A. UN ETAT INADAPTE.
Depuis les indépendances, le continent africain est
stigmatisé par ses régimes despotiques et sanguinaires, ses
sempiternels coups d'Etat sanglants et ses conflits identitaires. De tels
problèmes amènent forcément à s'interroger sur
l'Etat en Afrique qui semble être un échec au vu des
éléments cités plus haut. Pourquoi ce continent a tant de
mal à se doter d'Etats modernes et efficaces ? On ne peut remettre en
cause l'Etat africain sans étudier son historicité. Durant ces 40
dernières années, l'école de la dépendance s'est
penchée sur le sujet pour montrer que l'historicité du continent
s'est confondue avec l'historicité du monde occidental dont il
dépend, ce qui lui a fait subir les transformations du système
via la colonisation notamment. La logique centre-périphérie du
système né de cette période s'est poursuivie avec la
décolonisation et dans les pays périphériques africains,
les nouveaux hommes forts n'étaient que d'anciens
privilégiés du régime colonial. L'échec de l'Etat
africain s'expliquerait donc par l'échec d'un greffe d'un Etat qui n'a
pas respecté l'historicité propre du continent.
En outre l'échec de l'Etat en Afrique a amené
à réfléchir sur sa compatibilité avec les
structures sociales dans tout ce qu'elles englobent (tradition, ethnie). Sophia
MAPPA par l'exemple du Congo dans son livre Pouvoirs TLECiTIRQQeI7
eTIPSRuIRIL COTETWQ AfLiIXI,ll'ift171RQ uQivIL7aliste s'est
efforcée de développer le sujet à travers la notion de
pouvoir d'Etat. En effet qu'entend-on par chef d'Etat ? Par appareil d'Etat ?
L'auteur met en lumière une conception africaine de l'Etat empreinte
d'une volonté de modernité mais aussi d'un attachement aux
traditions16. L'Etat laissé par les
Occidentaux a subi les perversions de sa rencontre avec les valeurs
traditionnelles : le chef d'Etat est avant tout un chef ethnique qui est au
service exclusif de son ethnie. Le clivage avec l'idéal africain
s'opère et toutes les constructions politiques s'expriment à
travers ce clivage ethnicotraditionnel que la démocratie et le
pluralisme ne font que renforcer. Les pratiques traditionnelles se sont donc
retrouvées au sommet de l'Etat et de la classe politique où le
chef d'Etat a un pouvoir mystique et le chef de parti aussi.
Les clivages ethnico-traditionnels sont omniprésents
car au clivage ethnique se joint le clivage de l'âge où les
générations luttent pour le pouvoir sans pour autant remettre en
cause la tradition qui reste idéalisée.
On comprend donc que l'Etat africain se nourrit de ces
micro-nationalismes qui le pervertissent et l'empêchent de jouer son
rôle dans la société car selon Mathieu MOUNIKOU comment
l'Etat africain assumerait-il une telle mission alors qu'il n'est pas
imprégné de l'idéal d'un projet de société
?17.
L'Etat africain est donc en dérive n'agissant plus en
fonction d'un projet de société et au profit de toute la nation,
il fonctionne en oligarchie au profit d'une petite portion de la population et
dans le seul but de maintenir son pouvoir et ce quelqu'en soient les moyens. Le
pouvoir économique en est une illustration car l'Etat africain semble
avoir pour leitmotiv « se servir plutôt que servir » et comme
le soulignent MM. FOTTORINO, GUILLEMIN et ORSENNA « Tout Etat parce qu'il
ne produit pas pour vivre, mais a besoin de prélever pour exister, est
rentier. Mais l'Etat africain transgresse, en cette matière, les limites
de l'admissible. Il a dépassé la rente pour se livrer à la
prédation . Ses origines coloniales lui ont appris les secrets et la
saveur du prélèvement. »18.
16 MAPPA S., Pouvoirs traditionnels et pouvoir
d'État en Afrique, l'illusion universaliste, Karthala, 1998, 208
pages.
17 MOUNIKOU M., L'Afrique est-elle incapable de s'unir
? : lever l'intangibilité des frontières et opter pour un
passeport commun, L'Harmattan, 2002, p.11 5.
18 FOTTORINO E., GUILLEMIN C., ORSENNA E., Besoin
d'Afrique, Le Livre de Poche, 1994, p.33
Le problème de l'Etat africain ne repose pas simplement
sur l'incompatibilité, il repose plutôt sur la juxtaposition des 2
modèles. Il faudrait que l'un des 2 soit incorporé dans l'autre
pour obtenir un modèle applicable, respectueux et respecté de
tous. Et tant que cette démarche ne sera pas entreprise l'Etat africain
sera toujours en proie à des crises d'institutions et de
modèles.
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