B. PANAFRICANISME OU PANNEGRISME ?
La seconde moitié du XIXème siècle est
une période phare de l'histoire des Etats- Unis d'Amérique pour 2
raisons : la guerre de Sécession et l'esclavagisme. Parce que la guerre
civile opposa les Etats confédérés du Sud esclavagistes
à ceux de l'Union abolitionnistes, parce que l'esclavagisme était
de plus en plus dénoncée en témoigne le succès de
la Case l'Oncle Tom de Harriet Beecher-Stowe (1811-1896),
5 En anglais National Association for Advancement of
Coloured People (N.A.A.C.P)
cette période fut un terreau pour l'émergence
sinon le renforcement des revendications identitaires : ici celle des noirs.
Il est ainsi impossible de ne pas établir de
parallèle entre le mouvement d'émancipation des noirs et le
mouvement panafricaniste. Le panafricanisme a été amorcé
par des descendants d'esclaves à la recherche d'un projet de
société où ils seraient mieux acceptés car
malgré l'abolition de l'esclavage sur tout le territoire
américain par le congrès de Washington du 31 janvier 1865, les
noirs subissent toujours la ségrégation et l'exploitation et ce
même au niveau institutionnel. L'homme noir n'est pas encore sur un
même pied d'égalité que son congénère blanc
et il lui faudra attendre encore un siècle.
Entre ces 2 mouvements le mariage de coeur et de raison est
évident et toutes les figures précédemment cités,
de Blyden à Garvey ont utilisé cette alliance. Garvey ne
fonda-t-il pas l'Universal Negro Improvement Association and African
Communities League (UNIA-ACL) dans le but d'unir le peuple noir, ne
créa-t-il pas plusieurs organisations dans le but de promouvoir et de
subvenir aux besoins des populations noires ?
Si l'exemple de Garvey est radical dans ce qu'il recherche
constamment l'opposition entre Blancs et Noirs pour alimenter sa conception du
panafricanisme, les panafricanistes les moins belliqueux ont compris l'enjeu de
l'association.
Dans une société qui les marginalisait, les
rejetait, les noirs ont vu en l'Afrique l'espoir d'un nouveau projet de
société, une société qui est d'ailleurs
naturellement leur. Nous retiendrons cette déclaration restée
célèbre : « Nous sommes Africains pas parce que nous sommes
nés en Afrique mais parce que l'Afrique est née en nous.
»6. Une fois de plus le contexte va jouer son rôle car ce
projet de société est sous-tendu par une quête plus
importante : celle de l'identité. Les noirs qui développent le
panafricanisme sont marqués par le clivage Noir/Blanc, ils se
définissent de façon pragmatique ou radicale par rapport aux
blancs.
6 La paternité de cette phrase reste inconnue.
Certains l'auraient attribué à Marcus GARVEY.
Ainsi si l'Amérique est la terre des Blancs alors
l'Afrique est la terre de tous les Noirs, le lieu de leurs réalisations
politique, économique, culturelle et spirituelle. Cependant on ne peut
s'empêcher de se demander où s'arrête ce pannegrisme et
où comment le panafricanisme. Dans les principales théories
panafricanistes du XIXème et du début du XXème
siècle il est intéressant de noter la prééminence
de la cause noire sur celle panafricaine. Lorsque DuBois se demandait s'il
était possible, s'il était probable que 9 millions d'hommes
puissent accomplir, sur le plan économique ,de véritables
progrès , s'ils étaient privés de droits politiques ,
s'ils étaient réduits à n'être qu'une caste servile
et si on ne leur laissait que la chance la plus infime de développer
leurs jeunes intellectuellement doués ; il ne faisait pas
référence aux Africains, s'il fonda la N.A.A.C.P en 1908, ce
n'était que pour lutter contre la ségrégation aux
Etats-Unis. Ce ne sera que plus tard qu'il fera référence
à l'Afrique comprenant que subordonner le problème des noirs
américains à celui de l'Afrique créerait l'engouement
nécessaire à l'avancement de la situation aux Etats-Unis et
pourquoi pas en Afrique par la suite.
On peut alors légitimement s'interroger sur la valeur
de ces panafricanismes nés au XIXème siècle. Ont-ils tenu
compte tenu de la réalité de l'Afrique ? Une Afrique qui n'a
jamais existé en tant qu'entité politique. Ont-ils tenu compte de
la réalité culturelle de l'Afrique ? Une Afrique marquée
par sa pluri-culturalité et par la mosaïque des peuples qui la
composent. Si la dimension negro-centrée de ce panafricanisme des
débuts pourrait le faire croire, l'apparition des thèmes de
l'historiographie panafricaniste doit nous montrer que l'histoire comme
discipline scientifique a aussi occupé une place de première
importance pour les pères fondateurs, et ce aussi bien en Afrique qu'aux
Etats-Unis en passant par les Antilles. En effet sous la plume de Blyden,
d'Africanus Horton, et d'auteurs moins connus aujourd'hui, tels que
l'abbé Boilat (Esquisses sénégalaises, 1853), Reindorf
(History of the Gold Coast and Ashanti, 1889), Sibthorpe (History of Sierra
Leone, 1868), Johnson (The History of the Yorubas,1921) ou encore de
Casely-Hayford (Ethiopia Unbound : Studies in Race Emancipation. United Empire,
1911), apparurent des thèmes tels que l'Afrique comme berceau de
l'humanité,
l'antériorité et l'unité des
civilisations nègres, l'exemplarité de l'Ethiopie à
travers sa très longue histoire ou encore l'éclat de la vie
politique, économique, culturelle et scientifique des Etats africains au
Moyen-âge sans oublier les ravages de la Traite et de l'esclavage et la
capacité de survie des sociétés africaines
confrontées aux intrusions les plus destructrices ; les
résistances africaines à l'esclavage et aux dominations
étrangères.
Dès lors il est intéressant de voir que ces
panafricanismes ont été plus negro-centrés plus
qu'afro-centrés. Néanmoins cette dimension participe de
l'histoire du panafricanisme en ce qu'on le trouvera tout au long du
XXème siècle notamment chez les afrocentristes comme Cheikh Anta
Diop qui continuèrent de placer l'homme noir au centre du débat
panafricain ou encore chez les penseurs de la négritude.
Le panafricanisme a été marqué dès
ses débuts par un militantisme intellectuel et culturel qui a
précédé et va accompagner les luttes politiques.
2) L'avqnement du panafricanisme politique
Si le XIXème siècle marque la naissance du
panafricanisme, le XXème est synonyme de renouveau car alimenté
par les futures élites africaines venus étudier en Europe et
synonyme de maturation car en traversant l'Atlantique le panafricanisme
entreprend sa mue. Il est l'heure que le panafricanisme se recentre sur
l'Afrique et que le combat déjà militant se fasse politique.
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