La Cour Africaine des droits de l'Homme et des Peuples: le problème du contrôle juridictionnel des droits de l'homme en Afrique.( Télécharger le fichier original )par Providence NGOY Walupakah Université Catholique de Bukavu - Licence en Droit/ Option: droit public 2007 |
Section 2ème : Vers des changements institutionnelsbeaucoup plus significatifs La présente analyse se veut plus interrogatrice quant à la question de savoir si, avec l'avènement de l'Union Africaine, en remplacement de l'Organisation de l'Unité Africaine, des changements plus positifs pouvaient être envisageables et partant, efficaces. Il s'agit en effet de savoir si l'Acte instituant l'U.A. sera un correctif sensible de la Charte de l'O.U.A. sur le chapitre de la consécration des droits de l'homme en son sein. Et, au-delà, comment la nouvelle organisation régionale entend mettre en oeuvre leur protection ou bien, avec l'institution de la Cour de Justice de l'Union Africaine, pouvons nous espérer une réelle protection des droits de la personne en Afrique ? §1. L'U.A : Le nouveau visage de l'O.U.A. L'Union africaine est présentée, par les panafricanistes, non seulement comme une alternative à l'inefficacité de l'OUA et à la marginalisation du continent mais aussi comme une nécessité incontournable justifiée par l'environnement international. Son Acte Constitutif est signé, à Lomé, le 12 juillet 2002, à la suite des sommets extraordinaires de l'OUA de Syrte (du 6 au 9 septembre 1999) et de Tripoli (du 1er au 6 juin 2002) alors que sa naissance officielle a été consacrée par le sommet de Durban de juillet 2002. Au chapitre des droits de l'homme, dès le préambule de l'Acte, en effet, les Chefs d'Etat et de Gouvernement africains se disent « résolus à promouvoir et à protéger les droits de l'homme et des peuples, à consolider les institutions et la culture démocratique, à promouvoir la bonne gouvernance et l'Etat de droit ».26(*) Bien qu'ayant repris quelques-uns des objectifs et principes de l'OUA, l'Acte fondateur de l'Union africaine est beaucoup plus explicite et ambitieux, s'agissant de la protection des droits humains sur le continent africain. En fait, l'article 3 de son Acte constitutif pose les objectifs de l'Union africaine dans les termes qui sont les suivants : (f) promouvoir la paix, la sécurité et la stabilité sur le continent ; (g) promouvoir les principes et les institutions démocratiques, la participation populaire et la bonne gouvernance ; (h) promouvoir et protéger les droits de l'homme et des peuples conformément à la Charte Africaine des Droits de l'homme et des Peuples et aux autres instruments pertinents relatifs aux droits de l'homme ; (k) promouvoir la coopération et le développement dans tous les domaines de l'activité humaine en vue de relever le niveau de vie des peuples africains ; (n) oeuvrer de concert avec les partenaires internationaux pertinents en vue de l'éradication des maladies évitables et de la promotion de la santé sur le continent ;27(*) Pour atteindre les objectifs sus évoqués, et tous les autres, l'Union africaine fonctionne conformément à un certain nombre des principes fondamentaux. Il s'agit, à dire vrai, d'un savant mélange entre les anciens principes chers à l'OUA et aux nouveaux formulés dans le cadre de la nouvelle organisation continentale. A cet égard, qu'il nous soit permis de citer : (c) la participation des peuples africains aux activités de l'Union ; (h) le droit de l'Union à intervenir dans un Etat membre sur décision de la conférence, dans certaines circonstances graves, telles que le génocide ; (e) la promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes ; (m) le respect des principes démocratiques, des droits de l'homme, de l'état de droit et de la bonne gouvernance ; (n) la promotion de la justice sociale pour assurer le développement économique équilibré ; (o) le respect du caractère sacro-saint de la vie humaine et condamnation et rejet de l'impunité, des assassinats politiques, des actes de terrorisme et des activités subversives ; (p) la condamnation et rejet des changements anticonstitutionnels de gouvernement ;28(*) Une analyse intéressée de ces quelques objectifs et principes montre, si besoin en est, la place réservée aux droits de l'homme dans l'Acte Constitutif de l'Union Africaine. Comme le dit E. Baimu, relayé par le professeur Mbata B. Mangu, « The AU has more explicit human rights focus than the OAU. In a sense it may be argued that AU is an attempt to unite the ideals of African unity and human rights on the continent». Bien plus, les initiateurs de l'Union africaine sont allés plus loin, dans la perspective d'une meilleure protection des droits de l'homme, en consacrant le droit de l'Union d'intervenir dans un Etat membre sur décision de la conférence, dans certaines circonstances graves, telles que le génocide. Ce droit, qu'une certaine doctrine considère comme contraire aux principes de l'égalité souveraine et de l'interdépendance entre Etats, de l'intangibilité des frontières hérités de la colonisation et de la non ingérence audace normative, un saut qualitatif et un soubassement juridique du droit d'ingérence humanitaire en Afrique. D'ailleurs, pour B. Kioko, la raison d'être du droit de l'Union à intervenir est de mettre fin à la paralysie causée par l'application stricte du principe de non ingérence dans les affaires intérieures des Etats, à l'époque de l'OUA. Dans le même ordre d'idées, le Dr. Abdulyawi A Yussuf considère que « Together with the right to intervene in Member states for humanitarian purposes, this set of principles, if impleted in practice, could place the AU in the forefront of the global struggle for human security, human rights, and good governance». La structure organique de l'Union montre que certains de ses organes, et pas de moindres, compte la protection et la promotion des droits de l'homme parmi leurs attributions. Il en est ainsi de la conférence de l'Union, du Conseil exécutif, du Parlement panafricain, du Conseil de Paix et de Sécurité ainsi que de la Cour de Justice29(*) qui, un tant soit peu, va attirer notre particulière attention dans le paragraphe qui va suivre. §2. La Cour de Justice de l'U.A En instituant une Cour de Justice, les Etats membres étaient convaincus, ce qui ressort clairement du préambule, que la réalisation des objectifs de l'Union -entre autres la promotion et la protection des droits de l'homme et des peuples exigeait la mise en place d'une Cour de justice avec des mission et compétence propres. A. Mission et compétence
Il est créée une Cour de Justice de l'Union dont les statuts, la composition et les pouvoirs de la Cour de Justice sont définis dans un Protocole y afférent.30(*) Sans préjudice aux dispositions de l'A.C.U.A, la Cour a compétence sur tous les différents et requêtes qui lui sont soumis conformément à l'Acte et au présent Protocole ayant pour objet ; (a) l'interprétation et l'application de l'Acte ; (b) l'interprétation, l'application ou la validité des traités de l'Union et de tous les instruments juridiques subsidiaires adoptés dans le cadre de l'Union. (c) Toute question relative au droit international ; (d) Tous actes, décision, règlements et directives des organes de l'Union ; (e) Toutes questions prévues dans tout autre accord que les Etats pourraient conclure entre eux, ou avec l'Union et qui donne compétence à la Cour ; (f) L'existence de tout fait qui, s'il est établi, constituerait une rupture d'une obligation envers un Etat partie ou l'Union ; (g) La nature ou l'étendue de la réparation due pour la rupture d'un engagement.31(*) Si principalement telles sont les éléments sa compétence, notons que subsidiairement, la Conférence des chefs d'Etat et de gouvernement peut donner compétence à la Cour pour connaître des litiges autres que ceux visés dans le présent article. Etant donné que plusieurs textes et instruments ont été adoptés dans le cadre de l'Union africaine, il est donc de la compétence de la Cour de justice que les instruments africains relatifs aux droits de l'homme trouvent écho favorable auprès de cette instance. Cependant, une interrogation demeure : par la consécration des droits fondamentaux tant par l'Acte que par le Protocole de la Cour de justice, pouvons-nous prétendre à une protection effective des droits de l'homme par cette Cour ? B. La Cour de Justice de l'Union et les droits de l'homme Si jusqu'ici l'Acte et le Protocole susvisés ont le mérite d'avoir proclamé largement, dans une mesure ou une autre, les droits de l'homme en leur sein, le dernier, à savoir le Protocole a péché par sa nature. A la vérité, si l'on admet sans ambages d'une part, que la Cour est une Cour de l'Union, l'on reconnaît implicitement qu'elle est rigoureusement une juridiction où seuls les Etats sont justiciables, la conférence déterminant largement les conditions d'accès des tierces parties à la Cour.32(*) Pour en avoir le coeur net il suffit de se référer à l'article 18 du Protocole qui, quasi-totalement fait allusion aux Etats en accordant une place mineure aux membres du personnel de la Commission de l'Union qui, nous l'estimons, ne peuvent porter devant cette Cour que des questions de nature administrative et partant donc, n'ayant pas de lien direct avec les droits de l'homme. Pour en dire plus vrai, il n'est pas possible, en ce que nous en sachions, de protéger les droits de la personne sans que celle-ci n'ait accès (direct ou indirect) au mécanisme de protection mieux, sans que la personne soit en mesure de saisir cette instance. Il est vrai que des avancées remarquables ont été enregistrées dans la volonté d'assurer une promotion et une meilleure protection des droits de l'homme, mais il ne fait donc l'ombre d'aucun doute des améliorations et des ajustements devraient être apportés. A cet égard, l'urgence de la mise sur pied d'une instance juridictionnelle chargée spécifiquement des droits l'homme comme par exemple une Cour Africaine des droits de l'homme et des peuples, se faisait sentir à chaud. CHAP. II : ORGANISATION, FONCTIONNEMENT, COMPETENCES, PROCEDURE DE LA COUR AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME ET DES PEUPLES
L'idée d'avoir recours au droit et aux institutions pour promouvoir et protéger les droits humains en Afrique apparaît, rappelons-le, pour la première fois en 1961 lors du congrès des juristes africains organisé par la CIJ à Lagos au Nigeria. On se souvient que la « Loi de Lagos » plaidait pour une Cour africaine des droits de l'homme à l'image de la Cour européenne, mais que cette disposition, de même que toutes celles relatives à la mise sur pied d'un système de protection des droits de l'homme, ont été reléguées à l'arrière-plan des préoccupations des gouvernements africains. En fait, au moment de la conférence de Banjul sur la Charte africaine, l'idée d'une Cour des droits de l'homme fut reprise.33(*) En effet, le congrès dont mention est faite dit congrès sur « la primauté du droit » interpellait les dirigeants des puissances coloniales et des Etats africains indépendants afin qu'ils étudient la possibilité d'élaborer » une convention africaine des droits de l'homme prévoyant notamment la création d'un tribunal approprié et des voies de recours ouvertes à toutes les personnes relevant de la juridiction des Etats signataires », « La Loi de Lagos », reprise par plusieurs congrès de juristes africains, devint une référence.34(*) Dès l'origine, si la question de la création d'un organe juridictionnel s'est posée, elle fut jugée inutile. En effet, durant l'élaboration de la Charte africaine, deux tendances se sont dessinées : l'une, minoritaire, était favorable à la création d'une Cour pour compléter le dispositif de protection des droits de l'homme. L'autre, majoritaire, rejetait cette idée en se fondant sur le respect des traditions juridiques africaines qui donnent la préférence aux règlements politiques des différents, les Etats africains étant attachés à préserver leur souveraineté.35(*) La création de la Cour africaine est entreprise, au début des années 1990, par une nouvelle génération de responsables de la C.I.J menée par Adama Dieng, un juriste sénégalais qui a été formé et introduit dans les milieux gouvernementaux et non gouvernementaux par son prédécesseur, Kéba Mbaye.36(*) La volonté de rédiger un Protocole relatif à la Charte africaine portant création d'une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples est née des faiblesses institutionnelles, du manque des moyens et donc de la relative inefficacité de la Commission africaine constaté par les ONG et reconnue officiellement par l'OUA en 1994.37(*) Adopté le 10 juin 1998 à Ouagadougou par la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Union Africaine, le Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création d'une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples devait être ratifié par quinze Etats pour entrer en vigueur. Ce fut chose faite-après cinq longues années d'atermoiements et de piétinements- depuis le 26 décembre 2003, date à laquelle les Iles Comores ont déposé leur instrument de ratification, à la suite de l'Afrique du Sud, de l'Algérie, du Burkinafaso, du Burundi, de la Côte d'Ivoire, de la Gambie, du Lesotho, de la Lybie, du Mali, de l'Ile Maurice, de l'Ouganda, du Rwanda, du Sénégal et du Togo.38(*)
Pour mieux saisir la Cour africaine, il importe de la comprendre à travers sa nature, son siège et ressort, ses compétences, les conditions d'exercice de l'action devant elle ainsi que son fonctionnement. * 26 Centre for Human Rigths, Op. Cit, p. 4. * 27 Article 3 de l'Acte Constitutif de l'Union Africaine * 28 Article de l'A.C.U.A * 29 Noël KABEYA ILUNGA, Op.Cit, sl, sd. * 30 Article 18 de l'A.C.U.A * 31 Article 19 du Protocole de la Cour de Justice de l'Union Africaine * 32 Article 18 du Protocole de la C.J.U : 1 Peuvent saisir la Cour : (a) les Etats parties au présent Protocole ; (b) la Conférence, le Parlement et les autres organes de l'Union autorisés par la Conférence ; (c) un membre du personnel de la Commission de l'Union, sur recours, dans un litige et dans les limites et les conditions définies dans les Statuts... (d) les tierces parties....2. Les conditions auxquelles la Cour est ouverte aux tierces parties sont, sous réserve des...; définies par la conférence.....3. Les Etats qui ne sont pas membres de l'Union ne sont pas recevables à saisir la Cour ; (...) * 33 Kéba MBAYE, Les droits de l'homme en Afrique, 2ème édition, Pedone, Paris, 2002, p. 188 * 34 Mény Y., La greffe et le rejet. Les politiques du mimétisme institutionnel, L'Harmattan, Paris, 1993, pp. 14-15, in www.conflits.org. * 35 SIDIKI KABA, La Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, in www.fidh.org, consulté le 11 septembre 2008. * 36 Noël KABEYA ILUNGA, Op. Cit, sl, sd. * 37 Idem * 38 Jean-Louis ATANGANA AMOUGOU, « Avancées et limites du système africain de protection des droits de l'homme : la naissance de la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples », in Revue Droits fondamentaux, www. Droits-fondamentaux.org, (c) 2004, consulté le 16 janvier 2008. |
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