L'effet dissuasif de la justice pénale internationale, cas du TPIR et de la CPI( Télécharger le fichier original )par Jean-Damascène NYANDWI Université libre de Kigali - Licence en Droit 2007 |
III.2 La contribution des juridictions pénales internationales dans la lutte contrel'impunitéIII.2.1 L'apport du TPIRLa création du TPIR par la Résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations Unies a été saluée par la Communauté internationale en général, et par le Rwanda en particulier. Au Rwanda, l'histoire montre que depuis 1959, le pays a été le théâtre des tueries ethniques89(*). Depuis lors, aucun auteur de ces crimes n'avait été traduit devant une instance judiciaire, nationale ou internationale. Cette histoire macabre a culminé dans les événements de 1994 qui ont coûté la vie à plus d'un million de personnes90(*), essentiellement tutsies, en trois mois. Après cette tragédie, le Bureau du Procureur du TPIR a arrêté plusieurs personnes présumées responsables des crimes graves dont les membres du gouvernement intérimaire, des hauts gradés de l'ancienne armée rwandaise, des dirigeants des milices, des autorités provinciales et bourgmestres des communes, des chefs religieux, des hommes d'affaires importants ainsi que des responsables des médias. Le Rwanda ruiné par le génocide et la guerre civile, avec ses moyens insuffisants, ne pouvait ni arrêter ni juger toutes ces personnes. De surcroît, la situation au Rwanda après le génocide était telle que le système judiciaire rwandais avait perdu un grand nombre de son personnel judiciaire. Il y en avait beaucoup qui avaient été emportés par le génocide et les massacres de 1994 et d'autres qui avaient pris le chemin de l'exil. Pire encore, l'infrastructure judiciaire était complètement détruite. Il fallait donc une instance puissante, dotée de ressources nécessaires, capable de poursuivre et de punir ces personnes présumées avoir commis le génocide. Aussi le Conseil de sécurité de l'ONU a t-il créé le TPIR, une institution qui, jusqu'à présent, vient de faire grande tâche. Selon Alison Desforges, historienne et militante des droits de l'homme, 80% des personnes impliquées à un niveau élevé de responsabilité dans le génocide (« les gros poissons» ) ont été arrêtées par le TPIR91(*). Dans cette démarche, le TPIR a pu traquer et arrêter plus de 72 personnes présumées responsables des violations graves du DIH92(*) : 56 personnes sont détenues dans le Quartier pénitentiaire du TPIR, 13 autres condamnées définitivement sont en attente de transfert vers les pays qui ont passé des accords avec le TPIR à cette fin, où elles doivent purger leurs peines. Pour l'heure, nous tenons à rappeler que le Mali héberge 6 personnes condamnées par le TPIR. Les détenus dont les procès sont en cours sont au nombre de 29, et 8 détenus sont en attente de procès93(*). Le TPIR a remis en liberté trois personnes : il s'agit de Bernard NTUYAHAGA, arrêté le 18 juin 1998 et remis liberté le 18 mars 1999 suite au retrait de l'acte d'accusation par le Procureur. Léonidas RUSATIRA a été aussi remis en liberté : son acte d'accusation a été aussi retiré pour insuffisance de preuves. Elizaphan NTAKIRUTIMANA quant à lui a purgé sa peine94(*). Parmi ces personnes arrêtées par le TPIR, trois sont décédées. Il s'agit de Samuel MUSABYIMANA, Joseph SERUGENDO et d'Elizaphan NTAKIRUTIMANA. Celui-ci est décédé après avoir purgé sa peine95(*). Le TPIR a acquitté 5 personnes. Il s'agit de Ignace BAGIRISHEMA, Emmanuel BAGAMBIKI, André NTAGERURA, Jean MPAMBARA et André RWAMAKUBA96(*). La jurisprudence du TPIR est une preuve incontestable de sa contribution à la lutte contre l'impunité. En effet, c'est pour la toute première fois qu'un chef de gouvernement a été arrêté, jugé et condamné pour crimes graves par un tribunal pénal international97(*). La condamnation de Monsieur Jean KAMBANDA à l'emprisonnement à vie le 4 septembre 1998, le TPIR a créé un précédent en matière de justice pénale internationale. Elle traduit un message fort et dissuasif et un avertissement aux responsables politiques. Dorénavant, ces derniers savent que tôt ou tard ils peuvent être appelés à répondre de leurs actes devant une juridiction pénale internationale. Ce précédent donne un nouvel élan à la justice internationale dans la lutte contre l'impunité. Ce précédent a été invoqué à la Chambre des Lords dans l'affaire PINOCHET ( demande d'extradition ). Puis, il y a eu l'inculpation et le transfert à La Haye de l'ancien dirigeant serbe, Slobodan MILOSEVIC98(*). A coté de ce jugement de l'ancien Premier ministre Jean KAMBANDA, le TPIR a rendu un autre jugement historique : Dans l'affaire Jean-Paul AKAYESU c. le Procureur, le Tribunal a également, pour la première fois dans l'histoire, condamné un accusé pour viol entendu comme crime contre l'humanité. La Chambre est même allée plus loin en déclarant que le viol peut être un moyen de commission de ce crime concluant que le viol constitue en l'espèce un crime de génocide : « La violence sexuelle faisait partie intégrante du processus de destruction particulièrement dirigé contre les femmes tutsies et ayant contribué de manière spécifique à leur anéantissement et à celui du groupe tutsi considéré comme tel »99(*) lit-on dans le jugement AKAYESU. En d'autres termes, « cette violence sexuelle était une étape dans ce processus de destruction du groupe tutsi, destruction de son moral, la volonté de vivre de ses membres, et de leur vies elles-mêmes»100(*). Un autre jugement, prononcé le 3 décembre 2003 dans l'Affaire « des médias du génocide », a lui aussi laissé des empreintes dans la jurisprudence internationale. En condamnant à l'emprisonnement à vie Ferdinand NAHIMANA, promoteur de la RTLM, Hassan NGEZE, directeur du journal « Kangura » et Jean-Bosco BARAYAGWIZA pour incitation au génocide, le TPIR a donné un message fort et dissuasif concernant l'utilisation des médias comme une arme de destruction massive101(*). Dans cette affaire, la Chambre précise que les journalistes, au lieu d'utiliser les médias pour promouvoir les droits de l'homme, les ont utilisés pour attaquer et détruire les droits humains les plus élémentaires. Ils ont abusé de la confiance du public en utilisant les médias pour inciter au génocide. C'est aussi la jurisprudence du TPIR qui montre que, pour la première fois dans l'histoire de la justice internationale, une femme a été inculpée, arrêtée et jugée. Il s'agit de Pauline NYIRAMASUHUKO, l'ancienne ministre de la famille et de la promotion féminine, poursuivie pour génocide et viol en tant que crime contre l'humanité. Le TPIR est également la première juridiction internationale à avoir appréhendé un artiste, en l'occurrence le musicien Simon BIKINDI, sur la base du message que ses chansons véhiculaient pendant le génocide102(*). Un autre mérite du TPIR qu'il ne faut pas négliger c'est que pour la première fois des violations du DIH commises dans le contexte d'un conflit interne ont fait l'objet d'une répression internationale. Le Conseil de sécurité a inclus dans la compétence ratione materiae du TPIR des instruments qui n'étaient pas nécessairement considérés comme faisant partie du droit international coutumier ou dont la violation n'était généralement pas considérée comme engageant la responsabilité pénale individuelle de son auteur. L'article 4 du Statut du TPIR inclut donc les violations du protocole additionnel II qui, dans son ensemble, n'a pas encore été universellement reconnu comme faisant partie du droit international coutumier. Pour la première fois cet article érige en crimes les violations de l'article 3 commun aux quatre conventions de Genève103(*). Bien que le TPIR se soit vu reprocher sa lenteur par certains Etats et des organisations internationales, il a pourtant fait tout ce qui était en son pouvoir pour lutter contre l'impunité. En fait, son travail a été retardé principalement par certains Etats qui ne se sont pas montrés coopératifs avec lui. Il faut aussi noter que beaucoup d'autres raisons justifient cette lenteur alléguée. Devant le TPIR, les procès se déroulent en trois langues à savoir l'Anglais, le Français et le Kinyarwanda qui est la langue utilisée par la majorité des témoins et des accusés. Le TPIR doit donc assurer l'interprétation simultanée de ces trois langues dans la salle d'audience. Tous les documents officiels doivent également être traduits en ces trois langues. Le système de la Common Law exige que le juge joue un rôle passif. Ce sont les parties qui se confrontent entre elles et le juge ne décide que sur la base des éléments de preuves que ces dernières lui ont présentés. * 89 LUGAN, B., L'histoire du Rwanda, De la préhistoire à nos jours, éd. Bartillant, Paris, 1997, p.433 * 90 Rwanda/ Génocide: Plus d'un million de morts: Billan officiel, disponible sur : http://www.reliefweb.int/rw/rwb.nsf/ALLDocsByUNID, consulté le 4 mai 2007, tiré de la Fondation Hirondelle du 8 février 2002. * 91La commémoration : le 6 avril 2004- Les réalisations du TPIR , disponible sur http : Fondation Hirondelle-Agence de presse * 92Les affaires : Liste et situation des détenus du TPIR ( 23 février 2007), disponible sur www.ictr.org , consulté le 8 mai 2007. * 93 Ibidem. * 94 Etat des affaires, disponible sur www.ictr.org, consulté le 8 mai 2007. * 95 Ibidem. * 96 Ibidem. * 97 L'affaire n° ICTR-97-23-S : Le Procureur c. Jean KAMBANDA. * 98 Discours de M. Adama DIENG à Wilton Park, Sussex, op. cit., p.3. * 99 L'affaire n° ICTR-96-4-T ( Par. 724) : Le Procureur c. Jean-Paul AKAYESU. * 100 Idem, Par. 725. * 101 Affaire n° ICTR-99-52-T : Le Procureur c. Ferdinand NAHIMANA, Jean-Bosco BARAYAGWIZA et Hassan NGEZE. * 102 Les réalisations du TPIR depuis 1994, disponible sur http:// www.aidh.org/rwand/hirond15.htm , consulté le 14 mai 2007. * 103 Discours de M. Adama DIENG, Greffier du TPIR, à Abidjan, op.cit. |
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