II. UNE COMMUNAUTE DE SECURITE EST-ELLE POSSIBLE ?
1) L'Etat africain et l'échec du rôle de
régulateur.
A. L'ETAT INADAPTE
B. LA PROBLEMATIQUE DES FORCES ARMEES EN AFRIQUE.
2) Pour une autre vision de la sécurité.
A. L'INTRICATION DES DILEMMES DE SECURITE
B. LA SECURITE HUMAINE AU COEUR DE LA PROBLEMATIQUE
SECURITAIRE.
III. LA CEDEAO COMME EXEMPLE DE
LA MISE EN PLACE D'UNE
COMMUNAUTE DE SECURITE EN AFRIQUE DE L'OUEST.
1) Pourquoi l'Afrique de l'Ouest ?
A. UNE HISTOIRE DANS L'HISTOIRE.
B. L'AFRIQUE DE L'OUEST : UNE REGION CRISOGENE
2) L'ECOMOG : Le franchissement d'un palier nécessaire.
A. DU PNA A L'ECOMOG.
B. UN BILAN MITIGE
3) Une initiative encourageante pour une région et pour
tout un continent.
A. LES MECANISMES DE PREVENTION, DE GESTION ET DE
REGLEMENTS DE CONFLIT
B. VERS LES FORCES AFRICAINES EN ATTENTE (F.A.A)
IV. UNE VOLONTE DES ELITES ET DES MASSES.
1) Le « panafricanisation » des masses.
A. DEPASSER LES DIFFERENCES IDENTITAIRES.
B. STIMULER UNE AFRIQUE DES PEUPLES.
2) L'Afrique des peuples comme complément de l'Afrique des
Etats.
A. LE CLIVAGE AFRIQUE NOIRE-AFRIQUE BLANCHE.
B. LES AIRE REGIONALES COMME RAMPE DE LANCEMENT
3) Afrique des Etats ou Etats-Unis d'Afrique ?
A. SUPRA-GOUVERNANCE ET QUERELLES DE LEADERSHIP
B. LE FEDERALISME : VOEU PIEUX ?
INTRODUCTION
Conflit du Kivu persistant en 2009, coup d'Etat en
Guinée en décembre 2008 et réveil des tensions en
Guinée-Bissau qui ont conduit à l'assassinat du Président
Vieira, l'Afrique a encore été le théâtre de
conflits armés et de troubles qui mettent en danger la stabilité
des Etats et du continent.
Depuis les indépendances des années 60,
l'Afrique est plongée dans le cercle vicieux de la violence et a du mal
à sortir de cette spirale. Et pourtant l'indépendance fut une
longue quête et un Graal difficile à obtenir. Sur sa route le
mouvement indépendantiste africain a croisé à plusieurs
reprises la route d'un autre mouvement : le panafricanisme.
Le panafricanisme fait aujourd'hui partie du vocabulaire
politique africain mais le chemin vers cette reconnaissance a été
long et semé d'embûches car le panafricanisme contrairement
à ce que son nom indique n'est pas né en Afrique. Venu des
Etats-Unis et des Antilles britanniques, il s'est forgé au contact du
mouvement d'émancipation des noirs. Entre son départ des
Etats-Unis et son arrivée en Afrique le mouvement aura mûri
passant d'une revendication intellectuelle à un militantisme politique,
d'un mouvement localisé à une dynamique mondialisé. Au
contact des différents hommes qui ont fait son histoire, le
panafricanisme a connu plusieurs courants ; signe de la vitalité d'un
concept qui a accompagné les pays africains vers
l'indépendance.
Mais avant d'être un mouvement politique, le
panafricanisme est une aventure intellectuelle menée par des hommes qui
rêvaient d'un monde meilleur et pour qui l'Afrique était le lieu
de réalisation de ce rêve. L'Afrique, berceau de
l'humanité, devait être le lieu de renaissance de toutes ses
populations enchaînées par l'esclavage puis par la colonisation.
La recherche de liberté dépassait le simple cadre politique de
l'indépendance, le but était de retrouver une identité, la
leur. L'aspiration identitaire a donc appelé à l'aspiration
politique. Mais alors peut-on parler de l'Afrique comme d'une entité
culturelle ? Non pas vraiment car l'Afrique, si elle est une entité par
les lois de la géographie, ne représente pas un bloc culturel
mais plutôt un formidable espace en
perpétuelle mutation et empreint d'une vitalité
marquée par l'entrecroisement des civilisations et des dynamiques
migratoires, culturelles et politiques. L'Afrique de l'âge d'or n'a
jamais existé, l'Afrique une et indivisible non plus.
Mais force est de constater que malgré l'accession aux
indépendances, l'idée a du mal à s'imposer aux Africains
alors qu'elle fut une évidence pour ses concepteurs. Bien entendu il est
plus facile de concevoir un plan que de lui donner corps et les obstacles
à la réalisation de cette unité sont nombreux. Comme nous
le disions précédemment l'Afrique n'a jamais connu l'unité
et ce même avant la colonisation. L'histoire du continent est cependant
marquée par ses constructions politiques vastes qu'on oublie souvent de
mentionner car l'Afrique est le berceau de l'Egypte antique, de la Nubie et de
grands empires qui se sont étendues sur de grands espaces. Les Empires
Songhaï, Kongo, Zoulou, du Ghana, du Kanem, du Mali sont autant
d'illustrations de la richesse d'une Afrique qui n'a jamais cessé de
marquer l'histoire et l'universel. La fabrique historico-sociale africaine n'a
ainsi jamais cessé de fonctionner.
Fort de toutes ces constatations, il nous apparaissait
important de nous pencher sur l'histoire du panafricanisme et de son
évolution car le panafricanisme vise l'unité de l'Afrique. Une
unité multidimensionnelle qui doit permettre au continent et à
ses fils de gagner la place qui leur revient de droit dans la communauté
internationale. L'unité passe donc par plusieurs niveaux et au vu des
conflits qui se sont multipliés depuis les indépendances l'aspect
sécuritaire est un volet indispensable à la réalisation de
l'unité africaine. En effet comment des Etats qui ne se sentent pas en
sécurité dans leur environnement peuvent-ils s'engager dans une
union qui réclame une confiance mutuelle et un engagement total ?
Comment des Etats peuvent-ils penser à bâtir une union s'ils sont
incapables d'assurer leur propre sécurité ? Comment peuvent-ils
garantir leur sécurité individuelle ? Comment créer un
climat de confiance pour bâtir cette union ? Le panafricanisme est
à notre avis la réponse à toutes ces questions.
Depuis sa naissance, le panafricanisme est à la
recherche de l'unité du continent, unité des peuples africains
et unité territoriale brisant les frontières nées de la
Conférence de Berlin de 1885. Cette recherche d'unité a
conduit les dirigeants africains à se réunir à la
conférence d'Addis-Abeba de 1963 pour donner naissance
à l'Organisation de l'Unité Africaine (QUA), la première
organisation panafricaine regroupant tous les Etats africains
indépendants. 40 ans plus tard l'OUA est remplacée par l'Union
Africaine (UA) car son bilan loin d'être positif a montré les
limites du panafricanisme actuel et notamment dans le domaine
sécuritaire.
Au cours de notre exposé, nous nous
intéresserons donc au panafricanisme comme réponse aux
problèmes sécuritaires africains à travers toutes les
initiatives qui ont existé et qui continuent d'exister. Dans un premier
temps nous reviendrons sur l'histoire du panafricanisme en Afrique car comme je
le disais précédemment le panafricanisme, né d'un
désir ressenti hors du continent, a été
développé aux Etats-Unis et aux Antilles britanniques et a
été porté par des hommes comme DuBois, Blyden ou encore
Garvey. En traversant l'Atlantique, nous verrons que ce panafricanisme
intellectuel a entrepris sa mue pour passer d'un militantisme intellectuel et
scientifique à un militantisme politique. Cette phase se
caractérisa notamment par l'émergence d'une nouvelle
génération de panafricanistes comme Nkrumah, Padmore, Kenyatta
très engagés politiquement et réclamant plus fortement que
jamais l'indépendance.
Nous verrons que tout comme le panafricanisme des
débuts qui s'exprimait selon les tendances duBoisiste (panafricanisme
par les élites) et garveyiste (panafricanisme par les masses) ; le
panafricanisme politique, qui s'impose et permet l'indépendance des pays
africains, est lui aussi tiraillé entre 2 sensibilités : d'un
côté les partisans d'un panafricanisme minimaliste misant sur la
coopération des Etats et de l'autre les partisans d'un panafricanisme
maximaliste et prônant l'intégration des Etats dans une
fédération africaine. Une fois de plus la synergie des
sensibilités n'a pu être faite et nous verrons que tout comme le
panafricanisme duBoisiste avait triomphé, le panafricanisme minimaliste
s'imposa à Addis-Abeba et à travers une QUA dont l'idée
était enchanteresse mais dont la concrétisation s'opéra
dans un total désenchantement.
Dans une seconde partie nous nous pencherons sur l'une des
idées principales du panafricanisme d'intégration :
l'émergence d'une fédération africaine et la
constitution d'une armée africaine. Ces 2 éléments
devant permettre l'érection d'une communauté de
sécurité synonyme d'une Afrique unifiée
et pacifiée. La conférence d'Addis-Abeba en consacrant un
panafricanisme de coopération a enterré l'idée d'une
communauté de sécurité. De plus l'OUA (qui tentera
d'exister autant que faire se peut) avait face à elle un obstacle :
l'Etat africain. Nous verrons que cet Etat africain est en échec dans
son rôle de régulateur de la société et que cet
échec à assumer son rôle dans la société et
la nation l'empêche de se consacrer à bâtir une
sécurité collective. Néanmoins au vu de la dimension
identitaire des conflits africains et de l'inadéquation des espaces
identitaires avec les espaces institutionnels, les Etats africains gagneraient
à s'unir car les conflits qu'ils traversent sont hybrides n'étant
ni complètement interétatique ni exclusivement
intraétatique.
Dans une troisième partie nous étudierons
l'alternative qui s'est imposé à un continent incapable de
réaliser son union : le sous-régionalisme. Nous verrons par le
biais de la CEDEAO, l'expérience des pays de l'Afrique de l'ouest.
L'Afrique de l'ouest pour 2 raisons : tout d'abord parce que cette
région est minée par des conflits depuis les
indépendances, ensuite parce que l'histoire de la région est
marquée par l'existence de grands espaces politiques, culturels avant la
colonisation et leur rémanence à travers la nouvelle organisation
institutionnelle. De plus nous montrerons qu'il n'y a pas forcément
incompatibilité entre les Etats africains et l'idée d'une
communauté de sécurité ; et ce à travers l'exemple
de la CEDEAO qui s'est distinguée par une réelle volonté
de construire un espace sûr pour la concrétisation de cet
objectif. Nous verrons que la réussite des sous- régionalismes
est une alternative crédible et viable et qu'elle permet de ressusciter
l'idée de la communauté dé sécurité si
chère aux panafricanistes convaincus.
Enfin dans une dernière partie nous insisterons sur
l'importance de joindre les masses au projet panafricain car ce dernier repose
bien entendu sur la volonté des élites dirigeantes, mais si cette
volonté n'est pas sous-tendue par l'implication des masses, elle n'a que
peu de chances de se concrétiser. Le panafricanisme ne reposant par
seulement sur une conception politico-politique ; il est important de
réaliser l'Afrique des peuples car sans l'Afrique des peuples, l'Afrique
des Etats n'a pas lieu d'être. Si les peuples ne peuvent
dépasser les différences identitaires pour se
retrouver autour d'une identité africaine transcendantale,
l'échec est plus que probable.
I. UNE BREVE HISTOIRE DU PANAFRICANISME EN
AFRIQUE.
« Mouvement d'unité africaine. » 1
« Doctrine qui tend à développer
l'unité et la solidarité africaines. » 2
« Mouvement politique et culturel qui considère
l'Afrique, les Africains et les descendants d'Africains hors d'Afrique comme un
seul ensemble visant à régénérer et unifier
l'Afrique ainsi qu'à encourager un sentiment de solidarité entre
les populations du monde africain. Le panafricanisme glorifie le passé
de l'Afrique et inculque la fierté par les valeurs africaines. »
3
Les définitions du panafricanisme sont nombreuses et
l'évolution des définitions est intéressante à
analyser pour saisir son sens, ses origines et son cheminement à travers
l'histoire. C'est ce que nous allons tenter de faire tout au long de ce premier
chapitre car si le panafricanisme met l'Afrique au centre de ses
préoccupations il n'en est pas moins important de savoir d'où il
vient car comprendre d'où vient le panafricanisme c'est aussi expliquer
où il est allé et où il se dirige.
1) Un désir né hors d'Afrique.
A. DE BLYDEN A GARVEY
Pour trouver les premiers chantres du panafricanisme, il faut
se tourner non pas vers l'Afrique mais plutôt de l'autre
côté de l'Atlantique : les Etats-Unis d'Amérique et les
Antilles Britanniques.
1 P. DECRAENE, Le Panafricanisme, Paris, P.U.F.,
n° 847
2 J. REY-DEBOVE, A. REY (dir.), Le Nouveau Petit
Robert de la langue française, Le Robert, 2006, 2837 p.
3 Wikipédia.
Dans la littérature classique du panafricanisme, on
retrouve cette importance des Etats-Unis et des Antilles Britanniques à
travers des hommes comme William Edward Burghardt DuBois ou encore Marcus
Garvey.
Le premier est souvent considéré comme le
père du Panafricanisme car il en fut le premier théoricien
véritable. Ralliant la cause des noirs Américains à celle
du panafricanisme, il acquit une certaine popularité ; aussi sa
pensée qui n'envisageait qu'une amélioration aux Etats-Unis
s'élargit avec le temps. Il incita les noirs Américains à
renouer avec leurs origines africaines.
De DuBois il faut donc retenir 2 idées principales :
À Les Noirs Américains doivent « unir »
leur destin à celui de l'Afrique. À L'Afrique peut se
développer en tant qu'Afrique.
On retrouve ces 2 idées majeurs chez un homme né
36 ans avant DuBois, il s'agit de Edward Wilmot Blyden, noir Américain
qui participa à l'aventure libérienne4. Il eut une
influence importante au Libéria et en Sierra Leone et on retiendra de
lui notamment son oeuvre Christianity, Islam and The Negro Race où il
souligne le caractère unificateur de l'Islam en Afrique subsaharienne
comparé à celui démoralisateur du christianisme
importé par les colons. Ce n'est pas tant l'analyse que le cadre et
l'objet d'étude qui interpellent. De ses écrits germent les
premières conceptions panafricanistes appelant les noirs à
s'engager pour le développement de l'Afrique noire. Cet engagement
ferait de Blyden le vrai père du panafricanisme. Dans la lignée
des Blyden et DuBois on peut aussi citer Henry Sylvester-Williams, avocat
britannique qui avait noué de solides rapports avec les noirs africains
de Grande-Bretagne, conseillé des chefs bantous d'Afrique
méridionale. De Londres à Washington, le panafricanisme comme
volonté d'une élite noire de prendre ne charge le destin d'une
race et de sa terre d'Afrique se développe : le panafricanisme est
né. Du moins un panafricanisme.
4 En 1822, le Libéria est fondé par une
société américaine de colonisation la
Société Nationale Américaine de Colonisation pour y
installer des esclaves noirs libérés.
Pendant ce temps, aux Antilles Britanniques et
précisément en Jamaïque Marcus Garvey voit le jour en 1887.
Au lendemain de la Première Guerre Mondiale, Garvey deviendra l'autre
grande figure du panafricanisme. Mais contrairement à DuBois qui
prônait un panafricanisme de et par les élites, Garvey se
distingue par son panafricanisme des masses et par les masses. Il s'opposa au
« guidage » blanc qui était prévu par DuBois à
travers notamment l'Association Nationale pour l'Avancement des Gens de
Couleur5 qui regroupait blancs libéraux et noirs.
Contrairement à DuBois dont les écrits et la praxis s'adressaient
à une élite, Garvey se heurta tout de suite à
l'hostilité des intellectuels et bourgeois noirs y compris DuBois qui
lui reprochèrent de diaboliser l'homme blanc.
Cependant on retrouve aussi chez Garvey l'idée du
rapprochement des noirs Américains d'avec l'Afrique même si pour
Garvey la solution est radicale : les Noirs devaient retourner en Afrique, leur
« mère patrie ».
Même si la conception de Garvey fut des plus violentes,
elle partageait avec les autres l'idée d'une union politique africaine ;
Garvey en 1920 lors de sa fameuse « Déclaration des Droits des
Peuples Nègres du Monde » en 54 points ne s'autoproclama-t-il pas
président des Etats-Unis d'Afrique ?
Il faut donc parler DES panafricanismes plus que d'un, avec
des visions diverses selon les figures de proue, avec une grande mosaïque
de discours mais avec un même but.
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