont perdu la voix mais qui peuvent écrire, conservent leurs droits. D'un point de vue religieux, dès le IVe siècle, St Jérôme, reconsidérant l'épître aux romains de St Paul, «la foi s'acquiert par l'audition», propose de conduire les sourds à la fois par le moyen des signes et des mouvements expressifs du corps. St Augustin (Ve), exposant ses conceptions sur le langage, spécule sur la capacité des sourds de posséder une âme qui grandit avec leur langage : «celui qui exprime les sentiments par les gestes et la pantomime». Quant au point de vue éducatif, les repères historiques sont rares. On se réfère habituellement à Quintus Pédius, petit fils d'un consul romain, né muet, au siècle et qui recevra une éducation artistique « afin de lui rendre son infirmité moins pénible et d'occuper son activité ». L'art jouera un rôle important pour la reconnaissance de l'éducabilité des sourds. Citons parmi tant d'autres deux artistes sourds : «le surdicchio», peintre italien qui participa aux fresques de la chapelle Sixtine et devint le peintre des papes, et «El mudo», peintre espagnol, qui fut appelé par le roi Philippe II à décorer l'Escurial. La réussite artistique ayant levé les préjugés de l'éducation des sourds dans les grandes familles nobles ayant un ou plusieurs enfants sourds, celles-ci entreprennent une démarche d'éducation pour leurs garçons sourds. Celle-ci doit permettre, par l'apprentissage de la parole et surtout de la lecture et de l'écriture, l'accès à la culture aux charges de la noblesse, et à faire valoir les droits de descendance. On fait souvent référence à la famille de Velasco dans l'histoire de l'éducation des sourds-muets. C'est sur deux générations qu'exerceront les célèbres précepteurs espagnols cités comme les premiers pédagogues pour sourds : Pedro Ponce, Ramirez de Carion, et Pablo Bonnet. Pablo Bonnet publiera en 1620, le premier livre relatif à l'éducation des sourds-muets. Cet ouvrage influencera l'Europe. Au-delà des familles et des précepteurs, au XVIIe siècle, la surdité suscitera en Europe de nombreuses vocations : médecins, savants, théoriciens. En France il faut mentionner deux précepteurs : Etienne de Fay (1669-?) et Jacob Rodrigues Perreire. Le premier mérite une attention particulière : sourd lui-même, acquit la lecture et l'écriture, les mathématiques, l'architecture.... et installa vers 1920 une classe d'enfants sourds à l'abbaye d'Amiens ; elle comptera 5 élèves en 1735. Jacob Rodrigues Perreire est considéré comme le plus illustre précepteur français du XVIIIe siècle. L'Abbé de l'Epée inaugure une nouvelle période : la création des écoles. En 1776, il publie «l'institution des sourds-muets, par la voie des signes méthodiques». L'ouvrage est motivé par la querelle qui l'oppose à Perreire et aux dactylologistes. Emblématiquement reconnu comme le premier instituteur public, il crée «les signes méthodiques» et utilise les «signes naturels» dans sa pédagogie. En fait, il avait fondé la première école «gratuite» en 1760, chez lui, rue des Moulins. Il sera toujours beaucoup attribué à l'Abbé de l'Epée, sûrement du fait de ses représentations publiques. Pourtant il ne propose à ses élèves que «de savoir traduire notre langue avec la leur» et essentiellement d'en faire «des copistes plus que des écrivains». Ce sera le paradoxe de cette éducation : démontrer l'éducabilité collective des sourds par des représentations publiques, mais avec une méthode qui conduit à une dépendance, sous la dictée et non à une réelle capacité de lecteur ou d'écrivain. L'enjeu de cette école privée sera la formation de disciples français et européens puis la création d'autres écoles. A la mort de l'Abbé de l'Epée en Décembre 1789, ses élèves se retrouvèrent «orphelins» par la perte de leur maître spirituel. L'Abbé MASSE, successeur, désigné par de l'Epée lui-même, poursuivit l'éducation des élèves au couvent des Célestins où un arrêt du Conseil du roi de Mars 1785 avait projeté l'établissement. En 1789, la révolution française éveille de nombreuses espérances dans le domaine de l'instruction publique : «L'indépendance dans l'instruction fait en quelque sorte partie des droits de l'espèce humaine». Condorcet rédige «le premier mémoire sur l'instruction Publique» (1791) dans lequel il expose ce qu'il faut attendre de l'instruction : «Le premier degré d'instruction commune a pour objet de mettre la généralité des habitants d'un pays en état de connaître leurs droits et leurs devoirs». C'est l'apprentissage de la citoyenneté et d'une éducation égalitaire. En Août 1790, une députation de maîtres et d'élèves sourds, dont MASSIEU, se rend à l'Assemblée Nationale. Une demande de secours est adressée au «Comité d'Extinction de la mendicité». Suivront plusieurs rapports dont un «plan général d'une école de Sourds-muets» qui sera retenu en 1791. Ces rapports établissent le devoir d'une société : «protéger la faiblesse, assurer la prospérité, soutenir l'indigent» et exposent les aptitudes des sourds à devenir «d'excellents artisans... des calculateurs profonds, des gens instruits en un mot occuper tous les emplois...des citoyens vertueux et d'excellents artistes». Le plan général propose une nouvelle structure en «établissement, à la fois hospice, collège et école». L'abbé SICARD, (élève et successeur de l'Abbé de l'Epée, après avoir dirigé l'institution de Bordeaux créée en 1786), dirige l'institution parisienne vers un «paternalisme institutionnel» protecteur de ses «orphelins sourds» ; les sourds doivent échapper à la mendicité par l'éducation. Il sera d'ailleurs prévu que cette institution accueille les sourds et les aveugles malgré le désaccord de Sicard. En 1794, la réquisition du couvent pour l'effort de guerre entraîne le transfert des sourds à St Magloire et des aveugles dans un autre lieu (transfert réalisé le 4 Avril 1794). En 1796, Sicard dénonce: «la législation de tous les pays qui donne un tuteur à un sourd-muet, de sorte qu'il soit infortuné et orphelin toute sa vie». Il faut savoir qu'au début de XIXe siècle, de nombreux enjeux se dessinent : après les « signes méthodiques » de l'Abbé de l'Epée et les « signes de réduction » du grammairien Sicard, Bébian (1789-1839) propose la reconnaissance de la langue des signes dans une perspective bilingue. Il tente aussi un « essai d'écriture mimique» ou «mimographie» tout en insistant sur le rôle fondamental de l'apprentissage de la lecture. «C'est au sourd-muet de subir la loi de la majorité, il faut qu'il apprenne la langue de son pay.s» Après la mort de l'Abbé Sicard en 1822, trois ecclésiastiques lui succèderont jusqu'en 1831, date d'entrée en fonction de Désiré ORDINAIRE, médecin. Ce sera le premier directeur laïc de l'Institution royale. Mais devant les difficultés à faire appliquer ses perspectives, il démissionne en 1838. Au cours de ce siècle, Benjamin Dubois crée, en 1837, une école de sourds-parlants et ceci, avec l'autorisation ministérielle. Secondé par ses soeurs et ses parents entendants, Benjamin Dubois, devenu sourd à 7 ans, ancien élève de Valade à l'Institut National, dirige cette école. Considérant l'aspect économique et l'échec de la parole dans l'Institution Nationale, l'administration encourage ce projet. En 1855, le transfert des boursiers de cette école s'opère vers l'Institut National en deux « classes spéciales d'enseignement par la parole », sous la responsabilité de Dubois et ses soeurs. La création des écoles est la véritable marque de ce XIXe siècle. Après celle de Paris (1760), Bordeaux (1786) nous assistons à la création de Rodez en 1800, de Nogent le Rotrou en 1808, des écoles d'Auray en 1817, d'Arras en 1817, de Caen en 1817, du Puy en 1818, de Marseille en 1819. Suivront, de 1820 à 1850, la création de Nantes, Albi, Toulouse, Clermont-Ferrand, St Etienne, Nancy, Ronchin, Lille, Orléans, Poitiers, etc... Plus tard, ce sera Gap, St Hippolyte, Bourg la Reine, St Laurent en Royans, Bordeaux, Angoulême. Et enfin, après 1880, Limoges, Dijon, Asnières, Nice, Toulon, le Havre. En 1900, on compte près de 70 écoles. C'est une rétrospective délicate à établir : certaines écoles sont ouvertes puis fermées, puis réouvertes. F. Berthier a publié des statistiques de l'Education des sourds-muets en 1836. Quelques observations s'imposent cependant : parmi ces fondations, 47 sont religieuses, 20 sont laïques et privées et enfin 3 ont été fondées par le pouvoir public Limoges en 1855, Asnières en 1893 et une dernière en Algérie en 1877. Parmi les fondations religieuses, 34 fondations par des Abbés ou des évêques, 7 par des frères et 6 par des soeurs. Parmi les fondations laïques, on trouve plusieurs fondateurs sourds : MASSIEU à Lille, COMBERRY à St Etienne puis à Lyon, DUNANT à Nantes, BERTRAND à Limoges et PLANTIN au Puy. Les Montfortains, frères de St Gabriel et soeurs de la Sagesse, est particulièrement intéressant. Ils ont en effet une grande part dans ces créations, animent aussi des congrès pédagogiques (Loudun 1854, Poitiers 1860) et proposent de nouvelles méthodes : la cheirologie de Frère Alexis (1850), la méthode de Toulouse (Abbé Chazotte, 1863), la méthode d'enseignement pratique du Frère Anselme (Poitiers, 1853), la méthode pratique de langue française du Frère Dieudoné (1876), la phono-dactylologie du Frère Bernard (Poitiers, 1854). En 1901, huit institutions sont dirigées par les frères de St Gabriel et 7 par les soeurs de la Sagesse. Ces écoles totalisent alors près de 1000 élèves, soit le quart de la population des élèves sourds en France. C'est donc bien un mouvement considérable dans l'histoire de l'éducation des sourds que le père Gabriel Deshayes (1787-1841), admirateur de l'Abbé de l'Epée et correspondant de Sicard, fonde en créant sa première école de sourdes-muettes à Auray en 1810. Il en confie la gestion aux religieuses de la Sagesse auxquelles l'Abbé Sicard fit passer des examens satisfaisants. Deshayes, curé d'Auray, distribue un prospectus, en 1810, pour attirer l'attention et les générosités sur son oeuvre : « Toujours seuls et isolés au milieu du monde, ces infortunés ne peuvent entrer en communication avec la société et moins encore en arriver à la connaissance de la religion... ». La logique va dans le sens de l'Evangile : « ce que vous ferez aux plus petits d'entre les miens... ». En 1822, Deshayes confie les garçons sourds-muets d'Auray aux frères de St Gabriel. Le mouvement est alors lancé : Poitiers en 1833, Orléans en 1835, Lille en 1839, Soissons en 1840 puis Clermont-Ferrand en 1870, Bordeaux en 1870, etc... C'est «un engrenage de la providence» tel que le nomme un biographe de Gabriel Deshayes. Nous trouvons dans les archives une lettre de Rome, adressée aux frères de St Gabriel réunis en Congrès en 1854 à Loudun. Elle déplore l'ignorance de la religion dans laquelle se trouvent les sourds-muets et expose que «seule l'autorité suprême de l'Eglise pourrait apporter l'universalité, la fermeté et l'efficacité à ce nouveau genre d'apostolat. Elle seule pourrait avoir assez d'influence pour pousser la chrétienté, et surtout les pasteurs de l'Eglise, à participer efficacement à l'évangélisation de ce peuple nouvellement acquis ». Les réactions de cette oeuvre au début du XXe siècle lorsque la suppression des congrégations religieuses est envisagée par le gouvernement de 1901 ; il s'agissait de «sauver l'oeuvre» : «Il fut jugé nécessaire de demander la sécularisation pour empêcher l'oeuvre si importante des sourds-muets et des jeunes aveugles de tomber dans les mains de professeurs laïcs et athées»... Plus tard, en 1919, s'ajoutera l'école de Marseille. A partir de 1820, la question du transfert vers l'instruction publique ; c'est la question de la formation des maîtres qui va, dès cette époque, ouvrir le débat. Depuis 1822 existait à Paris l'idée d'une «espèce d'école normale» pour les maîtres sourds. Cependant les tensions très vives à l»Institution Parisienne et la mise à l'écart des maîtres sourds au bénéfice d'aspirants entendants, compliquaient le projet. Aussi, c'est à Bordeaux que Valade professera ses propres cours, de 1839 à 1842. Il proposait les matières suivantes : la surdité et ses conséquences, le langage des signes, ses éléments, sa grammaire, sa construction, son génie, les principes de la méthode, les moyens de communication, les procédés généraux et particuliers pour enseigner la langue écrite, l'enseignement de la parole artificielle, les leçons expérimentales d'applications et enfin, l'histoire de l'art. Piroux lance une expérience de formation des instituteurs, à Strasbourg puis à Nancy. Les instituteurs repartent avec le «vocabulaire des sourds-muets» et l'alphabet manuel. L'idée de Désiré ORDINAIRE, alors Recteur de l'Académie de Strasbourg avant de devenir directeur de l'Institut National de Paris, était «d'instituer une éducation élémentaire pour pallier aux conséquences d'une entrée tardive des sourds-muets en institution». L'âge d'admission des jeunes sourds dans les écoles était de 12 à 16 ans en 1925 puis 10 à 15 ans à partir de 1826. Le projet Ordinaire-Piroux est mis en application en Lorraine, Alsace et Champagne. Il pouvait s'étendre à toute la France. Mais cette perspective ne pouvait suffire : il fallait, au-delà du dévouement des instituteurs primaires, poursuivre l'effort de formation professionnelle et poursuivre l'instruction des sourds, commencée à la communale. La réaction négative des professeurs de l'Institut National à l'envoi des enfants sourds à l'école communale, entraîne Piroux à présenter un projet consensuel : une première moitié de l'enseignement des sourds-muets aux instituteurs primaires, la seconde étant assumée par les écoles spéciales. On réduirait ainsi leur séjour en institution à deux ou trois années ce qui conduirait à doubler la capacité d'instruction du pays et à couvrir tous les besoins. Malgré les contestations des administrateurs de l'Institut de Paris sur la validité de la formation proposée par Piroux, le Ministre de l'instruction publique s'informe de ce problème et la chambre des députés reconnaît en 1833 l'exemplarité de ce projet de formation des instituteurs. En 1839 à Nancy l'école normale préparait des sujets sourds aux établissements propices à les recevoir... et les recevaient à nouveau après le passage en institution afin de «maintenir en eux le développement de l'intelligence». En 1854, la plupart des enfants sourds-muets de cette région, étaient admis dans les écoles primaires des départements. En 1858, Piroux ouvre un cours gratuit pour tout instituteur volontaire. Piroux est secondé par «un sourd-muet instruit», Claude Richardin (1810-1900) ancien élève de Paris, éduqué par la méthode gestuelle et graphique. Piroux l'élèvera au rang de premier instituteur de Nancy. Cependant, Paris ne retient pas ce projet. Aussi, faute de gérer cette scolarisation, c'est une intégration sauvage, cautionnée par le docteur Blanchet, médecin chef de 1862 à 1868, qui s'opère dans une douzaine d'écoles où quelques classes accueilleront indistinctement entendants, sourds-muets, aveugles, arriérés mentaux et ceci, dans l'espoir d'une participation commune. En 1868, sur 80 établissements non subventionnés par l'état, selon l'étude de Valade Gabel, on compte 70 directeurs, 30 hommes et 40 femmes, 58 prêtes ou religieux et 12 laïcs. Parmi eux, 69 sont entendants et un seul est sourd-muet, Forestier. En 1846, les annales de l'Education des sourds-muets et des aveugles mentionnent une «pétition adressée par des sourds aux deux chambres», pétition pour l'ouverture d'écoles royales supplémentaires pour les sourds et le transfert de l'enseignement spécialisé au Ministère de l'Instruction Publique: «Pourquoi accoler les sourds-muets avec les idiots et les arriérés dans la division des hospices au Ministère de l'Intérieur». En 1848, l'aumônier de l'école des sourds-muets et des aveugles de Lille, Isaac Bouchet, adresse une pétition de portée générale pour que la nouvelle République, par les communes, les départements ou l'Etat assure désormais l'éducation des sourds-muets indigents, alors même que la constitution déclare tous les citoyens égaux «devant la loi et l'instruction primaire». Déjà, en 1827, Degérando avait signalé l'importance et l'urgence de développer des «écoles normales» au sein des institutions de sourds-muets. Un Congrès national, à Bordeaux en 1881, évoque la nécessité d'une «protection spéciale» pour les sourds dont la surdi-mutité est une «infirmité». Une résolution du Congrès reconnaissant la compétence du Ministère de l'Intérieur en matière «d'enseignement spécial» adresse au Ministre le voeu que toutes les institutions de sourds-muets restent dans les attributions du Ministère de l'Intérieur. Frank met l'accent sur «le caractère spécial», «la nature technique» de l'enseignement aux sourds-muets et la difficulté de le réaliser dans le cadre de l'Instruction Publique. Les institutions de sourds-muets doivent conserver leur finalité «d'assistance publique» : «tout commande de laisser aux établissements de sourds-muets leur caractère essentiel de bienfaisance, tout plaide en faveur de leur maintien dans les attributions du Ministère de l'Intérieur». En 1882, la loi du 28 Mars fait référence à l'instruction primaire des sourds-muets et des aveugles. Une Commission est crée à cet effet, le 19 Juin 1882. De cette loi résulte un amalgame entre des catégories d'enfants exigeants des dispositions particulières : «les enfants anormaux, sourds-muets, aveugles, arriérés et instables». En 1883, Ernest la Rochelle, biographe de Pereire s'adresse à la Commission du budget de l'Education Nationale pour le transfert de l'éducation des sourds-muets du Ministère de l'Intérieur au Ministère de l'Instruction Publique. En 1891, le Ministère de l'Intérieur évoque la réorganisation des écoles régionales de sourds-muets et d'aveugles. Hugentobler, sollicité pour cette étude, soumet un projet de répartition des écoles régionales. Il n'évoque qu'un transfert partiel du Ministère de l'Intérieur vers l'instruction publique. Ce dernier recruterait un personnel plus homogène, moins onéreux, libre d'un retour à l'école publique. L'enseignement changerait de tutelle mais l'organisation matérielle des établissements dépendrait toujours de l'Intérieur. Hugentobler propose la création d'un enseignement secondaire dans les Institutions Nationales. 12 écoles conviendraient en plus des 3 institutions Nationales et de l'Institut d'Asnières, réparties sur 12 régions. Les écoles libres disparaîtraient face aux avantages des grands regroupements, et surtout par la suppression des financements de l'Etat, affectés aux seules nouvelles écoles régionales. Ce serait des écoles d'instruction primaire et professionnelle. L'enseignement secondaire relevant des Institutions Nationales. Au début du XXè siècle, 20 ans après la loi de 1882, plus d'un siècle après la révolution française, et la proposition de la Convention Nationale de Juin 1793, «Adoptons les sourds-muets comme enfants de la France et ordonnons la création de six écoles régionales pour leur instruction», il s'agit encore d'obtenir la scolarisation de tous les enfants, en accord avec les lois scolaires générées par l'esprit républicain. Dans le contexte anticlérical des premières années de ce siècle, nous retrouvons autour de Gustave Baguer, les propositions antérieures et récurrentes : le transfert des établissements d'enseignement Nationaux des aveugles et des sourds-muets au Ministre de l'Instruction publique, la création d'écoles régionales publiques pour les sourds et les aveugles et la prise en charge des formations, des diplômes et des traitements par l'instruction publique. Un autre élément important du contexte de ce début de siècle, sera le Congrès International pour l'étude des questions d'Assistance et d'Education des Sourds-muets, à Paris en 1900. A l'initiative des sourds mais associant les pouvoirs publics, ce congrès a pour objectif de poser plusieurs questions dont la première qui intéresse fortement notre propos. * 24 Google.com |
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