L'effet dissuasif de la justice pénale internationale, cas du TPIR et de la CPI( Télécharger le fichier original )par Jean-Damascène NYANDWI Université libre de Kigali - Licence en Droit 2007 |
CONCLUSION GENERALEParlant de l'effet dissuasif de la justice pénale internationale, notre objectif était de voir si réellement celle-ci est en mesure de dissuader la commission des crimes de droit international et de lutter efficacement contre la culture de l'impunité. Sinon, qu'est faut-il faire pour que les juridictions pénales internationales soient des instances pouvant surmonter des obstacles qui les empêchent d'atteindre cet objectif ? C'est en lisant ce travail qu'on pourra avoir la réponse à cette question que bon nombre de gens se posent actuellement. En effet, le premier chapitre donne le cadre conceptuel et théorique de la justice pénale internationale, en définissant certains concepts et en faisant le parcours évolutif de la justice pénale internationale, depuis la création des TMI de Nuremberg et de Tokyo, jusqu'à la création du TPIR par le Conseil de sécurité en 1994, et de la CPI par le Traité de Rome en 1998, entré en vigueur le 1er juillet 2002. Dans le deuxième chapitre de ce travail , il a été question de se demander si la justice pénale internationale présente un effet dissuasif dans le chef d'autres potentiels criminels. Les cas d'étude que nous avons analysés, à savoir le TPIR et la CPI, nous ont emmené à confirmer notre première hypothèse, la recherche que nous avons faite témoigne que le chemin est encore long : il faudra lever des obstacles tant factuels que juridiques, tels le fait de situer les juridictions pénales internationales loin du lieu de la commission des crimes, l'ingérence du Conseil de sécurité des Nations Unies dans les affaires judiciaires internationales, la question de souveraineté étatique, l'absence de la main mise sur les patrimoines des personnes reconnues coupables en vue de réparer les dommagés subis par les victimes. Enfin, le dernier chapitre a traité de la lutte contre l'impunité par la justice pénale internationale. Après avoir passé en revue des différentes formes d'impunité, nous avons parlé de la contribution du TPIR et de la CPI dans ce sens. Comme nous l'avons démontré, ces deux institutions judiciaires internationales ont fait tout ce qui est en leur pouvoir afin de traduire en justice les personnes présumées responsables des crimes graves. Cependant, comme il n'y a pas de roses sans épines, le TPIR et la CPI n'ont pas encore atteint un niveau de perfection, étant donné qu'ils continuent à se heurter aux barrières de souveraineté étatique. En effet, certains Etats ne sont pas disposés à coopérer avec ces juridictions. Or, la justice pénale internationale ne peut s'acquitter de son mandat que si les Etats y participent très activement en lui donnant leur plein soutien. La coopération des Etats est donc sans équivalent en matière de localisation, d'arrestation et de transfert des personnes présumées responsables des crimes graves. Ils doivent apporter aide et assistance tant au personnel des juridictions internationales qu'à d'autres personnes impliquées dans les activités de celles-ci, en l'occurrence les témoins potentiels. Cette coopération s'avère indispensable d'autant plus que le mandat assigné à ces juridictions internationales reste compliqué parce qu'elles opèrent loin des lieux de la commission des crimes relevant de leur compétence. Nous avons vu que les Etats mettent en oeuvre leurs législations nationales. Ils doivent ainsi se déterminer de poursuivre toute personne présumée se trouvant sur leurs territoires. En Effet, nous avons embrassé l'idée du Dr Ahmed Iyane SOW lorsqu'il dit que les juridictions nationales sont les mieux placées pour agir, notamment pour ce qui est de l'accès aux éléments de preuves, mais aussi en raison du fait que la justice pénale sera mieux rodée à ce niveau qu'au plan international où elle n'est encore qu'à ses balbutiements128(*). Mais le handicap majeur est que beaucoup d'Etats n'ont pas inséré dans leurs systèmes juridiques la compétence universelle et n'ont pas de lois réprimant les crimes graves. Dans l'ensemble, notre étude a démontré que, bien que critiqué par pas mal de gens parmi lesquelles les accusés parce qu'il a été créé par le Conseil de sécurité, le TPIR qui est un tribunal ad hoc, s'avère plus dissuasif que la CPI, parce qu'il comporte des mécanismes imposés par le Statut, susceptibles de contraindre tout Etat à coopérer avec lui. La CPI quant à elle dépend du bon vouloir des Etats parties. Elle n'intervient qu'après avoir apporté des preuves démontrant que l'Etat concerné n'est pas capable de rendre justice ou ne veut pas le faire. Le principe de complémentarité qui gouverne cette Cour place celle-ci dans une position de dépendance et dilue ainsi son aspect dissuasif. Avec la création de la CPI qui est entrée en vigueur le 1er juillet 2002 et qui venait s'ajouter aux deux TPI existants, le TPIR et le TPIY, tout le monde avait raison de croire que c'était la fin de l'impunité et qu'elle aurait un effet dissuasif sur les comportements des individus qui tenteraient de commettre les crimes graves. Mais le contraire se constate : les guerres continuent dans beaucoup d'endroits : au Nord de l'Ouganda ; les tueries à caractère ethnique font rage au Soudan dans la région du Darfour ; des combats se poursuivent en République Démocratique du Congo, la guerre ravage la Somalie. Il y a beaucoup de conflits sanglants en Orient comme en Iraq, en Israël au Pakistan et ailleurs. A ceux là s'ajoutent des attaques terroristes dirigées contre des personnes civiles. Dans l'ensemble, nous avons affirmé que la justice pénale internationale pourra éradiquer l'impunité sous toutes ses formes, si toutes ces lacunes ci-haut relevées sont comblées. Néanmoins, les efforts fournis par le TPIR dans ce sens sont louables. La jeune CPI, sur la base de la jurisprudence qui lui est laissée par ce dernier, devrait emprunter la même voie. Mais elle devra améliorer beaucoup de choses. Ce dont on peut se féliciter, c'est que, dans le sens de la lutte contre l'impunité, les Statuts du TPIR et de la CPI ont renforcé certains principes qui servaient de prétexte justifiant la commission des crimes graves. Aujourd'hui, la qualité officielle d'une personne et l'ordre d'un supérieur hiérarchique ne jouent plus pour couvrir sa responsabilité. Des progrès jurisprudentiels sont remarquables, mais des obstacles ne manquent pas. Ces deux institutions judiciaires internationales ne disposent pas de leurs propres forces de police et, par voie de conséquence, elles continuent à se heurter aux problèmes de souveraineté étatique. Enfin, le TPIR et la CPI sont également freinés par leur compétence ratione temporis. Pour le cas du TPIR, la période sur laquelle s'étend sa compétence est tellement courte qu'elle ne peut pas couvrir tous les actes de préparation du génocide. En outre, il y a eu beaucoup d'actes commis par les miliciens Interahamwe après le 31 décembre 1994, en collaboration avec les ex- Forces armées rwandaises dans le cadre du plan visant à commettre le génocide. Tous ces actes resteront impunis. Pour le cas de la CPI, du fait que sa compétence ne rétroagit pas, beaucoup de personnes parmi lesquelles figurent divers dictateurs se sentent tranquilles et risquent d'échapper aux poursuites. Dans tous les cas, la non rétroactivité de la compétence ratione temporis de ces deux institutions est incompatible avec le caractère imprescriptible des crimes graves. A notre avis, les responsables de ces actes devraient en répondre indépendamment de la date de leurs forfaits. Chers lecteurs, au terme de ce travail, il sied d'émettre quelques recommandations et suggestions aux différents acteurs de la justice pénale internationale : Ø La communauté internationale, suite à son silence complice devant les atrocités commises au Rwanda et ailleurs dans le monde, doit s'atteler à coopérer efficacement avec les juridictions pénales internationales en permettant qu'il y ait « une ingérence judiciaire » dans tout Etat où les crimes graves sont entrain de se commettre. Cette ingérence permettra d'arrêter immédiatement et de traduire en justice les responsables de ces crimes. Evidement, il faudra revoir le principe de la souveraineté étatique et en fixer les limites. Cette ingérence ne réussira pas si les Etats ne décident pas de créer un corps de police internationale qui aurait des stations dans plusieurs régions du monde, prêtes à être déployées n'importe où en cas de nécessité. Cette force de police serait créée par voie conventionnelle. Ø Les Etats qui n'ont pas encore signé ou ratifié le Statut de Rome instituant la CPI doivent le faire dans les plus courts délais. Ceux-qui l'ont fait doivent refuser de conclure des accords bilatéraux à l'instar de ceux que les Etats-Unis sont entrain de conclure avec certains Etats visant à faire échapper aux poursuites certaines personnes. Ø Le Conseil de sécurité, organe suprême de prise de décision sur le plan international, devrait privilégier la création des TPI ad hoc plutôt que de penser au déferrement de la situation constituant une menace à la paix et à la sécurité internationale à la CPI puisque la Cour intervient subsidiairement après les juridictions nationales. Or les Etats, souvent complices, ne veulent pas poursuivre leurs propres nationaux. Il serait mieux encore que les tribunaux créés soient hybrides comme celui de la Sierra Léone afin de permettre que les procès se déroulent sur les lieux de la commission des crimes. Ø Le Conseil de sécurité doit arrêter d'adopter des résolutions visant à garantir l'impunité à certaines personnes et doit cesser d'être un outil de certaines puissances. Toutes les résolutions doivent être prises dans le respect de l'égalité souveraine des Etats. En d'autres termes, la justice pénale ne doit pas réprimer les individus de certains Etats (généralement pauvres) et écarter d'autres (les grandes puissances). Ø Le Conseil de sécurité de l'ONU devrait modifier le Statut du TPIR afin d'y insérer des dispositions qui permettent aux victimes de se constituer parties civiles devant cette juridiction et obtenir réparation des dommages qu'elles ont subis, comme c'est le cas devant la CPI. Ø Enfin, comme nous ne prétendons pas avoir épuisé cette étude, nous serons très heureux de voir d'autres chercheurs venir compléter notre travail, en traitant par exemple la question d'ingérence judiciaire et en abordant d'autres questions que nous n'avons pas exploitées profondément. * 128 Discours du Dr Ahmed Iyane SOW à Yaoundé, op.cit, p.5. |
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