L'effet dissuasif de la justice pénale internationale, cas du TPIR et de la CPI( Télécharger le fichier original )par Jean-Damascène NYANDWI Université libre de Kigali - Licence en Droit 2007 |
II.2 Limites de l'effet dissuasif de la justice pénale internationaleLes paragraphes précédents nous ont tracé le parcours dissuasif de la justice pénale internationale et sa contribution dans la construction d'une communauté internationale soucieuse de faire respecter les droits et la dignité de la personne humaine. Mais malgré ce pas de géant, la justice internationale continue de se heurter contre des obstacles qui, une fois levés, la rendront plus dissuasive dans tous les aspects que nous venons d'analyser. Il serait illusoire de dire que nous allons les relever tous au cours de ces quelques lignes, mais nous allons essayer de parler des plus importants dont notamment l'opération des juridictions internationales loin des lieux du drame, le rôle controversé du Conseil de sécurité et des Etats dans la justice pénale internationale, le manque de réparation des préjudices subis par les victimes en ce qui concerne les TPI ad hoc et l'absence de jugement par contumace. Le développement de chaque point sera assorti d'une proposition de solution. II.2.1 Les sièges des juridictions pénales internationales loin du locus delicti commissi
D'après Anne-Marie LA ROSA, le locus delicti commissi est « le lieu où l'infraction a été ou, en application des dispositions de la loi, est présumée avoir été commise ».48(*) Nous savons qu'en général, les juridictions pénales internationales ne siègent pas dans les pays où les crimes ont été commis : leurs sièges se trouvent soit dans un pays lointain, tel est le cas du TPIY, soit dans un pays voisin, tel le TPIR dont les sièges se trouvent respectivement à La Haye (Pays-Bas) et à Arusha ( République Unie de Tanzanie ). Aujourd'hui, seuls les tribunaux hybrides, à l'instar de celui pour la Sierra Léone siégent sur les lieux où les crimes ont été commis. Pour ce qui est de la poursuite des criminels de la seconde guerre mondiale, la tendance a été de les juger au lieu de leur crime. Ce ne sont que de grands criminels dont les infractions étaient sans localisation géographique précise qui relevaient du TMI de Nuremberg49(*). II.2.2 Opération des juridictions pénales internationales loin du locus delicti commissiLa logique qui justifie souvent l'emplacement des juridictions pénales internationales loin du lieu du drame se traduit par plusieurs raisons : travailler en toute indépendance sans que les autorités de l'Etat concerné ne s'ingèrent dans leurs affaires et éviter que ces dernières n'exercent de pression sur elles. Bref, le bien-fondé de la situation de ces juridictions internationales dans un Etat autre que celui de la commission des crimes est de garantir l'impartialité des juges et assurer la sécurité des témoins. Néanmoins, le constat général est que l'éloignement des juridictions pénales internationales peut avoir un grand impact souvent négatif sur la conduite des procès en général, mais en particulier sur l'aspect dissuasif que devrait inspirer aux criminels potentiels la justice pénale internationale. Nous allons analyser ce problème sous trois aspects : l'impact de l'éloignement des juridictions pénales internationales sur la conduite des enquêtes, sur le déroulement des procès et enfin sur l'exécution des peines. Du point de vue enquêtes, les difficultés ne manquent jamais. Comme nous le savons, celles-ci permettent au Procureur de collecter tous les éléments de preuve susceptibles d'établir au-delà de tout doute raisonnable la responsabilité pénale de l'accusé. Si les enquêteurs se trouvent loin du lieu de la commission des crimes, ils éprouvent des difficultés énormes dans la recherche des éléments de preuves, dont les plus importants risquent d'être cachés par les personnes suspectes. Ici nous faisons surtout allusion à la preuve physique ( tout objet qui pourrait fournir une information concernant un incident ou une allégation ; les armes, les échantillons, les instruments de torture, les corps des victimes, etc. )50(*). Ce risque de faire disparaître les preuves matérielles devient plus accentué lorsque l'Etat qui a planifié et fait exécuter les crimes internationaux est encore au pouvoir. Dans ce cas, il ne sera pas disposé à coopérer avec les enquêteurs internationaux. L'exemple typique est celui du Soudan, où les autorités soudanaises ne veulent pas coopérer avec les enquêteurs de la CPI en déclarant que leurs tribunaux sont en mesure de poursuivre et punir les responsables des crimes commis au Darfour, ceci dans le but de les faire soustraire à la justice51(*). Les enquêtes menées par la CPI ont été conduites hors du territoire soudanais. Les enquêteurs ont interrogé les témoins au cours de 70 missions, conduites dans 17 pays hormis le Soudan. Pour Luis Moreno-Ocampo, la Cour dont il est Procureur n'est pas à mesure de protéger les témoins se trouvant sur le territoire du Soudan. De ce fait, la coopération du Soudan dans ce processus est importante pour assurer une enquête impartiale52(*). On peut conclure que la responsabilité pénale incombe aux autorités soudanaises puisque la Cour ne peut aboutir à quelque chose que si le Soudan accepte de coopérer avec la CPI. Si les autorités soudanaises resusent de coopérer avec la CPI, les enquêteurs n'auront pas accès sur toute information pouvant révéler la responsabilité pénale des personnes présumées avoir commis des crimes graves. Par conséquent, bon nombre de preuves matérielles indispensables pour l'instruction des dossiers, comme par exemple des charniers, leur seront cachées. En cas de disparition de preuves, surtout la preuve matérielle, les parties n'auront aucune autre option que de se fonder sur la preuve testimoniale. Ceci ne va pas sans poser de problèmes s'agissant de la fiabilité des témoignages plusieurs années après la commission des crimes53(*). Nous pouvons donner l'exemple du TPIR. Selon les informations nous fournies par Madame Sylvie BECKY chargée de la section d'aide aux témoins et aux victimes dans cette juridiction, de 1997 au 24 janvier 2007, le Tribunal a fait venir à la barre 1871 témoins provenant de 41 Etats, soit 1030 par le Procureur et 841 par la défense. Mais en ce qui concerne le TPIR, la tâche n'est pas très compliquée puisque il existe à Kigali un bureau de liaison charger de mener les enquêtes. Mais pour la CPI, les enquêteurs doivent effectuer de longs voyages pour se rendre sur terrain. L'avantage majeur est que les enquêteurs du TPIR sont proches du terrain et il leur est facile de localiser les témoins afin de prendre leurs déclarations. A cette fin, le Bureau du Procureur a une équipe de gestion des témoins à charge dont la tâche est de faire un suivi régulier pour voir si les témoins contactés sont toujours en vie et s'ils n'ont pas changé de résidence. Par contre, on déplore que les enquêteurs de la défense n'aient pas de Bureau à Kigali et qu'ils soient basés au siège du TPIR à Arusha, d'où ils viennent chaque fois qu'ils ont besoin d'une information au Rwanda. Quant à la CPI, le chemin est encore long. La sécurité des témoins n'est pas aussi assurée que celle dont bénéficient ceux du TPIR. Comme le TPIR est une institution créée après un conflit armé et qui travaille dans une période post-conflictuelle, les enquêteurs travaillent en paix sur un terrain plus ou moins sain par rapport à ceux de la CPI qui sont quelques fois obligés d'enquêter dans des milieux de conflits armés. Si nous prenons l'exemple du Darfour, la situation actuelle de cette région en matière de sécurité reste instable. Elle est marquée par une violence et des attaques. Bien entendu, la mise en place d'un système efficace de protection des témoins est une condition préalable à la tenue de toute investigation dans cette région. Dans sa déclaration devant le Conseil de sécurité des Nations Unies, Monsieur Luis MORENO-OCAMPO, Procureur de la CPI disait que, pour faciliter le processus d'enquête dans cette région du Darfour « il a fallu que son bureau établisse une présence semi permanente qui garantit un appui en matière de logistique, de sécurité et autres dans le cadre de l'identification et de l'audition des témoins »54(*). Concernant le déroulement des procès, le fait que ceux-ci se déroulent loin du lieu de la commission des crimes entraîne beaucoup de conséquences. Mais, nous ne parlerons que des conséquences en rapport avec l'aspect dissuasif. Personne n'ignore qu'en cas de violation du DIH c'est la communauté internationale qui en subit le préjudice, plus particulièrement ce sont les victimes qui attendent que justice soit rendue. Il serait donc souhaitable que celles-ci prennent activement part aux procès. La victime, en plus de la possibilité d'être entendue en tant que témoin, pourrait par exemple assister aux audiences publiques et suivre de près le déroulement des procès. Or, la justice internationale semble être inaccessible aux victimes suite à l'emplacement des juridictions pénales internationales loin du lieu de la commission des crimes. Enfin, l'éloignement des juridictions pénales internationales se répercute même sur l'exécution de la peine. Il est très rare que les personnes condamnées par ces dernières purgent leurs peines dans les lieux de la commission des crimes. Cependant, le Règlement de procédure et de preuves du TPR dispose que la peine d'emprisonnement est exécutée au Rwanda ou dans un autre Etat désigné par le Tribunal sur une liste d'Etats ayant manifesté leur volonté d'accueillir les personnes condamnées pour l'exécution de leur peine55(*)... Or, aucune personne condamnée n'a été jusqu'à aujourd'hui transférée au Rwanda pour y purger sa peine. A ce sujet, l'idée de Marc HENZELIN à laquelle nous nous rallions est claire : « Un crime ne doit être puni que dans le pays où il a été commis, parce que c'est là seulement, et non ailleurs, que les hommes sont forcés de réparer, par exemple de la peine, les funestes effets qu'a pu produire l'exemple du crime56(*)». Autrement-dit, HENZELIN nous amène à rappeler qu'à part la fonction expiatrice de la peine, celle-ci doit assurer la fonction préventive en dissuadant en premier lieu l'entourage, en l'occurrence le locus delicti commissi, et en deuxième lieu, l'humanité toute entière. La peine doit donc être infligée par le juge du lieu du délit, pour garder sa force d'intimidation57(*). Pour Mario BETTATI, une juridiction étrangère se saisirait d'une affaire lorsqu'il s'agit de réprimer un crime qui ne peut pas être localisé de façon ponctuelle58(*), comme il était le cas pour les crimes commis par les nazis et dont on ne pouvait pas identifier le lieu où ils avaient été perpétrés. En vertu de l'article 26 du Statut du TPIR qui dispose que celui-ci a le droit de désigner un Etat sur la liste de ceux qui ont fait savoir au Conseil de sécurité qu'ils sont disposés à recevoir des condamnés. Sans ôter aux juges leur pouvoir souverain d'appréciation, le Rwanda qui a manifesté sa volonté d'accueillir ces condamnés devrait être prioritaire. Le même appel est fait pour la CPI pour que les coupables soient transférés vers les pays où les crimes ont été commis, afin que la dissuasion de la justice pénale internationale se fasse sentir en premier lieu sur le locus delicti commissi. * 48 LA ROSA A.M., Op. cit., p.63. * 49 Accord de Londres du 8 août 1945 ( préambule, alinéa 3) * 50 BAYINGANA, T. J., La protection de la preuve dans le contentieux du génocide de Tutsis du Rwanda, mémoire, ULK, Kigali, mars 2005 ; p.27. * 51 Soudan, qui va répondre des actes commis ? Disponible sur : http://web.amnesty.org/library/index/fraafr540062005, consulté le 24 avril 2007. * 52 MAUPAS, S., Deux hauts responsables soudanais dans le collimateur de la CPI, disponible sur : http: // www.rfi.fr/actufr/articles/086/article_49941.asp, consulté le 24 avril 2007. * 53 TAVERNIER, P. et BURGORGUE-LARSEN, L., Un siècle de droit international humanitaire, centenaire des Conventions de La Haye, cinquantenaire des Conventions de Genève, BRUYLANT, Bruxelles, 2001, p.167. * 54 Déclaration du Procureur de la CPI devant le Conseil de sécurité en application de la Résolution 1593 (2005) à New York, le 13 décembre 2005. * 55Article 103 du Règlement de procédure et de preuves du TPIR. * 56 HENZELIN M., Le principe de l'universalité en droit pénal international, Droit et obligation des Etats de poursuivre et juger selon le principe de l'universalité, Bruxelles, 2000 ; P.2 * 57 BETTATI M., Le DROIT D'INGERENCE, mutation de l'ordre international, éd. ODILE JACOB, Paris, 1996 ; P.269. * 58 idem. |
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