Discussion
Notre série de cas ne représente pas
l'épidémiologie générale des piqûres de
scorpion. En effet, il est possible que de nombreux patients présentant
une symptomatologie bénigne ne parviennent pas à l'hôpital
mais soient traités en dehors de celui-ci. De plus les patients de la
classe I n'ont pas été inclus dans l'étude. Nos
données rejoignent en de nombreux points celles de la
littérature, notamment en ce qui concerne les caractéristiques
cliniques et évolutives.
L'évolution en fonction de l'âge montre que 100%
des décès touche des enfants de moins de 15 ans. La plus forte
exposition des enfants aux piqûres de scorpion est un véritable
problème (Chippaux et Goyffon, 2008), en effet, l'âge est
considéré comme un facteur de risque important lors d'une
piqûre scorpionique (Suhendan et al., 2007 ; De Roodt et al., 2003). Cela
est dû autant au plus faible volume de distribution du venin chez
l'enfant, qu'à une moindre résistance de leur part, comme
d'ailleurs chez le sujet âgé (Borglio et Goyffon, 1980).
D'après nos résultats, toutes les tranches
d'âge sont touchées par l'envenimation scorpionique avec un
âge moyen de 13,36 #177; 13,50 ans, ce qui est supérieure à
celui de Cuernavaca au Mexique (5,2 ans) (Osnaya et al. 2001) et inferieur
à celui de Tozeur à Tunisie (35,6 #177; 19 ans) (Nouira et al.,
2007) et de Bombay en Inde (25,9 ans) (Karnad, 1998).
Par ailleurs, les enfants d'âge inférieur ou
égal à 15 ans représentent 73% de patients
envenimés, ce qui est conforme à la littérature (El Aminn
et Berair, 1995 ; Bouaziz et al., 2008 ; Charrab et al., 2008).
Comme le soulignent certains auteurs, la plupart des
piqûres ont lieu dans le milieu rural (Patrice et al., 2005 ; habzi et
al., 2001). En effet, dans la la région de Beni Mellal, 92% des patients
hospitalisés sont d'origine rurale. De plus, l'évolution en
fonction de l'origine montre que la majorité des décès
sont d'origine rurales, ce qui coincide avec la répartition des
espèces scorpioniques les plus dangereuses et en particulier
l'espèce mortelle Androctonus mauretanicus (Charrab et al.,
2009).
Les manifestations cliniques dûes aux piqûres de
scorpion différent en fonction de la localisation de la piqûre,
l'âge du patient, le lieu géographique et l'espèce de
scorpion.
L'apparition de signes de gravité est
étroitement corrélée à la quantité de venin
injectée (Ghalim et al., 2000) et comme nous l'avons montré,
l'évolution dépend de manière hautement significative de
la classe de gravité clinique à l'admission. Dans notre
étude, les symptômes les plus fréquemment observés
étaient les suivants : vomissement, l'hypersudation, tachycardie et
priapisme chez l'homme, ce qui rejoint les données de la
littérature (Chippaux et Alagon, 2008 ; Suhendan et al., 2007; De Roodt
et al., 2003; Nouira et al., 2007 ; Hmimou et al., 2008).
Sofer (1995) a montré que ces signes apparaissent
quelques minutes après la piqure, et ils peuvent être dûs
à la stimulation du système nerveux central et du système
nerveux autonome par le venin du scorpion conduisant à une
libération des catécholamines.
D'autres études éxperimentales ont montré
que la demi-vie d'excrétion de toxine est approximativement 30 minutes
(Niranjan et al., 2006 ; Ismail et al., 1983), ce qui incite des complications
dans presque tous les systèmes de l'organisme. De plus, les toxines du
venin de scorpion ont une neurotoxicité responsable d'un syndrome
muscarinique, avec perturbations de la tension artérielle et de la
ventilation pulmonaire, et une cardiotoxicité directe par effet sur les
canaux sodium, et indirecte par libération de catécholamines
liée à l'action neurologique périphérique (Gueron
et al., 1992).
Nous avons montré dans notre étude que les trois
fonctions vitales (respiratoire, neurologique et cardiocirculatoire) sont
corrélées entre elles et sont des facteurs de risque. En plus,
elles sont les causes principales de décès chez les patients
envenimés, conformément avec ce qui est rapporté par la
littérature (Bouaziz et al., 2008 ; Gueron et Yaron, 1970 ; Cupo et
al.,1994 ; D'Suze et al.,1999 ; Marcus et al.,2007 ; Bawaskar et Bawaskar, 1992
; Dehesa-Davila & Possani, 1994 ; Carmen et al., 2002 ; Umesh et al., 2006
; Farghly, 1999).
D'ailleurs, la défaillance cardiocirculatoire est
fréquemment la cause du décès (Elatrous et al.1999, Cupo
et Hering 2002, Kristal et al.1998). Elle se manifeste par un collapsus
cardiovasculaire, voire un état de choc, des pressions de remplissage
hautes (pression veineuse centrale, pression capillaire pulmonaire) et peut
être responsable d'oedème aigu du poumon. Ces derniers signes sont
présents dans la phase finale avant le décès (Abroug et
al., 1995 ; Nouira et al., 1996 ; Muller, 1993 ; Ouanes et al., 2008).
D'autre part, la défaillance respiratoire se manifeste
par une polypnée, une cyanose, une difficulté respiratoire
évoluant vers un arrêt respiratoire. Ces signes sont dus aux
effets cholinergiques des toxines, et aussi à une action indirecte de
type inflammatoire au niveau du poumon (Goyffon et Billialrd, 2007).
De même la défaillance neurologique est une
souffrance cérébrale secondaire à l'hypoxie et pouvant se
manifester par l'agitation, l'irritabilité, les fasciculations,
l'obnubilation, ensuite peuvent survenir des convulsions, puis s'installe un
coma de profondeur variable (Nouira et al., 1996, 2005).
La moyenne du délai entre la piqûre et
l'arrivée à l'hôpital est de 3,35 #177; 3,65 heures, ce qui
est supérieur au temps post piqûre rapporté par Nouira et
al. (2007) (1,3 #177; 1,45 heures) dans la région de Tozeur à
Tunisie. Cela nécessite une sensibilisation plus importante de la
population sur le danger de l'envenimation scorpionique.Le retard de
consultation entraîne un risque accru de passage à la classe de
sévérité suivante, et donc à une évolution
plus défavorable.En effet, nous avons montré dans notre
étude que la plupart des décès sont arrivés
à l'hôpital dans un délai supérieur à trois
heures.
Tout patient envenimé doit être mis en condition
pour un transfert urgent vers un service de réanimation. La prise en
charge en milieu hospitalier comprend un traitement symptomatique
polymédicamenteux des signes généraux et une surveillance
clinique.
Dans notre étude, les thérapeutiques les plus
utilisés sont les analeptiques cardiaques type dobutrex (principe actif
c'est dobutamine). Ce médicament a été
préconisé à 84,7% des cas toutes les 30 minutes
jusqu'à stabilisation de l'état clinique (disparition des signes
de l'état de choc). L'administration de dobutrex est associé au
remplissage vasculaire par du sérum salé à 9%o; 5 ml/kg
chaque 30 minutes chez l'enfant et 250 ml/30 minutes chez l'adulte, afin
d'éviter toute surcharge volumique pouvant aggraver un oedème
pulmonaire (Soulaymani et al., 2008).
Elatrous et ses collaborateurs (1999) ont montré que la
dobutamine a permis une augmentation significative du débit cardiaque,
de l'index systolique, et des paramètres d'oxygénation
tissulaire, tout en permettant une baisse substantielle de la pression de
remplissage du ventricule gauche, en même temps qu'une baisse de
l'admission veineuse.
Certains auteurs (Bawaskar et Bawaskar, 1991 ; Udayakumar et
al., 2006 ; Suman et al., 2008) considèrent la prazosine comme
l'antidote spécifique du venin du scorpion Mes obuthus tamulus
(le plus répandu en Inde). Ils ont montré que le traitement par
prazosine était en mesure de réduire significativement la
mortalité et d'améliorer plus fréquemment les
manifestations cardiovasculaires de l'envenimation.
Les antalgiques (Doliprane) ont été
utilisés dans 42,9% des cas pour la lutte contre l'hyperthermie. En cas
de vomissements importants, les antiémétiques utilisés
sont Coloprame (45,2% des cas) et Primperan (24,3% des cas).
L'hypertension artérielle, généralement
moins fréquente et passagère, est traitée, si elle
persiste, par les antihypertenseurs type loxen (0,6% des cas), alors que les
antispasmodiques de type Atropine ont été administrés
à 1,7% des cas pour traiter les douleurs abdominales.
L'oxygénothérapie a été utilisée (21,5% des
cas) en réponse à des troubles respiratoires, elle permet
d'assurer une bonne oxygénation cérébrale.
La sérothérapie est controversée et a
montré, dans certaines circonstances, son inefficacité (Abroug et
al., 1999). Cela peut être dû à un titre de neutralisation
insuffisant ou une utilisation inadéquate du sérum (Possani,
2000). De plus, une étude a montré que la
sérothérapie augmentait significativement le risque de
décès et de détresse vitale (RR = 1,95 et IC 95 % :
1,37-2,79) (Soulaymani et al., 2002). Néanmoins, d'autres pays comme le
Mexique (Osnaya et al., 2001), l'Iran (Pipelzadeh et al., 2007) et l'Argentine
(Adolfo et al., 2003) ont utilisé la sérothérapie comme
traitement de base de l'envenimation scorpionique.
Avec un taux de létalité hospitalière de
18,5%, les envenimations scorpioniques constituent à l'évidence
une pathologie d'urgence grave, et un problème de santé publique
important dans la province de Beni Mellal. L'analyse montre que l'âge et
la classe de gravité clinique à l'admission ont de lourdes
conséquences sur l'évolution des personnes piquées. Les
signes de détresse vitale neurologique, respiratoire et cardiovasculaire
sont des facteurs de risque élevés chez le patient
envenimé. Des efforts restent encore à fournir, à la fois
pour le renforcement en personnel spécialisé en
réanimation et pour l'approvisionnement en médicaments et en
matériel de réanimation afin de diminuer la
létalité qui reste encore élevée chez les enfants
de moins de 15 ans.
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