Le rôle de l'Eglise dans le processus de démocratisation en République Démocratique du Congo (1990-2006) Nécessité et Perspectives( Télécharger le fichier original )par Jimmy MUNGALA FETA Abomey-Calavi/ Chaire Unesco pour les droits de la personne et de la démocratie - Diplôme d'Etudes Appronfondies (DEA) 2009 |
B. Une rencontre piégéeL'éventualité des concertations politiques avant la tenue des élections était l'occasion d'un autre bras de fer. Elle a fait apparaître des contradictions internes entre les confessions religieuses comme c'était le cas à propos de la consigne de vote au référendum constitutionnel. En effet, à l'appui du calendrier électoral publié par la CEI le samedi 30 avril 2006 qui situait les élections présidentielles et législatives au 30 juillet 2006, donc après le 30 juin 2006, l'Eglise catholique proposa pour le 1er mai 2006 un dialogue politique de toutes les forces vives de la Nation en vue de prendre les dispositions nécessaires pour rassurer tout le monde et éviter que la gestion de l'après 30 juin ne soit la même que celle de l'avant 30 juin 2005. Fustigeant le calendrier électoral, la CENCO trouva « qu'étant donné qu'il sera impossible d'organiser les élections avant le 30 juin 2006 ; ainsi que cela a été prévu par l'Accord Global et Inclusif et par la Constitution de la Transition ; il va de soi que tout réaménagement du calendrier électoral ne puisse se faire unilatéralement, mais qu'il soit le résultat d'un consensus entre les forces vives de la Nation »94(*). Mais, cette proposition présentée ne faisait pas l'unanimité au sein de l'Eglise en général même pas au sein de l'Eglise catholique. Dans la même fronde, les Evêques à l'Est du pays s'opposaient à la position de la CENCO en rejetant les concertations politiques, avant d'appeler le peuple au respect du calendrier électoral présenté par la CEI. Partant, ils affirmèrent indirectement que, la transition ne prenait pas fin au 30 juin 2006. Point par point, cette position rejoignait également celle prise par les Eglises de réveil pilotées par les Pasteurs Albert KANKIENZA, Sony KAFUTA ROCKMAN et Jean Oscar KIZIAMINA KIBILA. De son côté, dans un style subtil et précis, l'Eglise protestante s'opposait à la position de la CENCO, appelant ainsi au « respect de la Constitution de la Troisième République, spécialement les articles 222, 228 et 229 »95(*). Qui plus est, l'Eglise protestante estimait qu'il fallait mettre le cap sur les élections, sans transiter par des concertations politiques. Réunie en sa 38ème session ordinaire à Mbuji-Mayi du 16 au 19 mai 2006 dans la province du Kasaï-Oriental, l'Eglise protestante affirmait également dans sa déclaration que la transition ne s'arrête pas le 30 juin 2006, apprécie la fixation par la CEI du calendrier électoral révisé après consultation des bureaux des deux chambres du parlement et d'autres partenaires engagés dans le processus électoral et réitère son appréciation du fonctionnement des institutions de la transition (...), de leur constance à mener le pays aux élections libres(...). S'agissant de la fin de la transition, l'Abbé-président de la CEI rappelait l'article 222 de la Constitution du 18 février 2006, pour dire qu'il n'y avait qu'une seule Constitution, et non deux, un peu pour dire qu'il rejetait l'expression « réaménagement unilatéral », car, la CEI était légalement la seule structure habilitée à établir le calendrier électoral. Au demeurant, elle s'opposait aux concertations politiques, qui pour lui allaient renvoyer indéfiniment les élections, probablement aux calendes grecques. Au sein de la CEI, le président ne s'exprimait pas en sa qualité de prêtre catholique, mais il n'en restait pas moins membre du clergé chapeauté par la CENCO. Sur cette question, Mgr MONSENGWO dira que « l'Abbé MALU-MALU est un prêtre. Nous devons donc le protéger contre tous les dangers éventuels, physiques et moraux, et contre toute pression(...), il n'est pas toujours compris, mais nous voulons le protéger ; c'est pour cela que nous prenons certaines positions, que lui ne peut pas prendre »96(*). Pourtant, dans sa déclaration faite le 20 juillet 2006, dix jours avant les élections du 30 juillet, la CENCO menaçait de ne pas reconnaître la validité des élections du fait que toutes les conditions n'étaient pas encore réunies pour la tenue de scrutins réellement transparents, libres et démocratiques. Trois jours après, le Comité régional des Abbés de la ville de Kinshasa va apporter son soutien à la position de la CENCO, et surtout, va appeler le peuple à boycotter les élections si les irrégularités constatées ne sont pas corrigées avant la clôture de la campagne électorale. En effet, la CENCO constatait un ensemble de données confirmant les craintes de manipulation, de tricherie sinon de fraude notamment les déclarations contradictoires sur les listes électorales et le nombre exact des électeurs, les explications embarrassées sur celui des bulletins de vote excédentaires, les suspicions sur la localisation du serveur central et sur les programmes informatiques, l'absence du calendrier électoral complet. Aux antipodes de ces deux positions, Mgr François-Xavier MAROY, Archevêque de BUKAVU appelait les Congolais à participer au scrutin du 30 juillet 2006 sans évoquer ni les conditions de transparence, ni les cas d'irrégularités97(*). S'alignant sur la même position, les chefs des Eglises d'Inongo dans la province du Bandundu, à l'Ouest du pays, ont lancé au cours d'un culte oecuménique un appel à leurs fidèles à voter massivement et sans sentiment le 30 juillet prochain, car, le vote est un devoir à ne pas manquer. En clair, nous pouvons dire que la gestion de la réalité électorale a été délicate pour tout le monde, encore qu'à ce stade, chaque confession religieuse s'est mise en exergue. Même l'Eglise catholique a vu l'éclosion de ses différends internes remonter à la surface.Quoique confrontée à une épreuve sans précèdent, la CENCO n'a pas versé dans la résignation, au contraire, elle a surmonté ses contradictions internes en peu de temps, pour éviter de placer les fidèles-électorat catholique devant un dilemme d'un mot d'ordre autour des élections. Par la voix de son président Mgr MONSENGWO et sans équivoque, elle déclara ce qui suit : «Dimanche, allez voter, moi-même je vais me rendre dès demain à Kisangani pour participer au vote »98(*). Pour expliquer ce revirement prévisible, à trois jours des élections et sept jours après la déclaration au vitriol du 20 juillet, le prélat informa que l'évolution de la position de la CENCO est intervenue après une enquête systématique sur les faits menée auprès des acteurs impliqués dans le processus électoral. Au sujet des irrégularités dénoncées, Mgr le président de la CENCO dira de façon ironique et embarrassée : `'Posez la question aux 19 candidats''. Autrement dit, l'Eglise catholique avait obtenu gain de cause sur les inquiétudes et doutes intervenus et qu'elle n'avait pas à cautionner le faux-fuyant de certains acteurs politiques qui s'étaient engagés manifestement dans la spéculation, la désinformation et l'intoxication pure et simple. Ainsi, comme jadis Jean XXIII déclara, « dans l'application des principes, il peut arriver que des catholiques, même sincères, soient d'opinions différentes. En ce cas, ils doivent veiller à se conserver et à se manifester estime et respect mutuels. »99(*). De son côté, l'Abbé-président MALU-MALU de la CEI, tout en regrettant qu'on fasse de chaque difficulté un montage, n'avait pas tort de dire que son institution avait l'avantage d'organiser les élections après que beaucoup d'Etats africains aient organisé les leurs, car, cela lui avait permis de « consulter plusieurs d'entre eux afin de pouvoir réaliser de bonnes élections en RD Congo»100(*). De ce point de vue, nous pensons qu'il faille être de mauvaise foi pour ne pas comprendre que la motivation réelle de cette agitation politique était ailleurs. Cependant, il faut souligner toute l'importance que cela représentait de recueillir d'autres sons de cloche émis par d'autres prélats et prêtres du clergé. Par contre, il sied de noter, en effet, que bon nombre de candidats étaient désabusés, car, se sachant populaires uniquement dans leurs familles respectives et auprès de leurs proches immédiats. Ainsi, ils ont très vite préféré s'aligner dans la manipulation de la population. Voulant à tout prix justifier leur défaite prévisible avec un discours populiste, ils ont pompeusement accusé la CEI d'être à la solde du candidat locataire du palais de la Nation (Bureau officiel de la Présidence de la RD Congo). Ces faits ont été aussi relevés par « bon nombre d'observateurs avertis »101(*). Par ailleurs, décréter un boycott des élections par l'Eglise catholique paraissait à la fois trop risqué et aurait l'air d'un véritable défi, car, la grande inconnue se situait autour de la réaction de la population et surtout des fidèles catholiques qui, au-delà de leur adhésion sans faille à la foi catholique, restaient citoyens à part entière avec des préférences politiques distinctes par rapport aux choix des candidats. Au demeurant, étant donné que les catholiques sont majoritaires en RD Congo, le boycott pouvait susciter des débordements dangereux. Pourtant, le principe des concertations entre acteurs politiques institutionnels et non institutionnels était approuvé par toutes les forces politiques et sociales. Mais, il n'en fut rien, car, engager des concertations ouvrirait la voie aux manoeuvres dilatoires, alors que le problème que posaient certains acteurs politiques, la plupart de l'opposition, se situait sur la légitimité des mandats politiques des acteurs institutionnels après le 30 juin 2006 conformément aux articles 196 de la Constitution de la Transition, 222, 228 et 229 de la Constitution du 18 février 2006 et dont réponse figurait dans les dispositions constitutionnelles sus indiquées. Comme l'a souligné le Père Rigobert MINANI, « les chrétiens ont le devoir d'être cohérents avec l'Evangile et l'enseignement de l'Eglise dans leur action politique; mais il est normal qu'il y ait parmi eux des divergences sur l'opportunité d'agir ou non... le besoin de prévaloir la citoyenneté en accomplissant son devoir civique ou la nécessité de se conformer à la consigne de l'Eglise »102(*). Par ailleurs, il importe de mentionner que certains acteurs politiques dont un grand nombre des candidats malheureux à la présidentielle ont tenté, notamment à travers des déclarations accusatrices basées sur des rumeurs non fondées, de reprendre à leur compte tous les desiderata exprimés par la CENCO à la CEI. C'est le lieu de saluer et de reconnaître comme tout le monde, y compris en premier lieu la CEI, qu'en dépit des hauts et des bas, sans l'implication de la CENCO qui s'est investie considérablement à expliquer le bien-fondé des élections aux populations, la tâche de la CEI ne serait pas du tout aisée. Les enseignements de la CARTEC ont permis à la CEI de communiquer avec les populations et d'atteindre la base profonde. Il faut, cependant, déplorer le fait que malgré son sol et son sous-sol immensément riches en ressources, la RD Congo ne pouvait pas organiser seule les différents scrutins prévus à cause de plusieurs années de mauvaise gouvernance, d'instabilité politique et des conflits armés. Ainsi, la Communauté internationale a pris en considération la complexité de la situation au point qu'en réponse aux appels lancés, ça et là à son attention, elle a réagi positivement par l'octroi d'un appui matériel et financier impressionnant au gouvernement de la RD Congo et aux partenaires locaux au développement pour la réussite des élections. C'est le cas notamment de l'Eglise catholique qui bénéficia d'un `'appui financier multilatéral considérable pour la concrétisation de son programme électoral en faveur des populations''. A l'instar de l'Organisation des Nations Unies à travers sa mission en RD Congo (MONUC), un certain nombre de partenaires au développement comme l'Agence Canadienne de Développement International (ACDI), Développement et Paix (Canada) et la Fondation Konrad ADENAUER a appuyé l'action de l'Eglise. Déjà depuis 2001, Développement et Paix en collaboration avec ses partenaires congolais a organisé bon nombre d'activités dans le cadre d'un programme bilatéral avec l'Agence Canadienne de Développement International. Avec son programme d'appui à la paix et à la démocratie (PAPD), l'ACDI a permis d'effectuer un vaste travail d'éducation civique à travers tout le pays, bien que plusieurs autres projets d'éducation électorale n'aient été réalisés, afin de préparer la population à la tenue des premières élections libres, transparente et démocratiques depuis 40ans. Cependant, il convient de noter que de tous les projets financés grâce au Programme d'Appui à la Paix et à la Démocratie, celui de la CENCO, nommé CARTEC (Coordination des actions pour la réussite de la transition de l'Eglise catholique) est devenu le programme de toutes les confessions religieuses. Cet élan de solidarité a assuré à la CARTEC un soutien financier pour la réalisation du « Guide de formation de l'électeur congolais, dont l'usage a servi à une large couverture des actions de l'Eglise dans leur soutien au processus électoral notamment le déploiement de 50.000 animateurs pour sensibiliser la population »103(*). Cet appui a permis à l'Eglise de devenir un acteur incontournable dans le processus électoral. Aussi, face à l'inertie et la démission de la classe politique, son rôle s'est-il accru. Bien que son intervention ait été tantôt saluée, tantôt critiquée, il convient d'en tirer le meilleur parti, c'est-à-dire, reconnaître les progrès réalisés, les consolider et relever les failles de cette intervention pour y remédier. * 94 Article 222 : Les institutions politiques de la transition restent en fonction jusqu'à l'installation effective des institutions correspondantes prévues par la présente Constitution et exercent leurs attributions conformément à la Constitution de la Transition, Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006, TITRE VIII : DES DISPOSITIONS TRANSITOIRES ET FINALES, p.27 * 95 Article 222 : Les institutions politiques de la transition restent en fonction jusqu'à l'installation effective des institutions correspondantes prévues par la présente Constitution et exercent leurs attributions conformément à la Constitution de la Transition. Article 228 : Sans préjudice des dispositions de l'article 222 alinéa 1, la Constitution de la Transition du 04 avril 2003 est abrogée. Article 229 : La présente Constitution, adoptée par référendum, entre en vigueur dès sa promulgation par le Président de la République, Constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006- TITRE VIII : DES DISPOSITIONS TRANSITOIRES ET FINALES, p.27, version électronique, www.presidentrdc.cd * 96Marie-France CROS : RD CONGO-ELECTIONS : Interview du président de la CENCO Mgr MONSENGWO, in la Libre Belgique du 22 Mai 2006, http://congomania.afrikblog.com/archives/2006/05/24/1942995.html * 97 Appel de Mgr L'Archevêque François Xavier au Congolais le 25 juillet 2006, www.radiookapi.net * 98 Point de presse de la Présidence de la CENCO, Kinshasa, 27 juillet 2007, www.cenco.cd * 99Révérend Père Rigobert MINANI BIHUZO BIN KKURU (s.j): Existe-t-il une doctrine sociopolitique de l'Eglise ? Editions CEPAS, Kinshasa, 2000, p.188 * 100 J.P.M et P. BIOTO : MALU-MALU « je vais lever les zones d'ombre », la Référence Plus du 25 juillet 2006, Kinshasa, www.digitalcongo.net/recherche * 101 Marie-France CROS, in la libre Belgique, Edition datée 17 juillet 2006, cité par T. KIN-KIEY MULUMBA : Sur la communication, très mitterrandien, AZN triomphe, JPBG passe, P3 fort mal à l'aise, mise en ligne le 25 juillet 2006, Kinshasa, Édition «LE SOFT INTERNATIONAL2» N°868 datée du 21 juillet 2006, www.lesoftonline.net * 102 Révérend Père Rigobert MINANI BIHUZO BIN KKURU (s.j), op.cit, p.188 * 103 Voir CENCO : Secrétariat Général CENCO, Coordination des Actions pour la réussite de la Transition (CARTEC), Guide de formation de l'électeur congolais, Editions du Secrétariat Général CENCO avec le soutien financier de Développement et Paix (Canada), CRS (USA), CORDAID (Hollande), Broederlijk Delen ( Belgique) et la Coopération technique belge (CTB), Avril 2006, in www.cenco.cd |
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