Moyen terme aristotélicien et médiation dans les organisations( Télécharger le fichier original )par Guillaume RIVET UFR Poitiers sciences Humaines et Arts - Master2 professionnel médiation dans les organisations 2008 |
PARTIE I : le moyen terme et la médiation sont plus que la division et l'arbitragea- critique de la division par AristoteIl convient de montrer que le syllogisme et la médiation dépassent les capacités de la division et de l'arbitrage. Pour ce faire, nous allons développer ce que sont la division, l'arbitrage et l'expertise, afin de mettre à jour leurs domaines de compétences, mais surtout leurs limites. La solution aux impasses de la méthode de la division et aux pratiques de l'arbitrage et de l'expertise se trouve dans l'introduction d'un moyen terme et d'un tiers médiateur. C'est du moins ce que cette partie a pour tâche de dévoiler. En premier lieu, il va être fait état de la division et en second lieu, de l'arbitrage et de l'expertise. La méthode de la division « consiste, pour Platon, à diviser les genres en espèces par leurs par leurs différences opposées, de façon à expliquer les relations entre les Idées et légitimer ainsi la prédication. On partira d'une Idée envisagée comme composée, et, par une division méthodique et exhaustive, on reconstruira rationnellement le réel. Cette marche synthétique s'opèrera à l'aide de dichotomies successives, et, par éliminations renouvelées, aboutira à une définition ou, plus exactement, à une classification8(*) ». Nous trouvons par exemple cette méthode chez Antiphon dans les Tétralogies, chez Lysias dans Sur l'invalide, chez Gorgias dans l'Éloge d'Hélène, mais surtout chez Platon9(*). Prenons un premier exemple se trouvant dans Le Sophiste de l'utilisation de cette méthode pour arriver à découvrir le vrai: « Les six premières définitions ont été obtenues grâce à l'application de la méthode de la "division", (diairesis), traitée d'abord sur un sujet "mineur" : le pêcheur à la ligne (Le Sophiste 218a-221c). [...] Dans chaque étape de la méthode, un genre est séparé "du reste" (to loipon), c'est-à-dire, de ce qu'il n'est pas10(*) ». Platon use de cette méthode sans le dire explicitement, en la posant comme étant une démarche assez évidente pour ne pas nécessiter plus ample précision. Tout en étant un outil central dans la pensée, la division est paradoxalement reléguée à un arrière-plan, un dallage sur lequel on marche tout en discutant de la meilleure manière d'arriver au bout du chemin. Un second exemple peut être trouvé dans Le Politique11(*) ; je reprends la schématisation faite par L. Brisson de la méthode par dichotomie de Platon afin d'exposer cette dernière clairement : La méthode de la division platonicienne n'est pas infaillible : « Platon présente cette "poursuite" (le verbe est méteimi : "poursuivre", "châtier") comme une recherche qui progresse grâce à une division des genres et des espèces. Les commentateurs hésitent beaucoup sur la valeur de cette procédure, et la plupart d'entre eux ne croient pas qu'elle représente une méthode rigoureuse [...]. Il est vrai que, comme l'a remarqué Cornford (CORNFORD F. M., Plato's Theory of Knowledge, Londres, 1935, p. 170), Platon met en place sa procédure sans nous renseigner sur son mode d'emploi12(*) ». La scientificité de la méthode par dichotomie ne peut pas être établie d'une façon formalisée, il s'agit plutôt d'une classification permettant d'avancer des arguments. Elle peut cependant suffire à la démonstration de quelques problèmes, mais elle souffre d'insuffisances. Contrairement à Platon, Aristote s'attache à exposer en détail sa méthode. Il connaît la méthode de la division, mais lui accorde une valeur moindre, puisque sa fiabilité est limitée : « Que la division par les genres soit une faible partie de la méthode que nous avons exposée, il est facile de le voir13(*) ». C'est pourquoi il lui préfère celle du syllogisme, parce que la division ne permet pas d'établir une liaison analytique entre les notions, ni de s'attacher à la découverte du moyen terme. La conclusion de la méthode dichotomique ne présente aucun caractère de nécessité14(*). Aristote démontre que la division ne permet pas non plus « d'obtenir une démonstration de la substance et de l'essence15(*) ». Il réfute ainsi que Platon ait pu, par la méthode de la division, arriver à des conclusions viables sur la théorie des Idées. Pour Aristote, il n'est pas nécessaire d'utiliser la théorie des Formes pour arriver à une définition de l'essence. Le problème méthodologique fondamental avec la division est « qu'elle prend l'universel pour moyen terme16(*) ». Par ailleurs, le moyen terme n'est pas plus universel que le médiateur, puisque le médiateur s'occupe avant tout de cas particuliers, alors que l'universel s'applique à tous les cas et n'est donc ni une chose, ni un moment déterminé. C'est pourquoi le moyen terme et le médiateur diffèrent de la conclusion, laquelle est universelle, alors qu'eux ne le sont pas. Afin d'étayer ces affirmations, prenons un premier exemple proposer par Aristote17(*) : animal = A mortel = B immortel = G homme (dont on cherche la définition, sachant que la définition cherchée est : l'homme est un animal mortel, pourvu de pieds et bipède) = ? tout A est B ou Tout animal est ou mortel ou immortel (1re prémisse) ? est A L'homme est un animal (2nd prémisse) donc tout ? est B ou G donc tout homme est mortel ou immortel (conclusion) Que l'homme soit un animal mortel (tout ? est AB) ne résulte pas nécessairement de la méthode par division alors que c'est ce qui devait être prouvé par syllogisme. Dans ce dernier, le moyen est subordonné au majeur dans la majeure. Or dans la division, le moyen est un genre ou un universel plus général que le majeur. La conclusion dans la division donne donc un prédicat plus général que celui cherché. La conclusion est alors arbitraire et posée d'avance, comme l'exemple l'a montré. Ce second exemple n'est en fait que la suite du premier : animal mortel = A pourvu de pieds = B sans pieds = G homme = ? tout A est ou B ou G tout animal mortel est ou pourvu de pieds ou sans pieds (1re prémisse) ? est A l'homme est un animal mortel (2nd prémisse) donc ? est soit B soit G donc l'homme est soit ou un animal pourvu de pieds ou un animal sans pieds (conclusion) Il n'est alors pas nécessairement posé que l'homme soit un animal pourvu de pieds. La conclusion est donc arbitraire. « Ainsi donc, la division se poursuivant toujours de cette façon, ces auteurs [les platoniciens] sont conduits à prendre comme moyen terme l'universel, et comme extrêmes le sujet de la preuve à faire et les différences. [...] Qu'il s'agisse d'établir que telle chose est homme ou n'importe quel autre sujet de recherche, ils n'apportent aucune clarté susceptible d'en assurer la nécessité18(*) », car ils ignorent la méthode syllogistique. La division est par conséquent une méthode par laquelle la preuve n'est pas possible19(*) : « Il ne s'agit pas ici de condamner la division comme inapte à faire connaître quoi que ce soit, mais de prendre conscience qu'en elle-même elle n'est pas un syllogisme, elle ne constitue pas un procédé rigoureux de médiation, elle ordonne simplement des connaissances dont l'évidence doit venir d'ailleurs, être présupposée20(*) ». Nous voyons maintenant qu'il est nécessaire de dépasser la méthode de la division si l'on veut sortir de l'impasse à laquelle cette méthode mène. Le tiers médiateur, c'est-à-dire le moyen terme, est une alternative bien plus séduisante que la division. De la même manière, il faudra utiliser une méthode qui puisse pallier les insuffisances de l'arbitrage et de l'expertise. Cette méthode est bien sûr celle de la médiation, comme nous allons le voir. * 8 TRICOT Jean, Aristote Premiers Analytiques, Editions Vrin, bibliothèque des textes philosophiques, 2001, note 1, p. 159. * 9 CHIRON Pierre, Aristote Rhétorique, Paris, GF Flammarion, 2007, Livre II, Chapitre 23, p. 386, note 44. * 10 CORDERO Nestor-Luis, Platon Le Sophiste, Paris, GF Flammarion, 1993, Introduction, p. 33. * 11 BRISSON Luc, PRADEAU Jean-François, Platon Le Politique, Paris, GF Flammarion, 2003, Annexes, p. 284. * 12 Op. Cit., PLATON, Le Sophiste, note 26, p. 216. * 13 ARISTOTE, Premiers Analytiques, Paris, Editions Vrin, Jean Tricot,, 2001, p. 159, (.I, 31). * 14 Ibid., note 1, p. 159. * 15 Ibid., p. 160. * 16 Ibid., p. 160. * 17 Ibid., p. 160. * 18 Ibid., p. 162. * 19 Ibid., p. 162. * 20 PELLETIER Yvan, Le syllogisme hypothétique, sa conception aristotélicienne, Société d'Études Aristotéliciennes, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2006, p. 137. |
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