Les associations sénégalaises en France à l'épreuve du codéveloppement.( Télécharger le fichier original )par Malamine Maro Université d'Evry Val d'Essonne - Master 2 Recherche 2007 |
I.3. hypothèse de travailCe travail rend compte et tente d'analyser un double mouvement : d'une part, celui de l'implication des migrants Sénégalais originaires de la communauté rurale de Bambaly située au Sud du Sénégal dans le développement de la localité d'origine essentiellement axé sur l'éducation et la formation et d'autre part la prise en compte par les autorités locales de ces migrants dans les politiques de développement local. La mise en relation de ces deux mouvements permet de comprendre la notion de Codéveloppement, devenue un principe des politiques de développement de la France, mais aussi plus largement de l'Europe, au profit des pays d'émigration. En d'autres termes, cela permet de questionner la place des thématiques migratoires dans les politiques de développement. Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, il convient de revenir sur l'histoire de l'immigration Sénégalaise en France, sur ses spécificités et dynamiques particulières ainsi que sur la notion de Codéveloppement. Largement étudiée en sciences sociales, l'immigration Sénégalaise est souvent pensée et présentée, notamment par les migrants eux-mêmes, comme une réponse économique aux mauvaises récoltes et à la misère. S'il est vrai que les périodes de grandes sécheresses se sont accompagnées de grandes vagues migratoires, on ne constate pas d'arrêt de la migration lorsque les récoltes sont bonnes7(*). La zone de migration de la Casamance au Sénégal, ou autrement dit la communauté rurale de Bambaly (la moyenne Casamance), semble en fait être très dépendante des rentes migratoires : « la migration permettrait alors un appoint pour des postes déterminés, tels que l'impôt, les obligations matrimoniales (la dot) et des biens de consommation (construction de maisons en dur, habits, postes de radios, vélos, produits alimentaires etc.) »8(*). On pourrait ajouter aujourd'hui à la liste l'achat de panneaux solaires, de réfrigérateurs, de télévisions, de magnétoscopes, et plus important les interventions en direction de l'éducation et de la formation etc.... L'utilisation des rentes est donc passée d'un complément alimentaire à l'achat de biens de consommation. Pourtant la justification de la migration reste encore économique : «c'est pas par volonté qu'on part à l'aventure, c'est parce qu'ici il y a pas de travail, il y a pas d'argent. Et si la récolte n'est pas bonne, comment on fait ?» (Entretien Nicolas Tchabo, Missira Noumbato. 30/04/08). Le phénomène de l'immigration au niveau de la communauté rurale de Bambaly semble non seulement répondre à un besoin économique et éducatif et de formation, mais apparaît aussi comme une réponse au manque de perspectives d'emploi et de formation dans le département de Sédhiou. Enfin, dans la mesure où l'apport financier des migrants a changé, dans une certaine mesure, les habitudes de consommation locales, l'immigration a créé ses propres conditions de reproduction. Les migrants et anciens migrants ont très tôt commencé à mettre en place des réalisations collectives comme des périmètres irrigués des postes de santé, et l'équipement en matériels scolaires et pédagogiques. Ces réalisations collectives ont révélé le besoin de s'organiser en association de ressortissants villageois. Les premières formes d'associations de migrants prennent naissance en 19729(*). D'abord informelles, elles vont devenir progressivement de plus en plus formelles, c'est-à-dire de plus en plus structurées. Dans un même mouvement, la difficulté croissante d'intégration des migrants dans les sociétés d'accueil appelle ces derniers à s'organiser pour faciliter leur intégration dans le pays d'accueil mais aussi à s'organiser pour le développement de leur localité d'origine. En effet, ils ont compris « que le développement des zones d'origine des migrants est devenu une affaire de politique intérieure française (...) »10(*) Selon différentes études, on estime qu'il existe environ 350 associations de migrants Sénégalais en France. La majorité de celles-ci ont été créées pendant la deuxième moitié des années 1980. Ces associations de migrants en France sont jumelées ou partenaires d'une association au village. Elles s'attachent au « développement » du village ou de la communauté rurale d'origine, ou depuis la décentralisation, de la commune en construisant des centres de santé communautaires, des écoles ; et pour certaines, des mosquées, des puits, des barrages ou des systèmes d'adduction d'eau potable. Il faut aujourd'hui ajouter à ces constructions « classiques » d'autres réalisations plus « innovantes » entreprises avec l'aide des migrants telles que l'électrification ou encore la mise en place d'un service de ramassage des ordures. Cependant, il faut préciser que « ces réalisations « innovantes » sont rares et ne sont observables que dans certaines localités »11(*) bénéficiant de ressources financières diversifiées (telles que des taxes importantes, des financements issus d'une coopération décentralisée, d'un soutien d'une ONG ou d'organisations internationales (UNICEF)). II. Approche sociologique de l'immigration. Depuis dix ans, le nombre de migrants12(*) dans le monde a « augmenté de 21 millions de personnes passant ainsi de 154 millions à 175 millions en 2000 ». En termes de composition, les flux contemporains de migrations se caractérisent par un nombre croissant de femmes, d'immigrants clandestins et de réfugiés demandeurs d'asile. Passant de 10,5 millions en 1985, à 14,5 millions en 1990 pour atteindre 16 millions en 2000, les réfugiés et demandeurs d'asile représentent aujourd'hui 9% des flux de personnes au niveau mondial. « L'accroissement de la migration internationale serait lié à l'accroissement des écarts de richesses entre les pays, à l'amélioration des télécommunications, à l'augmentation de l'interdépendance des nations et à l'augmentation des conflits politiques ».13(*)(Ernst Spaan). Ces migrants jouent indéniablement un rôle important dans l'économie de leur pays d'origine. Ainsi, le Fond Monétaire International (FMI) estime le montant global des envois de fonds effectués par les migrants en direction des pays en développement à « plus de 105 milliards de dollars pour la seule rentrée 1999 ».14(*) Ce chiffre est probablement très en deçà puisqu'il ne tient compte ni des envois en nature ni des transferts qui échappent aux circuits formels. Selon le Rapport «Migration et phénomènes migratoires » de novembre 2003, le Centre de Développement de l'OCDE estime pour sa part que « ces transferts représentent, en moyenne, 50% des sommes reçues par les pays du Sud au titre de l'aide publique au développement ».15(*) Pour certain pays, ces transferts collectifs ou individuels d'économies des travailleurs sont considérables. L'Inde 11,1 milliards de dollars, le Mexique 6 ,6 et le Maroc 3,7, sont les trois pays en développement à recevoir le plus de transfert financier de la part de leurs migrants ».16(*) Au Sénégal par exemple, les budgets des ménages seraient constitués à raison de 30 à 80 % par ces versements de l'étranger. La question de la migration est un phénomène complexe, tant d'un point de vue démographique, social, économique que politique et se retrouve du coup au coeur d'une abondante littérature dont les analyses conduisent rarement à un consensus. III. L'impact des transferts de fonds par les associations de migrants. L'impact des transferts d'argent par les associations de migrants dans leurs pays n'échappent pas à certaines contradictions. Ils peuvent couvrir dans une proportion plus ou moins grande les besoins de consommation des familles restées au pays dont les revenus sont souvent faibles et instables, des besoins de l'éducation et de la formation des populations au niveau local. En augmentant les revenus et en diversifiant leurs sources, les apports des associations des immigrés contribuent à améliorer une forme de protection, d'assurance face aux incertitudes et à la précarité des populations résidant dans ces zones. Ces apports, peuvent également faciliter l'accès des membres de la famille des acteurs associatifs et des proches (amis, cousins,...) aux services essentiels de base comme l'éducation et la formation et de santé pour d'autres. Les pratiques des associations, servant de filet de sécurité et compensant (en partie) l'absence de système de protection et d'assurance, ces pratiques et actions associatives contribuent fortement à la réduction de la pauvreté, à la réduction de l'impossibilité d'accès à l'éducation et à la formation des populations et au renforcement des capacités des populations à participer au processus de développement local. La migration permet également d'alléger la concurrence sur le « marché local du travail » en résorbant les tensions liées à l'étroitesse de ce marché. Les pratiques et apports des migrants sont très souvent affectés à la réalisation des investissements de projets précis dans les pays d'origine, dont l'intérêt peut être strictement privé. Pour le cas de cette étude qui porte sur l'Association Solidarité Entre aide en France (ASEF), ses actions permettent d'engager en priorité des investissements dans l'éducation et la formation pour réduire le taux d'analphabétisme et améliorer les conditions d'étude et les résultats des jeunes dans leur communauté rurale d'origine. Dans le Rapport sur le financement du développement en 2003, la Banque Mondiale (B.M.) affirme que : les pays en développement doivent moins compter sur les capitaux extérieurs ».17(*) Comme on l'a vu, pour beaucoup de pays, cette forme d'aide privée qui viendrait des associations supplante l'aide publique et devient la principale source de financement des pays émergents.
Il semble alors que les pratiques financières des immigrés notamment des associations de la diaspora ont l'avantage indéniable d'être beaucoup plus stables que les capitaux privés. Ces pratiques et réalisations associatives exercent un « effet stabilisateur » car ils augmentent dans les périodes de crise économique, au moment où, à l'inverse, les capitaux spéculatifs s'échappent. Les réalisations effectuées par certains groupes d'immigrés en faveur du développement local de leur zone d'origine (écoles, centres de formation, santé pour d'autres, ...) ont-ils vraiment eu un impact non négligeable quant à l'amélioration des conditions sociales, sanitaires, éducatives et de formation des populations ? Les comportements des associations de la diaspora Sénégalaise en France en matière de transferts de fonds et d'outils d'investissements en particulier pour l'éducation et la formation à destination de leur pays d'origine témoignent de l'attachement qu'elles portent à améliorer la situation économique, sociale et éducative des populations locales. Cela nous amène ainsi à faire une petite ébauche sur la migration Sénégalaise en France. A. L'émigration Sénégalaise en France et ses spécificités: les causes du phénomène migratoire. Pour mieux saisir les causes de l'émigration dans cette région de la planète (Sénégal), il convient de replacer ce phénomène dans son contexte historique qui l'a engendré. Les recherches sociologiques et économiques sur le Sénégal, ont naturellement abordé la question sous divers formes. Plusieurs thèses ont été avancées, et semblent s'accorder sur l'importance de la portée économique comme mobile majeur de ce départ massif. Au-delà, plusieurs acteurs sont revenus sur cette approche que l'on retrouve notamment dans les écrits de Léricollais A. et de Delaunay D.18(*). leurs analyses reposent globalement sur les conséquences du dépérissement économique du Sénégal et l'impact des sollicitations nouvelles imposées par l'administration coloniale. Une telle idée est soutenue par Diop A. B., (1965). Pour lui (Diop A.B.), les disettes, les famines et le chômage constituent les principales causes de l'émigration. Cette thèse de Diop A. B. rejoint celle développée par la Mission Socio-économique du fleuve Sénégal (MIOSES) dans les enquêtes de 1959 qui remarque les difficultés alimentaires parmi les causes de départ de la population (exemple la vallée du fleuve). L'autre raison de l'émigration est qu'elle se présente comme un facteur d'équilibre, puisqu'elle permet la satisfaction des besoins nécessaires pour la famille. A la fin des années 1960, au Sénégal, d'autres facteurs interviennent comme mobile de départ avec au premier rang la sécheresse, le chômage et le désir d'améliorer ses conditions d'existence et celles de ses proches. L'année 1975 marque l'entrée en vigueur du contrôle de l'immigration du travail. L'entrée totale des travailleurs sur le territoire français a chuté de 89% passant de 132 055 à 15 759. Le profil de l'immigration a changé consécutivement l'augmentation des entrées au titre du regroupement familial et à la sélection de travailleurs qualifiés dans les entrées de travailleurs permanents.19(*) Dans les années 80, les procédures de regroupement familial se sont accentuées au rythme de 42 000 entrées par an. Depuis 1990, on a constaté la baisse des entrées matérialisée par 25 000 personnes par an essentiellement d'origine Africaine. Les recensements de l'INSEE dénombrent 53 859 immigrés sénégalais sur le territoire français en 1999 contre 30 136 en 1982. Cette augmentation due aux entrées sur le territoire français au titre du regroupement familial, qui ont concerné depuis 1982, 10 522 personnes. Les femmes sénégalaises qui étaient 8 160 en 1982 sont 22 650 en 1999. Même si la population se féminise, les hommes restent plus nombreux et représentent 58% de la population immigrée Sénégalaise. Dans les pays de l'OCDE, la France est le premier pays d'accueil des immigrés sénégalais. L'Italie et l'Espagne, qui enregistraient en 1985 une présence faible ou nulle d'immigrés sénégalais, sont aujourd'hui de nouveaux pays de destination.20(*) Durant les 25 dernières années, la migration Sénégalaise a été fortement marquée par la succession de deux flux : d'abord les hommes venus trouver un emploi, puis à partir de 1974, dans le cadre du regroupement familial, (femmes et enfants). Aujourd'hui, après les motifs économiques et de regroupement familial, le désir d'étudier à l'étranger est un nouveau motif d'émigration répandu chez les jeunes Sénégalais. En 2002, on comptait 2 231 étudiants sénégalais qui ont obtenu un titre de séjour temporaire. Ils représentaient 8% des entrées d'étudiants africains et se placent les premiers en Afrique de l'Ouest. * 7 C. QUIMINAL, Gens d'ici, Gens d'ailleurs, Migrations Soninkés et transformations dans la vallée du fleuve Sénégal, Paris, Christian Bourgeois, 1991 * 8 C. DAUM, Les associations de migrants en France, op.cit p6 * 9 ibid., p6 * 10 ibid. p6 * 11 C'est le cas de la commune urbaine de Koniakary, disposant d'un réseau de migrants très entendu et bien organisé, d'un marché alimentant plusieurs villages voisins, une population importante, et bénéficiant d'une coopération décentralisée avec une commune française. * 12 Nous retenons la définition des Nations Unies qui considère comme migrant toute personne qui vit hors de son pays de naissance depuis plus d'un an. Nations Unies, rapport sur les migrations internationales, Division de la population, 2002. * 13 Ernst Spaan, Revue des Migrations Internationales, n°16, 2000 * 14 Cahier Français, les migrations internationales, N°307, 2003. * 15 OCDE, tendance des migrations internationales, 2002. * 16 FMI, statistiques annuelles de la balance des paiements * 17 Wets Johan, Migration et Asile : plus question de fuir, rapport de synthèse d'un projet de recherche en matière de politique d'immigration et d'asile en Belgique, fondation Roi Baudouin, 2001. * 18 Drop (A.B.), Lericollais (A.), Mainville (J.-C.), NUTTALL (C.), BREDELOUP (S.)... * 19 Jacques Barou CNRS, 2002, Les flux migratoires vers la France à la charnière de deux siècles, permanences et changements, Ville-Ecole-Intégration Enjeux, n°131, décembre. * INSEE 20 Frédéric Sandron, 2003, « Migration et Développement », les études e la documentation française, juillet. |
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