A. LE RENOUVEAU DU PANAFRICANISME.
1900. Le dernier siècle du millénaire. Londres,
capitale du plus grand empire colonial. Un homme, Henry Sylvester-Williams. Et
un mot, panafricanisme. Ce dernier est l'instigateur de la première
réunion panafricaniste fort des liens qu'il a su créer entre les
panafricanistes américains et les Africains venus étudier en
Europe. 32 personnes participent à cette
conférence dont Du Bois (11 Américains, 10 Caribéens, 5
Londoniens, 1 Canadiens et seulement 4 Africains d'Abyssinie, de la Côte
d'Or, du Libéria et de la Sierre Leone.) et de nombreuses associations
sont invitées à l'image de la Société
Anti-esclavagiste Britannique, le Comité pour la Protection des Races
Indigènes et la Lutte contre le Trafic d'Alcool, la
Société de Protection des Aborigènes ou encore la
Société des Amis des Noirs. Le mouvement panafricaniste et le
mouvement anti-esclavagiste, à travers les conclusions de la
conférence, adressent ensemble un message à la reine Victoria et
lui demandent de « prendre les mesures nécessaires pour influencer
l'opinion publique sur les conditions de vie et les lois qui régissent
les autochtones dans plusieurs parties du monde, particulièrement en
Afrique du Sud, en Afrique de l'Ouest, aux Antilles et aux Etats-Unis
»7.
Suivra du 19 au 21 février 1919, le premier
congrès panafricain, prolongement naturel de la précédente
conférence. Ce congrès est différent parce qu'il arrive
à la fin de la première guerre mondiale et se veut une
réponse à la Conférence de la Paix qui débuta un
mois plus tôt à Versailles. Ce congrès marque
définitivement le passage du témoin car depuis la
conférence de Londres Sylvester-Williams est mort en 1911 puis Blyden en
1912, le panafricanisme a perdu ses pères fondateurs. Une nouvelle
étape est engagée et est symbolisée par des hommes comme
Du Bois ou encore Blaise Diagne élu premier député noir
français en 1911. Le ton aussi a changé ; on est passé des
requêtes aux exigences, exigences adressées à la toute
nouvelle Société des Nations. Lors des conclusions, le
congrès exige « un code législatif international pour la
protection des indigènes d'Afrique, un bureau permanent pour
l'application de ces lois »8. Les congressistes
réclament aussi la mise à disposition de la terre pour les
indigènes, l'investissement de capitaux, la limitation des cessions de
concessions pour lutter contre l'exploitation des indigènes et
l'épuisement du bien-être naturel des pays, l'abolition de
l'esclavage, des châtiments corporels, du travail forcé,
l'établissement d'un code du travail par
7 Rapport de la Conférence Panafricaine de
Londres du 23-25 juillet 1900.
8 Rapport du Congrès Panafricain de Paris du
19-21 février 1919.
l'Etat, une éducation gratuite pour les
indigènes et ce même en langue maternelle et leur formation
professionnelle. Mais la plus importante des exigences qui préfigurent
les futures luttes indépendantistes concerne les droits des
indigènes de participer au Gouvernement. En effet pour les congressistes
« les indigènes d'Afrique doivent avoir le droit de participer au
Gouvernement aussi vite que leur formation le leur permet, et
conformément au principe selon lequel le Gouvernement existe pour les
indigènes et non l'inverse. Ils devront immédiatement être
autorisés à participer au gouvernement local et tribal, selon
l'ancien usage, et cette participation devra graduellement s'étendre, au
fur et à mesure que se développent leur éducation et leur
expérience, aux plus hautes fonctions des états ; de façon
à ce que l'Afrique finisse par être gouvernée par le
consentement des africains... »9 .
Le congrès de 1921 qui se tiendra entre Bruxelles,
Londres et Paris donnera naissance au Manifeste de Londres qui en reprenant
l'idée d'un gouvernement local autonome, en demandant la reconnaissance
des indigènes comme civilisés et donc un traitement plus juste et
plus équitable, se livre à un factum contre la colonisation et
l'Angleterre désigné comme particeps criminis. Ce
manifeste sera complété par les résolutions de Paris qui
reprennent les idées principales du manifeste londonien et y ajoute
celle du retour des nègres sur leurs terres. La jonction entre les 2
sensibilités du panafricanisme (afro-centré et
negro-centré) s'opère et se fera à New York, aux
Etats-Unis là où le panafricanisme avait fait ses débuts.
En novembre 1927, le vent indépendantiste qui souffle déjà
en Europe s'empare du Congrès qui énonce clairement que les
Africains ont le droit de participer à leur propre gouvernement, que le
développement de l'Afrique passe par les Africains et évoque la
possibilité pour ces derniers de s'armer pour se défendre si un
désarmement mondial n'intervient pas. Gouvernance africaine,
défense africaine, économie africaine si le mot
indépendance n'est pas encore prononcé les revendications des
congrès successifs s'en rapprochent.
9 Rapport du Congrès Panafricain de Paris du
19-21 février 1919.
Les congrès ne furent pas les seuls vecteurs de la
contestation ; entre temps étudiants et intellectuels africains de tout
horizon intensifient le militantisme ; en cette période
d'entre-deux-guerres, l'appel à l'autodétermination se fait de
plus en plus fort et même s'il a fallu attendre la Charte de l'Atlantique
de 1941 pour que le message semblât être entendu, des associations
tels que l'Union des Etudiants d'Afrique de l'Ouest créée en
1925, l'Etoile Nord-Africaine en 1928 qui se prononce déjà pour
l'indépendance totale de l'Algérie, en sont des exemples. Mais le
tournant du panafricanisme interviendra en 1945 lors du fameux congrès
de Manchester que beaucoup considère comme le moment où le
panafricanisme politique atteint sa maturité.
B. LES INDEPENDANCES SOUS LE SCEAU DU
PANAFRICANISME.
« A ce moment, ce fut comme si tout Londres m'avait
déclaré la guerre. Pendant quelques minutes je ne pus rien faire
d'autre qu'observer les visages des passants impassibles, me demandant
intérieurement si ces gens-là étaient conscients de leur
colonialisme maladif, et priant pour que le jour vienne où je puisse
jouer mon rôle dans la chute de ce système. Mon nationalisme
remontait à la surface; j `en étais prêt à passer
par l'enfer s `il le fallait, pour atteindre cet objectif »10 .
Ces propos sont ceux de Kwame Nkrumah, étudiant à
l'Université de Pennsylvanie de passage à Londres.
L'évènement dont il parle c'est l'invasion de l'Ethiopie par
l'Italie fasciste. Car bien avant le congrès de Manchester de 1945, la
crise italoéthiopienne (1935-1936) a marqué de son empreinte un
panafricanisme arrivant à maturité politique. Le spectacle d'une
communauté internationale amorphe face à l'agression d'un pays
africain par l'Italie fasciste a profondément interpellé. Mais
le
10 John Brown, «Public diplomacy Press
Review», Institute for the Study of Diplomacy, Georgetown University,
Washington DC, 22 Mai 2004, à partir d'un article de Richard
Pankhurst.
fait que ce pays soit l'Ethiopie, symbole d'une Afrique libre,
civilisée, fière est un sacrilège que les panafricanistes
ne peuvent laisser passer. Dès lors le panafricanisme entre dans une
nouvelle phase qui se précisera lors du congrès de Manchester et
qui se concrétisera avec les indépendances à la fin des
années 50 et au début des années 60. Le mouvement
s'accélère et prend une allure franchement politique
symbolisé par le congrès de Manchester qui se déroula du
15 au 19 octobre. Le congrès est l'occasion d'un passage de
témoin entre la génération de militants intellectuels
symbolisée par DuBois et la génération des militants
politiques comme Padmore et Nkrumah. Le congrès renouvelle dans son
compte rendu l'idée de « l'Afrique aux Africains. ». A ce
congrès sont présents quelques uns des hommes qui feront
l'histoire de leurs pays respectives au moment des indépendances :
Nkrumah propose une fédération ouest-africaine regroupant les
pays de l'Afrique Occidentale Française (A.O.F), les colonies
britanniques et portugaises ; Jomo Kenyatta vient rendre compte de la situation
au Kenya, en Rhodésie du nord et du sud et au Nyassaland.
Le congrès de Manchester est un tournant car
après 1945, les organisations politiques et indépendantistes se
multiplient. En décembre 1945, Nkrumah créa le Secrétariat
National Ouest-Africain pour qui « « l'indépendance
complète et absolue des peuples d'Afrique occidentale est l'unique
solution du problème qui se pose », au sein du Secrétariat
il tente d'établir des liens avec les députés de l'A.O.F
dans l'espoir qu'à la décolonisation son projet de
fédération ouest-africaine puisse voir le jour.
Parallèlement à l'existence du Secrétariat, le
Rassemblement Démocratique Africain (RDA) naquit en 1946 lors du
congrès de Bamako. Le RDA fut une première en Afrique car en tant
que premier parti politique panafricain il regroupait des élus
français venus des colonies comme Félix Houphouët-Boigny,
Modibo Keïta, Sékou Touré et avait pour but
l'indépendance. Le RDA malgré une activité intense fut
rapidement divisé car certains leaders comme Houphouët- Boigny
prévoyait une union avec la France une fois l'indépendance
acquise, ce qui
créa un clivage avec d'autres membres comme
Sékou Touré11 mais surtout un obstacle à
l'union des autres mouvements indépendantistes ouest-africains
britanniques et portugais.
Le mouvement final est en marche et les indépendances
vont commencer avec le Ghana dont Nkrumah devient le premier président
en 1957. En Afrique française, la deuxième moitié des
années 50 est une accélération du processus de
décolonisation qui, de la loi Deferre de 1956 au
référendum de 1958, conduira 2 ans plus tard à
l'indépendance des colonies de l'A.O.F et de l'Afrique Equatoriale
Française (A.E.F).
Une fois les indépendances acquises dans les
années 1960, le panafricanisme va pouvoir entamer la dernière
phase : l'unification de l'Afrique chère à Nkrumah, Garvey,
DuBois, Blyden et tous ceux qui ont rendu possible l'indépendance des
pays africains.
3) Le panafricanisme au sein du système
international.
« Un homme seul ne peut se marier. J'ai attendu la France
sur le parvis de l'Eglise, avec mon bouquet de fleurs fanés. »
Félix Houphouët-Boigny.
« La révolution n'est pas un processus à une
étape. » Martin Luther King.
Les années 1960 marque donc le passage du
panafricanisme à l'ultime phase : car les indépendances
n'étaient qu'une étape pour les panafricains, une étape
importante certes, mais une étape qui devait permettre à
l'Afrique de s'unir et de se
11 Sékou Touré fut le seul dirigeant qui
vota non au référendum de 1958 sur la Communauté
Française et accéda immédiatement à
l'indépendance.
dégager des chaînes d'une colonisation qui l'a
humiliée et balkanisée. Mais l'histoire prévue par les
panafricains et notamment par Nkrumah ne va pas s'écrire. L'unité
qui semblait exister pendant la colonisation pour une Afrique aux africains,
une Afrique indépendante et libre éclate avec les
indépendances. L'OUA cristallise l'échec du panafricanisme
à franchir l'ultime étape.
A. PANAFRICANISME D'INTEGRATION VERSUS
PANAFRICANISME DE COOPERATION.
En Avril 1958, Nkrumah organisa à Accra capitale du
Ghana12 fraîchement indépendant la Conférence
des Etats Indépendants d'Afrique à laquelle participèrent
les 8 Etas souverains du continent, les 4 du Maghreb (Maroc, Lybie, Egypte et
Tunisie) et les 4 d'Afrique subsaharienne (Ghana, Libéria, Ethiopie et
Soudan). Au cours de cette conférence les Etats présents avaient
renouvelé leur engagement panafricain et exhorté les autres
peuples africains à combattre pour leur indépendance. En
septembre 1958 l'indépendance de la Guinée est une occasion
supplémentaire pour le leader ghanéen de montrer son engagement :
l'union Ghana-Guinée naquit avec un prêt de 10.000.000 des deniers
ghanéens accordé à la Guinée, en outre il fait
inscrire dans la constitution du Ghana la possibilité de céder
une partie de la souveraineté en cas d'unification.
Avec les indépendances massives des années 60,
les entreprises panafricaines s'intensifient avec notamment la
Fédération du Mali regroupant le Mali actuel et le
Sénégal. Mais l'éclatement de la Fédération
quelques mois après sa création est un signe avant-coureur de ce
que sera l'aventure panafricaine en Afrique. En effet les obstacles à
l'unification vont se multiplier. En Afrique de l'ouest sous l'impulsion de la
France qui veut contrer les velléités fédéralistes
de Nkrumah13, la Côte
12 Nkrumah rebaptise la Côte d'Or Ghana en
hommage à l'empire du Ghana qui exista en Afrique de l'ouest.
13 L'Union Ghana-Guinée de 1958 s'est
étendue au Mali. Nkrumah est sur le point de convaincre le Burkina- Faso
et le Bénin de rejoindre l'Union.
d'Ivoire crée le conseil de l'Entente auquel
participent le Burkina-Faso, le Niger et le Bénin.
A l'échelle continentale, la division est encore plus
profonde entre le groupe de Monrovia et celui de Casablanca, entre les
progressifs et les modérés, entre les partisans d'une unification
immédiate comme Nkrumah et les partisans d'une unification progression
grâce aux paliers régionaux et enfin entre les Etats africains
hostiles à l'Occident et favorables à un socialisme africain et
les Etats africains favorables au bloc occidental capitaliste.
C'est dans cet environnement que se tint la première
conférence des Chefs d'Etat et de gouvernement d'Afrique en mai 1963
à Addis-Abeba. La conférence ne fut bien évidemment pas le
moment de l'unification des peuples africains, perspective
écartée sous la pression des modérés du groupe de
Casablanca majoritaire. Les réunions suivantes, au Caire en 1964
à Accra en 1965 consacrèrent l'intangibilité de
frontières nées de la colonisation, la non-ingérence des
Etats africains dans les affaires d'un autre Etat, bref la victoire d'un
panafricanisme minimaliste, d'un panafricanisme de coopération
symbolisant le cinglant manque de volonté de la plupart des dirigeants.
Pour FALVAREZ qui s'est intéressé à l'OUA la
conférence d'Addis-Abeba fut le lieu d'« une unanimité faite
de renoncement, un nivellement par le bas. »14 ; le constat est
encore plus sévère et montre la responsabilité des
dirigeants dans l'échec d'Addis-Abeba car « Addis- Abeba vient
après que les chefs de l'Afrique révolutionnaire aient
commencé à se sentir mal à l'aise dans l'isolement que
leur procuraient leur intransigeance et leur attachement aux principes. Et
d'autre part des chefs d'Etat qui n'étaient en somme que des structures
de parade, courant à l'abri du morcellement africain la grande
exploitation du néocolonialisme, avaient de plus en plus mauvaise
conscience en voyant que tous les attributs de leur indépendance
politique ne suffisaient pas à leur conférer une dignité
d'Africains. A Addis-Abeba, on essaya de mettre fin au
désagrément des uns et à la mauvaise conscience des
autres. Après Addis-Abeba,
14 FALVAREZ L.L., Lumumba ou l'Afrique
frustrée, CUJAS, 1965, p.181
plus besoin de continuer dans l'intransigeance unitaire, alors
que toute l'unité apparemment possible fut réalisée
là-bas. »15
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